mardi 9 décembre 2014

LA GRANDE GUERRE AU JOUR LE JOUR LE 29 NOVEMBRE 1914

29 NOVEMBRE 1914


I)
Avec la Société archéologique et l'association des écrivains publics du Gers, 6e volet de la série retraçant les événements marquants de la Première Guerre mondiale.
L'automne est désormais bien installé dans le Gers et sur toute la France. Les journées sont froides et les pluies intenses de ce début novembre gênent la conduite des travaux des champs et retardent les semailles. C'est désormais au coin de la cheminée que se lisent et se rédigent les courriers aux soldats. De nombreuses familles Gersoises portent déjà le deuil d'un fils, d'un père, d'un mari ou d'un frère qui ne reviendra pas. Sur le front, les hommes mobilisés passent également par les courriers pour s'enquérir de ceux qui sont partis en même temps qu'eux et dont ils sont sans nouvelles. Le froid, ici aussi, se fait plus mordant et les colis se remplissent de chaussettes, écharpes et autres vêtements chauds réclamés par les soldats qui, partis en plein été, n'ont pas envisagé de passer l'hiver si loin de la maison. Peu à peu, la situation se stabilise et, après la féroce bataille des Flandres, le risque d'invasion Allemande est solidement endigué. Quelques affrontements émaillent ce mois de novembre où chaque camp est occupé à s'organiser et à se préparer pour la suite. Face à face, les deux armées creusent le sol, s'enterrent dans des tranchées sans savoir qu'elles vont les occuper pendant longtemps.
La guerre de mouvement est désormais terminée, la guerre de position peut commencer.

Les tranchées ont généralement une profondeur de 3 mètres. Elles ne sont jamais tracées en ligne droite mais en zigzag pour éviter les tirs en enfilade et réduire les effets d'un obus tombant dans la tranchée. Cela signifie qu'un soldat ne peut pas voir à plus de 9 mètres. Il faut environ 6h à 450 hommes pour construire une tranchée de 250 mètres et elle nécessite un entretien constant pour empêcher sa détérioration, du fait du climat ou des obus. Les premières tranchées, simples et peu solides, se transforment peu à peu en un réseau complexe pouvant résister à la fois aux bombardements d'artillerie et aux assauts de l'infanterie. Ce réseau est composé de 3 lignes parallèles reliées entre elles par des tranchées de communication.
La première ligne de tranchée est la plus exposée car c'est la première que doit franchir l'ennemi, elle est donc bien pourvue en postes de tir et ne possède que quelques abris sommaires.
Environ 70 mètres à l'arrière, la tranchée de seconde ligne sert de repli en cas de bombardement de la première ligne ou de zone de rassemblement lors d'une offensive. On y trouve des abris plus ou moins profonds et des stations médicales.
La troisième ligne de tranchée dite tranchée de réserve, est située de 150 à 2 000 mètres de la première ligne. Cette ligne sert de chemin de ravitaillement et de zone de stockage pour les munitions, les provisions et le matériel. Les soldats peuvent également y prendre un peu de repos. À l'arrière du système de tranchée, on peut trouver un second réseau de tranchée partiellement préparé prêt à être occupé en cas de retraite...

II)
Maurice Faget, de Cassaigne, avait 37 ans au moment de l'entrée en guerre. Mobilisé dès le 4 août 1914, il est incorporé au 129e Régiment d'Infanterie Territoriale d'Agen et ne sera démobilisé qu'en janvier 1919. Au travers de ses nombreuses lettres adressées à sa famille et des quelques clichés réunis par son fils (*), il témoigne de son quotidien de soldat. L'extrait suivant est daté du 29 novembre 1914 et nous donne quelques informations sur la vie dans les tranchées :
«(…) Nous passions les premiers jours de notre arrivée 3 jours aux tranchées et 3 jours au repos. Maintenant, ce n'est plus régulier. L'avant-dernière relève, nous y sommes restés 6 jours et la dernière 5, suivant les besoins.
Là nous passons un jour en 1ère, un jour en 2e et un jour en 3e ligne. Il ne faut exagérer le danger nulle part. En 1re ligne, il faut surtout de la surveillance la nuit, la sentinelle partout.
On se trouve à moins de 300 mètres des boches mais personne ne se montre. Si par hasard on aperçoit une silhouette qui souvent est un arbre on lâche un ou deux coups de fusils pour faire voir qu'on veille. Le jour, 2 ou 3 hommes seuls veillent, les autres se reposent dans les abris qu'on installe le plus confortablement possible (…) Quand on a assez dormi on pioche pour faire ou améliorer de nouveaux couloirs faits pour pouvoir arriver dans la tranchée sans danger.
En 2e et 3e ligne, moins de surveillance puisque nous sommes gardés par ceux qui sont devant nous, mais plus de travail comme corvées, porter du bois, des piquets, des fils de fer, les vivres pour les premières lignes. Tout cela en passant dans des couloirs assez profonds, pour qu'on ne puisse nous voir. (…)
Ce séjour n'est sûrement pas très intéressant mais maintenant on y est fait et la plus grande préoccupation est d'éviter la corvée pénible. Quant aux siffleuses balles et aux marmites (obus), mon dieu, on n'y pense guère…»
*Henri Faget, Lettres de mon père (1914-1918).

III)
Les emplacements du 56e sont les mêmes que ceux de la veille.
À Vignot : à 11 heures les 10e et 12e compagnies du 171e reçoivent l’ordre de rejoindre les deux autres compagnies de leur bataillon parties la veille aux carrières de la commanderie où elles sont à la disposition du général commandant la 16e DI. À 17h, arrivée du 1er bataillon du 27e d’Infanterie qui vient prendre la place du 3e Bataillon-du-171e. Pour la nuit, rien à signaler.
État des pertes : à la 6e Cie le soldat Lefebvre de 2e Cl a été blessé très gravement à la tête.

IV)
Le journal « Le Temps » nous annonce la visite du président de la République sur le front. « En quittant le grand quartier général des armées, le président de la République, les présidents du Sénat et de la Chambre, le président du Conseil se sont rendus sur le front même des troupes. Ils ont visité les bivouacs de plusieurs régiments, et lorsque la nuit est tombée, c'est à la lueur des falots placés par les soldats sur leurs faisceaux que les présidents ont parcouru les lignes.
Ils ont été frappés de la bonne humeur et de l'admirable moral des officiers et des hommes.
Au cours de ces visites, le président a remis sur le terrain au général de Langle de Cary le grand-cordon de la Légion d'honneur, et aux généraux Sarrail et Ratier, les insignes de grand-officier. »

Sur le plan militaire, le communiqué officiel nous indique qu’autour de Fay, « nous tenons solidement les points que nous avons occupés le 28. Dans la région de Soissons, canonnade intermittente contre la ville. En Argonne, plusieurs attaques sur Bagatelle ont été repoussées par les Français. En Woivre, l'ennemi a bombardé le bois d'Apremont, mais sans aucun résultat. »

En Belgique, les Allemands restent sur la défensive, la canonnade a été faible et les Alliés progressent sur quelques points. On apprend dans une dépêche de dernière heure publiée dans « Le Temps » que : « L'empereur Guillaume II est à Anvers le 23 novembre. Il y est attendu de nouveau à l'hôtel Weber. L'empereur a nommé le général von Hindenburg général feld marschall. »

En Galicie, sur le front Proschovitz, Brzesko-Stare, Bochnia et Wisnitch, les Russes remportent un succès décisif sur l’armée Autrichienne.
En Pologne, dans le combat de Lodz, la lutte toujours indécise continue.
Dans les Carpates, nos troupes attaquent des forces Autrichiennes importantes.
Dans la guerre avec la Turquie, on télégraphie de Mytilène que les autorités de Smyrne ont saisi 9 locomotives et 300 wagons sur la ligne de Smyrne à Aïdin, ainsi que 15 000 sacs d'orge appartenant à la maison Anglaise Witthel et Co.

Pour couvrir leurs lignes de communication entre El-Arisch et Deriat, les Turco-Allemands ont distribué 2 000 fusils type Martini aux Bédouins de la tribu des Roalla, célèbres par leur brigandage.
Une dépêche du correspondant particulier du journal « Le Temps » annonce que : « D'après des informations Allemandes officielles les pertes éprouvées par les Allemands à Tsing-Tao sont de 4 250 hommes, dont 600 blessés et 170 tués. »

Le journal « Le Temps » publie un article du Nord Maritime concernant Armentières et Lille.
Le journal annonce qu'un avis vient d'être placardé à Armentières et Hazebrouck, par les soins et sur l'ordre des autorités militaires Anglaises qui protègent Armentières : « A partir du 27 du courant, nul habitant d'Armentières évacué ou ayant quitté la ville, ne pourra plus la réintégrer avant nouvel ordre.
Cette mesure est prise en raison de la disette des approvisionnements qui commence à se faire sentir, malgré l'exode de plus des cinq sixièmes de la population. »
Le même journal assure que Lille n'est plus bombardée depuis 8 jours, mais que la ville est toujours occupée par les Allemands.
On peut lire dans le journal « Le Temps » La réoccupation d'Houplines :
« Le sous-préfet d'Hazebrouck a informé le comité des réfugiés du Nord qu'un train de ravitaillement s'est rendu de Bailleul à la Chapelle-d'Armentières, et que les habitants d'Houplines ont réintégré leur localité. Environ 200 réfugiés d'Houplines, habitant Paris, sont retournés aussitôt chez eux. »

Dans cette guerre tous les (mauvais) coups sont permis. Une dépêche du correspondant du « Daily Telegraph » dans le nord de la France, reprise en une du Figaro, relate l'acte de perfidie suivant :
« l’Infâme traîtrise d'un Allemand : Récemment, à Dixmude, un officier Allemand, porteur du drapeau blanc, demande à parlementer. Confiant, le commandant Français J... s'approche de l'officier Allemand qui, d'un coup de poignard, l'étend mort à ses pieds. Les funérailles du commandant Français ont été célébrées vendredi dernier à Dunkerque. »

V)
Courmelles
Ah ! les communiqués officiels ont bigrement raison : « Sur l’Aisne rien à signaler. »
Car ce ne sont pas choses à signaler ces fusillades de tranchée à tranchée, ces canonnades de batterie à batterie, ces quelques obus boches jetés sur Soissons.
Et comme il faut pourtant combattre un ennemi, je profite de cette accalmie prolongée pour vacciner le bataillon contre la fièvre typhoïde. Notre bataillon n’est pas atteint : 5 ou 6 cas depuis le commencement des hostilités. Mais le 1er bataillon, qui cantonne à notre gauche, en est à son cent-vingtième cas.

VI)
Dans la matinée les obus Allemands arrivent de nouveau sur le n°11. Ils ciblent nos batteries.
A 8h30, les 100 volontaires spahis demandés par le général Commandant le 33° corps partent de Bully pour Grand Servins sous le commandement d’un lieutenant.
Les spahis sont amenés dans les tranchées, y passent la journée, et une partie de la nuit. Il s’agit de faire des prisonniers afin d’obtenir des renseignements sur les effectifs ennemis que l’on suppose avoir varié. L’opération est fixée pour 2h30
Il fait nuit noire, pluie et grand vent. Une erreur de direction, en partant des boyaux de communication, amène les spahis derrière une tranchée Française. Le bruit produit par cette collision vite étouffée, ne permet quand même plus de lancer un groupe aussi nombreux.

Deux spahis Mohammed Ould Boubeker (matricule 526) et Sebkaoui ben El Adjan (matricule 1420) du régiment de marche sont envoyés en avant des tranchées, Ils parviennent à traverser les lignes allemandes, rampant sur 800 m, sans donner l’éveil, arrivent à Ablain-Saint-Nazaire près d’une maison de belle apparence, passent les douves pleines d’eau, entrent dans la maison qu’ils trouvent vide. Le jour pointe... Ils voient arriver une femme, précédant un groupe de soldats Allemands. Cachés derrière la porte, ils attirent vivement la femme derrière eux, tuent à coups de carabine les deux premiers ennemis, continuent à tirer en poussant des cris : « A nous les Français, chargez », et mettent la bande en fuite. Ils parviennent ensuite, sous un feu violent, à rentrer dans les lignes Françaises en amenant la femme qui donne des renseignements précis et nombreux sur les forces Allemandes.

 Globalement ce mois de novembre est relativement calme dans notre secteur hormis les bombardements réguliers des artilleries et les fusillades qui sont  plus fréquentes sur les fronts de Vermelles – Loos et de la Fosse Calonne.
 Les fatigues des combats d’octobre se font cruellement ressentir, les troupes connaissent un repos tout à fait relatif occupées qu’elles sont à renforcer leurs lignes en prévision d’un hiver qui s’annonce rigoureux.

VII)
Maurras et Pujo* ont passé 3 jours à Londres avec le duc d'Orléans. Ils publient aujourd'hui dans L'Action Française les déclarations du Prince. C'est une page émouvante et de haute allure qui a produit grand effet, surtout aux passages où le descendant des rois qui ont fait la France raconte ses efforts infructueux pour servir dans les troupes Françaises, Belges, Anglaises et même Indiennes. L'enrôlement incognito (selon le précédent du duc de Chartres s'engageant en 1870 sous le nom de Robert le Fort) ne lui a même pas été possible en raison des filatures de police. Il est dénoncé dès qu'il se présente dans un bureau de recrutement...
Le Prince recommande à tous ses partisans de servir la France comme lui-même eût désiré la servir. 

VIII)
Vu, ces jours-ci, plusieurs enterrements que ce temps d'état de siège et de bombardement rend encore infiniment plus tristes que d’habitude. Quelques rares assistants suivent les convois, pour l'un, 3 hommes et 2 femmes, pour un autre, 2 hommes et 4 femmes.

IX)
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Nuit très calme.
Écrit à Mgr de Nevers. Assisté à la grand'messe. Canons Français. Visite aux Sœurs de l'Espérance au sujet des Fourneaux Économiques.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims
Dimanche. Beau temps pour la saison, à 7h15 du matin, moi et Lucie, nous partons faire un tour jusqu'à chez nous pour y chercher quelques effets, rentrés à 10h15 sans encombre.
A 11h30, le canon chez nous qui a commencé à 9h30 est sans doute la cause d'une riposte des Allemands qui ont envoyé un certain nombre d'obus sur la ville.
Je vais sur le Petit Parisien de ce jour 28 novembre, un nommé Lallemand Letellier de Séry, Louis Dubois de Pargny Ressor, Constant de Sault-les-Rethel ainsi que d'autres Ardennais sont prisonniers à Lossen près de Berlin.
Il y a de Sévan, Floing, Chilly, Bouvellement, Séchebal, Suzannes.
L'après-midi il fait un beau soleil et à 14h30, quand j'écris ces lignes, au moins, ça parait assez calme mais vers 15h ça recommence, canonnades et obus jusqu'à la nuit qui est assez calme, on a pu dormir tranquille. Remarqué que toute la journée et toute la nuit il y a une très forte canonnade vers le nord, sans doute à Berry-au-Bac

X)
JMO/Rgt :
« Matin : exercice de détails, éclaireur, patrouilleur, discipline.
Soir : exercice de bataillon, progression de l’infanterie aux grandes distances, conquête successive des points d’appui et leur mise en état de défense, liaison des unités et des armes. Exercice pratique de destruction de réseaux de fils de fer et d’assaut de tranchées. »

JMO/SS :
« Exercices de service en campagne, instruction militaire et entraînement.
Indisponibles = 45
A partir d’aujourd’hui les évacuations seront faites sur l’hôpital d’évacuation qui fonctionne à Rambervillers et au moyen des voitures automobiles de la 17e »

XI)
J’ai fait mes études au collège de Saint Germain-en-Lay où je suis né en 1892, études plutôt plates, puisque nous n’étions que 4 en classe de grec et 10 en latin, ce qui enlève beaucoup de valeur à ma place de premier. Néanmoins j’ai obtenu sans conteste le prix de Maurice Berteaux, notre député, (pour qui mon père ne vote pas) décerné à l’élève qui a fait, de la troisième à la rhétorique, le plus de progrès : crétin en troisième, je commençai à émerger du troupeau en seconde et eus en première tous les prix importants.
Néanmoins je n’ai été reçu au bac latin-grec qu’en octobre et d’emblée à la philo avec mention « assez bien », ce qui n’était pas tonitruant.

Muni de ces deux bacs, ma carrière ne m’a pas posé de problème. J’étais nul en maths et en langues vivantes, bon en composition française, en grec et en latin. Pas d’hésitation : je n’avais que le Droit ou bien la Médecine.
J’optai pour celle-ci, attiré vers elle par un de nos vieux voisins, le Dr Coupard qui m’a pris en affection dès mon jeune âge et surtout par l’exemple de notre médecin de famille, le Dr Grandhomme de qui j’admirais la redingote, le haut de forme et la cravate blanche quand il venait nous palper et nous ausculter. Lorsqu’il arrivait, son premier regard admiratif était toujours pour nos tableaux et nos gravures anciennes... Mon père me disait : « C’est un brave homme, mais il a tort : Quand tu seras médecin, tu devras d’abord t’intéresser au malade pour qui toute une famille inquiète t’appelle.

Mon ambition se bornait à devenir, comme lui, Interne des Hôpitaux de Paris et à faire ma vie à Saint Germain. J'ai été nommé Externe à mon premier Concours en 1912 et en 1913 Interne provisoire au second. A ce titre, j’ai choisi un service de chirurgie à l’Hôpital Tenon, qui me dégoûta pour toujours du bistouri et me fit saluer avec joie la mobilisation de 1914.
Sursitaire en raison de mes études, je n’ai fait encore aucun service militaire.
Appelé le 4 août au 36e d’infanterie à Caen, où je pars sans chapeau, sans pardessus, avec seulement mes grosses chaussures de montagne....
Je croyais candidement que j’allais être envoyé au Front au bout d’un moi ou deux, quand, entraîné à la marche j'aurais appris à tirer.
Dans cette perspective, je n’ai pas avoué que je suis engagé dans la Médecine, et encore moins Interne provisoire, titulaire de 12 inscriptions.
Je m’efforce donc, avant de sauver des vies humaines, de progresser dans l’art de tuer pour récupérer sur l’Allemand l’Alsace-Lorraine... Telle est, je l’avoue humblement, mon but immédiat.

Les corvées, les vexations les plus diverses m'ont prises pour cible, de la part surtout d’un caporal « au réveil triomphant » (sic) sans doute parce qu’il m’a senti plus instruit que lui.
Au début et longtemps j’ai tout encaissé sans rien dire, soutenu par la pensée de l’Alsace-Lorraine.
Et puis peu à peu, ma résistance s’est avouée vaincue. Je n’entrevoie plus comme prochain le départ pour le Front tant attendu. Un soir froid et pluvieux d’octobre, je suis rentré à la cantine. Devant un vin chaud, j'ai pris ma plume pour signaler au Médecin Directeur du Service de Santé de la troisième région à Rouen, mes titres civils médicaux.

Dans les deux jours suivants, j'ai reçu ma nomination au grade de Médecin-auxiliaire et mon plaisir est immense quand j’arrive à la caserne un matin, le chef orné d’un beau képi de velours rouge à galon d’adjudant, le même reproduit aux manches de ma capote.

Le caporal ébahi, veut me féliciter, me serrer la main, ce que je refuse avec hauteur, le forçant à reculer, à me saluer réglementairement, et lui rendant un petit salut protecteur, à la grande joie des camarades qui rigolent. Telle est ma petite vengeance, petite mais assez bien orchestrée.

Dès que promu, je suis affecté à l’Hôpital Complémentaire du Lycée Malherbe à Caen qui a fort besoin d’un médecin un peu ferré en anatomie.
Car les blessés graves qui y sont admis après traitement dans d’autres formations doivent assez vite passer au Conseil de Réforme... Il importe donc de préciser leur diagnostic d’où découlent leur degré d’invalidité provisoire ou définitive et leur taux d’indemnisation.
Le Médecin-chef, praticien dans le civil, qui ne doit ses 3 galons qu’aux périodes militaires qu’il a régulièrement effectuées, ne posséde que de lointains souvenirs d’anatomie... Aussi est-il aux anges d’accueillir un Interne, même provisoire, de Paris, à qui il pourra donner sa confiance et qui l’aidera beaucoup.
Il répand la nouvelle de mon arrivée avec un enthousiasme sincère et ma position morale dans la formation est d’emblée excellente... Une jeune fille, infirmière de la Croix Rouge, en est d’autant plus ravie qu’elle en fait part à sa famille.
La petite infirmière demande parfois le conseil de l’Interne. Ils discutent. L’une préfère l’eau oxygénée ou l’alcool, l’autre préconise plutôt d’espacer les soins, de laisser la plaie exposée à la lumière et au soleil, soupçonnant les antiseptiques de retarder la guérison, ce qui d’ailleurs, vu de haut, n’est pas un mal puisque la remontée au casse-pipe s’en trouve reculée.
André Jacquelin

Lettre d’Elisabeth Carré de Malberg à son père Raymond, 29 novembre 1914
Caen, 29 Novembre 1914
Mon bien cher Papa,
Je profite de cette fin d’après-midi de dimanche où j’ai été libre pour t’écrire quelques mots. Comme tu l’as prévu, depuis que j’ai repris mes occupations d’infirmière, mes lettres deviennent rares….. cela me peine vraiment beaucoup de ne pas réussir à t’écrire plus souvent, mais le soir, lorsque je rentre de l’ambulance, il est souvent près de 19h, après le dîner j’ai juste la force de lire un journal et je vais me coucher, sans tarder, je t’assure ! Ta bonne lettre m’a fait bien plaisir, elle est parvenue assez rapidement (en 4 jours) et hier j’ai reçu aussi le manuel d’infirmière, dont je te remercie beaucoup de m’avoir fait l’envoi. Merci aussi pour les cartes tristement intéressantes…

Nous devons bien t’ennuyer en te faisant faire ainsi des expéditions successives, heureusement que tu as le temps de t’en occuper, tu n’as même que trop de temps libre, je suis sûre, malgré tes cours. Nous attendons maintenant avec impatience le récit de ton expédition à Vitrimont, mais cela ne pourra être qu’un bien triste récit !

Je nourris toujours l’espoir d’un retour à Nancy, possible pour nous après Noël… Bien qu’il n’y ait pas de victoires décisives encore, en France, il me semble que la situation s’améliore tout de même. Arras et Reims sont toujours bombardés, c’est entendu, mais à Dixmude et à Ypres, où les Allemands ont tenté un effort considérable et où ils avaient des forces très supérieures à celles des alliés, on leur a admirablement résisté.

Voilà la victoire des Russes qui s’affirme, je crois que malgré leur désir furieux de passer à Nancy et d’y faire une entrée triomphale, les Allemands n’auront bientôt plus guère le moyen de tenter un coup de main de ce côté.
Qu’est-ce au juste que le bombardement d’Armanville dont on parlait dans un des derniers communiqués ?
Quelle valeur a cette nouvelle ?
Ici, le bruit court aussi que 2 forts de Metz sont tombés ! le Saint Blaise et le fort « Kronprinz », on dit aussi que Montigny, près de Metz est en flammes ! Maman y croit dur comme fer et moi je pense que cela vaut la nouvelle de l’arrivée des Russes en France, dont on nous farcit les oreilles au mois de septembre…
Enfin quand donc pourrons-donc regagner Nancy ?
Malgré mon travail si utile et très intéressant ici, j’ai le temps long… moi si peu Nancéenne ( ?) pourtant, je finis par croire que le jour où je pourrai rentrer à Nancy sera un jour de bonheur incomparable !
Mais sois tranquille, je suis raisonnable, je suis même certainement la plus raisonnable ici, sous ce rapport… Je sais d’ailleurs que lorsque cela sera possible, tu ne tarderas pas un instant à nous faire rentrer, car la malgré la présence de Tatane, les bonnes virées chez elle et les dîners de Célestine, ta vie doit être bien triste et la maison au rond-point doit te sembler bien lugubrement vide !
Maman et Bûbi t’ont déjà conté notre promenade à Bayeux, promenade rapide, mais très agréable. Bûbi et moi nous sommes allés voir la tapisserie de la reine Mathilde qui m’a passionnée…

La cathédrale aussi est belle mais je n’ai pas pu en jouir, je pense trop à la halle d’Ypres et tant de chef-d’œuvres de France et de Belgique qui sont massacrés à tout jamais et que nous ne reverrons plus ! Il leur reste encore Bruges à démolir, pour que le travail soit complet !...

Il a fait très froid, ici aussi, la semaine dernière, malheureusement nous n’avons pas de thermomètre maxima et je ne saurais te dire jusqu’à combien la température est descendue. Par ce froid notre chauffage est plutôt médiocre, aussi je souhaite que cela ne recommence pas. Rassure-toi la chambre de Bûbi est bien tempérée par la cheminée de la salle à manger qui y passe et, c’est ma chambre à moi qui est de beaucoup la plus glaciale, aussi j’y allume la lampe à pétrole chaque soir.

9 h du soir Maman t’a-t-elle déjà écrit que j’ai aussi un Alsacien parmi mes blessés ? J’en ai eu une vraie émotion lorsqu’on me l’a amené, surtout que je sers d’interprète au major et l’entends parler le plus pur alsacien qui soit ! Le brave homme comprend le français, mais ne sait pas dire 2 mots…
Il est de Bischheim et a fait son apprentissage de menuisier à Schirmeck ! Il a fait son service militaire en Allemagne et encore une période en mars dernier, mais étant établi depuis 2 ans à Belfort, il m’a dit que le jour de la mobilisation, il n’a pas hésité à s’engager dans l’armée Française, et bien que ses 2 frères combattent de l’autre côté ! Tu imagines que je m’occupe de lui tout spécialement. Nous lui avons fourni des jambons, un tricot et quelques douceurs. Son état n’est pas grave...
Quand au milieu des gens de Rodez et de Montpellier j’aperçois sa bonne figure (un vrai type du pays) cela me fait vraiment plaisir. Il y a aussi un soldat du 26e qui est des quatre-vents, mais il est beaucoup plus froid.

Il y a 470 blessés en ce moment au lycée : Toujours des méridionaux, des Algériens, des Belges et quelques hommes du 20e et du 21e corps, du dernier arrivage et venant d’Ypres.
Nous avons un nouveau major auxiliaire, un interne de Paris très gentil et très capable. Il a la passion des Alpes, aussi entre 2 pansements, nous évoquons souvent ensemble le souvenir des splendeurs de Chamonix ou de Zermatt !

Figure-toi que le jour de ma fête les 3 infirmiers de ma salle de pansements sont venus m’offrir un immense bouquet de fleurs. J’ai trouvé cela très aimable de leur part et surtout cela me prouve que ma présence ne leur est pas trop désagréable.
Ce jour-là, j’ai eu la chance aussi d’avoir Madeleine Barbé à déjeuner, ce qui m’a fait un grand plaisir ! elle est toujours aussi charmante et bien amusante. Tu vois que ma fête n’a pas été trop triste !

Je croyais n’avoir le temps de t’écrire que quelques mots et voilà ma lettre qui s’est tout de même faite longue. Je te quitte pourtant, mon cher Papa, pour aller me coucher… et maman réclame pour en faire autant…

Ah ! nous ne faisons plus de longues soirées ! Je t’embrasse bien tendrement mon cher Papa, comme je t’aime.
Lily
 Bons baisers à Tatane que je remercie de sa longue lettre.

Dimanche 29 novembre 1914: les civils invités à quitter ...
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Il y a 4 jours - Politique, société, culture, sport, insolite, qu'elles soient nationales, internationale ou régionales retrouvez ce qui faisait l'actu dans nos ...
datée du 29 novembre 1914 - Cadeauretro.com
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André Jacquelin, Médecin-auxiliaire - les blogs France Culture
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Lettre d'Elisabeth Carré de Malberg à son père Raymond, 29 novembre 1914. Nous avons un nouveau major auxiliaire, un interne de Paris très gentil et très ...





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