vendredi 12 septembre 2014

LA GRANDE GUERRE AU JOUR LE JOUR 10 SEPTEMBRE 1914

10 SEPTEMBRE 1914


I)
A Gentilly une Visite aux Réfugiés, le budget de la colonie notes et interviews :
C'est bien une colonie. Nul mot ne convient mieux. On dirait vraiment qu'à Gentilly, dans les vastes salles où le soleil verse la lumière à pleines fenêtres, un naufrage réunit pêle-mêle les passagers d'un navire échoué, brutalement brisé sur la côte par les fureurs de la tempête.
Il y a là 657 malheureux. Peu d'hommes, 124 seulement. Des vieillards, des infirmes, des jeunes gens aussi, expulsés des fermes de la frontière, gars qu'on s'étonne de retrouver si robustes et qui, mal à l'aise dans leur oisiveté trompent leur ennui avec une manille.

L'établissement a congédié les derniers élèves de nos écoles le 26 juillet. Finies les vacances. Adieu les parties de plaisir sous les ombrages où la jeunesse Nancéienne s'ébattait si joyeusement. Qui donc a osé prévoir l'affectation actuelle de Gentilly ? Pas ses fondateurs à coup sûr. M. Antoine pensait exclusivement aux petits Nancéiens privés des vacances en plein air, mais les atrocités de la guerre ont donné, hélas ! à son œuvre une autre destination... Quand les habitants de Nomeny sont expulsés de leur foyer, les portes de Gentilly s'ouvrent toutes grandes, le 24 août, devant les réfugiés, les « rescapés ».

Leur nombre s'est accru sans cesse. Il a fallu improviser l'organisation des premiers secours. Une commission municipale s'est mise à la tâche. Elle a réussi. Comme on ne pouvait assurer son traitement à l'ancien personnel, cuisinières et blanchisseuses ont été congédiées, mais le directeur de l'établissement, M. Jalle, en homme d'initiative et d'expérience, s'est entouré de zèles, de dévouements qui ont fait complètement face aux besoins. Nous avons trouvé, ce matin, M. Jalle dans le coup de feu qui précède le repas de midi, les manches retroussées jusqu'aux coudes, en tablier de toile bleue, surveillant les préparations du déjeuner :
-- Excusez-moi de vous recevoir dans une tenue aussi négligée, dit-il en plaisantant. C'est d'ailleurs ainsi que je me suis présenté hier à M. le préfet, accompagné de l'évêque et du maire de Nancy...

M. Jalle est plus fier, certainement, de ses talents de cuisinier que de son titre de directeur. Il expose son budget avec un brin d'orgueil :
- Voici le menu des deux repas quotidiens. A midi, bouillon, viande (un excellent morceau de foie) et un plat de légumes, pommes de terre, lentilles, haricots verts. Parfois des macaronis. Toujours du bouillon,le soir, je fais des foies en ragoûts, avec des pois. Chaque ration est de 600 grammes.
- Et les enfants ?
- Le lait abonde maintenant. Il a manqué pendant 3 jours. Situation pénible. M. Pérot, le fermier de Jarville, est venu à notre aide : Il a mis à notre disposition deux vaches superbes qui paissent dans notre pré, elles fournissent une quantité suffisante de lait (35 litres) nous ne sommes pas embarrassés pour traire, car tous nos pensionnaires sont de la campagne. Les personnes malades et les enfants au-dessous de deux ans ont seuls droit à cette alimentation. Pour remédier à quelques symptômes plutôt bénins de cholérine, l'eau minérale de Vals et l'eau de riz ont remplacé le lait...
De sa poche, M. Jalle extrait un petit carnet :
- Devinez combien je dépense par jour ?.. Peu de chose, allez ! Avant hier, j'ai nourri 557 personnes avec 165 francs... Merveilleux, n'est-ce pas ? Seulement, pour obtenir ce résultat, je m'astreins souvent à faire le marché moi-même. En bonne ménagère, je guette les occasions, je les saisis au vol. J'achète aux maraîchers, d'un seul coup, 700 ou 800 kilos de haricots, leur voiture entière, quoi ! On me fait les prix de gros. Et puis nous payons comptant. Bref, je me débrouille du mieux possible. »...

Nous nous rappelons qu'avec le budget de la colonie scolaire, malgré un personnel rétribué d'environ 20 femmes, M. Jalle joignait aisément les deux bouts : Il nourrissait les maîtres et leurs élèves moyennant 20 centimes par jour. De telles qualités d'administration méritent bien quelques félicitations :
- Pour le couchage, ajoute M. Jalle, tout le monde s'étend sur des paillasses On m'a envoyé hier 200 couvertures et des oreillers, mais les personnes valides s'accommodent de la paillasse seulement. Les hommes sont logés dans une partie du pavillon, l'autre partie est occupée par les enfants et par les mères de famille. Suivez-moi. On visitera ensemble le campement. »...

Ah ! la tristesse morne de ce spectacle les désastres de la guerre ont amené à Gentilly, comme des épaves, les débris d'une humanité affectée.Toute une partie de notre pays est représentée dans ce lot de misères et de deuils. Nous apprenons bientôt qu'environ 300 personnes, chassées par l'invasion, vont le jour même grossir ce contingent il faudra se serrer, rapprocher les paillasses, ajouter des couvertes pour ces nouveaux hôtes :
- J'aurai tout ce qu'il faut ici pour les recevoir, constate M. Jalle. Tout, sauf le pain. On devrait bien joindre à l'annonce de leur arrivée, quelques miches de pain frais. Baste ! Cela s'arrangera Je me tirerai d'affaire. Et puis mes pensionnaires sont faciles à contenter. »...
Pauvres gens ! Ils acceptent leur destin.
Quelque chose en eux s'est brisé au choc de la catastrophe. Toutes leurs forces se sont épuisées. Presque incapables de souffrir encore, ayant gravi leur calvaire, ils se résignent, accroupis, l'œil fixe, baignés d'une atmosphère de mélancolie qui réchauffe leur âme, qui verse l'illusion de la paix à ces détresses sur lesquelles s'est abattue la tourmente... Les femmes du même village ont rapproché leurs bancs comme pour les bavardages. La plupart endorment un enfant au creux de leurs genoux lentement balancés, d'autres pressent contre leur sein nu une tête blonde dont les paupières sont closes, d'autres exercent l'agilité de leurs doigts aux travaux de couture ou de tricot, reprisent un jupon, plient du linge, tout en causant à voix basse. Des fillettes poussent les voiturettes où reposent les marmots qui rient aux anges, agitent leurs petits bras, jouent avec un hochet ou leur biberon... des gosses portent une cuillerée de sable à la bouche de leur poupée « qui réclame du gâteau », ceux-ci se roulent sur les paillasses, ceux-là dessinent un « bonhomme » ou une « maison » en traits d'une incroyable naïveté. Et tout cela emplit l'immense préau d'un vacarme de nursery...

Nous rencontrons M. Colson, l'honorable maire de Champenoux, l'instituteur, M. Blaise l'accompagne. Ils ont quitté leur commune depuis vendredi.
M. Colson a emporté les registres de l'état civil. Il a dressé la liste des familles auxquelles sont distribués les secours prévus par la loi du 4 août :
Il est juste, en somme, déclare-t-il, qu'un prélèvement soit fait sur ces secours par la municipalité de Nancy qui vient si généreusement à l'aide de nos infortunes.
Certains foyers, en effet, touchent une allocation totale de 100 francs et même davantage. Champenoux compte huit familles hospitalisées à Gentilly. Nous tâcherons de payer pour eux.
La charité Lorraine videra demain dans les souscriptions une obole que Nancy ne marchande jamais à ceux qui sollicitent son cœur et sa bourse.
On donnera des vêtement, du linge, de la literie, de l'argent, on donnera pour les vieillards, pour les mères, pour les bébés, on donnera encore et toujours pour réaliser le sauvetage de ces êtres sans défense, mais nous approuverons la sagesse des administrateurs qui suivront l'exemple de M. Colson.
Pendant notre conversation, les préparatifs du déjeuner animent la « chambre des hommes » vite transformée en réfectoire.

Une appétissante odeur s'échappe des cuisines. Mme Faverot, dont le fils fut tué devant Arracourt dès les premiers jours de la guerre, surveille 4 marmites dont les dimensions raviraient Gargantua. Dans un ordre parfait, avec une discipline que font sans peine respecter les délégués de la commission municipale, 500 convives s'attablent devant les assiettes propres, nettes et claires. Nous prenons congé de M. Jalle, rendu cette fois à ses fonctions de directeur, heureux plus qu'on ne saurait le dire du spectacle offert par un banquet qui fait oublier, dans un bruit de vaisselle remuée, la canonnade dont l'obstination gronde au loin....
Achille Liégeois.

II)
Nancy bombardé :
Plus de 40 obus tombent sur notre ville. - La moitié seulement éclatent. Dégâts et victimes... Il fallait s'y attendre. A la faveur d'une noire nuit d'orage, les Allemands ont pu amener quelques pièces (très probablement deux) assez près de Nancy pour envoyer quelques boulets sur notre ville. Il est environ 11 heures 20 quand le premier obus, après le sifflement bien caractéristique, a éclaté sur nous. La plupart des gens dorment et beaucoup, dans la stupeur d'un subit éveil, ont cru simplement que la foudre venait de tomber non loin d'eux.
.. A ce moment d'ailleurs l'orage battait son plein et une pluie diluvienne tombait au milieu des éclairs et des roulements de tonnerre... Mais voici un nouveau sifflement et un second éclatement. Plus de doute, il s'agissait bien d'un bombardement. On fait alors ce que la prudence commande en pareille occurrence. On abandonne rapidement son lit et les habitant, des étages supérieurs descendent aux rez-de-chaussée et surtout dans les caves.

Une fois en sûreté, on laisse tranquillement passer la tourmente, en essayant de repérer les endroits sur lesquels la mitraille s'abat.
Il y a généralement deux coups très rapprochés, on peut dire deux coups jumeaux. Mais si le premier éclate avec un vacarme assourdissant, le second est beaucoup plus sourd, et l'on peut se demander même si le dernier a produit son effet. De temps en temps l'éclatement est suivi du bruit crépitant d'une toiture brisée. On peut évaluer à une cinquantaine le nombre des obus qui se sont abattus sur notre ville, entre 11 heures et minuit 45. Dans l'intervalle, on a pu entendre, à partir de minuit, la réponse très nette de notre artillerie. Puis tout s'est tu, en même temps que cesse également l'orage.
C'est bientôt de toutes parts une ruée des habitants dans les rues. Insoucieux du danger, nos concitoyens sont avides de se rendre compte des dégâts...

Des lueurs d'incendie guident les curiosités. Le feu est, dit-on, dans une fabrique de brosses de la rue Sainte-Anne. On voit aussi des flammes dans les parages du Marché, vers la rue de la Hache, et rue Saint-Dizier. Nos braves pompiers sont d'ailleurs depuis longtemps sur les lieux et tous les sinistres ont pu être, grâce à leur activité, rapidement conjurés.

L'église Saint-Sébastien a été pour sa part honorée de deux boulets. L'un d'eux a troué l'horloge en plein centre. Un autre a frappé le côté gauche de l'édifice, se bornant à enlever quelques plâtras. Aux alentours, des fenêtres et des marquises en verre ont eu leurs vitres brisées. Il en a été de même de la vespasienne qui se trouve à l'angle de la place, en face de la rue Saint-Thiébaut... Le tir Allemand semble s'être concentré sur un espace assez restreint, allant de la rue Jeannot et de la rue Sainte-Anne, à la rue Clodion, en passant par la rue de la Faïencerie d'un côté, et ne dépassant pas de l'autre côté, la rue de la Hache...
Au 11 rue Jeannot, une bombe a enfoncé la toiture et est allée ressortir par une fenêtre du second étage. Une autre a démoli un pan de mur de l'école de filles, dirigée par Mlle Belliéni. Les locataires de l'immeuble, au nombre de 24, sont heureusement descendus dans les caves... Rue Sainte-Anne, 2 boulets sont également tombés. L'un, comme on l'a vu, a mis le feu à la fabrique de brosses, l'autre a enfoncé un mur. Il y a eu, malheureusement, là des victimes. Une femme ainsi que le bébé qu'elle portait dans les bras, un autre enfant qui suivait, n'a pas eu de mal.
22 de la rue Saint-Nicolas, la charcuterie Louis a beaucoup souffert. Une dizaine de personnes, se sont réfugiées dans les caves. Soudain, un nouvel obus éclate, défonce le trottoir et brise une conduite d'eau. Un torrent s'échappe aussitôt de la blessure et, par un soupirail, inonde la cave, que tous les réfugiés doivent évacuer au plus vite, sous peine d'être noyés. 2 bombes aussi, rue de la Fayencerie, à l'angle de la rue Saint-Nicolas. L'une a ébréché la corniche : L'autre n'a pas éclaté. Elle est restée dans le grenier... Une corniche est aussi entamée au numéro 9 de la rue Saint-Nicolas.
Dans la rue de la Hache, une bombe a allumé un incendie, chez M. Fribourg, banquier. Le feu a été éteint définitivement vers 3h30. On ne croit pas qu'il y ait des victimes.
La rue Saint-Dizier n'a pas été plus épargnée que la rue Saint-Nicolas, sa voisine. Une bombe a éventré une fenêtre du premier étage de la maison Henrion, tuant Mme Terlin, une octogénaire, et sa bonne, une seconde a fait de gros dégâts à la pharmacie Camet, une troisième a semé, parmi les plâtras, les marchandises de la mercerie Beffeyte.
2 personnes ont été tuées, ou grièvement blessées, au numéro 57 de la rue Clodion. On parle d'une femme, et d'une jeune fille qui a les jambes broyées, mais on n'a pas encore de renseignements très précis à ce sujet.

Messieurs, Mirman, préfet, Simon, maire de Nancy, Devit, adjoint, et Prouvé, conseiller municipal, ont rendu visite aux blessés et porté le réconfort de leurs paroles et leurs condoléances aux familles éprouvées : Un cordon d'agents a été établi, à hauteur du Marché, rue Saint-Dizier, pour empêcher une foule de plus en plus nombreuse de contrarier le travail des pompiers et des sauveteurs, et aussi de marcher sur les fils électriques rompus... Beaucoup de gens, avides de souvenirs, cherchent un peu partout, notamment devant Saint-Sébastien, quelques débris d'obus. Il est curieux, et surtout consolant, de constater la belle insouciance du public Nancéien, qui, le premier émoi passé, court de toutes parts aux nouvelles. Si les Allemands ont cru nous terroriser, ils se sont complètement trompés. Nous ne sommes pas, ici, de la race des trembleurs.

D'où proviennent les boulets, et comment les artilleurs Allemands ont-ils pu amener leurs pièces à un endroit propice à ce bombardement. On assure que leurs pièces sont postées entre Seichamp et Saulxures, et que c'est grâce à un armistice obtenu pour enterrer leurs morts que, violant la parole donnée, ils ont pu préparer dans l'obscurité de la nuit, leur bel exploit de barbares.... Mais leurs artilleurs doivent à présent savoir le prix de leur traîtrise. Nos pièces, en effet, ont eu rapidement raison des leurs, et on nous assure que notre infanterie a chassé tous ces criminels la baïonnette dans les reins.

III)
A l'aube du 10, Sarrail attaquera et la décision sera cherchée sur la rive gauche de la Marne, à l'ouest de Vitry... Nous verrons comment cette manœuvre, combinée avec la marche en avant de l'armée Foch, détermine en effet l'abandon par l'ennemi du pivot de Vitry...

En attendant, le 2e corps, réduit à la valeur de ce détachement ? Tenir à Maurupt-le-Montoy et maintenir la liaison avec le 15e corps et l'armée Sarrail, rien de plus... Sarrail est bien décidé à tenir à la trouée, grâce au renfort fourni par l'arrivée du 15e corps, mais si le 2e corps l'abandonne ?... Il insiste pour que Gérard soit maintenu à tout prix au nord de Cheminon... Finalement, on se met d'accord sur un plan d'ensemble... Tandis que de Langle de Cary attaquera le 10 au matin en queue et à l'ouest l'armée du duc de Wurtemberg dans la région de Vitry... Sarrail l'attaquera en tête et à l'est sur Revigny, Sermaize tombera sans doute de ce fait, mais à condition que Cheminon ne soit pas abandonné et que, même, Sermaize soit menacé, au même moment, par une attaque venant du sud.

C'est convenu ! Le 2e corps, quoique affaibli dans ses éléments, tiendra et participera à la manœuvre, pour le 10 au matin, il sera bien en droit de compter sur le 15e corps, il n'en est pas moins que le succès paraît mûr pour le 10 au matin... En tout cas, Bar-le-Duc n'est plus en cause, il s'agit, maintenant, de Sermaize et de Revigny...

Le 5e corps (général Micheler) est toujours dans la situation anxieuse où nous l'avons vu les jours précédents. Il subit, en somme, la pression à la fois de la pointe du duc de Wurtemberg (18e de réserve) et de la pointe du kronprinz (6e corps) qui, de Revigny à Triaucourt, font front pour forcer jusqu'à Bar-le-Duc...

Sarrail, aidé par Gérard et par le 15e corps, a pu, dans la journée du 9, régler à peu près le sort de l'offensive de Wurtemberg, mais il n'en est pas de même pour l'offensive massive du kronprinz.

Dès la nuit du 9 au 10, l'ennemi, escomptant son succès de Laimont, a attaqué sur Mussey... Il a été arrêté... et, le 5e corps avec les troupes qui lui sont rattachées (58e brigade et deux groupes du 37e d'artillerie) se battent sur la ligne :
10e division cote 184, bois Bugné, ferme Sainte-Hoilde.
18e et 58e brigades crête Est Louppy-le-Château, cote 231, bois du Père-Boeuf en avant de Génicourt.
C'est assez dire que le front est immense... de Mussey à Génicourt, quel tournant ! C'est le fond du sac.
JOFFRE
Le 5e corps est en liaison assez médiocre, à sa gauche, avec le 15e corps vers Vassincourt - Mussey, vers la voie ferrée, et à sa droite avec le 6e corps par Génicourt.

L'ennemi se prépare par une canonnade intermittente sur le front de la 10e division (ferme Sainte-Hoilde), évidemment il veut crever le fond de la poche et forcer le passage entre Vassincourt et Fains. Il appuie cette manœuvre de pénétration par une offensive de côté sur les deux brigades qui sont autour de Louppy. Celles-ci perdent un peu de terrain, mais, renforcées par deux batteries de 155 et bientôt par deux groupes d'artillerie lourde et sept batteries du 15e corps qui entrent en ligne et écrasent de leurs feux les bois de Champ-Midi et le Charpentier, elles sentent peu à peu l'ennemi céder devant elles. En fin de journée, non seulement le 5e corps a tenu, mais il commence à prendre un peu d'air.

Si, par sa gauche, il est toujours aux environs de Mussey, son centre et sa droite sont au bois d'Hardaumont et au delà du bois du Père-Boeuf. Le fond de la poche parait soulagé... mais l'ennemi n'a pas renoncé. La journée du 10 sera chaude.Le gros de la bataille est toujours au 6e corps (général Verraux).
L'offensive du duc de Wurtemberg étant refoulée à Mognéville, Revigny.
Celle de la gauche du kronprinz contenue à Sainte-Hoilde, Louppy.
Il reste l'offensive conjuguée de la droite du kronprinz et des forces de von Strantz venues de Metz et cherchant à se réunir vers Pierrefitte en face de la trouée de Spada et de Saint-Mihiel.
Ici, on a affaire, à deux corps Allemands : les 13e et 16e attaquant de l'ouest, et à un corps, le 5e, attaquant de l'est... Bien entendu, notre 6e corps est appuyé par le camp retranché de Verdun (forts de Troyon et de Génicourt) et, en deuxième ligne, par les forces mobiles du camp retranché, les divisions de réserve du général Pol Durand. En plus, la 7e division de cavalerie a fait le verrou mobile et a pris la gauche du 6e corps dans la région Dompcevrin - Woimbey, tandis que sur la rive droite de la Meuse, la 73e division de réserve, sortie de Toul, et accompagnée de cavalerie et d'un régiment d'artillerie, accoure dans la nuit du 8 au 9 pour seconder la défense du fort de Troyon.

A la colonne 4, le Capitaine Jensch se déplace sous un feu intense pour faire progresser son unité, il tombe foudroyé par une balle en pleine tête. Le Lieutenant Wülknitz a pris immédiatement le commandement.
Entre temps, les colonnes 4 et 5 (Lieutenant Kreuser) ont réussi leurs progressions... Le Sous-Officier Gesenberg et ses pionniers découvrent sur le haut de l'ouvrage une cheminée d'aération par laquelle on entend des voix. Ils dégoupillent leurs deux dernières grenades et les laissent tomber dans l'ouverture. L'efficacité est surprenante... Le mur d'escarpe sud de la défense bascule dans le fossé, suivi d'une partie de la voûte... Un canonnier Français noirci apparaît complètement hébété, mais vivant, et est fait prisonnier...

Après inspection des lieux il s'avère qu'un obus de 305 tombé dans le fossé au pied du mur a ébranlé la maçonnerie et l'onde de choc provoquée par les grenades ont fait écrouler l'ensemble comme un château de cartes. Pour la colonne 6 le passage du fossé sud est libre... Les défenseurs Français se battent avec la dernière énergie, deux mitrailleuses défendent avec acharnement les accès au couloir principal vers les cours nord-est et sud-est. Le Lieutenant Wülknitz (colonne 4) grimpe sur le haut de l'ouvrage et passe 3 Brandröhren par l'accès latéral du couloir, le Lieutenant Reitznstein de la 12e compagnie/6e IR lui emboîte le pas avec des grenades. Les servants des mitrailleuses, des traces de brûlures sur le visage, se replient. L'assaut de la cour nord est donné. Le Lieutenant Kreuser (colonne 5) manœuvre de la même façon pour la cour Est...

Le Lieutenant Reitzenstein interpelle la garnison « Camarades, vous êtes de braves soldats ! Rendez-vous. Pas d'inutile massacre ». Réponse, un tir de mitraille par un canon en batterie dans le couloir principal... Les pionniers balancent des grenades dans le couloir, puis nouvel ultimatum. Réponse des Français par un coup de mitraille par la même pièce. Entre temps les pionniers ont découvert la cheminée d'aération du couloir et ont introduit une grenade qui a explosé près des servants du canon. Les cris de douleur et les gémissements en provenance de l'emplacement de batterie ne laissent aucun doute aux assaillants quant au résultat obtenu.
Une troisième sommation du Lieutenant Reitzenstein, un moment de silence puis un capitaine des défenseurs se manifeste et guide les Lieutenants Reitzenstein et Wülkvitz, ainsi qu'un soldat, vers le Commandant du Fort.
Ce dernier négocie une reddition à condition que les Officiers gardent leur sabre. Le Lieutenant Wülknitz du Génie d'assaut (colonne 4) rend compte au Major von Rössing, puis au Général Major von Tautphoeus qui arrive dans la cour Nord-Est, accompagné du Major von Kiesling qui maîtrise parfaitement la langue française.

Le Major von Kiesling met au point l'acte de reddition avec le Commandant du Fort et le Général Major von Tautphoeus donne son accord et signe le document. Le Général félicite et exprime sa reconnaissance au Major Baron von Rössing qui est indéniablement un acteur important du succès...

A 14 heures la garnison quitte le Fort, 6 officiers et 528 hommes, les troupes Allemandes se sont formées en bataille depuis la cantine jusque vers l'extérieur de l'avancée.
Le Général Lieutenant von Hoehn, Commandant la 6e Division Bavaroise, serre la main du Commandant du Fort.
Les troupes Françaises, les officiers avec leur sabre, défilent sur le plateau devant les troupes Allemandes qui ont présenté les armes. Les drapeaux ont salué... Même cérémonie à la sortie immédiate de l'avancée, sur la route qui conduit à Saint Mihiel

Le Général-Major Baron Ludwig von Tautphoeus reçoit, pour la prise du Fort, la Croix de Fer de 1ère classe. Général depuis le 10 septembre 1914, par décret du Roi, sa promotion n'a été connue qu'au moment des combats du Saillant.
IV)
Elle se produit dans la nuit du 9 au 10 septembre à minuit. La bataille de la Vau-Marie vient de commencer. Les unités d’assaut de leur 5e armée se sont formés en colonnes parallèles, très proches l’une de l’autre et précédées d’un rideau de tirailleurs. La nuit est opaque et l’ennemi utilise toutes les ressources du camouflage. Une sentinelle du 106e RI, bien qu’ayant du mal à garder les yeux ouverts, s’est rendue compte que des gerbes de blé ne se trouvent plus à la même place qu’auparavant, mais se déplacent peu à peu en notre direction. Il était temps qu’il alerte son chef de section, car les Allemands sont arrivés à peu de distance de nos postes avancés...
Le récit des combats du Fort du Camp des Romains montre quels courageux efforts ont été dépensés, quelle lutte inégale a été soutenue et comment tous, chefs et soldats, ont, pendant ces heures graves, fait vaillamment leur devoir. Les causes de ces événements étendent la responsabilité bien au delà de personnalités secondaires, mais aussi à un concours de circonstances...

Depuis une vingtaine d'années avant 1914, l'esprit offensif préconisé avait jeté sur la fortification permanente une déconsidération dont les faits se sont malheureusement chargés de souligner l'erreur... Le plan général de la défense des frontières du Général Séré de Rivière est à peine terminé que la découverte de la mélinite nécessite un renforcement de tous les locaux de la fortification permanente...

Le Fort du Camp des Romains est un des ouvrages d'arrêt des Hauts de Meuse construit de 1876 à 1878. Il n'a reçu aucune amélioration depuis sa construction et ne contient aucun abri bétonné... Il n'existe ni tourelles, ni batteries cuirassées ou bétonnées (artillerie de rempart non protégée), ni observatoires bétonnés... Les locaux prévus comme abris de bombardement sont couverts par 5 mètres de terre sur voûte de maçonnerie... Il est donc évident que ce fort n'est pas en état de résister longtemps à la grosse artillerie de l'attaque... Cette situation est connue des Allemands (plans du Fort largement diffusés).

En effet, les dégâts occasionnés par cette artillerie lourde sont impressionnants à voir et signent le destin de l'ouvrage. :
L'artillerie de rempart très rapidement hors d'usage.
Les observatoires détruits. Le Fort est dominé par les observatoires ennemis de la Côte Sainte Marie...

Rien que son nom évoque la hauteur stratégique de tous les temps (Celtes, Romains). Elle commande largement la vallée de la Meuse et notamment le coude de la rivière à Saint Mihiel. L'empressement avec lequel le Commandant du 3e C.A. Bavarois a saisi l'occasion inespérée de s'en emparer par un coup d'audace montre qu'il en connaît le prix. A ce bilan s'ajoute une décision stratégique aux répercussions importantes :
Le Général SARRAIL a déplacé des troupes pour une action vers le nord Meusien, laissant sur les Hauts de Meuse, à l'est de Saint Mihiel, qu'une division de réserve... Les Allemands informés ont pu ainsi progresser jusqu'aux abords de Saint Mihiel en combattant.

La création du Saillant de Saint Mihiel est lourde de conséquence tout au long de la guerre. Elle entraîne la rupture d'une voie de communication essentielle, celle de la Vallée de la Meuse en direction de Verdun et un risque de contournement de cette place forte de Verdun .
Pertes Françaises :
- 50 morts, 80 blessés, 28 pièces, 4 mitrailleuses
- prisonniers : 6 Officiers, 528 S/Officiers et hommes
Pertes Allemandes :
-11e IR : 1 Officier et 22 hommes tués
4 Officiers et 69 hommes blessés
- IIe Bataillon de Pionniers Ne 16 :
2 Officiers et 16 S/Officiers et hommes tués
1 Officier et 34 S/Officiers et hommes blessés

V)
Croisière de l'Emden lorsque la guerre éclate l'Emden fait partie de l'escadre de Chine, commandé par le Capitaine de vaisseau Karl von Müller, il réalise l'une des campagne les plus audacieuses en coulant pas moins de 23 navires alliés...
Camouflé en croiseur britannique, c'est grâce à l'ajout d'une quatrième cheminée fictive que von Müller peut s'approcher de ses cibles sans attirer l'attention et les surprendre. Armé de 10 canons à tir rapide et filant à 25 nœuds l'Emden est capable de rattraper n'importe quel navire marchand, mais il n'est pas à l'abri des puissants croiseurs Britanniques.
Stationné en Asie, il fait partie de l'Escadre de Chine commandée par l'amiral von Spee, dès la déclaration de la guerre von Spee sait qu'il ne peut tenir sa position, ni protéger les comptoirs et autres colonies Allemandes qui s'étendent de la Chine au Pacifique (archipels des Mariannes et des Carolines, la Nouvelle Guinnée Allemande...). Coupés des ravitaillements et des centres de production, ces territoires sont virtuellement perdu avant qu'un seul coup de feu ne soit tiré. Bien sûr certains vont se défendre avec héroïsme (comme à Tsingtao)...

La stratégie de von Spee est simple, durer et retenir un maximum de moyens contre lui, même si sa propre fin ne laisse aucun doute à ses yeux. Il va donc séparer ses forces, d'un coté il prend ses plus grosses unités (avec elle le Dresden, sister-ship de l'Emden) et fonce vers l'Est et le Cap Horn pour rejoindre l'Atlantique. De l'autre il envoi l'Emden vers l'Ouest, vers l'océan Indien pour bousculer le trafic maritime allié...
EMDEN
La croisière solitaire de l'Emden et de son équipage commence le 10 septembre 1914, entre l'Inde et Ceylan, avec l'arraisonnement et le sabordage de sa première victime : un cargo Britannique de 3 400 tonneaux, le premier d'une longue liste. L'Emden commence les opérations de manière retentissante, dans la semaine qui suit il coule pas moins de 6 navires Britanniques... En un mois, un total de 11 navires disparaîtront (ce qui représente près de 50 000 tonnes).
Les Britanniques réagissent promptement et envoient leurs croiseurs pour l'intercepter et le détruire... En tout ce n'est pas moins de 14 bâtiments alliés qui sillonnent l'Océan Indien, ce qui se rapproche à peu de chose près à trouver une aiguille dans une botte de foin sans aide de radar ni de reconnaissance aérienne... Alors que les Britanniques sont déjà sur sa trace, et après avoir coulé plusieurs navires marchands dans le golfe du Bengale, il se présente le 22 septembre devant le port de Madras et bombarde le dépôt de pétrole, détruisant ainsi deux réservoirs.

Mais le piège commence à se refermer, les croiseurs alliés sont rapides, et surtout ils coordonnent leur action. A chaque coup d'éclat de von Müller, ils s'en rapprochent d'autant plus...

VI)
Un buveur d'absinthe voyant arriver la fin de sa réserve, boit cul-sec sa dernière bouteille... Il en meurt !
«Si la grande majorité des buveurs d'absinthe ont pris leur parti de la suppression du poison vert, quelques endurcis ont tenté de se soustraire à la prohibition en faisant une ample provision du liquide défendu... L'un de ces derniers, Henri , L..., âgé de 53 ans, demeurant dans le quartier Bonne-Nouvelle, voyant arriver la fin de sa provision, a avalé d'un trait ce qui reste dans sa bouteille... Il es retrouvé mort, le 10 septembre 1914, dans sa chambre » écrit Le Figaro du 11 septembre 1914.

VII
9-10 septembre 1914. Deyvillers – Dompierre – Rambervillers :
Dompierre : Minuit - 3h sous un orage épouvantable, dans une nuit noire. Mon ambulance manque à tout instant de verser. Les hommes arrivent trempés jusqu’aux os. Nous pensions passer la nuit à Dompierre. Déjà 3 brancards sont étendus dans un logis à puces pour le capitaine Gresser, Caussade et moi. Pan !

Départ à 1h.
3 nouvelles heures de marche sous la pluie, dans une boue invraisemblable, de 1h à 4h du matin. Sur la route invisible, mêlée à la nuit, nous croisons d’interminables files d’artillerie. Je marche pour ne pas m’endormir sur mon cheval. En entrant à Rambervillers, but de notre marche, je rencontre un général de brigade, seul, avec son cheval, dans un champ. Il vient d’assister au départ de sa brigade pour une destination inconnue. Il rôde dans la nuit, impressionnant de solitude... Nous entrons au petit jour dans une ville morte que je connais bien... Déjà une âme de pillards cède le pas à notre âme de civilisés... Je m’empare, pour y loger le commandant et ses médecins, d’une des plus confortables maisons de la rue principale...
Tout nous sert : vaisselle, draps, pot de miel oublié par les troupes pillardes, et même cette affreuse plume et cette encre horrible qui me permet de griffonner...

Le canon tonne tout près, 2 compagnies du bataillon gardent les voies principales de la ville, les deux autres sont aux tranchées tragiques que j’ai déjà fréquentées par dilettantisme. Je me sens vaseux, j’ai faim et j’ai sommeil, je découvre un moulin à café et une cafetière... Et je m’amuse de mon museau, plus amaigri que jamais, penché, par cette matinée de guerre, sur le tourniquet de ce moulin.

Des troupes passent quittant la ligne de feu :
Les troupiers sont hâves. A la poussière la boue a fait place, ce sont des mottes de boue qui passent, le 13e corps nous cède ses places. Bien le merci !
Dans cette pauvre ville pillée et bombardée j’arrive à trouver avec l’appui de mon ami le boulanger Simon 3 truites magnifiques, un poulet et une sorte de macaroni détestable... Nous considérons maintenant chacun de nos repas comme notre dernier bon repas, aussi soignons-nous jalousement le menu. Mais quel ennui d’être l’habitant obligé d’une ville sur laquelle pleut le feu du ciel !

J’ai voulu faire un tour du côté des petits jardins fleuris des faubourgs, Joli coin, je ne songe plus à la guerre.
Je vais le nez au vent insouciant et badin. Crac !… Un bolide tombe dans un potager voisin de ma rêverie...
Oh ! non, être obligé de longer les murs, de courber le dos, de retenir sa respiration par un jour aimable de Septembre, à l’heure où le soleil a fait place à la pluie…
Oh ! non, vraiment la guerre moderne est une chose insupportable. Si on les voyait cette vue serait une base à la haine, un tremplin à la rage.
Mais on ne les voit pas. On est là, passant inoffensif et gai, dans une venelle fleurie de dahlias. Crac !…
Un bolide tombe dans un potager voisin de votre rêverie !

 Journée d'espoir et, pour les moins optimistes, de confiance renaissante. On se bat sur l'Ourcq, sur la Marne, c'est vrai. Mais on se bat avec les meilleures chances de succès de notre côté. « Joffre cunctator » a eu raison... Les Allemands, qui ont reculé hier de 40 kilomètres, essaient bien de renouveler la tactique de l'écrasement et, quand 10 000 de leurs hommes ont échoué ou même ont été anéantis quelque part, d'en envoyer aussitôt 40 000. Mais leurs réserves s'épuisent, leurs munitions aussi.
Toutes les voies de communication ont été détruites (chemin de fer et routes) devant eux, et, au contraire, nos armées se ravitaillent avec la plus grande facilité, le reste de la France étant intact derrière elles.
Voilà la très grande raison d'espérer... Il y a sans doute encore de grandes batailles en perspectives et de durs combats à affronter. Une nouvelle campagne sera nécessaire pour rejeter l'envahisseur au-delà de la frontière quand son échec sera confirmé. Et, en se retirant, il fera le désert derrière lui, comme nous-mêmes l'avons déjà fait.

De nouvelles ruines s'entasseront dans l'Est et le Nord-Est. Dure nécessité. Mais le salut est à ce prix. D'ailleurs, l'espérance qui revient peint tous les aspects de la situation des couleurs les plus favorables. Il n'est plus vrai, aujourd'hui, que tant de villes aient été brûlées :
Senlis, notamment, n'a pas souffert de la présence de l'ennemi. « J'y étais voilà quatre jours », confirme un réfugié.
Un autre dit que Fourmies n'est nullement détruite de fond en comble.
Un troisième assure que l'incendie de Compiègne est une fable. Le bruit avait couru que les Allemands (pour donner une preuve de leur goût) avaient mis la main sur les incomparables pastels de de La Tour à Saint-Quentin... Guillaume II, conformément à la tradition « frédéricienne », se pique d'être amateur de l'art Français du XVIIIe siècle. On annonce maintenant que les de La Tour sont en lieu sûr.
De même Lille, occupée à peine quelques heures, s'en est tirée avec une contribution de guerre de 500.000 francs, le bénéfice moyen d'un seul de ses grands industriels...
Devant cette marée de nouvelles heureuses, le gouvernement est un peu honteux de sa retraite précipitée sur Bordeaux...
Marcel Sembat prépare ostensiblement son bagage pour retourner à Paris.
Les autres ministres se tournent les pouces ou bien font la fête.
Seuls Delcassé et Millerand travaillent 14 heures par jour. « Millerand prend la figure du grand Carnot » me disait hier soir Alfred Capus...
Oui, sans doute, on voit bien les Conventionnels... Mais on ne voit ni l'épuration ni la guillotine...  
A la dernière heure, il paraît que la situation militaire est encore plus favorable que les communiqués officiels ne le disent...
Le général Pau a totalement rétabli nos affaires sur l'aile gauche.
Un combattant, revenu du front en mission, que j'ai rencontré hier, rapporte ceci : Le général Pau aurait réussi à attirer l'ennemi dans les tourbières autour d'Amiens. 15.000 Allemands, cernés, exposés au feu de notre artillerie, demandent à se rendre à la tombée de la nuit. « Il est trop tard. Je n'ai plus le temps de parlementer », répond le général Pau. Et la canonnade continue !

Quant à Paris, dont les barbares se sont détournés, Paris, sauvé par miracle, Le Temps en donne cette image :  
Plus de couloirs ni d'antichambres d'où puissent sortir des bruits alarmants, partout le calme, la dignité, la confiance. Gallieni travaille, on le sent, on le voit.
C'est même une déception d'apprendre que les Prussiens négligent de nous faire une visite... Ces lignes, tout en épigrammes, et qui ont paru dans Le Temps, donnent la mesure du discrédit dont les institutions sont frappées.

IX)
Le Réveil du Nord nous informe que « 300 Allemands fait prisonniers pendant les derniers engagements de la bataille de l’Ourcq et du Grand Morin, arrivent à Paris, ainsi que les deux drapeaux pris à l’ennemi pendant la bataille de la Marne »... On peut y lire un peu plus loin dans une reprise d’un article du New-York Hérald (édition française), une description assez crue des violents combats lors de la Bataille « Un Turco fut trouvé mort avec sa baïonnette encore plantée dans la poitrine ennemie » « un pont de bateaux ennemi attaqué par les obus de 75 transformé en moins de 5 minutes en une masse de planches disjointes, aussitôt enlevées par le courant. »...

Le Journal de Roubaix annonce que l’armée Anglaise passe à l’offensive et franchit la Marne, « l’ennemi recule de 60 à 75 km en 4 jours, et bat en retraite vers l’Aisne et l’Oise. Au Nord de Château-Thierry, de violents combats sont engagés. La gauche de l’armée du général von Kluck, ainsi que celle du général von Bullow se replient devant nos troupes. Entre l’Argonne et la Meuse, les armées du prince de Wurtemberg et du Kronprinz résistent toujours. »

Dans les Vosges des canons de longue portée allemands bombardent Nancy.
Sur les autres théâtres d’opération.
Tous les télégrammes donnant des nouvelles du front Russe, qu’ils soient publiés dans le Journal de Roubaix ou dans le Réveil du Nord, sont positifs, et donnent l’impression que les armées ennemies sont en déroute... Selon le Journal de Roubaix, en Galicie, les Russes tentent de couper la retraite de près d’un demi-million d’Autrichiens qui se sont avancés sur Lublin... Ce même journal annonce une belle victoire Russe lors de la Bataille de Tornazoff. « Des combats acharnés se poursuivent sur le front de Tomaschaffhava - Rouzzka jusque sur le Dniestre en Galicie, ils tournent à l’avantage des Russes au dépens des Autrichiens ».
Les Autrichiens évacuent la Pologne Russe.
A l’ouest de Lemberg les Russes attaquent Gorodok.
Les Monténégrins occupent Fotcha en territoire Autrichien, au sud de Sarajevo.
Les Serbes s’emparent de Semlin en Syrmie.
Les Allemands sont de plus en plus présents et nombreux. Des troupes Allemandes passent au Bon Poste à Toufflers dans la matinée et continuent sur la route de Sailly, vers Cysoing.
10 Uhlans sont signalés à Flers-Breucq, Wasquehal et Mons-en-Barœul. Valenciennes est toujours occupée par les Allemands. Une colonne Allemande de 1 000 hommes séjourne à Lens.

X)
Lors de la Première bataille de la Marne, le 66e régiment d’infanterie (Tours) appartenant à la 18e division d’infanterie, est transporté le 7 septembre 1914 aux environs d’Euvy (Marne), ferme Saint-Georges, pour être affecté, en renfort, au 11e corps d’armée... Cette 18e DI doit servir de réserve opérationnelle à la 9e armée (Foch).
Aux premiers coups de feu je me porte vers le chef de bataillon de Villantroys, commandant le 3/66e, pour lui demander ses ordres... Il n'est plus à son poste de commandement, son adjoint le capitaine Robillot me dit de me replier avec mon personnel vers Connantray... Je suis retardé dans ma marche par mes voitures médicales, sur lesquelles j'ai placé 3 ou 4 blessés... Les balles sifflent, des hommes tombent... La fusillade devient bientôt effroyable et s'accompagne du bruit plus sec des mitrailleuses. Dans les bois, la lutte se poursuit acharnée, terrible, on se bat à 50 mètres.
En moins de 2 heures mon seul régiment à 25 officiers et près de 1 300 hommes hors de combat... La retraite sur Connantray n'est plus possible, je fais prendre à ma formation la direction d'Euvy.
L'ennemi avance rapidement... Les balles atteignent mes voitures médicales, mon cheval est tué près de moi, mon personnel me précède dans la retraite.

Je ferme la marche de façon à ne laisser en arrière aucun de mes hommes. J'ai à côté de moi le médecin aide-major de 1ère classe de réserve Veteau.
Soudain un obus éclate, un soldat est tué sur le coup et Veteau a le bras gauche labouré par 2 éclats d'obus. Mon aide-major étant gravement atteint, j’ordonne à mon personnel de continuer la retraite et je m'arrête pour panser Veteau. Je constate que Veteau a une déchirure de l'huméral... Puis Veteau et moi reprenons la route. Les allemands nous aperçoivent et ouvrent le feu... Mon aide-major épuisé se sent défaillir et m'adjure de l'abandonner... Résolu à faire tout mon possible pour sauver mon camarade, je le prends dans mes bras et me dirige vers un petit bois, ou j'espère le mettre à l'abri. Les Allemands qui sont à moins de 300 mètres dirigent sur nous une fusillade de plus en plus vive... Nos brassards de la Croix-Rouge sont très visibles mon malheureux aide-major est frappé de deux balles à l'abdomen... Une balle me traverse l'avant-bras gauche... D'autres balles traversent mes vêtements sans m'atteindre. Veteau et moi tombons en même temps... Les allemands n'en continuent pas moins pendant environ 15 minutes à envoyer dans notre direction des balles qui fauchent tout autour de nous... Malheureusement tout espoir de sauver mon camarade est perdu. Avec un courage admirable, il me dit qu'il est heureux de donner sa vie pour son pays, me parle de sa femme et de son enfant et malgré de violentes douleurs meurt sans une larme, sans une parole d'amertume...

Pendant que j'assiste Veteau, à 200 mètres de là, un autre médecin aide-major de réserve de mon régiment, le docteur Dreux, est tué d’une balle à la tête. Presque au même instant tombent les médecins de réserve Bonnet et Michel du 114e d'Infanterie placé près de nous... Ces 4 Médecins reposent aujourd’hui côte à côte dans le petit cimetière de Connantray.

Capturé à Connantray… au « lazaret » Saxon…
Après la mort de Veteau je rallie au plus tôt une ambulance pour m'y faire soigner... J'éprouve des vertiges qui me font redouter une syncope, épuisé par la perte de sang qu’arrête mal le pansement compressif très sommaire que je me suis fait...Je veux poursuivre sur Euvy, mais déjà les troupes Allemandes me barrent la route. Alors, voulant être utile à nos blessés jusqu'au bout, je recueille un certain nombre d'entre eux et à leur tête j’atteins Connantray... Le village est occupé par les Saxons (32e DI du 12e CA saxon de la 3e armée allemande). Les blessés que j'amène sont fait prisonniers et installés dans l'église du village qui donne asile à de nombreux blessés un officier reconnaît ma qualité de médecin militaire et me reconduit au lazaret installé dans un groupe de maisons Il s’agit d’un poste de secours (hauptverbandplatz) organisé par les 2e et/ou 3e compagnies sanitaires (sanitätskompanie) du 12e CA saxon.
J'y trouve là 5 ou 6 médecins saxons qui m'accueillent correctement mais me
déclarent qu'ils ne me feront de pansement que lorsqu'ils auront soigné leurs propres blessés. Une fiche (que j'ai conservée) indiquant mon nom, mon grade, ma nationalité et le diagnostic de ma blessure, est épinglée sur mes vêtements.
Je passe mon temps à secourir les nôtres, leur faire quelques pansements sommaires... Il faut avoir vécu ces heures là pour sentir la force du lien qui unit les hommes d'un même pays en face de la douleur et de l'ennemi commun... Les Saxons, ne me fournissent aucun objet de pansement mais me laissent circuler librement à travers les groupes de nos blessés. Un capitaine Saxon m'avoue que sa compagnie est réduite à 97 hommes... Le lazaret de Connantray est bien organisé, largement approvisionné en matériel de pansement, les Saxons utilisent quelques brancards français qu'ils nous ont pris depuis le début de la guerre... Le modèle allemand moins souple que le modèle français m'a paru cependant plus pratique et surtout plus résistant... Les blessés les plus graves placés sur des paillasses aux draps de lit pris chez l'habitant, les linges et les instruments de chirurgie, stérilisés avec soin, une voiture de pharmacie très bien comprise complète la formation...

Aucun des nôtres, même parmi les plus graves na été soigné, moi-même, malgré ma qualité de médecin et mes demandes réitérées, je n'ai obtenir d'être pansé... Le 9 septembre, vers 21 heures, un officier supérieur Saxon suivi de quelques officiers subalternes arrive à cheval au lazaret et demande à haute voix en très bon français où se trouve le médecin militaire Français blessé. Je me lève et va à lui. Alors à ma grande stupéfaction l'officier Saxon me dit à peu près textuellement :
« Je suis le commandant des troupes qui sont ici. Je dois vous avouer que l'armée Allemande est battue. Je vais quitter Connantray cette nuit en abandonnant nos blessés. Vous allez vous engager sur l'honneur à les protéger et les faire soigner. »
Je répond au colonel saxon :
« Les médecins militaires Français ne voient plus d'ennemis dans les blessés qu'ils soignent. Ils ont pour tous le même dévouement sans distinction de nationalité. »
Mais le colonel exige de moi un écrit et je le lui donne... L'officier Saxon me remet en échange sa carte que j'ai conservée et qui porte : Oberstleutnant Blochmann - Riesa (Sachsen)... M'ayant salué, le lieutenant-colonel et les officiers de sa suite se retirent.

L'infanterie Saxonne commence à se retirer de Connantray vers 23 heures. J’assiste alors à une scène inoubliable, les blessés Allemands qui, en tant que soldats, n'ont connu jusqu'alors que le succès et comprennent maintenant qu'on les abandonne, se livrent à un violent désespoir... Un très grand nombre d’entre eux sont persuadés que les Français vont venir les égorger... J'en interroge quelques-uns, j'en fais questionner d’autres par un sous-officier Allemand possédant bien la langue française et j’acquiers la conviction que les officiers Allemands faisaient croire à leurs hommes qu'ils seraient exposés aux pires violences s'ils tombaient entre les mains des Français... Dans la nuit, je vois ce spectacle indicible de blessés, atteints de fractures et de plaies des membres inférieurs, se traînant sur le bord de la route, suppliant qu'on les emmènent, s'accrochant aux voitures et se faisant traîner par elles pour tâcher d'échapper aux Français... Je rassure ces malheureux et joignant le geste à la parole bien que souffrant cruellement de ma blessure, je vais chercher de l'eau, les fais boire, admirablement secondé dans ma tâche par un père bénédictin aumônier volontaire de régiment, blessé au pied par une balle et conduit à Connantray par les Saxons...

La nuit du 9 au 10 septembre se passe en protégeant nos soldats blessés, s'efforçant de les soustraire aux mauvais traitements des Allemands irrités d'être obligés de fuir, assez heureux pour empêcher les ennemis de mettre le feu au village, leur faisant observer qu'il y ont des blessés Allemands ou Français dans toutes les maisons. Il m'est impossible d'empêcher le pillage, les Saxons emportent tout ce qu'ils peuvent et détruisent le reste... A 2 heures du matin l'infanterie et l'artillerie ont évacué Connantray mais la cavalerie tient toujours le village.

Les derniers cavaliers Saxons ne quittent Connantray que le 10 septembre vers 5 heures du matin. A ce moment l'artillerie Française envoie quelques obus dans la direction de Connantray... Un autre danger nous menace. Fouillant le village, je trouve un homme âgé qui n'a pas fui devant l'invasion, je lui procure une mauvaise voiture à laquelle est attelé un cheval abandonné par les Allemands et je l'envoie vers nos lignes porteur d'un mot. Au bout d'une heure mon messager ne reparaissant pas, je résous d'aller moi-même au-devant de nos troupes... Au bout de 4 kilomètres, j'aperçois nos soldats... Je poursuis ma route jusqu'à Euvy pour chercher du secours médical j'y trouve mon médecin divisionnaire [18e division d’infanterie], le médecin principal Gruet et le met au courant de la situation. Il se porte aussitôt vers Connantray avec une partie de son personnel et de son matériel pour recueillir et soigner les blessés Français et Allemands. Enfin je reçois des soins mais ils sont tardifs et ma blessure se complique d'une forme grave de tétanos...



Septembre 1914 - La Vie en Lorraine (1/3) - blamont.info
www.blamont.info/textes735.html
Septembre 1914 fut pour la Lorraine l'époque à la fois la plus critique et la plus ..... premier du décret du 9 juin 1906 : déchéance de grade, disponibilité d'office, ...
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Il y a 1 jour - Il a été trouvé mort, le 10 septembre 1914, dans sa chambre.» écrit Le ... 10 septembre 1914: le «Buffet théâtral» assure le service · Les Croix ...
9-10 septembre 1914. 3h sous un orage épouvantable ...
www.nrblog.fr/.../9-10-septembre-1914-3h-sous-un-orage-epouvantable...
Il y a 2 jours - 9-10 septembre 1914. Deyvillers-Dompierre-Rambervillers Dompierre. Minuit. 3h sous un orage épouvantable, dans une nuit noire.
10 septembre 1914 ... Journée d'espoir ... - lafautearousseau
lafautearousseau.hautetfort.com/.../10/10-septembre-1914-5422673.html
Il y a 2 jours - 10 septembre 1914 ... Journée d'espoir. 200px-Millerand copie.jpg. Journée d'espoir et, pour les moins optimistes, de confiance renaissante.
HECATOMBE SANITAIRE A CONNANTRAY (7, 8, 9 et 10 ...
hopitauxmilitairesguerre1418.overblog.com/.../hecatombe-sanitaire-a-co...
24 août 2014 - EN MARGE DE LA BATAILLE DE LA MARNE : CONNANTRAY (7-10 septembre 1914). Lors de la Première bataille de la Marne, le 66e ...









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