29
NOVEMBRE 1914
I)
Avec
la Société archéologique et l'association des écrivains publics
du Gers, 6e volet de la série retraçant les événements marquants
de la Première Guerre mondiale.
L'automne
est désormais bien installé dans le Gers et sur toute la France.
Les journées sont froides et les pluies intenses de ce début
novembre gênent la conduite des travaux des champs et retardent les
semailles. C'est désormais au coin de la cheminée que se lisent et
se rédigent les courriers aux soldats. De nombreuses familles
Gersoises portent déjà le deuil d'un fils, d'un père, d'un mari ou
d'un frère qui ne reviendra pas. Sur le front, les hommes mobilisés
passent également par les courriers pour s'enquérir de ceux qui
sont partis en même temps qu'eux et dont ils sont sans nouvelles. Le
froid, ici aussi, se fait plus mordant et les colis se remplissent de
chaussettes, écharpes et autres vêtements chauds réclamés par les
soldats qui, partis en plein été, n'ont pas envisagé de passer
l'hiver si loin de la maison. Peu à peu, la situation se stabilise
et, après la féroce bataille des Flandres, le risque d'invasion
Allemande est solidement endigué. Quelques affrontements émaillent
ce mois de novembre où chaque camp est occupé à s'organiser et à
se préparer pour la suite. Face à face, les deux armées creusent
le sol, s'enterrent dans des tranchées sans savoir qu'elles vont les
occuper pendant longtemps.
La
guerre de mouvement est désormais terminée, la guerre de position
peut commencer.
Les
tranchées ont généralement une profondeur de 3 mètres. Elles ne
sont jamais tracées en ligne droite mais en zigzag pour éviter les
tirs en enfilade et réduire les effets d'un obus tombant dans la
tranchée. Cela signifie qu'un soldat ne peut pas voir à plus de 9
mètres. Il faut environ 6h à 450 hommes pour construire une
tranchée de 250 mètres et elle nécessite un entretien constant
pour empêcher sa détérioration, du fait du climat ou des obus. Les
premières tranchées, simples et peu solides, se transforment peu à
peu en un réseau complexe pouvant résister à la fois aux
bombardements d'artillerie et aux assauts de l'infanterie. Ce réseau
est composé de 3 lignes parallèles reliées entre elles par des
tranchées de communication.
La
première ligne de tranchée est la plus exposée car c'est la
première que doit franchir l'ennemi, elle est donc bien pourvue en
postes de tir et ne possède que quelques abris sommaires.
Environ
70 mètres à l'arrière, la tranchée de seconde ligne sert de repli
en cas de bombardement de la première ligne ou de zone de
rassemblement lors d'une offensive. On y trouve des abris plus ou
moins profonds et des stations médicales.
La
troisième ligne de tranchée dite tranchée de réserve, est située
de 150 à 2 000 mètres de la première ligne. Cette ligne sert de
chemin de ravitaillement et de zone de stockage pour les munitions,
les provisions et le matériel. Les soldats peuvent également y
prendre un peu de repos. À l'arrière du système de tranchée, on
peut trouver un second réseau de tranchée partiellement préparé
prêt à être occupé en cas de retraite...
II)
Maurice
Faget, de Cassaigne, avait 37 ans au moment de l'entrée en guerre.
Mobilisé dès le 4 août 1914, il est incorporé au 129e Régiment
d'Infanterie Territoriale d'Agen et ne sera démobilisé qu'en
janvier 1919. Au travers de ses nombreuses lettres adressées à sa
famille et des quelques clichés réunis par son fils (*), il
témoigne de son quotidien de soldat. L'extrait suivant est daté du
29 novembre 1914 et nous donne quelques informations sur la vie dans
les tranchées :
«(…)
Nous passions les premiers jours de notre arrivée 3 jours aux
tranchées et 3 jours au repos. Maintenant, ce n'est plus régulier.
L'avant-dernière relève, nous y sommes restés 6 jours et la
dernière 5, suivant les besoins.
Là
nous passons un jour en 1ère, un jour en 2e et un jour en 3e ligne.
Il ne faut exagérer le danger nulle part. En 1re ligne, il faut
surtout de la surveillance la nuit, la sentinelle partout.
On
se trouve à moins de 300 mètres des boches mais personne ne se
montre. Si par hasard on aperçoit une silhouette qui souvent est un
arbre on lâche un ou deux coups de fusils pour faire voir qu'on
veille. Le jour, 2 ou 3 hommes seuls veillent, les autres se reposent
dans les abris qu'on installe le plus confortablement possible (…)
Quand on a assez dormi on pioche pour faire ou améliorer de nouveaux
couloirs faits pour pouvoir arriver dans la tranchée sans danger.
En
2e et 3e ligne, moins de surveillance puisque nous sommes gardés par
ceux qui sont devant nous, mais plus de travail comme corvées,
porter du bois, des piquets, des fils de fer, les vivres pour les
premières lignes. Tout cela en passant dans des couloirs assez
profonds, pour qu'on ne puisse nous voir. (…)
Ce
séjour n'est sûrement pas très intéressant mais maintenant on y
est fait et la plus grande préoccupation est d'éviter la corvée
pénible. Quant aux siffleuses balles et aux marmites (obus), mon
dieu, on n'y pense guère…»
*Henri
Faget, Lettres de mon père (1914-1918).
III)
Les
emplacements du 56e sont les mêmes que ceux de la veille.
À
Vignot : à 11 heures les 10e et 12e compagnies du 171e reçoivent
l’ordre de rejoindre les deux autres compagnies de leur bataillon
parties la veille aux carrières de la commanderie où elles sont à
la disposition du général commandant la 16e DI. À 17h, arrivée du
1er bataillon du 27e d’Infanterie qui vient prendre la place du 3e
Bataillon-du-171e. Pour la nuit, rien à signaler.
État
des pertes : à la 6e Cie le soldat Lefebvre de 2e Cl a été blessé
très gravement à la tête.
IV)
Le
journal « Le Temps » nous annonce la visite du président
de la République sur le front. « En quittant le grand quartier
général des armées, le président de la République, les
présidents du Sénat et de la Chambre, le président du Conseil se
sont rendus sur le front même des troupes. Ils ont visité les
bivouacs de plusieurs régiments, et lorsque la nuit est tombée,
c'est à la lueur des falots placés par les soldats sur leurs
faisceaux que les présidents ont parcouru les lignes.
Ils
ont été frappés de la bonne humeur et de l'admirable moral des
officiers et des hommes.
Au
cours de ces visites, le président a remis sur le terrain au général
de Langle de Cary le grand-cordon de la Légion d'honneur, et aux
généraux Sarrail et Ratier, les insignes de grand-officier. »
Sur
le plan militaire, le communiqué officiel nous indique qu’autour
de Fay, « nous tenons solidement les points que nous avons
occupés le 28. Dans la région de Soissons, canonnade intermittente
contre la ville. En Argonne, plusieurs attaques sur Bagatelle ont été
repoussées par les Français. En Woivre, l'ennemi a bombardé le
bois d'Apremont, mais sans aucun résultat. »
En
Belgique, les Allemands restent sur la défensive, la canonnade a été
faible et les Alliés progressent sur quelques points. On apprend
dans une dépêche de dernière heure publiée dans « Le
Temps » que : « L'empereur Guillaume II est à Anvers le 23
novembre. Il y est attendu de nouveau à l'hôtel Weber. L'empereur a
nommé le général von Hindenburg général feld marschall. »
En
Galicie, sur le front Proschovitz, Brzesko-Stare, Bochnia et
Wisnitch, les Russes remportent un succès décisif sur l’armée
Autrichienne.
En
Pologne, dans le combat de Lodz, la lutte toujours indécise
continue.
Dans
les Carpates, nos troupes attaquent des forces Autrichiennes
importantes.
Dans
la guerre avec la Turquie, on télégraphie de Mytilène que les
autorités de Smyrne ont saisi 9 locomotives et 300 wagons sur la
ligne de Smyrne à Aïdin, ainsi que 15 000 sacs d'orge appartenant à
la maison Anglaise Witthel et Co.
Pour
couvrir leurs lignes de communication entre El-Arisch et Deriat, les
Turco-Allemands ont distribué 2 000 fusils type Martini aux Bédouins
de la tribu des Roalla, célèbres par leur brigandage.
Une
dépêche du correspondant particulier du journal « Le Temps »
annonce que : « D'après des informations Allemandes
officielles les pertes éprouvées par les Allemands à Tsing-Tao
sont de 4 250 hommes, dont 600 blessés et 170 tués. »
Le
journal « Le Temps » publie un article du Nord Maritime
concernant Armentières et Lille.
Le
journal annonce qu'un avis vient d'être placardé à Armentières et
Hazebrouck, par les soins et sur l'ordre des autorités militaires
Anglaises qui protègent Armentières : « A partir du 27 du courant,
nul habitant d'Armentières évacué ou ayant quitté la ville, ne
pourra plus la réintégrer avant nouvel ordre.
Cette
mesure est prise en raison de la disette des approvisionnements qui
commence à se faire sentir, malgré l'exode de plus des cinq
sixièmes de la population. »
Le
même journal assure que Lille n'est plus bombardée depuis 8 jours,
mais que la ville est toujours occupée par les Allemands.
On
peut lire dans le journal « Le Temps » La réoccupation
d'Houplines :
«
Le sous-préfet d'Hazebrouck a informé le comité des réfugiés du
Nord qu'un train de ravitaillement s'est rendu de Bailleul à la
Chapelle-d'Armentières, et que les habitants d'Houplines ont
réintégré leur localité. Environ 200 réfugiés d'Houplines,
habitant Paris, sont retournés aussitôt chez eux. »
Dans
cette guerre tous les (mauvais) coups sont permis. Une dépêche du
correspondant du « Daily Telegraph » dans le nord de la
France, reprise en une du Figaro, relate l'acte de perfidie suivant :
«
l’Infâme traîtrise d'un Allemand : Récemment, à Dixmude, un
officier Allemand, porteur du drapeau blanc, demande à parlementer.
Confiant, le commandant Français J... s'approche de l'officier
Allemand qui, d'un coup de poignard, l'étend mort à ses pieds. Les
funérailles du commandant Français ont été célébrées vendredi
dernier à Dunkerque. »
V)
Courmelles
Ah !
les communiqués officiels ont bigrement raison : « Sur
l’Aisne rien à signaler. »
Car
ce ne sont pas choses à signaler ces fusillades de tranchée à
tranchée, ces canonnades de batterie à batterie, ces quelques obus
boches jetés sur Soissons.
Et
comme il faut pourtant combattre un ennemi, je profite de cette
accalmie prolongée pour vacciner le bataillon contre la fièvre
typhoïde. Notre bataillon n’est pas atteint : 5 ou 6 cas
depuis le commencement des hostilités. Mais le 1er bataillon, qui
cantonne à notre gauche, en est à son cent-vingtième cas.
VI)
Dans
la matinée les obus Allemands arrivent de nouveau sur le n°11. Ils
ciblent nos batteries.
A
8h30, les 100 volontaires spahis demandés par le général
Commandant le 33° corps partent de Bully pour Grand Servins sous le
commandement d’un lieutenant.
Les
spahis sont amenés dans les tranchées, y passent la journée, et
une partie de la nuit. Il s’agit de faire des prisonniers afin
d’obtenir des renseignements sur les effectifs ennemis que l’on
suppose avoir varié. L’opération est fixée pour 2h30
Il
fait nuit noire, pluie et grand vent. Une erreur de direction, en
partant des boyaux de communication, amène les spahis derrière une
tranchée Française. Le bruit produit par cette collision vite
étouffée, ne permet quand même plus de lancer un groupe aussi
nombreux.
Deux
spahis Mohammed Ould Boubeker (matricule 526) et Sebkaoui ben El
Adjan (matricule 1420) du régiment de marche sont envoyés en avant
des tranchées, Ils parviennent à traverser les lignes allemandes,
rampant sur 800 m, sans donner l’éveil, arrivent à
Ablain-Saint-Nazaire près d’une maison de belle apparence, passent
les douves pleines d’eau, entrent dans la maison qu’ils trouvent
vide. Le jour pointe... Ils voient arriver une femme, précédant un
groupe de soldats Allemands. Cachés derrière la porte, ils attirent
vivement la femme derrière eux, tuent à coups de carabine les deux
premiers ennemis, continuent à tirer en poussant des cris : « A
nous les Français, chargez », et mettent la bande en fuite.
Ils parviennent ensuite, sous un feu violent, à rentrer dans les
lignes Françaises en amenant la femme qui donne des renseignements
précis et nombreux sur les forces Allemandes.
Globalement
ce mois de novembre est relativement calme dans notre secteur hormis
les bombardements réguliers des artilleries et les fusillades qui
sont plus fréquentes sur les fronts de Vermelles – Loos et
de la Fosse Calonne.
Les
fatigues des combats d’octobre se font cruellement ressentir, les
troupes connaissent un repos tout à fait relatif occupées qu’elles
sont à renforcer leurs lignes en prévision d’un hiver qui
s’annonce rigoureux.
VII)
Maurras
et Pujo* ont passé 3 jours à Londres avec le duc d'Orléans. Ils
publient aujourd'hui dans L'Action Française les déclarations du
Prince. C'est une page émouvante et de haute allure qui a produit
grand effet, surtout aux passages où le descendant des rois qui ont
fait la France raconte ses efforts infructueux pour servir dans les
troupes Françaises, Belges, Anglaises et même Indiennes.
L'enrôlement incognito (selon le précédent du duc de Chartres
s'engageant en 1870 sous le nom de Robert le Fort) ne lui a même pas
été possible en raison des filatures de police. Il est dénoncé
dès qu'il se présente dans un bureau de recrutement...
Le
Prince recommande à tous ses partisans de servir la France comme
lui-même eût désiré la servir.
VIII)
Vu,
ces jours-ci, plusieurs enterrements que ce temps d'état de siège
et de bombardement rend encore infiniment plus tristes que
d’habitude. Quelques rares assistants suivent les convois, pour
l'un, 3 hommes et 2 femmes, pour un autre, 2 hommes et 4 femmes.
IX)
Paul
Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Nuit
très calme.
Écrit
à Mgr de Nevers. Assisté à la grand'messe. Canons Français.
Visite aux Sœurs de l'Espérance au sujet des Fourneaux Économiques.
Cardinal
Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de
l’Académie Nationale de Reims
Dimanche.
Beau temps pour la saison, à 7h15 du matin, moi et Lucie, nous
partons faire un tour jusqu'à chez nous pour y chercher quelques
effets, rentrés à 10h15 sans encombre.
A
11h30, le canon chez nous qui a commencé à 9h30 est sans doute la
cause d'une riposte des Allemands qui ont envoyé un certain nombre
d'obus sur la ville.
Je
vais sur le Petit Parisien de ce jour 28 novembre, un nommé
Lallemand Letellier de Séry, Louis Dubois de Pargny Ressor, Constant
de Sault-les-Rethel ainsi que d'autres Ardennais sont prisonniers à
Lossen près de Berlin.
Il
y a de Sévan, Floing, Chilly, Bouvellement, Séchebal, Suzannes.
L'après-midi
il fait un beau soleil et à 14h30, quand j'écris ces lignes, au
moins, ça parait assez calme mais vers 15h ça recommence,
canonnades et obus jusqu'à la nuit qui est assez calme, on a pu
dormir tranquille. Remarqué que toute la journée et toute la nuit
il y a une très forte canonnade vers le nord, sans doute à
Berry-au-Bac
X)
JMO/Rgt
:
« Matin :
exercice de détails, éclaireur, patrouilleur, discipline.
Soir :
exercice de bataillon, progression de l’infanterie aux grandes
distances, conquête successive des points d’appui et leur mise en
état de défense, liaison des unités et des armes. Exercice
pratique de destruction de réseaux de fils de fer et d’assaut de
tranchées. »
JMO/SS
:
« Exercices
de service en campagne, instruction militaire et entraînement.
Indisponibles
= 45
A
partir d’aujourd’hui les évacuations seront faites sur l’hôpital
d’évacuation qui fonctionne à Rambervillers et au moyen des
voitures automobiles de la 17e »
XI)
J’ai
fait mes études au collège de Saint Germain-en-Lay où je suis né
en 1892, études plutôt plates, puisque nous n’étions que 4 en
classe de grec et 10 en latin, ce qui enlève beaucoup de valeur à
ma place de premier. Néanmoins j’ai obtenu sans conteste le prix
de Maurice Berteaux, notre député, (pour qui mon père ne vote pas)
décerné à l’élève qui a fait, de la troisième à la
rhétorique, le plus de progrès : crétin en troisième, je
commençai à émerger du troupeau en seconde et eus en première
tous les prix importants.
Néanmoins
je n’ai été reçu au bac latin-grec qu’en octobre et d’emblée
à la philo avec mention « assez bien », ce qui n’était
pas tonitruant.
Muni
de ces deux bacs, ma carrière ne m’a pas posé de problème.
J’étais nul en maths et en langues vivantes, bon en composition
française, en grec et en latin. Pas d’hésitation : je
n’avais que le Droit ou bien la Médecine.
J’optai
pour celle-ci, attiré vers elle par un de nos vieux voisins, le Dr
Coupard qui m’a pris en affection dès mon jeune âge et surtout
par l’exemple de notre médecin de famille, le Dr Grandhomme de qui
j’admirais la redingote, le haut de forme et la cravate blanche
quand il venait nous palper et nous ausculter. Lorsqu’il arrivait,
son premier regard admiratif était toujours pour nos tableaux et nos
gravures anciennes... Mon père me disait : « C’est
un brave homme, mais il a tort : Quand tu seras médecin, tu
devras d’abord t’intéresser au malade pour qui toute une famille
inquiète t’appelle.
Mon
ambition se bornait à devenir, comme lui, Interne des Hôpitaux de
Paris et à faire ma vie à Saint Germain. J'ai été nommé Externe
à mon premier Concours en 1912 et en 1913 Interne provisoire au
second. A ce titre, j’ai choisi un service de chirurgie à
l’Hôpital Tenon, qui me dégoûta pour toujours du bistouri et me
fit saluer avec joie la mobilisation de 1914.
Sursitaire
en raison de mes études, je n’ai fait encore aucun service
militaire.
Appelé
le 4 août au 36e d’infanterie à Caen, où je pars sans chapeau,
sans pardessus, avec seulement mes grosses chaussures de montagne....
Je
croyais candidement que j’allais être envoyé au Front au bout
d’un moi ou deux, quand, entraîné à la marche j'aurais appris à
tirer.
Dans
cette perspective, je n’ai pas avoué que je suis engagé dans la
Médecine, et encore moins Interne provisoire, titulaire de 12
inscriptions.
Je
m’efforce donc, avant de sauver des vies humaines, de progresser
dans l’art de tuer pour récupérer sur l’Allemand
l’Alsace-Lorraine... Telle est, je l’avoue humblement, mon but
immédiat.
Les
corvées, les vexations les plus diverses m'ont prises pour cible, de
la part surtout d’un caporal « au réveil triomphant »
(sic) sans doute parce qu’il m’a senti plus instruit que lui.
Au
début et longtemps j’ai tout encaissé sans rien dire, soutenu par
la pensée de l’Alsace-Lorraine.
Et
puis peu à peu, ma résistance s’est avouée vaincue. Je
n’entrevoie plus comme prochain le départ pour le Front tant
attendu. Un soir froid et pluvieux d’octobre, je suis rentré à la
cantine. Devant un vin chaud, j'ai pris ma plume pour signaler au
Médecin Directeur du Service de Santé de la troisième région à
Rouen, mes titres civils médicaux.
Dans
les deux jours suivants, j'ai reçu ma nomination au grade de
Médecin-auxiliaire et mon plaisir est immense quand j’arrive à la
caserne un matin, le chef orné d’un beau képi de velours rouge à
galon d’adjudant, le même reproduit aux manches de ma capote.
Le
caporal ébahi, veut me féliciter, me serrer la main, ce que je
refuse avec hauteur, le forçant à reculer, à me saluer
réglementairement, et lui rendant un petit salut protecteur, à la
grande joie des camarades qui rigolent. Telle est ma petite
vengeance, petite mais assez bien orchestrée.
Dès
que promu, je suis affecté à l’Hôpital Complémentaire du Lycée
Malherbe à Caen qui a fort besoin d’un médecin un peu ferré en
anatomie.
Car
les blessés graves qui y sont admis après traitement dans d’autres
formations doivent assez vite passer au Conseil de Réforme... Il
importe donc de préciser leur diagnostic d’où découlent leur
degré d’invalidité provisoire ou définitive et leur taux
d’indemnisation.
Le
Médecin-chef, praticien dans le civil, qui ne doit ses 3 galons
qu’aux périodes militaires qu’il a régulièrement effectuées,
ne posséde que de lointains souvenirs d’anatomie... Aussi est-il
aux anges d’accueillir un Interne, même provisoire, de Paris, à
qui il pourra donner sa confiance et qui l’aidera beaucoup.
Il
répand la nouvelle de mon arrivée avec un enthousiasme sincère et
ma position morale dans la formation est d’emblée excellente...
Une jeune fille, infirmière de la Croix Rouge, en est d’autant
plus ravie qu’elle en fait part à sa famille.
La
petite infirmière demande parfois le conseil de l’Interne. Ils
discutent. L’une préfère l’eau oxygénée ou l’alcool,
l’autre préconise plutôt d’espacer les soins, de laisser la
plaie exposée à la lumière et au soleil, soupçonnant les
antiseptiques de retarder la guérison, ce qui d’ailleurs, vu de
haut, n’est pas un mal puisque la remontée au casse-pipe s’en
trouve reculée.
André
Jacquelin
Lettre
d’Elisabeth Carré de Malberg à son père Raymond, 29 novembre
1914
Caen,
29 Novembre 1914
Mon
bien cher Papa,
Je
profite de cette fin d’après-midi de dimanche où j’ai été
libre pour t’écrire quelques mots. Comme tu l’as prévu, depuis
que j’ai repris mes occupations d’infirmière, mes lettres
deviennent rares….. cela me peine vraiment beaucoup de ne pas
réussir à t’écrire plus souvent, mais le soir, lorsque je rentre
de l’ambulance, il est souvent près de 19h, après le dîner j’ai
juste la force de lire un journal et je vais me coucher, sans tarder,
je t’assure ! Ta bonne lettre m’a fait bien plaisir, elle
est parvenue assez rapidement (en 4 jours) et hier j’ai reçu aussi
le manuel d’infirmière, dont je te remercie beaucoup de m’avoir
fait l’envoi. Merci aussi pour les cartes tristement intéressantes…
Nous
devons bien t’ennuyer en te faisant faire ainsi des expéditions
successives, heureusement que tu as le temps de t’en occuper, tu
n’as même que trop de temps libre, je suis sûre, malgré tes
cours. Nous attendons maintenant avec impatience le récit de ton
expédition à Vitrimont, mais cela ne pourra être qu’un bien
triste récit !
Je
nourris toujours l’espoir d’un retour à Nancy, possible pour
nous après Noël… Bien qu’il n’y ait pas de victoires
décisives encore, en France, il me semble que la situation
s’améliore tout de même. Arras et Reims sont toujours bombardés,
c’est entendu, mais à Dixmude et à Ypres, où les Allemands
ont tenté un effort considérable et où ils avaient des forces très
supérieures à celles des alliés, on leur a admirablement résisté.
Voilà
la victoire des Russes qui s’affirme, je crois que malgré leur
désir furieux de passer à Nancy et d’y faire une entrée
triomphale, les Allemands n’auront bientôt plus guère le moyen de
tenter un coup de main de ce côté.
Qu’est-ce
au juste que le bombardement d’Armanville dont on parlait dans un
des derniers communiqués ?
Quelle
valeur a cette nouvelle ?
Ici,
le bruit court aussi que 2 forts de Metz sont tombés ! le Saint
Blaise et le fort « Kronprinz », on dit aussi que
Montigny, près de Metz est en flammes ! Maman y croit dur comme
fer et moi je pense que cela vaut la nouvelle de l’arrivée des
Russes en France, dont on nous farcit les oreilles au mois de
septembre…
Enfin
quand donc pourrons-donc regagner Nancy ?
Malgré
mon travail si utile et très intéressant ici, j’ai le temps long…
moi si peu Nancéenne ( ?) pourtant, je finis par croire
que le jour où je pourrai rentrer à Nancy sera un jour de bonheur
incomparable !
Mais
sois tranquille, je suis raisonnable, je suis même certainement la
plus raisonnable ici, sous ce rapport… Je sais d’ailleurs que
lorsque cela sera possible, tu ne tarderas pas un instant à nous
faire rentrer, car la malgré la présence de Tatane, les bonnes
virées chez elle et les dîners de Célestine, ta vie doit être
bien triste et la maison au rond-point doit te sembler bien
lugubrement vide !
Maman
et Bûbi t’ont déjà conté notre promenade à Bayeux, promenade
rapide, mais très agréable. Bûbi et moi nous sommes allés voir la
tapisserie de la reine Mathilde qui m’a passionnée…
La cathédrale aussi est belle mais je n’ai pas pu en jouir, je pense trop à la halle d’Ypres et tant de chef-d’œuvres de France et de Belgique qui sont massacrés à tout jamais et que nous ne reverrons plus ! Il leur reste encore Bruges à démolir, pour que le travail soit complet !...
Il
a fait très froid, ici aussi, la semaine dernière, malheureusement
nous n’avons pas de thermomètre maxima et je ne saurais te dire
jusqu’à combien la température est descendue. Par ce froid notre
chauffage est plutôt médiocre, aussi je souhaite que cela ne
recommence pas. Rassure-toi la chambre de Bûbi est bien tempérée
par la cheminée de la salle à manger qui y passe et, c’est ma
chambre à moi qui est de beaucoup la plus glaciale, aussi j’y
allume la lampe à pétrole chaque soir.
9
h du soir Maman t’a-t-elle déjà écrit que j’ai aussi un
Alsacien parmi mes blessés ? J’en ai eu une vraie émotion
lorsqu’on me l’a amené, surtout que je sers d’interprète au
major et l’entends parler le plus pur alsacien qui soit ! Le
brave homme comprend le français, mais ne sait pas dire 2 mots…
Il
est de Bischheim et a fait son apprentissage de menuisier à Schirmeck
! Il a fait son service militaire en Allemagne et encore une période
en mars dernier, mais étant établi depuis 2 ans à Belfort, il m’a
dit que le jour de la mobilisation, il n’a pas hésité à
s’engager dans l’armée Française, et bien que ses 2 frères
combattent de l’autre côté ! Tu imagines que je m’occupe
de lui tout spécialement. Nous lui avons fourni des jambons, un
tricot et quelques douceurs. Son état n’est pas grave...
Quand
au milieu des gens de Rodez et de Montpellier j’aperçois sa bonne
figure (un vrai type du pays) cela me fait vraiment plaisir. Il y a
aussi un soldat du 26e qui est des quatre-vents, mais il est beaucoup
plus froid.
Il
y a 470 blessés en ce moment au lycée : Toujours des
méridionaux, des Algériens, des Belges et quelques hommes du 20e et
du 21e corps, du dernier arrivage et venant d’Ypres.
Nous
avons un nouveau major auxiliaire, un interne de Paris très gentil
et très capable. Il a la passion des Alpes, aussi entre 2
pansements, nous évoquons souvent ensemble le souvenir des
splendeurs de Chamonix ou de Zermatt !
Figure-toi
que le jour de ma fête les 3 infirmiers de ma salle de pansements
sont venus m’offrir un immense bouquet de fleurs. J’ai trouvé
cela très aimable de leur part et surtout cela me prouve que ma
présence ne leur est pas trop désagréable.
Ce
jour-là, j’ai eu la chance aussi d’avoir Madeleine Barbé à
déjeuner, ce qui m’a fait un grand plaisir ! elle est
toujours aussi charmante et bien amusante. Tu vois que ma fête n’a
pas été trop triste !
Je
croyais n’avoir le temps de t’écrire que quelques mots et voilà
ma lettre qui s’est tout de même faite longue. Je te quitte
pourtant, mon cher Papa, pour aller me coucher… et maman réclame
pour en faire autant…
Ah !
nous ne faisons plus de longues soirées ! Je t’embrasse bien
tendrement mon cher Papa, comme je t’aime.
Lily
Bons
baisers à Tatane que je remercie de sa longue lettre.
Dimanche
29 novembre 1914: les civils invités à quitter ...
www.il-y-a-100-ans.fr/.../dimanche-29-novembre-1914-les-civils-invites-a-...
Il
y a 4 jours - Politique, société, culture, sport, insolite,
qu'elles soient nationales, internationale ou régionales retrouvez
ce qui faisait l'actu dans nos ...
datée
du 29 novembre 1914 - Cadeauretro.com
www.cadeauretro.com/ctrle.php?jour=29&mois=11...1914...
Inventaire
des journaux français disponibles chez cadeauretro pour la date du
29 novembre 1914. Tous les journaux que nous vous proposons sont ...
André
Jacquelin, Médecin-auxiliaire - les blogs France Culture
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Lettre
d'Elisabeth Carré de Malberg à son père Raymond, 29 novembre 1914.
Nous avons un nouveau major auxiliaire, un interne de Paris très
gentil et très ...
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