lundi 29 septembre 2014

LA GRANDE GUERRE AU JOUR LE JOUR 28 SEPTEMBRE 1914







 28 septembre 1914

I)
« Roye est bombardé systématiquement par des obus de gros calibre : les maisons s’écroulent les unes après les autres, ensevelissant sous leurs ruines de nombreux habitants qui n’ont pas eu le temps de fuir. Le pensionnat ambulance est évacué, et les corps des 6 officiers tués les 2 jours précédents sont transportés dans 3 fourgons au village de Laucourt, à 3 kilomètres au sud de Roye, où doivent avoir lieu les obsèques. » Récit écrit du commandant D… (commandant Delisle)...

La levée du corps est faite vers 13h00 par l’abbé Grandin à la chapelle… où les cercueils ont été déposés : le bombardement continue avec une violence accrue, 3 ou 4 officiers sont présents, parmi eux, le lieutenant Furiet représente le 31e d’artillerie.
« Cette cérémonie du 28 septembre 1914 ! Quelle impression elle fait sur tous les assistants ! ».. écrit 3 ans plus tard le général B. (Boëlle).

« Il ne faut pas de grandes phrases pour la décrire. Une petite église de village dont le clocher pointu se découpe en noir sur le ciel de 18h00, les vitres illuminées à peine par 4 cierges (on n’en avait pas allumé davantage pour ne pas attirer l’attention de l’ennemi). 6 cercueils, alignés dans le chœur, recouverts de drapeaux et entourés de hussards sous les armes. Ce sont ceux des colonel Gazan, Wallut, du lieutenant-colonel Prévost, du commandant Aublin, du capitaine Ogier de Baulny et du lieutenant Lhote. Il fait presque nuit et le canon fait rage à 2 kilomètres de là. » Récit écrit de l’intendant K…

L’abbé Grandin, aumônier du 4e Corps préside la cérémonie, un canonnier séminariste, revêtu d’un surplis, remplit les fonctions d’assistant. Une vingtaine d’officiers, parmi lesquels le général B…., commandant le 4e Corps, une cinquantaine de soldats, tous ceux qui sont disponibles à Laucourt, sont présents.

Dans une courte et émouvante allocution, l’abbé Grandin laisse parler son cœur de prêtre et de soldat, puis, la cérémonie terminée, les corps sont chargés dans des fourgons et conduits au cimetière où une grande fosse de 6 mètres sur 2 mètres a été creusée.

Un à un, les cercueils sont descendus dans cette fosse par les soldats du génie et déposés côte à côte, et c’est poignant de voir ces 6 cercueils se détachant en blanc sur le fond noir de la fosse, 6 croix formées de lattes sur lesquelles on a inscrit les noms avec un bout de bois trempé dans l’encre sont alignées contre le mur. Récit écrit de l’intendant K…
«  Le soir tombe de gros nuages noirs chargés d’eau sont emportés dans le ciel par un vent violent d’ouest :

Le ciel est sans cesse sillonné par les éclairs des obus qui éclatent sur Roye et les villages voisins : plusieurs de ceux-ci en flammes empourprent l’horizon. La canonnade font rage et grondait de façon ininterrompue »

II)
Plusieurs bouchers sont arrêtés car ils spéculaient sur le prix de la viande. Le Figaro du 28 septembre 1914 précise que c'est le plus souvent au détriment de l'armée.

«Nice. - Le Parquet de Nice s'occupe en ce moment d'une affaire de spéculation délictueuse sur la viande .
Des bouchers s'en vont dans la campagne et se prétendant mandataires de l'armée, réquisitionnent des bestiaux qu'ils paient un prix peu élevé, fixé par eux. Puis ils abattent les animaux et revendent la viande à l'armée.
Il y a quelques jours, deux individus de Nice ont été arrêtés.
On vient d'en prendre deux autres, Clément Jaunie, boucher à Monaco, actuellement caporal au 7e chasseurs territorial, et Joseph Bailet, marchand de bestiaux à Villefranche. Ils ont été conduits à la maison d'arrêt.»

III)
Au front « les Allemands se battent avec furie » selon, le journaliste du journal « LeTemps », « par des attaques d'une violence inouïe ils s'efforcent de rompre vainement nos bataillons, les quelques pouces de terrain qu'ils parviennent à gagner en certains points leur sont rapidement repris par nos soldats qui leur enlèvent des canons, des prisonniers et même un drapeau resté entre les mains des coloniaux du 24e régiment. »

Sur le plan tactique, Joffre scinde la 2e armée de Castelnau en deux et confie l’aile gauche au général Maud’huy, en Picardie et dans le secteur de Saint-Quentin.
Au deuxième jour de la bataille de l’Artois, Neuve-Chapelle est reprise par les Anglais.
La bataille de Picardie se poursuit depuis 6 jours, avec d'inégales intensités, le long des lignes d'un angle droit, l'une s'allongeant de la forêt de L'Aigle, vers l'est, vers Verdun, l'autre montant vers le Nord par Lassigny, Roye et les plateaux entre Combles et Albert.

IV)
A Paris, un Taube survole la ville et jette une bombe qui tue un vieillard et une fillette, nous informe un article du journal « Le Temps ».

Le journal de Roubaix annonce que le commandant Allemand de la place de Mulhouse se suicide par désespoir de n’avoir pu franchir les Vosges.

Les journaux nationaux publient une dépêche nous annonçant, la prise de Lissa, dans la mer Adriatique, par un détachement Anglo-Français.
Les bouches de Cattaro (Monténégro) sont bombardées par les canons Français... Plusieurs navires Autrichiens, croiseurs et sous-marins, seraient, cachés à l'intérieur, selon le Figaro.

Sur le front de Prusse Orientale, les troupes Russes poussent activement leur offensive dans les forêts d'Augustow. De grosses pièces d'artillerie Allemande bombardent d'Ossowietz. Une tentative est faite par l'infanterie Allemande pour approcher cette forteresse.

Sur le front de la Silésie, les Allemands se renforcent considérablement.
En Galicie, les troupes Russes, dans la région de Sanok, au sud-ouest de Przemysl, occupent Lisko

Les nouvelles se font de plus en plus rares, Le journal de Roubaix nous annonce le passage de prisonniers Allemands à Hersaux. « Lundi, à 9h00, 36 prisonniers Allemands sont passés à Herseaux.
La présence des Allemands a suscité la nervosité des voyageurs qui se trouvaient en gare d’Herseaux, pendant le court stationnement du train. »
Le journal de Roubaix publie les statistiques sanitaires du mois d’Août, brutes et très détaillées : « 179 enfants ont vu le jours à Roubaix (88 de sexe masculin et 91 de sexe féminin).
77 mariages ont eu lieu et 2 divorces ont été prononcés.
168 personnes (93 du sexe masculin et 73 du sexe féminin) sont mortes, sur ce nombre 39, dont 3 étrangères à la ville, ont succombé à l’hôpital.
43 enfants de moins d’un an sont morts, soit 24% des naissances.
La tuberculose a fait 24 victimes, soit 14% de la mortalité totale.
Le cancer a provoqué 11 décès.
Les maladies épidémiques en ont amené 3 : 1 par coqueluche, 1 par diphtérie,1 par la fièvre typhoïde.
Le bureau d’hygiène a reçu 2 déclarations de maladies transmissibles et a fait faire 9 désinfections diverses....

V)
Quelques bombes auraient encore été lancées sur Paris par un taube Allemand ; l’une d’elles est tombée devant le n° 16 de la rue de la Pompe. Pauvre tante Aline, elle a dû l’entendre de la rue de Sfax, sa prochaine lettre en parlera sans doute.
Antoinette est allée à Courtrai faire les préparatifs du retour de son petit Jean à Roubaix. Elle nous raconte que deux wagons remplis de prisonniers Allemands, gardés par des gendarmes Belges à chaque portière, se trouvaient attelés au train qu’elle a pris de Mouscron à Courtrai... Dans cette dernière gare, la foule des curieux venus pour les voir était énorme.
Un biplan dont on ne peut distinguer la nationalité, passe sur Roubaix dans la matinée. Ils deviennent beaucoup plus rares. On a aperçu vers Tournai des Anglais, des goumiers Marocains, ailleurs, on a vu des Hindous. Il se prépare, dirait-on, quelque chose entre Cambrai et Tournai et les nouvelles parvenant de l’interminable bataille de l’Aisne semblent meilleures.

Germaine reçoit deux bonnes lettres de Georges : l’une de Gueux le 15, l’autre de Magneux, le 21.

VI)
Le soir, à l’heure du salut à Saint Martin, une affluence, inusitée depuis les jours de la grande mobilisation, envahit la place de l’hôtel de ville. C’est un défilé de pauvres gens de la région de Tournai qui vient chercher refuge à Roubaix. Les bras chargés d’enfants ou de paquets de hardes, les malheureux sont en quête d’un gîte. La municipalité et des personnes charitables les hébergent du mieux possible au moins pour cette première nuit de leur fuite. Cela donne naissance aux bruits les plus divers :
Tournai va être bombardé ainsi que Cambrai pour déloger les Allemands ! Des villages sont en feu et détruits comme la pauvre petite ville d’Orchies. C’est presque de la panique quand l’obscurité de la nuit survient.
J’ai déposé aujourd’hui entre les mains du chef de gare le carnet de retour de Jacques à Baden afin qu’il puisse avoir quelque validité encore après la guerre. De même, j’ai adressé avec nos deux cartes d’abonnement à demi-tarif, une demande ou de prolongation ou de remboursement partiel.

VII)
Joffre adresse des félicitations aux troupes du général Franchet d’Esperey : « Depuis deux semaines, les troupes de la Ve armée, placées dans des conditions difficiles, repoussent victorieusement les attaques d’un ennemi supérieur en nombre dans des combats continuels de jour et de nuit. Elles ont montré, sous la conduite de chefs intrépides, une bravoure et un entrain qui ne se sont pas un instant démentis »... Cet ordre du jour ferme la première bataille de l’Aisne.

Epilogue
La bataille de l’Aisne marque un tournant dans la Grande Guerre en mettant fin, dans un important secteur, à la guerre de mouvement. Les Allemands cessent leur retraite en s’accrochant à une position inexpugnable :
Le Chemin des Dames. Ce n’est que 3 ans plus tard que les Français vont lancer dans ce secteur une offensive sous le commandement du général Nivelle, qui se soldera par une catastrophe... Ce sera la deuxième bataille de l’Aisne. Il en résultera des mutineries dans l’armée Française et le limogeage de Nivelle.

VIII)
Les Allemands ont procédé à de frénétiques attaques de front entre l’Oise et Reims, comme entre Reims et Souain, dans l’intention manifeste de trouer notre ligne au centre (…)

Les troupes Russes ont repoussé les troupes Allemandes qui ont essayé de franchir le Niémen (…)

Les Serbes ont de nouveau repoussé des attaques Austro-Hongroises sur la Save et sur la Drina.

Les Belges ont repris une offensive résolue.

XIX)
Journal du rémois Henri Jadart :
Temps gris et froid, moins de presse vers La Haubette... Les journaux ne paraissent plus à Reims... Ceux du dehors n’arrivent qu’en petit nombre... On m’en a communiqué d’Epernay et de Troyes donnant l’impression causée en Europe par l’incendie de la cathédrale et la destruction de la ville...

Promenade à Bezannes après midi. Les Allemands y ont campé et pillé. Un cultivateur a écrit sur sa porte: « Il n’y a plus rien ».
Les maisons toutefois n’ont pas été brûlées, l’église est intacte. Derrière le village est une campement d’artillerie, plus loin défilent une vingtaine de cavaliers.

On tire toujours et très fortement sur le village de Brimont.

X)
Journal du Rémois Paul Hess (extraits) :
Nous sortons, au cours de la matinée, mon fils Jean et moi, champ de Grève, nous voyons toujours en position, à gauche de l’avenue de la Suippe et un peu en contrebas, deux batteries d’artillerie dont les pièces (des 75) sont dissimulées avec des branchages. Pour l’instant, elles ne tirent pas, les hommes se divertissent entre eux.
Notre attention est attirée, de loin, par une quantité de terrassiers, occupés à creuser des tranchées dans un champ longeant le haut de la rue de Sillery. A distance, nous voyons un grand nombre d’animaux étalés l’un auprès de l’autre; sur le talus limitant les propriétés où avait lieu en juillet, le concours international de gymnastique... Nous approchons et nous pouvons compter 60 chevaux et un bœuf, dont on prépare l’enfouissement. Ces animaux ont tous été tués par les obus, en ville, ces jours derniers Bd de la Paix et Gerbert, rue Duquenelle, rue Lesage etc...).

Ayant prévu vers 16h00 de se rendre chez sa belle sœur rue du Cloître, Paul Hess, à peine arrivé doit rentrer précipitamment rue du Jard en raison des obus qui commencent à pleuvoir.

Le soir, une violente canonnade, entendue de tout près, nous contraint à retarder l’heure du coucher.

XI)
Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine
Mardi 28 septembre 1914
Mad chérie
Je profite du départ d’un camarade pour Rennes, pour lui remettre cette carte qui peut-être par une autre voie de communication te joindra plus vite. Rien de bien intéressant au point de vue militaire à t’apprendre car c’est un secret professionnel. Quand au malheur de guerre la première Batterie a été bien éprouvée du même obus 5 blessés dont le capitaine et 5 morts puis 3 pièces. Je suis en bonne santé et j’espère te trouver bientôt de même car sa tire à sa fin. Embrasse tes parents et les miens et à toi ma douce et adorée petite femme de bons gros baisers qui te feront prendre le temps en patience. Ton petit homme...
Halary est en bonne santé lui aussi.

Lucien Pinet est mobilisé dès le début de la guerre au 25ème régiment d’artillerie à Châlons-sur-Marne. Appartenant aux forces de couverture, ce régiment se porte dès le 1er août en Lorraine, dans la plaine de Woëvre puis près de Longwy.

A partir de la mi-août, il bat en retraite jusqu’au début septembre où l’avance Allemande est stoppée (bataille de la Vaux-Marie dans la Meuse). Du 15 au 20 septembre, le régiment s’établit au sud de Verdun, près de Rupt-en-Woëvre.

Il n’en bougera plus de tout l’hiver 1914-1915. C’est donc dans ce contexte où la guerre de position remplace la guerre de mouvement qu’est écrite la lettre de Lucien Pinet. Dans sa missive, ce dernier rappelle qu’un soldat ne doit pas donner d’informations de type militaire, mais, ici, la formule utilisée, « secret professionnel », est une expression plus civile que militaire, pas étonnante sous la plume de quelqu’un qui deux mois auparavant était encore civil. Sa notation sur les pertes dues à un seul obus (5 morts et 5 blessés) nous rappelle que les premiers mois de la guerre sont extrêmement meurtriers et que la majorité des tués et blessés de la Première Guerre mondiale le sont par l’artillerie. La lettre, écrite trois semaines après la bataille de la Marne, montre que le soldat de base croit encore à une guerre courte (« car sa (sic) tire à sa fin »).

XII)
Servon Melzicourt, Carnet du capitane Rigault :
Début du siège d’Anvers par les Allemands, 28 Septembre 1914. Lorsque le jour paraît, nous commençons à dépasser des traînards du 226e, preuve que nous suivons la bonne route. A un certain moment, prenant le trot, je rejoins la queue de la colonne, en passant, je remarque notre cuisinier Laurence, juché sur un fourgon et pérorant au milieu d’un groupe de fricoteurs de son espèce.

On me confirme que nous allons bien à Saulxures, mais nul ne sait si nous y séjournerons. Il est très probable que nous soyons embarqués en chemin de fer... Je retourne ensuite au devant de ma Compagnie.

Vers 9h30, nous arrivons au terme de notre étape. Il est temps car les hommes sont bien fatigués, certains d’entre eux ont, en moins de 24 heures, parcouru plus de 50 kilomètres et, malgré cela, je constate, non sans fierté, que pas un seul n’est resté en arrière.

Le 6e Bataillon attend à l’entrée du bourg que le cantonnement soit prêt. Je m’arrête à sa gauche. Peu d’instants après, survient Gaudubois (ce dernier va être nommé caporal-fourrier, je viens de le demander au Colonel qui m’a promis que la nomination paraîtrait aujourd’hui même) et nous faisons une entrée impressionnante dans Saulxures.

J’avais recommandé aux hommes de lever le nez et de marcher fièrement afin de montrer à leurs camarades des autres compagnies, qu’il n’y a rien à faire pour rivaliser avec la 18e et, quoique ayant fourni un très gros effort, mes poilus défilent avec une correction et une crânerie admirables. Le Colonel et le Capitaine Bérault les regardent passer et je vois très bien qu’ils ne sont pas mécontents, loin de là.

Une grande et belle ferme, à énorme pigeonnier et à portail imposant, nous est dévolue. La consigne est de faire manger la soupe le plus vite possible, ensuite, tout le monde doit se reposer dans les différents cantonnements desquels il est fait défense de sortir.

Le propriétaire de la ferme, grand et fort Lorrain au regard clair, me raconte que sa fille, habitant un village qu’ont occupé les Boches, a été fusillée, sans motif, sur le pas de sa porte, par ces bandits quelques semaines plus tôt. Il me montre sa petite fille, une mignonne blondinette de 2 ans, dont les jolis yeux bleus me rappellent ceux de ma petite Denise, qu’il a recueillie, elle est maintenant à jamais orpheline, car son papa a été tué par l’ennemi en août dernier.

Notre popote est installée chez moi et, en attendant le déjeuner, mon vieux camarade Hanns, notre médecin, me masse et me bande le pied. C’est bien une entorse que je me suis faite cette nuit, mais elle est légère et il m’assure que, dans 3 jours, il n’y paraîtra plus... Où serons-nous dans 3 jours ?... La décision vient de m’être remise et elle contient l’Ordre Général suivant :

« La Bataille décisive est engagée dans des conditions qui nous sont favorables. L’ennemi a poussé tous ses corps en ligne et va chercher par de violents efforts, à échapper à l’étreinte de nos armées.
Le Commandant en chef compte qu’à cette heure d’où peut dépendre le succès de la campagne, chacun mettra une fois de plus une énergie indomptable à refouler l’ennemi, à le chasser de ses lignes et à assurer la victoire de nos armées.
Au Grand Quartier Général, le 26 septembre 1914
Le Général Commandant en Chef
Signé : Joffre »

Voilà qui nous promet, avant longtemps, de chaudes journées et pour que nous nous pénétrions bien que ces dernières ne sont pas éloignés, la Décision ajoute :
« Bagages : Le Lieutenant-Colonel informe Messieurs les Officiers et Adjudants, que le Régiment étant rentré dans une période d’opérations actives, les voitures qui transportent les cantines marcheront dorénavant au train réglementaire... Ces voitures partiront aujourd’hui à 13h00 »

Allons, à table ! Quelle belle tablée, nous sommes là 10 officiers ayant tous plus ou moins vu le feu. Nous nous doutons que l’on va nous diriger sur une contrée où il y aura des coups à donner et la plus vive gaîté nous anime tous. Pas la moindre note discordante et, ce qui n’est pas à dédaigner, le repas, le dernier que nous ferons en terre Lorraine, est succulent et copieux. (note rajoutée par l’auteur dans la marge).

A la vérité, cette belle ardeur est peut-être un peu factice, pour très peu d’entre nous cependant. Au café, à l’instant où la conversation bat son plein, le brave Sirantoine, notre porte-drapeau, fait son entrée et nous informe qu’à 15h00, le Régiment part pour s’embarquer en Chemin de fer à Nancy. Il ne connaît pas la direction que nous prendrons, mais il y a grand à parier que ce sera celle du Nord... Des hurrah accueillent cette nouvelle et nous levons nos verres en l’honneur du messager qui nous l’apporte et que nous invitons à prendre place à notre table. Nous allons donc, de nouveau, rentrer dans la Bataille et nous inspirons, paraît-il, la plus grande confiance au Commandement. La 70e Division, d’ailleurs, a été citée, avec le 20e Corps, à l’ordre de la IIe Armée, le 6 septembre.

Vite, quelques mots crayonnés à l’adresse de ma femme pour, à mots couverts, la mettre au courant de ce qui se passe et, à 15h00, la Compagnie rassemblée dans la vaste cour, en ligne de sections par quatre, équipée et prête à partir, après la communication des ordres, du haut de mon cheval, je lui adresse les quelques mots que voici :
« Mes amis,
D’autres champs d’action nous appellent. Nous allons, dans quelques heures quitter cette terre Lorraine que vous avez contribué à délivrer de la présence des Barbares. Je ne veux pas que nous partions sans adresser un dernier salut à tous les camarades tombés au feu et dont le sang généreux a arrosé les verdoyantes campagnes que nous venons de parcourir pendant deux mois. Je sais qu’il est inutile de vous recommander de suivre leur exemple. Quand il faudra marcher, vous répondrez « Présent » et si l’on vous demande l’ultime sacrifice, vous vous sacrifierez sans marchander, comme Eux !
Tout à l’heure, nous allons traverser Nancy vous vous souviendrez que beaucoup d’entre vous ont servi à la 11e Division et, par votre allure, vous montrerez aux Nancéiens, que vous avez protégés, que vous n’êtes pas seulement de braves réservistes, mais encore et surtout de fiers guerriers.
Enfin, avant de quitter ce cantonnement, vous allez présenter une dernière fois les armes à la mémoire de vos frères d’armes morts au Champ d’honneur, dont je vous demande de conserver le souvenir à jamais gravé dans vos cœurs.
Présentez … Armes !
………………………..
Reposez … Armes ! »

Les braves gens ! je lis dans leurs yeux tout l’enthousiasme que leur communiquent mes paroles et je sens qu’à ce moment, ils pensent tout comme moi. Où sont donc les criminels qui prétendent que toute idée de Patrie, tout sentiment du devoir militaire ont disparu des  cœurs Français ?

Quelques kilomètres nous séparent seulement de Nancy et pendant le trajet, nous sommes rejoints par une auto de la Division dans laquelle se trouve le Capitaine Boris, celui-là même qui a été notre hôte à la popote à Pierre-la-Treiche... Il invite le Colonel à descendre de cheval et à prendre place à côté de lui afin de lui donner communication des ordres.

Un peu plus loin, n’ai-je pas la surprise de croiser un autobus parisien, transformé en voiture à viande et qui porte encore, peint sur ses flancs, l’indication de son trajet dans Paris : « Avenue de Clichy-Odéon ».

Bientôt nous arrivons en vue de la capitale inviolée de la Lorraine et ne tardons pas à y entrer. Je dois avouer que je suis un tantinet fier de caracoler en tête de ma Compagnie et cela, au milieu d’une foule de gens qui nous considèrent avec sympathie... Depuis le 1er août, c’est la première fois que nous traversons une ville, nous avons perdu l’habitude, pauvres errants que nous sommes, de rencontrer des personnes civilisées, des femmes élégamment habillées. Aussi, nous nous en mettons plein les yeux.

Nous arrivons à la Gare des marchandises. Là, les tuyaux les plus fantastiques et les plus baroques nous assaillent. Un sergent de territoriale, appartenant à un service quelconque des Étapes, m’affirme d’une façon formelle, que le 20e Corps est parti 2 jours avant à destination du Havre où il doit s’embarquer pour Anvers.

21h00, tout le monde est casé, le train siffle et s’ébranle. Vers quelle contrée nous emmène-t-il ? C’est la question que nous nous posons tous...

XIII)
Blocus contourné et mort de Jean Bouin :
Alors que les Alliés arraisonnent des navires en provenance des États-Unis et à destination de l’Allemagne, les Empires centraux décident collectivement de contourner le blocus imposé par l’ennemi.

En Roumanie, on indique qu’une exportation de benzine a débuté par voie ferrée à destination de l’Autriche-Hongrie et de l’Allemagne mais que les transports sont compliqués en raison de la surcharge du trafic et de l’accumulation de wagons à décharger qui sont stationnés sur les voies de garage.

Il est donc mis en place une programmation des convois et une nouvelle organisation de la prise en compte des chargements livrés sur les quais des belligérants. Les deux empereurs comptent substituer par des livraisons intra-Européennes ce qu’ils ne peuvent plus obtenir avec certitude du continent Américain.

Le 28 septembre 1914, les gouvernements Anglais et Français reçoivent la confirmation qu’un corps expéditionnaire Franco-Anglais a débarqué près de Douala au Cameroun et a trouvé une ville abandonnée par les autorités Allemandes qui se sont repliées à l’intérieur des terres.

En France, on apprend la mort de l’athlète Jean Bouin qui tombe près de Toul le premier jour de sa montée au front. Le même jour, un communiqué indique également la mort au champ d’honneur du général Marquet, commandant la 17e brigade d’infanterie.

XIV)
... L'Histoire n'admirera ni la France républicaine ni l'Angleterre libérale.Tous ceux qui reviennent de là-bas (dire que nous considérons comme un très beau résultat et même comme un succès que la bataille ait lieu non sur la Marne mais sur l'Aisne !), tous ceux qui reviennent des lieux terribles où règne la mort, disent que tous ceux qui tombent prononcent le même mot : « Maman ! ».

Pour celui qui découvre les ensembles de l'Histoire, une grande voix dominant le champ de bataille répond à ce cri des jeunes soldats qui meurent par cette clameur d'Apocalypse : « Ce sont les erreurs de vos pères que vous payez. »

Je crois de moins en moins que la postérité puisse admirer l'histoire du peuple Français, qui, après avoir travaillé 200 ans à détruire l'Allemagne, l'a reformée de ses propres mains, et qui a vécu 40 ans à côté d'une formidable puissance militaire sans se protéger contre l'agression... Il y a 6 mois, l'Allemagne ayant porté son armée de première ligne à 900.000 hommes et prélevé sur sa population une contribution de guerre d'un milliard de marks, il y avait une immense majorité de Français qui croyaient que c'était pour rien, pour le plaisir, que l'Allemagne s'armait jusqu'aux dents...

Quand on disait aux habitants de la vallée de l'Aisne et de la vallée de l'Oise que l'envahisseur guettait leurs villes, ils riaient comme d'une bonne plaisanterie.

L'Angleterre de Léon Daudet leur faisait l'effet d'un livre très exagéré, écrit par un illuminé... C'est ainsi que Lille, Maubeuge, La Fère, Reims etc., n'ont pas eu les fortifications qui eussent arrêté l'ennemi... C'est ainsi que l'insuffisance de notre grosse artillerie nous retient en ce moment devant les tranchées Allemandes dans l'Aisne... Et pourtant, comme le dit le critique militaire du Berliner Tageblatt, « le dernier mot dans cette guerre appartient à l'artillerie ».

D'après le même, nos artilleurs sont excellents, notre tir parfait, notre canon de 75 hors de pair, mais l'artillerie lourde nous manque. Ce n'est pourtant pas faute qu'on l'ait dit, qu'on l'ait écrit...

Je ne crois pas non plus que la postérité admire la politique de l'Angleterre élective et parlementaire depuis 1870. Après avoir laissé se faire l'Empire Allemand, elle l'a laissé grandir, elle l'a laissé devenir puissance maritime, puis
elle s'est engagée dans une diplomatie qui devait la conduire un jour ou l'autre à un conflit avec l'Allemagne sans avoir une armée de terre suffisante, après avoir renoncé à l'effort qui, sur mer, par le principe du two powers standard, lui assurait la maîtrise absolue.

L'Histoire n'admirera ni la France républicaine ni l'Angleterre libérale. Et ces deux démocraties passeront pour des modèles d'imprévoyance et d'aveuglement...Telles qu'elles sont, avec leurs immenses ressources et le génie de leurs populations, il est scandaleux que la France et l'Angleterre soient tenus en échec par ceux que tout le monde appelle les « Barbares » Germaniques.

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