DÉSASTREUSE CAMPAGNE EN ITALIE BYZANTINE...
Avant
de livrer bataille aux troupes de l’émir de Sicile, l’empereur
Allemand tient à s’assurer la possession des places fortes
Byzantines qui lui serviront de base d’opérations et de lieux de
refuge en cas d’insuccès...
Après
Bari il prend Matera le 31 janvier 982.
L’Apulie
tout entière, qui constitue plus d’une moitié des possessions des
basileis en Italie, se trouve dès maintenant, semble-t-il, en grande
partie occupée...
Quelques
semaines à peine d’efforts aux guerriers Allemands. Le reste des
garnisons Byzantines, se tiennent enfermées dans des châteaux ou
places fortes...
Othon
II et ses troupes font un long séjour dans Tarente prise sur
d’anciens alliés auxquels on n'a même pas déclaré la guerre...
Ils y célèbrent les fêtes de Pâques... On va enfin se battre avec
les Infidèles !
Abou’l
Kassem, dédaigneux de l’approche de l’armée Allemande, a, dès
les premiers jours du printemps, reparu avec ses bandes aux blancs
manteaux sur les rivages de Calabre, et les guerriers du Maghreb,
plus nombreux que jamais, fourmillent sur cette infortunée terre
Byzantine, devenue le champ clos des guerriers du Septentrion et de
ceux du Midi, « gravement affligée par les Grecs et les Sarrasins
», (dit Thietmar).
C’est
vraiment là l’orage terrible pressenti par le vieux Saint Nil dans
ses visions prophétiques et dont l’approche l’a décidé à
quitter ces terres maudites pour fuir vers le nord avec ses moines
fidèles.
Se
faisant précéder par de nombreux espions, par de plus nombreux
éclaireurs, « décidé », suivant l’expression du moine de
Saint-Gall, « à conquérir l’Italie jusqu’à la mer de Sicile
», Othon II, vers la fin de mai quitte enfin, ses cantonnements de
Tarente, se dirigeant sur la Calabre en direction de l’ouest
d’abord, puis du sud.
L’armée
suit la voie militaire ancienne, qui tantôt s’adapte exactement à
la courbe de la rive, tantôt s’enfonce dans des terres basses et
nues... On longe d’abord les bords si plats, si marécageux, si
désolés du golfe de Tarente... On franchit, à travers ces régions
désertes autant que fiévreuses, l’insignifiant fleuve Bradano
d’abord, puis le sauvage Basiento, non loin des ruines de l’antique
Métaponte. Ici on traverse l’extrême pointe de la principauté de
Salerne séparant l’Apulie Grecque du thème (province) impérial
Italien... La Calabre, on n’a encore rencontré aucun soldat
ennemi.
Rentrant
sur la terre Byzantine, toujours longeant le bord de la mer et ses
sables torrides, l’armée des guerriers vêtus de fer franchit des
plaines immenses, traverse la Salandra, l’Agri, le Sinno (Siris des
anciens), tous ces fleuves torrentueux, ils s’approchent enfin des
premières hauteurs du massif sombre et boisé de la Sila... On
touche aux frontières de la Calabre actuelle... L’aspect de la
contrée devient à chaque heure plus sauvage, plus rude, plus
inhospitalière, la voie, nullement entretenue, est fréquemment
coupée par tous ces torrents au lit large et pierreux, d'âpres
montagnes, nues, arides, aux pentes escarpées, apparaissent
maintenant, descendant parfois jusqu’à la mer, ne laissant à la
route que le plus étroit passage...
C'est
à Rossano, cité Byzantine par excellence... Patrie du grand Nil,
qu’ils se heurtent enfin aux premières avant-gardes de l’armée
arabe et que les blonds Saxons étonnés voient pour la première
fois les noirs guerriers du Maghreb dans les blanc burnous
d’Afrique... Les éclaireurs d’Abou’l Kassem l’occupent à
l’approche des Allemands... Après quelques vives escarmouches où
les Allemands ont le dessus, les Arabes se retirent dans la direction
du sud-ouest, évacuant Rossano qui est aussitôt occupée par les
impériaux.
Othon
II, comprenant bien que le gros de l’armée ennemie est proche et
que les choses vont prendre une tournure plus grave, il presse la
marche sur les arrières de l’ennemi.
Il
laisse dans Rossano, l’évêque Dietrich de Metz, chancelier de
l’empire, avec toute sa suite, son épouse Grecque qui l’a
accompagné courageusement, bravant, les fatigues de cette vie des
camps, si dure sous ce soleil presque Africain.
Abou’l
Kassem, dit Ibn el Athir, s’est mis en marche avec toute son armée
dans le mois de ramadan, il remonte lentement la rive Calabraise à
la rencontre des Allemands, lorsque ses avant-gardes chassées de
Rossano lui annoncent l’occupation de cette place par l’ennemi...
Les plus fougueux parmi ses lieutenants veulent aller de suite
attaquer les Allemands, mais lui, plus prudent, ordonne résolument
la retraite. La flotte et l’armée arabes cheminent de conserve.
Othon
II, qui, ne possède pas de flotte, en éprouvant de cruelles
difficultés, s’associe avec les capitaines ou protocarabes de deux
grands et magnifiques chelandia Byzantins rencontrés probablement à
Tarente.
Tous
2 sont munis d’appareils à feu grégeois, « de ce feu, dit
Thietmar, que rien n’éteint, sinon le vinaigre ». Il a pris à
son service les capitaines de ces bâtiments... qui se sont engagés
à aller en haute mer brûler la flotte musulmane, mais n’y songent
nullement en réalité... 2 fois traîtres, traîtres à leurs
souverains, qu’ils abandonnent ainsi pour servir à prix d’or
l’envahisseur étranger, traîtres envers celui qu’ils
s’apprêtent déjà à abandonner de même au cas où il serait
vaincu... « Leurs navires, dit Thietmar avec une admiration naïve,
sont des bâtiments très allongés, et, par ce fait,
merveilleusement agiles et rapides, portant double rang de rames sur
chaque bord... Chacun a 150 hommes d’équipage. » c'est le type le
plus parfait du vaisseau de guerre Byzantin à cette époque.
Ce
sont ces navires que l’empereur Allemand expédie au-devant de lui
en reconnaissance... Ceux qui les montent font savoir que les troupes
musulmanes battent en retraite le long du rivage Calabrais et, qu’il
ont à se hâter... Laissant en arrière ses derniers bagages, tous
ses impedimenta, le jeune héros, croyant enfin tenir la victoire
tant cherchée, se jette en avant avec la fleur de ses troupes,
faisant telle diligence que dans la journée du 13 juillet il atteint
l’armée Sicilienne... De loin, il croit l’ennemi en petit
nombre.
Le
moine de Saint-Gall dit qu’apercevant ces groupes de combattants
épars, il s’écrie « Ce ne sont que des coureurs de grands
chemins ». Hélas, il n’a pas la pratique des guerriers de
l’Islam, qu’il voit pour la première fois. Il ordonne d’attaquer
aussitôt...
Une
grande bataille s’engage sur la plage même, au bruit des flots de
la Méditerranée, non loin de la Stilo actuelle qui est située au
sud et à l’ouest de Squillace, en un point appelé Cap des
Colonnes.
Abou’l
Kassem, arrêtant sa retraite, a fait face aux assaillants qui,
seigneurs et hommes d’armes, se ruent à sa poursuite comme un
torrent furieux... Son armée, rangée en bataille sur le bord de la
mer, barre la route à l’empereur Allemand... L’heure est
solennelle... Des deux côtés on se dispose vaillamment à la lutte
suprême.
Jamais,
depuis Poitiers, les hommes du Nord n’ont eu en face d’eux si
grand armement Sarrasin, l’exaltation religieuse paraît avoir été
à son comble parmi les troupes Germaniques. Beaucoup de guerriers
persuadés qu’ils ne contempleraient plus l’aube prochaine,
écrivent leurs testaments et font à l’Église des donations
considérables... Un chevalier Lorrain, Conrad, fils d’un comte
Rodolphe, fait, sous la bannière impériale, en présence de toute
l’armée, don à l’empereur de tous ses biens dans son pays
natal, pour que celui-ci les donne en fief, au cas où lui, viendrait
à périr dans le combat, au couvent des Bénédictins de Gorze, près
de Metz..
.
Les
bataillons Allemands se jettent sur l’ennemi avec un brillant
courage. Ils rencontrent la plus opiniâtre résistance. Abou’l
Kassem et ses guerriers, très nombreux, ne brûlent pas moins que
leurs adversaires chrétiens de l’enthousiasme religieux le plus
ardent... Tous les combattants Siciliens encouragés par leurs
ulémas, luttent avec héroïsme.
Enfin,
après une longue et terrible mêlée, la victoire semble se dessiner
en faveur de l’empereur Germanique. Un escadron Allemand, chargeant
le centre des Siciliens, le rompt et le met en déroute... Emportés
par leur élan, les cavaliers Saxons atteignent les étendards de
l’émir, que défend un groupe nombreux de la noblesse
Arabo-Sicilienne, sous le commandement d’Abou’l Kassem en
personne.
Une
lutte furieuse s’engage autour de ces bannières sacrées... Les
Arabes succombent... Soudain on voit tomber l’émir, trépas
glorieux l'inscrivant au nombre des martyrs de l’Islam... Un coup
porté à la tête a mis fin à sa vie. En se sacrifiant, Abou’l
Kassem et ses braves ont procuré quelque répit aux fuyards du
centre qui, se ralliant, se précipitent à nouveau dans la mêlée,
résolus, eux aussi, à vaincre ou à périr... Apprenant que leur
chef aimé, leur vaillant émir est mort, la masse des Arabes prend
la fuite après qu’une foule d’entre eux périt sous le sabre des
Teutons.
C’est
en apparence un succès pour les armes impériales... Il n’en est
rien... Les guerriers Allemands, combattent dans les pires
conditions, inhabiles, sous leurs chemises de fer, sous l’écrasante
chaleur d’une journée de juillet en ces parages si méridionaux...
alors que leurs adversaires sont dès leur enfance accoutumés à
lutter sous des températures africaines autrement redoutables. Othon
II croit trop vite qu’il a partie gagnée... Sans perdre une heure,
il fait reprendre la poursuite d’un ennemi qu’il croit
définitivement vaincu... Par des chemins difficiles, bordés à
gauche par la mer, à droite par des montagnes à pic, coupés par
des lits de torrents, propices à toutes les surprises.
L’armée
chrétienne se rue sur les pas des Arabes sans se garder aucunement,
les croyant occupés à fuir... Mais déjà la majorité des fils
d’Ismaël rompus à cette guerre de rapides chevauchées et
d’embuscades transformant les victoires en déroutes, se sont jetés
à droite dans la montagne et s’y sont ralliés, ardents à venger
la mort de leur émir, guettant le passage de l’ennemi débandé...
L’occasion ne se fait pas attendre. Othon II s’est imprudemment
jeté avec une trop faible escorte à la poursuite d’un petit
groupe de cavaliers... Des bandes innombrables d’Arabes, descendant
de toutes les hauteurs avec des cris affreux... L’armée Allemande,
se voit tout à coup attaquée avec la dernière violence, en tête,
en queue et sur le flanc droit... A gauche, on est acculé à la
mer... En fait de navires il n'y a là que ceux des Arabes.
Ce
second combat paraît avoir été livré très peu de temps après le
premier, la plus horrible confusion s’ensuit parmi tous ces
malheureux guerriers d’Allemagne et d’Italie.... Ce n'est bientôt
plus, qu’un affreux massacre, dans ce site étrange et tragique,
entre ces arides et brûlantes montagnes et la mer qui reluit comme
de l’or fondu...
Une
foule de soldats de Germanie périssent sous le cimeterre et la masse
d’armes des Siciliens et des noirs d’Afrique... D’autres, en
nombre, se jettent dans les flots, comme plus tard les Bourguignons à
Morat, et périssent noyés. Le combat sans merci dure tard dans la
nuit, et plusieurs, dans l’obscurité profonde, succombent, aux
coups de leurs compatriotes affolés.
Richardi,
porte-lance de l’empereur, le comte Udo ou Otto, chef des guerriers
Francs, grand-oncle maternel de Thietmar, les margraves Berchthold et
Gonthier de Misnie, l’évêque Henri d’Augsbourg, l’abbé
Verner de Fulda, les comtes Thietmar, Bezelin, Gebhard et son frère
Ezelin, Bourcard, Dedi, Conrad, Irmfrid, Arnold et d’innombrables
autres guerriers et prélats Allemands « desquels, dit Thietmar de
Mersebourg Dieu seul sait les noms », tombèrent en ce lieu. « Là
périt, sous l’épée des Infidèles, la fleur éclatante de la
patrie, l’ornement de la blonde Germanie, cette jeunesse si chère
à l’empereur, qui doit voir le massacre du peuple de Dieu sous
l’épée des Sarrasins, la gloire de la chrétienté foulée aux
pieds des païens. »...
Une
foule aussi de hauts personnages Lombards payent ici de leur vie leur
attachement à la cause Allemande. Landolfe, le prince de Capoue, le
fils aîné du fameux Tête de Fer, et l’autre fils de celui-ci,
Aténulfe, périssent, puis aussi leurs neveux Ingulfe, Vadiperto et
Guido di Sessa et le marquis Thrasemond de Tuscie...
Le
sort des survivants est plus terrible encore... La chaleur torride,
la soif ardente en font périr une foule dans les pires
souffrances... Parmi ceux qui ont échappé au massacre, beaucoup
succombent plus tard à des fièvres malignes, suite immédiate de
ces surhumaines fatigues... Une multitude enfin tombent immédiatement
en esclavage chez les Siciliens et les Africains...
Dépouillés,
entièrement nus, étroitement liés de cordes, ils sont expédiés
comme du bétail pour être vendus sur les marchés de Palerme, de
Mehedia et du Caire, d’où bien peu reviendront... Le moine de
Saint-Gall cite parmi ces derniers plus heureux l’évêque de
Verceil, envoyé comme esclave sur le marché d’Alexandrie d’Égypte
et racheté après de longues années de servitude. Le même écrivain
assiste, au retour de cet infortuné dans son pays, et à celui de
plusieurs autres. On voit rentrer peu à peu des clercs et des
laïques, qui regagnent l’Allemagne et l’Italie.
Le
13 juillet de l’an 982 la bataille de Stilo, si douloureuse au cœur
du vieux peuple Allemand, où périt la brillante noblesse Teutonne
et Italienne... Longtemps, dans les terres de Germanie, cette date
demeure dans la mémoire populaire comme celle d’un des deuils les
plus cruels, les plus universels, les plus sanglants. Il n’y pas
une église, dans toute l’étendue de l’empire, dont le livre des
morts ne contient au moins un nom inscrit à ce jour...
Outre
cette foule de prisonniers de marque, l’armée chrétienne perd sur
le champ de bataille plus de 4 000 morts. Ceux qui survive ntse
dispersent dans une fuite éperdue... L’empereur Othon II lui-même
n’échappe à la mort que par miracle... Le récit de sa fuite
tient du roman le plus extraordinaire.
Comme
les Sarrasins l’entourent déjà de toutes parts, il réussit un
instant à leur échapper et, suivi de son neveu Othon de Souabe, le
duc de Bavière, lance son cheval à toute bride vers la mer, où les
deux grands chelandia Grecs qui ont assisté de loin au combat, lui
apparaissent comme un dernier espoir de salut... Une meute d’Arabes
le poursuit... Soudain son cheval, abîmé de fatigue, s’arrête,
refusant de le porter davantage... Les Sarrasins se rapprochent... il
va périr... Alors un Juif nommé Kalonymus, probablement d’Apulie
ou de Calabre, dans un élan sublime, descendant de sa monture, la
lui donne, lui disant seulement ces mots : « Prends mon cheval et,
si je meurs ici, donne du pain à mes fils. » ...
En
un clin d’œil, Othon II bondissant sur le cheval du Juif, toujours
suivi de ces noirs démons, arrive aux flots de la Méditerranée,
seule voie ouverte devant lui... Il y pousse son coursier à la nage
appelant à grands cris le capitaine du chelandion Byzantin le plus
proche, lui faisant signe de le sauver... Mais le navire passe sans
s’arrêter... Othon II, désespéré, regagne la plage redevenue
déserte, car ses persécuteurs, ignorant à qui ils ont affaire, ont
déjà poussé plus loin. Il n’y retrouve que le Juif fidèle, qui
n’a pas voulu s’éloigner, oublieux de lui-même, anxieux du sort
de son seigneur tant aimé.
Quant
au duc de Bavière, il a continué à fuir. Au loin, on voit accourir
au galop un nouveau groupe de cavaliers d’Afrique. « Que faire? »
demande tristement l’empereur, abandonné de tous, à ce dernier
fidèle... Il croit son heure suprême venue, puis, se reprenant, il
ajoute : « Pourtant il me reste un dernier ami. » Il n’y a de
salut que du côté de la mer... Du moins on peut y périr en paix,
loin des coups et des insultes de l’ennemi, éviter la captivité,
affront suprême dont l’idée seule ne se peut supporter... De
nouveau le jeune empereur se lance dans les flots, toujours sur le
cheval du Juif, cherchant à atteindre un autre bâtiment qu’il
aperçoit au loin.
Pendant
ce temps les Sarrasins, accourus, hachent sans pitié l’héroïque
serviteur... Le brave coursier, comme s’il devinait son précieux
fardeau, nage avec ardeur, s’éloignant de la rive... Les Sarrasins
n’osent ou ne peuvent le rejoindre... Enfin Othon, toujours
nageant, rejoint le bateau sauveur... C’est le second chelandion
Byzantin qui passe en ce moment... L’empereur, qui se noie, n’a
pas le choix... fait signe d’arrêter.
Quand
le protocarabos Byzantin voit ce hardi cavalier fendant ainsi
intrépidement les flots pour éviter la mort ou la captivité qui le
guettent sur la rive, la pitié le prend... Peut-être aussi l’espoir
d’une riche rançon est-il le mobile de sa conduite?
Il
fait hisser Othon II à bord... On le porte défaillant sur le lit du
protocarabos... Nul n’a pris soin de nous dire ce qu’on fait du
noble et vaillant cheval qui vient de sauver un empereur, le plus
grand prince du monde à cette époque....
Quel
drame ! Sur le pont de ce beau et fier bâtiment Byzantin
porteur du feu grégeois, triomphe de l’art naval à cette époque,
auprès de cette côte lointaine, sous ce ciel étincelant de
juillet, sur cette mer incomparablement bleue, 4 rangs de rameurs
esclaves condamnés à la chiourme, 150 marins, de nombreux Pamphyles
(tribu Dorique) , contemplent le sauvetage étrange de ce jeune
guerrier au somptueux accoutrement, nageant sur les flots comme jadis
les héros antiques.
Ils
ne se doutent pas encore qu’ils ont devant eux le premier
personnage de l’Europe, le tout-puissant empereur d’Occident !
Sur la rive, une foule de cavaliers noirs, aux coursiers agiles,
guerriers pittoresques de blanc vêtus, agitant leurs armes au
soleil, poussent dans leur rauque langage des clameurs de rage,
voyant leur proie leur échapper.
Tout
danger n’est pas écarté pour l’empereur Allemand... Il a la vie
sauve, mais, pressé par la mort qui le traque, il doit prendre
refuge chez ses plus grands ennemis, ceux dont il vient d’envahir
si injustement le territoire sans provocation aucune... Il n’ose se
nommer, redoutant le pire traitement au cas où il serait reconnu,
tremblant d’être pour le moins conduit captif à Byzance... Le
destin s’en mêle. Sur le chelandion Grec se trouve embarqué un
officier de fortune, d’origine Slavonne, nommé dans sa langue
natale Xolunta, et Henri en allemand, qui a jadis servi l’empereur.
Il le reconnaît aussitôt, a pitié de lui, et durant qu’il est
couché et que le protocarabos l’interroge, lui fait signe de ne
trahir à aucun prix son incognito... Puis, lui-même, beau parleur,
va raconter aux Grecs que l’homme qu’ils viennent de sauver est
un des grands officiers de l’empereur d’Allemagne, son
chancelier, celui qui a à sa disposition le trésor impérial tout
entier, que c’est donc une prise excellente, et qu’on obtiendrait
une grosse somme pour son rachat, mais qu’il fallait pour cela le
ramener à Rossano, où se trouve précisément la caisse impériale.
C’est
ainsi que le rusé Xolunta qui, probablement, s’entretenait avec
l’empereur dans quelque langue du nord inintelligible aux officiers
du chelandion, réussit, en se donnant lui-même pour garant de ses
promesses, à décider le protocarabos à faire voile avec son
précieux fardeau pour la place forte Byzantine que tient encore
l’arrière-garde de l’armée Allemande, et où se trouvent
l’impératrice, le chancelier, une foule de hauts personnages, le
service du train avec les bagages et le trésor... Le voyage, bien
que court, doit être plein d’angoisses pour l’empereur, si
complètement isolé au milieu de ses ennemis, réduit à compter
uniquement sur la foi de cet officier de fortune... Celle-ci ne lui
fait pas défaut... On atteint sans nouvel incident la rade de
Rossano.... Aussitôt Xolunta, se faisant descendre à terre sous
prétexte de négocier la rançon, court haletant trouver de la part
de l’empereur son chancelier, l’évêque de Metz, qui, en
l’absence de celui-ci, a le commandement suprême.
On
voit bientôt le prélat accourir sur la plage avec l’impératrice
éperdue. Une longue file de bêtes de somme suit qui portent, le
trésor impérial... A cette vue, le protocarabos alléché ordonne
de jeter l’ancre, et l’évêque de Metz, s’élançant dans une
barque avec quelques officiers, se fait conduire au chelandion....
Les Byzantins, toujours sans défiance, le laissent monter à bord et
s’entretenir avec l’empereur. Sous prétexte de faire honneur à
l’impératrice, Othon II endosse un costume de cour qu’on lui a
apporté, et qui est plus léger que la cotte de mailles avec la
quelle il s’est embarqué. Tout en conversant avec l’évêque, il
se rapproche insensiblement du bord du navire. Soudain on le voit
d’un bond se jeter dans les flots, puis nager vigoureusement vers
la rive. Un marin Grec a tenté de le saisir par son vêtement. Mais
il tombe instantanément à la renverse, transpercé par l’épée
du brave chevalier Liuppo, un des compagnons de l’évêque. Les
autres Grecs, revenus de leur prodigieuse surprise, veulent s’élancer
à leur tour, mais les autres suivants de l’évêque, mettant
l’arme au poing, les repoussent...
En
même temps, de nombreuses barques se détachent du rivage, pleines
de guerriers Allemands accourant au secours de leur prince. Othon,
nageur intrépide, a déjà gagné la plage... Le tour est joué. «
Ainsi », s’écrie Thietmar dont, à l’exemple d’Aman, j’ai
surtout suivi le récit d’apparence si véridique, « ainsi
les Danaens, qui ont trompé toutes les nations de l’univers, sont
trompés à leur tour.
Quant
à l’allégresse que témoignent les siens à l’empereur
lorsqu’ils le voient revenu sain et sauf d’une telle aventure, je
n’ai pas d’expressions pour la décrire. »... Le même
chroniqueur affirme que l’intention d’Othon est de remplir ses
engagements vis-à-vis du protocarabos Byzantin et de le récompenser
magnifiquement, mais que celui-ci, bouleversé par cette aventure, ne
se fiant plus à la parole de son prisonnier, met aussitôt à la
voile et s’éloigne sans attendre son dû.
Othon
II, en atteignant la plage, a bondi sur le cheval qu’on lui a
amené. Éperdu de joie par cette délivrance miraculeuse après
cette captivité pleine d’angoisses, bénissant Dieu pour cette
grâce inespérée, il galope à toute bride vers la cité, où il
tombe dans les bras de l’impératrice et de tous les siens.
De
cette bataille affreuse où succombe la fortune jusqu’alors sans
cesse grandissante de la maison de Saxe, beaucoup de détails
demeurent obscurs..
.
Dans
un manuscrit Grec du Xe siècle de la Bibliothèque du Vatican, on
lit dans un graffite contemporain du manuscrit ces mots en grec: «
En juin de l’an du monde 6490 (982 de l’Ère chrétienne), le
Franc descend en Calabre, attaque les Sarrasins et en fait un grand
carnage, après quoi le Franc retourne en Italie et les Sarrasins en
Sicile. » C’est une allusion contemporaine curieuse à
l’expédition d’Othon II...
L’armée
de Germanie est entièrement débandée. Tout ce qui n’a pas été
tué ou pris, fuit dans toutes les directions, poursuivi par les
cavaliers d’Afrique. L’empereur si miraculeusement délivré,
l’impératrice, l’évêque de Metz et leur suite quittent presque
sans escorte, dans la plus grande hâte, Rossano et la Calabre. Le 18
août, nous le voyons à Salerne... Le mois suivant, il se rend à
Capoue où il doit faire un plus long séjour. Il doit prendre
d’importantes mesures, rendues nécessaires par la mort à la
bataille de Stilo du prince Landolfe, laissant sans seigneur la
principauté de Capoue, le duché de Spolète et la marche de
Camerino... L’empereur nomme à la principauté héréditaire de
Capoue le quatrième fils, encore mineur, de Pandolfe Tête de Fer,
Landenolfe, sous la tutelle de sa mère Aloara... Spolète et
Camerino, détachées de Capoue, sont données à un allié de la
famille de Pandolfe, l’intrépide Thrasemond... En outre, comme
l’empereur, dans la fâcheuse situation où il se trouve, a le plus
grand intérêt à maintenir à tout prix la fidélité du prince
Mansone de Salerne, il croit devoir se rendre, une fois encore, en
personne dans cette principauté vers la Noël...
Dans
les premiers jours du mois de janvier 983, il repart enfin pour Rome,
et y demeure jusqu’à Pâques, accablé par sa défaite, par la
mort de son bien-aimé compagnon le duc Othon de Souabe, survenue en
novembre à Lucques sur la route du retour...
Les
Sarrasins vainqueurs à Stilo. Dja’ber, le fils d’Abou’l
Kassem, a pris le commandement à la mort de son père. Bouleversé
par cet événement, probablement fort pressé de rentrer à Palerme
pour y devancer les compétiteurs possibles, il a, après la fin du
combat, fait immédiatement sonner le rappel, ne laissant même pas à
ses guerriers le temps de piller les morts, de ramasser les armes
innombrables éparses sur la rive et dans la campagne... Puis il a
repris la route de la Sicile... Cette retraite en pleine victoire
est, pour la malheureuse Calabre, un coup de fortune inespéré....
On ne sait si, dans sa hâte extrême, Dja’ber songe à rapporter
dans son île le cadavre de son glorieux père... Toutefois, étant
données les pieuses coutumes musulmanes, le fait paraît certain.
Mais si le fils put se montrer oublieux, il n’en fut point ainsi de
la voix populaire... « martyr de la Foi » l’émir mort au
champ d’honneur reçoit cette oraison funèbre admirable, que
rapporte Ibn el Athir : « Il fut juste, de mœurs aimables, plein
d’amour pour ses sujets, affable, charitable, il ne laisse aux
siens ni un denier d’or ni un dirhem d’argent, ni un pouce de
terre, ayant disposé de tout son bien en faveur des pauvres et des
œuvres de bienfaisance ».
La
nouvelle de cette catastrophe s’est répandue dans toute l’Europe
et y a causé une incroyable stupeur. Une légende s’établit
aussitôt, grossissant encore, amplifiant à plaisir ces faits déjà
si extraordinaires. De toutes parts, cette terrifiante nouvelle
produisit des contrecoups immédiats.
En
Allemagne, la douleur est à son comble jusque dans les villages les
plus reculés, en Saxe et en Thuringe surtout.
Vers
les frontières du nord et de l’est de l’empire, les Danois et
les Wendes, comprenant que la puissance des Saxons abhorrés est
gravement atteinte, reprennent les armes pleins d’espoirs.
Vers
l’extrême sud, la situation aurait été bien plus grave et tout
était à redouter de la part des Sarrasins vainqueurs si, par une
circonstance véritablement providentielle, le noble émir de
Palerme, l’ennemi acharné des chrétiens, ne soit venu périr dans
ce combat où ses guerriers ont remporté une si complète
victoire... Non seulement cet événement, jette le découragement
parmi les Arabes de Sicile, mais, en brisant leur unité, il ne leur
permet pas de poursuivre aussitôt leurs succès contre les Allemands
et de recueillir ainsi les fruits de leur triomphe.
LE MONT DE LA SILA |
Une
autre condition heureuse pour les Allemands est que le rapprochement,
bien fragile, opéré face au danger commun entre Arabes et
Byzantins, se trouve aussitôt détruit par le fait de la disparition
de ce péril même... Les circonstances n’en demeurent pas moins
critiques, dans tout le sud de la péninsule, malgré le peu d’aide
qu’on est pu espérer de Constantinople, le parti Grec a repris
courage de toutes parts après le désastre si complet des guerriers
de Germanie...
L’Apulie
et la Calabre sont retombées aux mains de leurs anciens maîtres,
toutes les garnisons Allemandes s’étant précipitamment retirées
vers le Nord et dans les principautés Lombardes privées du bras
puissant qui les a si longtemps gouvernées, l’inquiétude, le
trouble, l’anarchie grandissent chaque jour. Dans l’Italie
Septentrionale et Centrale seulement, la présence encore formidable
de l’empereur d’Occident empêche tout mouvement hostile, mais à
mille indices on devine que l’effroi des armes Allemandes n’est
plus aussi forte...
D'Allemagne
arrive pour le jeune souverain des témoignages de fidélité que lui
adressent ses grands vassaux, lui mettant du baume au cœur. Le
vaillant prince, qui a enfin retrouvé son équilibre après ce choc
cruel, convoque à Vérone pour le mois de juin une assemblée
solennelle de tous les princes et seigneurs d’Allemagne et
d’Italie... A la voix de son jeune chef, toute la noblesse de
Germanie presque sans exception passe les monts, et la ville de
Vérone voit bientôt réunie la plus auguste assemblée, tous les
grands, tant laïques qu’ecclésiastiques, de Saxe, de Franconie,
de Souabe, de Bavière, de Lotharingie, tous, ceux de Lombardie et
des terres Romaines, ces hommes vaillants, de nation, de langue, de
coutumes si diverses, consternés par ce grand désastre, brûlant de
le venger, groupés autour de leur empereur bien-aimé, demeuré
plein d’énergie malgré ses malheurs, de sa belle compagne
l’impératrice Théophano, de sa mère l’impératrice douairière
Adélaïde, alors encore dans la force de l’âge, de son fils le
petit Othon III âgé de 3 ans, de sa sœur Mathilde, la sainte et
vertueuse abbesse de Quedlinbourg, de sa cousine la très prudente
Béatrice, fille du duc Hugues le Grand, épouse de Frédéric, duc
de Haute Lotharingie.
Sur
le désir d'Othon II, les grands vassaux des deux nations proclament
« roi de l’empire de Germanie et d’Italie » le petit Othon, il
est convenu que cet enfant recevra plus tard la couronne à
Aix-la-Chapelle à la fois des mains du premier archevêque
d’Allemagne et de celles du premier archevêque Italien...
Pour
pouvoir se consacrer plus complètement aux préparatifs de la guerre
prochaine, Othon II nomme régente de Lombardie sa mère Adélaïde,
lui désignant Pavie pour résidence... Hugues, fils du margrave
Hubert et parent de l’impératrice douairière, est investi à
nouveau du commandement de la marche de Tuscie. Il deviendra un des
plus puissants champions de la maison de Saxe en Italie...
Ne
pouvant compter complètement sur le concours de ses vassaux
d’Allemagne qui ont la tâche de protéger l’empire sur ses
frontières du Nord et de l’Est, il résout de se former une armée
Italienne. Les hommes qui doivent le service militaire sont convoqués
sous les bannières de l’empereur...
Le
jeune empereur y a déployé la plus grande activité, dont
témoignent les nombreux actes qui y sont dressés par son ordre...
Le
vénérable abbé Mayeul de Cluny, ce saint homme qui passe pour un
voyant, saisit un jour les mains d’Othon II, le suppliant de ne pas
retourner à Rome, où il trouvera son tombeau... Ses fidèles
guerriers Allemands prennent congé de lui et, faisant escorte au
petit Othon III, repassent les monts.
L’empereur,
toujours suivi de l’impératrice Théophano, se rend alors par
Mantoue à Ravenne. Dans cette ville, il est fort occupé de régler
la situation de Venise, bouleversée par les luttes intestines qui
ont suivi le massacres du tyrannique doge Pierre IV Candiano...
Othon
II, pardonnant le meurtre de Candiano, a conclu à nouveau alliance
avec le doge et la jeune République. Il a le plus grand besoin de
son aide, puisque, seule avec Amalfi, elle se trouve en état de lui
fournir les vaisseaux indispensables à la conquête de la Sicile...
Elle, de son côté, oublieuse de ses relations de vassalité avec
l’empire d’Orient, a reconnu la suzeraineté du César
Germanique.
La
campagne contre les Arabes de Sicile est ouverte... L’armée
impériale, longeant le rivage de l’Adriatique, s’avance
rapidement vers le sud, en apparence insouciante des ardeurs d’une
température estivale.
Le
24 août déjà, l’empereur, paraissant vouloir éviter cette Rome
qui doit lui être fatale, campe sur les bords du Trigno.
Le
27, il est à Larino, sur le Biferno, dans la province actuelle de
Molise, à deux pas de la frontière Byzantine.
Au
lieu de la franchir, il doit, accourir à Rome où le pape Benoît
VII se meurt lentement. A tout prix il faut empêcher la faction
hostile à l’empire de lui donner un successeur de son choix... Les
frontières du nord et de l’est sont en feu... Les Danois et les
Wendes, retournés au paganisme, se sont jetés sur les terres de
l’empire, sur la Saxe jusqu’à l’Elbe, prenant et brûlant les
villes, dévastant et massacrant... Le danger est extrême.
Tant
de préoccupations tant de calamités dépassent les forces déjà
très affaiblies du jeune souverain... Les Grecs d’Italie comme les
Sarrasins de Sicile, de nouveau si gravement menacés, vont pouvoir
respirer... Comme Othon II se dispose à rejoindre son armée qui
l’attend sur la frontière d’Apulie, il tombe gravement malade de
la dysenterie... Voulant guérir vite, il absorbe des médicaments à
trop haute dose... Bientôt la fièvre devient ardente... Tout espoir
disparaît... Lui-même ne se fait aucune illusion et prend ses
dispositions suprêmes... Il meurt au Palais impérial de Saint
Pierre, environné de ses compagnons de guerre éperdus, assisté du
pape, des cardinaux, des évêques, de sa femme l’impératrice
Théophano...
Bataille
du Cap Colonne
La
bataille du cap Colonne, appelée aussi bataille de Stilo, opposa les
armées de l'empereur Otton
II
et de ses alliés italo-lombards
aux forces de l'émir
kalbite
de Sicile,
Abu
al-Qasim,
le 13
ou le 14
juillet
982
près de Crotone
en Calabre.
Selon certaines sources, les Sarrasins
bénéficiaient de l'appui des Byzantins,
par rétorsion contre l'invasion de la province
d'Apulie
par Otton, mais cette thèse est controversée.
Ceci est un extrait de l'article Bataille du Cap Colonne de l'encyclopédie libre Wikipedia. La liste des auteurs est disponible sur Wikipedia.
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www.mediterranee-antique.fr/Auteurs/Fichiers/PQRS/.../Epo_108.htm
Ce
fut donc le 13 juillet de l'an 982
que fut livrée cette bataille
fameuse de Stilo,
si douloureuse au coeur du vieux peuple allemand, où périt sous la
main ...
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