dimanche 21 décembre 2014

LA GRANDE GUERRE AU JOUR LE JOUR... 3 DECEMBRE 1914

3 DECEMBRE 1914


I)
Le chasseur et les cuisiniers
Nancy, 3 décembre.
Il est toujours agréable de constater qu'un ennemi, tout d'abord hautain et méprisant, devient, par un retour subit, respectueux. Et nous avons le droit aujourd'hui d'être aussi fiers en écoutant le kronprinz qu'en regardant la Colonne.
Les sentiments que vient de confier le fils du kaiser à un journaliste lui sont-ils imposés par le seul aspect de notre résistance ? Ou bien ce faux jeune homme qui a déjà par cette guerre saboté la meilleure partie de son héritage, désire-t-il sauver ce qui reste, et préparer l'opinion Française à l'indulgence ? Ou bien encore, conformément aux principes de la fourberie Allemande, croit-il qu'en nous passant la main dans le dos il nous fera oublier ce que nous devons à nos alliés et ce que nous devons aux Allemands ?

Non, non, le compte est bien établi. Là l'honneur, la loyauté. Ici l'improbité, : le vol, le pillage, l'incendie, le massacre, la destruction. Nous ne changerons pas de créanciers, ni de débiteurs, de quelque miel que soit poissée la langue du kronprinz.

Aurions-nous une tendance à oublier ce qu'a fait en France et en Belgique l'armée Allemande que les grands penseurs Allemands se chargeraient de nous rappeler violemment à la réalité en nous exposant leurs desseins.

M.Wilhelm Ostwald, l'illustre professeur de chimie de Leipzig, et l'un des maîtres de la philosophie Allemande, explique que la victoire n'est, pas douteuse, qu'elle résulte de la supériorité et de la technique allemandes, qu'elle se produira pour les mêmes motifs que celle des hommes sur les animaux, quels que puissent être le nombre, la vigueur et la férocité de ces derniers.

M. Ostwald veut faire de nous quand nous serons abattus des peuples qui travaillent en Confédération Allemande sous l'hégémonie Allemande, protégés, (et menacés) par la seule armée qui reste... L'armée allemande préfigurant l'organisation que rêve le célèbre chimiste :

Quand nous aurons obtenu la victoire, écrit M. Ostwald, dans le « Momstiche Jahrhundert », quand nous aurons clairement prouvé à nos adversaires, tant à Paris, à Pétersbourg qu'à Londres, l'inutilité d'une plus longue résistance, que restera-t-il à faire ?
Le but de toute guerre est la paix. Le nouvel établissement de l'Europe sous l'hégémonie allemande devra être basé essentiellement et sans réserve sur le travail, sur un travail organisé, c'est-à-dire qu'à chacun devra échoir la part de travail qu'il est le mieux à même d'accomplir.
Mais il faut que le travail puisse être exécuté en sécurité, sans que des catastrophes comme celle que nous vivons en ce moment viennent le mettre à néant.
Tout comme les branches de la famille Allemande qui, en 1866, étaient dressées les unes contre les autres en une lutte fratricide, ont su réaliser 4 ans plus tard une unité (une unité qui aujourd'hui s'affirme plus puissante que les autres groupements politiques de l'Europe), il faut que la lutte actuelle, où se trouve engagée l'Europe presque entière, aboutisse à un état de choses dans lequel les différentes parties de la population Européenne aujourd'hui ennemies travaillent ensemble avec la certitude que de telles luttes ne pourront plus renaître.
Si les divers pays de l'Europe ne pouvaient être amenés à cette conception de la paix par la voie du consentement volontaire, l'Allemagne, après cette guerre victorieuse, sera de taille à les y contraindre par la force.

En premier lieu, il s'agira d'empêcher l'Angleterre, le plus grand ennemi de la paix en Europe, de nuire, et cela de façon durable, en mettant fin une bonne fois à sa suprématie jusqu'ici incontestée sur les mers.
Le fondement de sa puissance, à savoir sa flotte militaire, devra être supprimée ou réduite à un minimum qui écarte tout danger futur.
Quant aux armées de terre, nous lui serons alors, à elle et à tous nos autres voisins, tellement supérieurs que, pour longtemps, tous renonceront vraisemblablement tout à fait à entretenir une armée pour leur compte, et s'en remettront à nous du soin de les protéger du côté de l'Orient.

Évidemment on peut être un grand savant et raisonner comme un fou furieux sur certaines choses.

Mais M. Ostwald n'est pas seul. M. Ernest Hœckel, dont la réputation égale celle de M. Ostwald, numérote les fruits de la victoire, et nous félicite déjà d'être sur le point de devenir Allemands.

D'après ma conviction personnelle, écrit-il, les fruits de la victoire les plus désirables pour l'avenir de l'Allemagne et en même temps pour l'Europe Continentale Fédérée sont :
1. Écrasement de la tyrannie Anglaise.

2. Pour cela l'invasion de l’État Britannique des écumeurs de mer est nécessaire. Occupation de Londres.

3. Partage de la Belgique :
La plus grande partie, occidentale, jusqu'à Ostende-Anvers, État Confédéré Allemand.
La partie nord-est à attribuer à la Hollande.
La partie sud-est, au Luxembourg, agrandi, légalement État Confédéré Allemand.
4. L'Allemagne reçoit une grande partie des colonies Britanniques, ainsi que l’État du Congo.
5. La France cède à l'Allemagne une partie des provinces frontière du nord-est.

6. La Russie est rendue impuissante par la reconstitution d'un royaume de Pologne soudé à l'Autriche-Hongrie.
7. Les provinces Allemandes de la mer Baltique font retour à l'empire Allemand.
8. La Finlande devient un royaume indépendant, uni à la Suède.
M. Émile Fedden, de Brème, le Dr H. Kœrber, le professeur Peust, de Dossau, tous préparent à peu près la même cuisine. Et pendant que ces braves gens remuent scientifiquement la sauce à laquelle ils ont l'intention de nous manger, le kronprinz, voyant que le gibier ne se laisse pas faire, lui tend des pièges en douceur... Mais le gibier décidément ne veut pas sauter dans la casserole.
Quelle malchance pour le chasseur !
René Mercier

Simple coups de sonde : Leur artillerie semble chercher un point faible...

II)
Paris, 3 décembre, 15h23.
En Belgique, canonnade assez vive contre Nieuport et au sud d'Ypres. L'inondation s'étend au sud de Dixmude.

De la Lys à la Somme, violent bombardement d'Aix-Noulette, à l'ouest de Lens.
Calme sur tout le front, de la Somme à l'Aisne et en Champagne.

Dans l'Argonne, plusieurs attaques ennemies ont été repoussées. Nous avons progressé légèrement.

En Woëvre, l'artillerie Allemande a montré une certaine activité, mais les résultats ont été insignifiants.

En Lorraine et en Vosges, rien d'important.

III)
Service des trains : De Nancy à Lunéville
Depuis le jeudi 3 décembre, le service des trains est assuré entre Nancy et Lunéville :
Voyageurs et bagages, à la gare de Viller.
Marchandises à petite vitesse, à la gare de Chaufontaine.
Les tarifs seront appliqués de ou pour Lunéville.
Les billets seront délivrés et les bagages (30 kilos par voyageur) seront enregistrés au pont de Viller.
Un avis ultérieur indiquera la date de mise en service des deux gares de Viller et de Chaufontaine.

Horaire des trains :
Nancy, départ. 4h41 10h41 16h21
Pt de Viller, arr. 5h50 11h50 17h30
Pt de Viller, dép.. 7h17 13h17 18h17
Nancy, arrivée. 8h21 14h21 19h21

IV)
Les réquisitions se poursuivent dans tous les quartiers et sous les formes les plus diverses. Aujourd’hui, des convois chargés de cuirs s’arrêtent devant l’hôtel de ville, alternant avec des chargements énormes de balles de laine et de coton.
On dit que beaucoup de ces articles sont ou bien envoyés aux tranchées ou bien expédiés en Allemagne. Ces exactions n’ont rien de commun avec la guerre, c’est le pillage et le brigandage organisés.

La maison Rammaert-Jeu en est à la somme de 60 000 francs de réquisitions en couvertures de laine, couvertures ouatées, linges de corps, etc... Le comble est que chevaux et voitures de la maison ont été saisis pour servir à l’enlèvement de tous ces articles.

Parmi les on-dit les plus panachés répandus dans le public, il faut citer celui-ci : « Les États-Unis auraient fait sommation à l’Allemagne de sauvegarder les villes de Roubaix et de Tourcoing avec lesquelles ils font un si important chiffre d’affaires ».

L’officier supérieur qui a rapporté ce fait à Mme Louise Motte ajoutait que
« Les États-unienne entreraient dans le conflit, si l’Allemagne contrevenait à ces dispositions ».

Par contre, le même public se laisse dire que le langage des ennemis est tout autre :
« Si nous avons fait de Lille le feu d’artifice, Roubaix et Tourcoing en seront-ils le bouquet ! »

En attendant, on se passe des communiqués plus ou moins véridiques, généralement on croit que la situation est satisfaisante.

Le Figaro nous annonce que le gouvernement après son exil à Bordeaux est sur le point de rentrer à Paris : Le retour du gouvernement à Paris
« On lit dans l’Agence Havas cette note qui confirme nos informations précédentes : Les Chambres se réuniront à Paris en session extraordinaire... Elles seront convoquées pour le 22 décembre.
En prévision de la reprise des travaux parlementaires, les membres du cabinet se rendront à Paris dans le courant ou à la fin de la semaine prochaine, afin de se mettre à la disposition de la commission sénatoriale des finances et de la commission du budget de la Chambre... Le président de la République sera à Paris vers la même date. »

Dans Le Temps nous pouvons lire que :
« Le Journal officiel enregistre ce matin, dans les termes suivants, l'inscription du général Joffre au tableau spécial de la médaille militaire ».
« Depuis le jour où s'est si remarquablement réalisée sous sa direction la concentration des forces françaises, il a montré dans la conduite des armées des qualités qui ne se sont pas un instant démenties, un esprit d'organisation, d'ordre et de méthode, une sagesse froide et avisée, une force d'âme que rien n'a ébranlée. »

Sur le plan militaire, le communiqué du ministère de la Guerre signale que
« C’est le calme sur tout le front de la Somme à l'Aisne et en Champagne. Dans l'Argonne, plusieurs attaques Allemandes sont repoussées.

En Voivre, l'artillerie Allemande montre une certaine activité.
Sur la rive droite de la Moselle, les Français occupent Lesménil et le signal de Xon. Dans les Vosges, les Français enlèvent la tête de Faux (au sud du village du Bonhomme), qui domine la crête frontière et servait d'observatoire aux Allemands.

En Alsace, la station de Burnhaupt est occupée, et les Français s’installent sur la ligne Aspach-Pont - d'Aspach-Burnhaupt.

En Belgique, les alliés bombardent le village de Lisserveghe, situé au nord d'Ostende, à environ 11 kilomètres de Bruges. Le feu de leur artillerie réussit à détruire l'installation de télégraphie sans fil. À Elverdinghe, au nord-ouest d'Ypres, à peu près à mi-chemin entre cette ville et Bixschoote, les alliés passent à l’offensive.
Dans la campagne russe, dans la région de Lowitch (sur la Bzoura), l'action continue, mais avec moins d'intensité. Les Allemands marchant en colonnes compactes font une attaque fougueuse contre les positions Russes au nord de Lodz.
Dans la région au sud de Cracovie, les Russes font leur entrée à Wielitchka.

En Prusse Orientale, Le correspondant du Daily Mail à Petrograd annonce que lorsque les lacs de la Mazurie seront recouverts d'une glace assez forte pour supporter le poids de leurs armées, les Russes envahiront en masse cette région.

Insterburg sera attaquée et Kœnixsberg investie.

Dans la campagne Austro-Serbe, c'est en présence des forces importantes de réserve amenées par les Autrichiens et qui portent leurs forces à 500 000 hommes, y compris 30 000 Bavarois, que l'état-major Serbe décide d'abandonner les positions qu'occupait l'armée Serbe sur la ligne d'Oudjitze à Kocieritch.
Cette mesure stratégique est aussi rendue nécessaire par l'extension du front de Rogatitza, sur la Drina, à Rladovoa, sur le Danube, que la Serbie n'est pas assez forte pour défendre sur tous les points.

En Afrique du Sud, un télégramme officiel de Pretoria annonce que le général De Wet a été fait prisonnier.

Le correspondant du Temps à Saint-Omer décrit la visite du roi d’Angleterre : « La nuit tombe sur la ville humide. Dans la rue Saint-Bertin, une foule nombreuse s'est massée en silence, contenue sur le trottoir par la « military police ». La nouvelle s'est répandue de l'arrivée du roi d'Angleterre.
En face de l'hôtel particulier de M. Dambricourt, dont toutes les fenêtres resplendissent de lumières, une compagnie de fantassins Anglais manœuvre et se place sur deux rangs.

Il est 4h30. Un ordre bref, et les soldats placent avec un ensemble parfait l'arme sur l'épaule.
Deux automobiles lentement viennent s'arrêter devant l'hôtel où le roi est attendu.
Les soldats présentent les armes. Le roi d'Angleterre descend de la seconde automobile, qui porte le pavillon royal. Il est accompagné du maréchal French, qui est allé à sa rencontre, et de deux généraux.
Le roi porte l'uniforme de feld-maréchal. Il se dirige vers la compagnie qui lui rend les honneurs et passe sur son front.
La foule, alors, s'est découverte, et dans un élan, elle crie avec enthousiasme
« Vive le roi ! »
Le roi salue en portant la main droite à la visière, puis il pénètre dans l'hôtel qui lui est réservé et où une délégation des troupes Indiennes lui rend les honneurs.
George V est salué à son arrivée par une délégation d'officiers supérieurs de son grand état-major et par une délégation de la mission Française. »

Sur le plan militaire, nous apprenons qu’Aix-Noulette, à l'ouest de Lens est violement bombardée.

V)
Dans Temps nous pouvons lire l'article sur Albert Calmette :
« Le docteur Calmette prisonnier : Le docteur Albert Calmette, directeur de l'institut Pasteur de Lille, frère du regretté directeur du Figaro, a repris du service au début de la guerre en qualité de médecin inspecteur des troupes coloniales.
Depuis assez longtemps, ses amis étaient sans nouvelles de lui. Hier, on a appris que le savant Français est prisonnier à Munster, en Westphalie.

VI)
Jeudi 3 décembre :
21 obus sur Aubréville de 10h matin à 13h30. Un obus a tué le caporal Boulay qui venait de me quitter étant venu me demander des nouvelles de sa famille chez laquelle j’étais à Paris le 30 novembre.
Il venait de rentrer dans la grange où il était au repos, lorsque l’obus tombant sur le toit de la maison voisine, a traversé le mur de séparation venant éclater sur une poutre du grenier à foin entre les jambes de Boulay, une jambe a disparue et l’autre déchiquetée, on a retrouvé le pied gauche le lendemain, un autre obus tombe sur le fumier en face de Monsieur Vitry et les autres près de l’église.

VII)
Courmelles.
D’ailleurs, si tout est calme sur le front, tout est calme également dans le reste de la France.
Grâce aux journaux que l’état-major de l’armée nous fait parvenir chaque matin nous sommes au courant de la vie du pays.
Nous savons que M. Poincaré a encore une fois visité quelques parties du front, Toul, le Grand-Couronné de Nancy, Lunéville, Gerbéviller où il a décoré de la légion d’honneur une religieuse.

Nous savons que l’Académie des Sciences siège comme si de rien n’était, que M. Gaston Bonnier y présente une note relative à un nouveau microbe du cancer des végétaux, lequel microbe détermine sur le chêne un néoplasme qui a pu être inoculé au lierre et à la capucine !…

Nous savons que sur ordonnance de M. le président Monier toutes les maisons « boches » de Paris sont mises sous séquestre… Y en avait-il !… Y en avait-il !…

Nous savons que « dans un accès de démence sénile, une septuagénaire, Mme Porcher, demeurant rue de Paris, à Montreuil, s’est jetée hier sous une rame du métropolitain, à la station Nation »…

Nous savons que le football ne perd pas ses droits à l’actualité et que dans la coupe nationale (U.S.F.S.A.) les résultats ont été :
Stade Français bat A.S. Seine……58-0
A.S.P.T.T. bat R.C. France…………17-3
Sporting bat P.U.C……………………21-0

Nous savons qu’il y a maintenant à Paris un théâtre qui s’appelle « Théâtre Albert 1er », que dimanche prochain, à 15h, salle Gaveau, l’association des concerts Colonne et Lamoureux donnera son premier concert au profit des blessés militaires et des artistes des deux sociétés, au programme on voit figurer : La Marseillaise, la Brabançonne, l’Hymne Anglais, l’Hymne Russe et le Chant funèbre d’Albéric Magnard. Albéric Magnard a été fusillé par les Allemands après avoir assisté au pillage et à l’incendie de sa maison de campagne.

Nous savons, en somme, que « tout va bien », grâce à ceux qui sont « sur le front » et grâce aussi à… (Bedel a collé un dessin humoristique de Paul Iribe et un article intitulé : « NOTRE 75 »)

VIII)
« On a indiqué ici, à bien des reprises, les circonstances de toute sorte qui commandent de faire succéder la guerre de tranchées à la guerre de manœuvres, dans l'Est après les victoires de la Marne, dans le Nord après les combats qui ont porté une partie considérable de nos armées et l'armée Anglaise dans les plaines de Flandre.

Il y a une heure pour les ardentes et brillantes vertus qui assurent le succès des offensives bien conçues.
Il y a une heure pour ces autres vertus et, si je puis dire, pour ces autres courages, qui sont la patience, la ténacité, l'endurance.

Nous pouvions nous laisser entraîner à compromettre, nous avons consolidé les résultats de nos victoires de septembre. Les assauts répétés des Allemands contre les retranchements de jour en jour plus puissants et plus forts ont échoué.
Ils ont perdu plus d'hommes devant nos lignes inflexibles que dans leurs succès les plus chèrement disputés.
Ce sera un très grand et très noble chapitre de l'histoire de cette guerre que celui qu'on peut dès aujourd'hui intituler « les Tranchées ». Nos armées sont devenues de bronze dans les tranchées. Et quelque chose y est né qui tiendra dans notre histoire de demain une très grande place, la première de toutes...

Cet esprit des tranchées, dont parlait hier M. Clemenceau dans un éloquent article, c'est le véritable esprit nouveau.
Il souffle déjà.
Il n'a eu qu'à passer dans le ciel gris d'hiver pour balayer les dernières feuilles des mauvaises forêts.
Il souffle vers un monde où, dans une paix qui ne sera plus une trêve armée, la liberté ne sera pas qu'une tolérance et la justice sociale qu'un thème à discours.
Et il voudra souffler partout. »

IX)
Censure à Reims, nos confrères parisiens se plaignent d'être bâillonnés. Que diraient-ils à notre place ?
Nuit très calme, Obus aux extrémités de la cille, sur les batteries vraisemblablement et canonnade toute la journée.

Dans Le Courrier d'aujourd'hui, nous lisons cet article :
La censure à Reims.
Nos lecteurs eux-mêmes pourront nous rendre cette justice que nous l'avons pas abusé ni même usé, jusqu'ici, du droit de critique que le gouvernement octroie aux journaux à l'égard de la censure et des censeurs.

Et même aujourd'hui que nous nous trouvons dans l'obligation de mordre notre laisse, nous commencerons par rendre hommage à la courtoisie des censeurs, assez nombreux déjà, que l'autorité militaire et civile a préposés à la tâche - bien ingrate, convenons-en - de réviser nos morasses.

Pour être sincères, nous devrions faire certaine réserve en rendant cet hommage unanime à nos maîtres d'un jour. Mais, nous sommes devant l'ennemi...

Déclarons donc simplement que même entre les mains d'hommes charmants, les ciseaux d'Anastasie sont parfois haïssables, et que malgré l'état de siège, la censure pourrait être sévère, sans devenir pour cela excessive.
A Rime, elle est devenue (disons le mot) intolérable.

Ses exigences se sont accrues de jour en jour et les choses en sont venues à un point tel qu'il est impossible d'aller plus loin sans protester, par dignité professionnelle, contre la situation unique et inique qui est faite présentement à la presse Rémoise.
Nos confrères parisiens se plaignent d'être bâillonnés. Que diraient-ils à notre place ?
Défense nous est faite absolument d'indiquer le nombre et le nom des personnes tuées et blessées, au cours des bombardement journaliers !
Défense aussi de signaler, même après plusieurs jours, les dégâts causés aux monuments publics, aux usines et aux maisons !

Hier, on nous a caviardé un passage donnant la statistique, à ce jour, des victimes civiles.
La cathédrale serait incendiée à nouveau que nous n'aurons plus le droit de le dire !
En nous imposant une consigne aussi sévère, la Place de Reims a sans doute ses raisons.
Mais ces mêmes raisons n'ont-elles pas une égale valeur pour les journaux parisiens, qui se vendent à Reims tout aussi bien que les nôtres et auxquels (malgré nos réclamations journalières) ce rigoureux veto ne s'applique pas.

La liberté de la presse n'existe plus, nous nous inclinons. Mais que, du moins, on assure l'égalité de tous les journaux et leur soumission commune aux mesures de salut public qu'impose la défense nationale !

Beau temps. Canonnade de notre part toute la journée sans riposte des Allemands.
A 19h, le temps est superbe et on n'entend plus absolument rien. Nuit tranquille

X)
Il y aura bientôt 3 mois pleins que dure cette terrible guerre de tranchées. On me communique cette lettre d'un sous-officier d'artillerie de réserve, intelligent et observateur, qui donne l'idée de ce qui se passe :
« Pour ceux qui voient les choses de loin, la guerre doit paraître vraiment incompréhensible.
Les journaux ne font que parler de nos engins merveilleux, de nos explosifs extraordinaires, et pourtant voici près de 3 mois que les 2 infanteries sont terrées l'une en face de l'autre et que les deux artilleries se canonnent sans résultat.
Ce qui se passe sur le front, mon cher cousin, mais quand j'y réfléchis c'est inconcevable. Tenez, voici ma journée. Ce matin, réveillé frais et dispos sur ma botte de paille dans la mansarde d'une maison abandonnée, je suis parti avec un officier de mon groupe pour chasser le lapin avec un furet.
Nous avons pris 2 lapins qui varieront notre ordinaire.
Puis j'ai promené mon cheval qui ne travaille pas et qui est insupportable. J'ai mangé, de fort bon appétit, ma gamelle de soupe et un morceau de bœuf bouilli. Le soir j'étais de garde au poste d'observation.
J'ai pioché et manié la pelle, car nous avons résolu d'agrandir la casemate, c'est-à-dire notre terrier. Vers 16h, nous avons envoyé une vingtaine de coups de canon, nous en avons reçu 2 fois plus.
Dans ces moments-là, rien n'est plus simple : Si vous voyez que les obus tombent loin, c'est-à-dire à 700 ou 800 mètres, inutile de vous déranger : Vous pouvez continuer vos occupations (même la chasse au lapin).
S'ils tombent plus près et que vous ne soyez pas obligé d'être dehors, il est prudent de rentrer dans les tranchées recouvertes.
S'il y a des ordres à porter, il ne faut pas hésiter à continuer son chemin, en se couchant ou en se baissant seulement suivant la distance à laquelle tombe l'obus. (Cela se reconnaît très facilement au bout de 3 ou 4 jours).
Pour finir le récit de ma journée, je viens de lire les journaux de ce matin qu'un cycliste nous apporte régulièrement de Villers-Cotterêts.

La nuit s'annonce comme devant être calme, c'est-à-dire que les coups de canon seront rares. Mais toutes les minutes ou toutes les deux minutes, un coup de fusil viendra rompre le silence de la nuit, et les Boches continueront à promener sur nous la lumière de leurs phares (ils en ont de toutes sortes) et à envoyer de magnifiques fusées éclairantes sur nos tranchées.
Quant à nos 2 téléphones, qui nous relient l'un à la division et de là à l'infanterie, l'autre à nos batteries qui sont enfouies dans les bois, je ne crois pas qu'ils me réveillent.

Sans doute ce n'est pas tous les jours la même chose.
Demain, par exemple, je suis convenu avec un capitaine d'aller dans les tranchées des fantassins pour régler son tir.
J'irai jusqu'aux avant-postes et là, si je ne puis avoir la communication téléphonique, je prendrai des notes.
De temps à autre, nous faisons une attaque ou nous en repoussons une. Que ce soit eux, que ce soit nous, c'est le même principe : 12 ou 24 heures de bombardement, après quoi on essaie de faire sortir les fantassins des tranchées.
Alors les mitrailleuses crachent la mort avec une rapidité foudroyante. Chaque attaque est suivie d'une contre-attaque.
Si une tranchée est perdue, elle est reprise : Quelques centaines d'hommes abattus et aucun résultat. Car telle est la guerre moderne : Tout consiste à remuer de la terre, et c'est à qui creusera le plus.
Contre ces tranchées profondes, l'artillerie est impuissante.
Pour que l'obus fasse du mal à l'adversaire, il faut qu'il tombe non pas sur le bord, mais dans la tranchée, et le hasard seul peut produire ce résultat.
Nous sommes donc terrés les uns en face des autres sans qu'il soit possible de prévoir la solution de cette véritable guerre de siège et d'épuisement.
Il est absolument impossible que les Allemands enfoncent nos lignes et, pour nous, il faudrait un bon élan pour rompre la barrière qui est de moins en moins forte, j'en suis sûr.
Cet élan, la division de réserve à laquelle j'appartiens ne peut le fournir, car elle a été très éprouvée et n'a plus confiance dans les attaques que nous tentons de temps à autre. 

Vous me demandez ce qu'on dit ici ? Le moral est toujours bon parce que le service d'approvisionnement marche bien.
Voyez-vous, le soldat, tant qu'il touche régulièrement ses vivres, a confiance. Mais, sur ce point, il est exigeant et admet à peine des distributions en retard de quelques heures.
A ce sujet, mon cher cousin, je dois vous dire que j'ai été agréablement étonné de voir fonctionner ce service.
On ne peut lui reprocher que le gaspillage : Car il y en a... On touche trop, et je préférerais voir régner une sage économie, car la guerre sera longue. Comme vous, je crois à la solution vers Pâques.
Que vous dirai-je encore ? Que chacun a foi dans la victoire finale. Sans doute, surtout dans l'infanterie, ce n'est plus l'enthousiasme des premiers jours. Mais on ne voit pas encore cette lassitude, si redoutable chez le Français. L'état sanitaire est toujours remarquable à la division : Pas de malades... Nous avons eu pourtant des pluies et du brouillard.

Voilà, mon cher cousin, ce que je puis vous dire sur notre existence. Et maintenant je ne puis résister au besoin de vous confier quelques impressions. Ce sont les miennes :
Par conséquent, soyez en garde. Mais, hélas ! elles m'ont été imposées par ce que j'ai vu. Il m'est apparu d'abord, à mon étonnement du reste, que deux choses marchent à merveille :
La mobilisation et le service d'approvisionnement. Pour celui-ci, je suis persuadé qu'il n'était qu'à moitié prévu et qu'il fonctionne grâce à des coups de collier et à des initiatives particulières. Mais, à coté de cela, quelle infériorité par rapport à l'armée Allemande ! Par ce que j'ai pu en voir, tout est prévu, organisé, et quel outillage !... Chez nous aucune liaison.

Un régiment ignore l'autre, une division, celle qui la touche. J'ai vu des régiments tirer l'un sur l'autre. A chaque attaque, régulièrement, notre artillerie tue quelques-uns de nos fantassins.
C'est que le commandement n'est pas toujours à la hauteur de sa tâche. Sans doute, des sanctions ont été prises, nous le savons.
Elles sont encore insuffisantes, et de beaucoup. Par exemple, j'ai foi en notre généralissime. S'il avait eu au début l'expérience qu'il a acquise aujourd'hui, jamais l'Allemand  ne serait entré en France :
L'histoire lui tiendra peut-être rigueur de n'avoir pas su ce que sait le moindre capitaine Serbe.
Mais sa concentration des troupes en arrière pour sauver Paris, cela toute l'armée l'a compris et l'admire. »

Autre impression : M. de P..., ancien officier qui, à 55 ans, a repris du service, revient du champ de bataille de Flandre. La vie du soldat dans les tranchées est, là-bas, terrible.
Il la compare à l'un de ces raffinements de cruauté chinois imaginés par Octave Mirbeau dans « Le Jardin des supplices ».
D'abord les tranchées, aux environs d'Ypres et de Dixmude, n'ont pas pu être creusées avec le soin qu'on y a mis ailleurs, étant donné que la bataille a été incessante.
Ce sont de véritables trous où le soldat doit se tenir accroupi, les nerfs ébranlés par une canonnade continuelle. Les hommes sont relevés tous les 3 jours. Ils sortent de là dans un état de fatigue physique et surtout morale indescriptible, quelques uns presque hébétés...

Ces jours derniers, l'ordre vient de sortir de nos tranchées pour occuper une tranchée ennemie. Pour la première fois, nos hommes refusent de marcher. On les menace du peloton d'exécution.
« Nous aimons mieux être fusillés, répondent-ils, que d'aller pourrir comme nos camarades. »
En effet, quelques temps auparavant la même attaque avait été tentée. Les nôtres se sont embarrassés dans les réseaux de fils de fer tendus par l'ennemi et, après la retraite des survivants sous un feu meurtrier, les blessés sont restés entre les tranchées Françaises et les tranchées Allemandes sans que, ni d'un côté ni de l'autre, on puisse aller les secourir.
Les malheureux ont agonisé pendant des journées entières, et leurs cris, leurs plaintes ont déchiré les oreilles de leurs compagnons d'arme jusqu'à ce que le silence se soit fait sur le charnier...

Les scènes d'horreur sont fréquentes aussi dans les trains sanitaires. Le jeune F..., gravement malade, probablement d'une fièvre typhoïde larvaire, a voyagé pendant 8 jours, du front jusqu'à Béziers. Son wagon, où les hommes mouraient sans soin, appelant leur femme et leur mère, est digne de L'Enfer de Dante. Le malheureux jeune homme en a conservé une vision d'épouvante et reçu une secousse qui a aggravé sa maladie.
La mort est notre voisine de tous les jours...

Et, pour la première fois, j'ose transcrire ici ce qu'on murmure de toutes parts :
La difficulté avec laquelle marchent les territoriaux, des hommes de 35 à 40 ans, mariés, pères de famille qui « regardent en arrière plutôt qu'en avant », et dont beaucoup ont dû être fusillés, les officiers mêmes ayant donné l'exemple de la débandade en beaucoup d'endroits... Pauvre peuple souverain !... Voilà pourtant la « nation armée »...
Par exemple, la Landwehr et le Landsturm marchent infiniment moins bien que nos territoriaux, nos « terribles toriaux », comme dit l'esprit populaire, là encore, la qualité du sang se fait sentir chez nous !...

Les rapports de M. Jules Cambon et de notre attaché militaire à Berlin constituent des documents de la plus haute valeur historique. Que leur efficacité aura été faible ! C'est que, par leur nature confidentielle, ces avertissements ne pouvent être communiqués au véritable souverain qui, en République, est le corps électoral.
Les rapports de M. Jules Cambon ne peuvent être communiqués à 11 millions de personnes. Ainsi le peuple souverain est, par la force des choses, tenu dans l'ignorance de ce qui se trame contre lui. Ce pauvre roi à 11 millions de tête joue encore avec son bulletin de vote alors que la feuille de mobilisation est la carte qu'il va devoir retourner. •    

XI)
Les « Martyrs de Vingré » par Carl Pépin
L’affaire se déroule à Vingré, le 27 novembre 1914 vers 17h. Alors qu’ils prennent leurs repas dans une tranchées en première ligne après un violent bombardement de 2 heures, les Français sont surpris par une attaque allemande.
Dans la confusion de la mêlée, 24 soldats Français parviennent à fausser compagnie à l’ennemi. Au-delà d’une méprise terrible, ces soldats sont plus tard accusés de désertion et d’abandon de poste devant l’ennemi.

À titre « d’exemple », 6 d’entre eux doivent être injustement fusillés : Les soldats Floch, Durantet, Blanchard, Gay, Pettelet et Quinault.
C’e sont les « Martyrs de Vingré ».

Décembre 1914 - La Vie en Lorraine (1/3) - blamont.info
www.blamont.info/textes871.html
La Vie en Lorraine René Mercier Edition de "l'Est républicain" (Nancy) Date d'édition : 1914-1915. La Grande Guerre LA VIE EN LORRAINE DECEMBRE 1914
Mardi 1er décembre 1914 : le roi Georges V en visite à Saint ...
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1 déc. 2014 - Politique, société, culture, sport, insolite, qu'elles soient nationales, internationale ou régionales retrouvez ce qui faisait l'actu dans nos ...
3 décembre 1914 : les engins de la guerre moderne - Le ...
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Jeudi 3 décembre 1914: Albert Calmette prisonnier de guerre
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