mardi 5 août 2014

LA GRANDE GUERRE AU JOUR LE JOUR... 5 AOÛT 1914

LA CENSURE
Établi d'après une ancienne loi du 9 août 1849, modifié à plusieurs reprises, codifié dans une brochure adressée aux maires en octobre 1913, l'état de siège transfère des autorités administratives et judiciaires vers les autorités militaires tout ce qui relève du maintien de l'ordre. Les armes doivent être remises aux gendarmeries. L'exercice des libertés publiques et des libertés individuelles garanties par l’État de droit est désormais restreint... Une nouvelle loi du 5 août 1914 renforce le dispositif de surveillance en interdisant de publier des informations sur l'ordre de bataille, sur les effectifs, sur le nombre des blessés, tués ou prisonniers. Les oukases pleuvent, mais leur formulation n'est pas si claire et il faut toujours en vérifier l'application sur le terrain.
Les autorités militaires font une entrée en force dans la vie administrative.

- Le général de division commandant la IXe Région militaire, en résidence à Tours, intervient sans cesse, alors qu'il était traditionnellement absent. Il envoie des circulaires aux maires concernant l'ordre public, pris dans le sens le plus large du terme, car il se mêle du contrôle des prix, de l'approvisionnement, de la prostitution, de l'heure de fermeture des cafés, du logement, des hôpitaux, etc... etc...
  • Le commandant d'armes de la place de Saumur, qui, jusqu'alors n'avait autorité que sur les militaires, étend son champ d'action et donne en permanence des ordres au maire et aux fonctionnaires locaux. Il porte parfois le titre de « commandant d'armes de Saumur et de Fontevraud », car la centrale est l'objet d'une surveillance particulière, elle a reçu des détenus de la Seine, présentés comme dangereux... elle héberge aussi les pupilles de « l'école de bienfaisance » d'Ypres (Belgique), qui ne sont pas des enfants de chœur... Épisodiquement, Fontevraud a son commandant d'armes particulier
  • A Saumur, des tensions opposent parfois civils et militaires. Le ministre de la Guerre tranche en sacrifiant le commandant de l’École. Désormais, les militaires prennent le dessus et ne cachent guère leur joie d'étaler leur nouvelle suprématie. Les commandants d'armes écrivent leurs ordres à la municipalité sur un ton sec.
  • A priori, on imagine qu'en temps de guerre, les soldats sont sur le front ou dans des bases à l'arrière des lignes. De fait, un grand vide s'est produit aux premiers jours de la mobilisation.


 A la tête d'une garnison d'un bon millier d'hommes, le commandant d'armes donne beaucoup d'ordres, mais il prend rarement lui-même les décisions, qui sont en fait arrêtées par les bureaux de Tours, assez mal informés de la situation locale. Les ordres s'avèrent souvent inadaptés et inapplicables. Des rapports remontent alors, en faisant souvent un crochet par le préfet, afin d'obtenir un contrordre.
La situation est parfois conflictuelle, en raison de l'élargissement des secteurs d'activités pris en mains par les militaires. Les démocrates, qui avaient eu tant de peine à installer la République, s'inquiètent du déséquilibre croissant ; Abel Ferry parle de « dictature militaire » et il est vrai que Joffre élargit son aire de puissance et conduit même des négociations en politique étrangère. La formulation est sans doute exagérée et il ne faut surtout pas parler de « loi martiale », qui n'existe pas dans le droit Français contemporain. Le parlement est affaibli, mais l'administration civile, quand elle fonctionne bien, ce qui est le cas en Maine-et-Loire, constitue un contre-pouvoir efficace...
La centralisation Française est encore renforcée par les nécessités de la guerre. Le département est dirigé par deux préfets énergiques, qui sont omniprésents dans les dossiers administratifs
Les restrictions aux libertés individuelles sont néanmoins bien réelles. Le couvre-feu pour les véhicules à moteur est imposé de 18 h à 6 h du matin, sauf, dans les limites de leur commune, pour les agriculteurs et les commerçants munis d'une autorisation. Les réfugiés Français et Belges, malgré tout surveillés, n'ont pas le droit de s'éloigner sans sauf-conduit à plus de 10 km de leur commune de résidence. Franchement suspects, les nomades sont astreints à résider dans les chefs-lieux de canton...
Constamment contrôlés, les pigeons voyageurs et leurs propriétaires le sont plus que jamais ( A.M.S., 2 H 19). Leur recensement annuel est annoncé par une grande affiche.
LA CENSURE
Les réquisitions organisées par la préfecture sont nombreuses et permanentes, réquisitions de blé, de foin, de vin, de chevaux ; elles touchent et mécontentent surtout les ruraux. Les bourgeois de la ville sont directement atteints par une autre mesure : les voitures de grand tourisme de 12 chevaux et au-dessus et les camions sont mis en réquisition...
Tout commandant d'unité militaire dispose d'un droit de réquisition, formulé par un simple document écrit, sans davantage de procédure. Le commandant d'armes réquisitionne ainsi de nombreux bâtiments publics et privés pour les transformer en hôpitaux ou pour loger des troupes. Cette mainmise est peu contestable, mais elle gêne considérablement, elle paralyse en particulier le fonctionnement de l'enseignement public. Cependant, les cadres hiérarchiques réagissent avec vigueur et parlent de brimades visant l'enseignement laïc.



 Une forme traditionnelle de réquisition, assurée par le bureau militaire de la ville, est relancée : le logement des soldats dans les foyers particuliers est nécessité par le brassage permanent des troupes et par le manque de place à l'Ecole de cavalerie. Sentant venir l'orage, la ville avait restructuré son organisation par un arrêté municipal du 4 octobre 1912 ( A.M.S., 5 H 11 ). Elle avait préparé des billets de logement standardisés, blancs pour la troupe logeant chez l'habitant, bleus pour la troupe logée dans des auberges, rouges pour les gradés logés chez l'habitant, jaunes pour les gradés logés dans des auberges.
LA CENSURE
Les ordres pleuvent, venant autant du préfet que du commandant d'armes : l'administration locale doit faire face à des tâches urgentes, souvent nouvelles et imprévues, comme organiser des camps d'internement, accueillir une foule de réfugiés, annoncer les décès aux familles, multiplier les hôpitaux, gérer l'approvisionnement, le contrôle des prix et les tickets de rationnement. Avec l'aide d'associations de bénévoles, la municipalité, son personnel, les autres administrations locales parviennent à assurer des tâches immenses, cela avec du personnel moins nombreux ( certains services sont désorganisés par les mobilisations )...

Après avoir hésité en 1914, la ville, l'hôpital, les collèges se lancent dans des dépenses non inscrites dans les budgets primitifs. Des marchés, jadis soumis aux adjudications, sont désormais passés de gré à gré, afin de gagner du temps. Les règles de l'équilibre budgétaire sont bousculées, car les prix flambent et bien des dépenses sont imprévues.
L'examen de l'énorme paperasserie accumulée par la préfecture d'Angers révèle la rapidité de la chaîne hiérarchique, qui transmet immédiatement les ordres par téléphone, par télégramme codé ou par lettre. Mais la dualité des pouvoirs et la nervosité des chefs aboutissent parfois à un fonctionnement heurté.

   La guerre et l'état de siège ont chamboulé le cours traditionnel de la vie publique. Remontons dans l'histoire : levée en masse, patrie en danger, réquisitions de maisons et de denrées, maximum des prix, arrestations de suspects, censure, mesures d'exception, omniprésence des militaires, hauts fonctionnaires tout puissants, suspension des élections, engorgement des hôpitaux, insuffisance des cimetières, on retrouve les caractéristiques majeures des années 1793-1794 à Saumur... La comparaison n'est pas si incongrue, étant admis que l'état de siège n'est tout de même pas la Terreur et que les Saumurois tués périssent du fait de l'ennemi et non des guerres civiles, mais en bien plus grand nombre...
Dès le 5 août la censure entre en vigueur :
Interdiction de publier des renseignements de nature à nuire à nos relations avec les pays alliés, les neutres, ou relatifs aux négociations politiques.
Interdiction en outre d'attaquer les officiers, de parler des formations nouvelles, de reproduire des articles parus dans les journaux étrangers.
Avis de décès : ne doivent pas indiquer le lieu où le défunt est tombé.
Interdiction de publier des articles concernant expériences ou mise en service d'engins nouveaux, des cartes postales ou illustrations reproduisant des canons ou des engins de guerre nouveaux ou du matériel ancien modèle, dans un paysage pouvant faire découvrir le lieu de l'emploi.
Interdiction de publier des interviews de généraux.
Surveiller tout ce qui pourrait sembler une propagande pour la paix.
Interdiction de publier cartes postales renfermant scènes ou légendes de nature à avoir une fâcheuse influence sur l'esprit de l'armée ou de la population, cartes postales représentant matériel nouveau, armes, engins de toute nature.
Suppression des manchettes en tête des communiqués officiels.
La mobilisation générale a été décrétée.
La guerre a été déclarée.
Il reste aux hommes à rejoindre leurs unités, mais ils ne font pas n’importe quoi.
En fait, le 5 août voit la promulgation de 3 lois importantes et différentes.
LES TROUPES SE RASSEMBLENT
La première qui contient 3 articles permet aux hommes d’Alsace-Lorraine de s’engager dans l’armée Française. « Les Alsaciens-Lorrains qui contractent pendant le cours de la guerre un engagement volontaire au titre d’un des régiments étrangers (autrement dit la Légion) recouvrent, sur leur demande et après signature de leur acte d’engagement, la nationalité Française. Le bénéfice des dispositions de l’article précédent est également applicable aux Alsaciens-Lorrains servant dans les régiments étrangers au moment de la déclaration de guerre qui en feront la demande. »...
Au début du mois d’août 1914, plusieurs milliers d’Alsaciens s’engagent volontairement dans l’armée Française. Des combats parfois fratricides ont lieu sur le front de l’Ouest et un certain nombre d’hommes refusent de monter en ligne face aux troupes Françaises... Malgré cette crise de conscience, l’Empire Allemand mobilise 380 000 Alsaciens-Mosellans dans les rangs de son armée entre 1914 et 1918...
L’autre loi du 5 août 1914 précise ce qu’il convient de faire, autrement dit l’affectation des effectifs par classe d’âge.
En théorie, et conformément aux lois précédentes (celles de 1873 à 1913), les jeunes hommes de 20 à 23 ans sont enrôlés dans les régiments d’active.
De 24 à 34 ans, ils rejoignent les régiments de réserve d’active.
De 35 à 41 ans, ils s’en vont gonfler les rangs des régiments territoriaux.
Enfin, les hommes de 42 à 47 ans composent les régiments de réserve de la territoriale et aussi les unités des gardes de voies de communication (GVC).
Mais cette loi du 5 août fait bien vite voler en éclats ce bel ordonnancement en précisant que
« les officiers, les gradés et les hommes de troupe de l’armée active, de la réserve de l’armée active, de l’armée territoriale ou de sa réserve, peuvent être employés indistinctement dans les corps de troupes ou services de l’une ou l’autre armée, au fur et à mesure des besoins qui viendront à se produire au cours d’une guerre ».
Après l’hécatombe des premiers mois de guerre, cette disposition prendra tout son sens et jouera à plein, la plupart des hommes se retrouvant au front, par roulement...
C’est aussi le 5 août qu’une autre disposition législative vient entériner la censure qui avait été décrétée le 2 août en même temps que l’état de siège. Cette censure réprime tout ce qui est « de nature à exercer une influence fâcheuse sur l’esprit de l’armée et des populations ». Autrement dit, cette censure revêt une forme autant politique et morale que militaire. Bien qu’elle ait été prolongée jusqu’après la fin de la guerre (octobre 1919), Clemenceau assouplira dans les faits cette disposition en ne conservant dans les faits que la censure militaire, ayant lui-même été victime, entre août 1914 et novembre 1917, de nombreuses interdictions gouvernementales de faire paraître son journal, « L’Homme libre », qu’il rebaptisera « L’Homme enchaîné ».
L’armée a utilisé, à partir de la Première Guerre Mondiale, cinq moyens différents pour contrôler l’information, en voici trois « traditionnels » :
  • la propagande
    – la censure de la presse et de l’information par les autorités militaires : par des lois comme celle du 5 août 1914, votée pour la durée de la guerre. Elle interdit de publier toutes informations et renseignements autres que ceux communiqués par le gouvernement sur les points essentiels de la défense nationale. Elle réprime le non-respect de la loi.
    – le concept de désinformation.

BILLET DE LOGEMENT
Voici le témoignage de Berthe Warnier, rescapée d'une famille de7 personnes: le père, instituteur, 49 ans, l’institutrice Mme Warnier, Berthe, 23 ans, Nelly , 17 ans, toutes deux institutrices aussi, Victor 18 ans et demi, commis à l’enregistrement, et Edgard, 16 ans et demi, élève instituteur à l’école normale de Verviers, et Andrée, 2 ans et demi...
En cette maudite journée du 5 août, ils sont plus de 1 000 soldats à camper au village. On sonne.
« Mère et mes deux frères vont ouvrir et les soldats leur demandent poliment de l’eau pour leurs chevaux. Nelly fait du café et ils en emplissent leur gourde. Victor, qui connaît, l’allemand, s’installe sur le seuil avec un lieutenant et cause tout l’après-midi avec les soldats, Edgard à leur demande, parcourt le village pour leur procurer des moutons qu’ils achètent.» S’inquiétant du retard d’Edgard, la mère s’adresse à un major.
Il répond : « Mais madame vous êtes folle, comment pouvez-vous vous inquiéter pour cela. Il va revenir votre fils, nous ne sommes pas des barbares ». Et de fait, il rentre un peu plus tard avec un grand sourire.
Lorsque la nuit tombe, un officier conseille à la famille d’aller se coucher, en affirmant :
« on ne vous dérangera plus ».
Mais soudain l’orage gronde et 6 officiers qui logent sur la place plantée de tilleuls entrent dans la maison. Sécurisant? Pas vraiment comme le précise la suite du récit.
En effet, vers 22h30, un fracas d’obus sème la panique chez les soldats qui enfoncent la porte à coups de crosse, brisent les portes et le mobilier, arrosent les meubles de benzine et y mettent le feu. Torches improvisées d’une main, baïonnettes de l’autre, ils font sortir la famille de la maison avec une brutalité inouïe et 100 mètres plus loin, séparant les parents, 3 soldats fusillent le père. « Nous avons continué à marcher serré l’un contre l’autre pour nous garantir des coups autant que possible, lorsque les soldats qui nous suivent se mettent à nous fusiller par-derrière, et tous nous nous écroulons sur la route », poursuit Berthe Warnier.
Nelly, Victor et le garde champêtre qui les accompagne sont frappés mortellement. Berthe se cache dans un fossé jusqu’à 3 heures du matin et trouve refuge chez un échevin.
PERQUISITION DANS UNE IMPRIMERIE
Edgard est retrouvé le matin, une balle dans la tête, les poings liés avec une telle force que des bourrelets noirs s’étaient formés dans les chairs. Ainsi, outre Berthe, sa mère et le bambin sont les seuls survivants de ce carnage effroyable. « Dans le village, écrit encore Berthe, 57 civils sont massacrés et 40 maisons brûlées vers le haut à partir de l’école...

L'ÉTAT DE SIÈGE - Saumur-Jadis

saumur-jadis.pagesperso-orange.fr/recit/ch42/r42d2siege.htm
Une nouvelle loi du 5 août 1914 renforce le dispositif de surveillance en interdisant .... La censure de la presse est mise en place le 10 août 1914 par Adolphe ...

Propagandes et rumeurs (1914-1918) — Cliotexte

La censure (5 août 1914). "Interdiction de ... Regrettons que l'arsenal des lois humaines n'ait pas prévu un châtiment proportionné à un tel crime. A peine ...










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