jeudi 4 décembre 2014

LA GRANDE GUERRE AU JOUR LE JOUR 17 NOVEMBRE 1914

17 NOVEMBRE 1917


I)
Portée politique et morale de l'Encyclique
17 novembre 1914.
Les paroles de paix du Pontife catholique romain auront-elles la force de vaincre la ruée de la haine internationale ?
Les nations seront-elles sensibles à ce que Sa Sainteté Benoît XV appelle son premier « frémissement d'affection pour tout ce qui touche l'humanité » ?
C'est une autre question et qui porte sur un autre plan. Mais, là encore, il faut admirer la gravité, on voudrait oser dire le réalisme avec lequel l'Encyclique, pour viser l'avenir, s'applique à peser et à mesurer exactement les données du passé.
Au lieu qu'il est impossible de lire sans bailler les tirades oratoires qu'alignent les clients et confrères de M. d'Estournelles de Constant, ici les conditions normales de la vie humaine se trouvent envisagées telles quelles et comme chacun peut les voir. Certains points ne peuvent manquer d'échapper absolument à des profanes, mais d'autres concordent de la façon la plus saisissante avec les préoccupations nécessaires des citoyens. Personne n'y peut être insensible. Ainsi l'analyse des causes de la Guerre porte également sur la guerre étrangère et la guerre civile.

Nous sommes chez les philosophes et non chez les rhéteurs, s'il est horrible de se massacrer de peuple à peuple, il l'est plus encore de s'entre-tuer au sein d'une même nation.
Au nombre de ces causes, le pape relève l'injustice dans les relations des classes inégales qui pourraient s'aimer. Le pape donne aussi cette explication des guerres sociales : Le mépris de l'autorité depuis qu'on a voulu assigner au pouvoir pour toute origine la libre volonté des hommes. Cela revient à désigner l'élément d'anarchie et de lutte intestine inclus dans la démocratie.
Mais le point le plus digne d'être remarqué et médité est ce qui est dit du désir de bien-être matériel considéré comme un élément belliqueux.
Notre jargon dirait : La cause économique. Certains ont exagéré le rôle de cet élément. Il ne faudrait pas le renier ni le trop réduire.

Tout le livre de Norman Angell, assez bien nommé La Grande Illusion, et qui n'est en effet qu'une illusion, mais sans grandeur, repose sur cette vue qu'il n'y aura plus de guerre quand on saura, quand on verra que la guerre ne paie pas ses frais...
Le vrai est qu'elle cessera quand on croira cela, c'est-à-dire jamais !
Le grand producteur, le producteur effréné de richesses matérielles, le travailleur qui se prévaut de créer et de multiplier cette sorte de biens dont l'essence est d'être partagés crée autour de lui et en lui des puissances de destruction qui, en se développant, agiront à main armée.
Car il créera des jalousies folles.
Il s'enivrera lui-même de ses propres rêves et pour les mûrir plus rapidement, la suppression de toutes les rivalités s'offrira et s'imposera comme la plus prudente des ambitions.
Il lui sera toujours possible de griser et d'entraîner dans un mouvement belliqueux ces éléments moyens qui d'eux-mêmes tendraient à préférer les douceurs de la consommation et de la jouissance.
C'est ainsi que l'esprit d'équilibre conseillé par le premier degré du travail, de l'épargne et des autres arts dits pacifiques, est promptement rompu par l'esprit d'entreprise et d'initiative attaché à toute technique purement matérielle.
Il faut dépasser la conception des richesses divisibles et susceptibles d'être volées pour abolir ce genre de guerre de rapine qui est à la société des nations ce que le vol est à la société des familles.
Norman Angell aurait pu démontrer que le vol ne paie pas ceux qu'il envoie au bagne : Mais les en a-t-il convaincus ?
Incomparablement plus sage, l'Encyclique conseille de déraciner d'abord l'avarice.
On se battra moins pour le bien-être matériel quand les hommes et les peuples en seront un peu détachés.
Hors de ce détachement, hors de cet esprit catholique, toutes les perspectives d'avenir sont guerrières fatalement.
Si Karl Marx a raison, si M. le Ministre Jules Guesde a raison, si les fatalités du « ventre » doivent diriger de plus en plus les pensées et les sentiments de l'homme futur, il faut aussi compter que l'acier des faucilles et celui des charrues et des couteaux de table seront de plus en plus changés en armes de défense ou en instruments d'agression.

Telle du moins me paraît être l'évidence. Ceux qui prétendent autre chose prononcent des mots décousus démentis par l'événement.
La faillite du pacifisme humanitaire ne m'a pas étonné... Depuis longtemps, je ne m'étais étonné de sa monstrueuse irréalité.

Tout au rebours, le pacifisme catholique et pontifical se présente comme une doctrine intelligible, liée, rationnelle, supérieure aux réalités, mais en accord avec toutes les lois des choses.
Si l'on veut un autre exemple du genre de satisfaction intellectuelle qu'on y rencontre, on peut lire au dernier numéro des Études fondées par les Jésuites l'article d'Yves de la Brière sur « la guerre et la doctrine catholique », la question de la force et du droit s'y trouve abordée et analysée.
Exception faite pour un article de Paul Bourget avant-hier, nous n'avions lu jusque-là, dans les écrits Français et Allemands, que des balivernes sur ce sujet. Là se retrouve enfin l'esprit des choses et la liaison des idées.
Même question : Comment tous les profès du pacifisme ne donnent ils aucune attention à cela ? Je fais mon devoir d'écrivain en leur disant et même en leur criant de regarder un peu de ce côté.
C'est très intéressant pour tout le monde. Cela devrait les passionner, eux. Comment est-ce tout le contraire ?

II)
Le 17 novembre 1914, la « course à la mer » s'arrête. Sur près de 680 kilomètres, le front ouest s'est stabilisé de la mer du nord à la frontière Suisse. Partant de Nieuport et passant à travers les Flandres, la Picardie et l'Artois, il s'incline ensuite en Champagne vers l'est puis, en Lorraine, suit la frontière Allemande jusqu'à la Suisse.

Jusqu'à l'offensive Allemande de 1918, le front restera quasiment stable, à l'exception du retrait Allemand de 1917 qui libère l'est de la Somme et le nord-est de l'Oise.

Après l’inondation de la plaine de l’Yser et la stabilisation du front, durant toute la guerre, l’armée Belge tiendra le secteur qui s’étend de Nieuport à Dixmude.
Le reste du front Belge est tenu essentiellement par les troupes du Commonwealth.
A la fin 1914,les Allemands gardent encore une implantation sur la rive gauche de l’Yser en occupant les citernes à pétrole situées en aval.
Les Belges, en position derrière les tranchées reliant la ligne de chemin de fer Nieuport - Dixmude à l’Yser, tentent de réoccuper les tanks à pétrole pour sécuriser leurs positions.
III)
À Vignot :
Dans la nuit et dès l’aube, violente canonnade du côté de Saint Mihiel. Le 29e est placé à Boncourt prêt à donner main-forte en cas d’attaque. Le bataillon du 13e reste à Vignot comme réserve. Dans la journée, on signale une vive fusillade du côté du Bois d’Ailly. Quelques avions Français et Allemands survolent Vignot. La relève qui doit s’effectuer à la nuit n’a pas eu lieu en prévision des suites de l’attaque de la journée.

2e bataillon :
Avant-postes bombardés. Hommes blessés par shrapnels ennemis. État des pertes : adjudant Berthaud, réserviste engagé pour la durée de la guerre, 7e Cie, blessé mortellement, adjudant de bataillon Petitjean, réserviste, blessé à l’avant-bras gauche, Sergent Salet, 8e Cie, blessé légèrement à la tête, Caporal Perret, 7e Cie, blessé légèrement à la face.

3e bataillon :
Part dès l’aube au bois de la Vaux Féry. Attaque,la 2e compagnie, deux sections se sont portées à quelques mètres d’une tranchée ennemie.
N’ayant pu l’enlever, elle a dû se replier.
État des pertes : un blessé de la 9e compagnie,
Un tué, 21 blessés dont deux adjudants, un sergent, un caporal et 17 soldats pour la 10e compagnie, 4 tués dont les sergents Laplante et Arnault, 25 blessés dont le capitaine Saint-Arroman blessé au bras, le lieutenant Mignot blessé à l’épaule, 3 sergents, 3 caporaux et 17 soldats ainsi que 5 hommes disparus pour la 12e compagnie.

IV)
Londres, Howard Harrington :
Le bureau est immense, et pourtant, il donne à Howard la sensation d’étouffer. Peut-être que cette impression d’avoir le nez collé à un vieux meuble vient de l’odeur du bois ciré.
Peut-être cela vient-il de la rangée de larges fenêtres qui court le long d’un mur mais dont le verre épais ne laisse rien deviner de l’extérieur.
Peut-être encore est-ce le silence qui règne : tous les bruits de Londres sont assourdis...

L’officier britannique à l’allure stricte qui se tient derrière l’unique table de la pièce semble avoir été créé pour vivre dans ce lieu.
Howard se demande si ce n’est pas plutôt le fait de passer ses journées dans ce bureau qui l’a changé au point de lui donner cet air impeccable de comptable en uniforme à galons.

L’Anglais tire sur une cigarette en lisant le document que vient de lui apporter Howard.
De temps à autre, il arrête sa lecture. Il jette un œil du côté de l’Américain qu’il regarde de haut en bas avec dédain, puis reprend sans dire un mot.
Après d’interminables minutes, il s’exprime enfin.

« Monsieur le conseiller… Hattington ?
— Harrington, commodore. Howard Harrington. Conseiller spécial de l’ambassadeur des États-Unis à Londres, articule très distinctement Howard avec une fierté évidente.
Monsieur Harrington, reprend immédiatement l’Anglais en appuyant avec mépris sur chaque syllabe, réalisez-vous ce que votre ambassade nous demande ?
— Parfaitement, commodore.

Eh bien, j’en doute. Vous souhaitez l’emplacement de tous nos champs de mines en mer du Nord. (Il marque une pause avant d’asséner :)
Cette information est strictement confidentielle. Vous pouvez transmettre à votre ambassade. Au revoir, Monsieur Harrington. »

L’Anglais se saisit alors d’un dossier sur son bureau pour s’y plonger. Au bout de quelques secondes, il fait mine d’être surpris par Howard, resté immobile en face de lui.
« Dois-je vous faire raccompagner, Monsieur Harrington ?

Pas encore, commodore, répond Howard sans ciller. Permettez-moi d’appuyer plus clairement la demande de mon pays. Les champs de mines en mer du Nord gênent considérablement le passage de nos navires marchands, expose-t-il très posément. Nous sommes une nation neutre dans le conflit qui vous oppose à l’Allemagne et à ses alliés.

Nous souhaitons donc, en toute logique, poursuivre nos échanges commerciaux, sans pâtir de cette guerre qui n’est pas la nôtre. Nous ne demandons pas le déminage des couloirs maritimes, nous réclamons simplement les plans des champs de mines afin de pouvoir les traverser sans risque. »

Le commodore penche la tête sur le côté : Il peine à croire ce qu’il vient d’entendre.
« Permettez que je résume, Monsieur Harrington, dit-il sans parvenir à masquer son agacement. Vous vous présentez à l’Amirauté de sa Majesté le Roi d’Angleterre, afin que vous soit communiqué, vous qui êtes une puissance tierce, le plan d’une partie de nos défenses maritimes... Vous communiquerez ensuite ces informations à l’ensemble de vos capitaines marchands, et ce sur des milliers de navires. (Le Britannique semble avoir besoin de reprendre son souffle.) Dites-moi, Monsieur Harrington, combien de temps pensez-vous qu’il faudra pour qu’un espion Allemand obtienne ces plans ? Un jour ? Deux jours tout au plus ? Votre demande est absurde. C’est non, conclut sèchement l’Anglais.

Je demande à parler au premier Lord de l’Amirauté, répond l’Américain, qui n’est visiblement pas impressionné par le discours du commodore.

Vous souhaitez parler à Churchill ? (Le commodore se prend à sourire – la première fois depuis le début de cette entrevue.) Décidément ! Vous, les Américains, vous ne manquez pas de toupet !

Je sais de source sûre qu’il a rencontré des émissaires de l’ambassade du Japon qui souhaitaient eux aussi obtenir des informations stratégiques, argumente calmement Howard.
Le Japon est en guerre à nos côtés, Monsieur Harrington. (Il tamponne la sueur de son cou avec un mouchoir.) Pas les États-Unis, que je sache ! Tant que ce sera le cas, vos demandes à l’amirauté passeront par mon bureau, est-ce bien compris ? »

Une lueur de triomphe brille dans les yeux de l’officier Britannique. Howard hoche la tête, vaincu.
« Très bien. »

Il fait demi-tour vers la porte avant de s’arrêter et d’ajouter, sans se retourner vers son interlocuteur :

« Il va sans dire que, puisque tout passe par vous, votre nom sera mis en avant dans le rapport que je ferai à l’attention du président Wilson. J’imagine que le premier Lord sera heureux de votre prise d’initiative lorsqu’il apprendra que nous réduisons nos échanges maritimes avec l’Europe à cause de votre manque de coopération. »...

L’ambiance étouffante du bureau se fait encore plus oppressante jusqu’à ce qu’une voix étranglée dise :
« Écoutez, je vais discuter de votre demande avec mes supérieurs
— Faites donc cela, commodore », lance Howard, donnant toujours le dos à son interlocuteur.
Il sourit trop pour se retourner...

V)
105/Journal de la grande guerre/ 17 novembre 1914
Reims et le pays Rémois dans l'enfer de 1914-1918
« Triste nuit au cours de laquelle il nous a fallu encore nous relever vers 22h30, les obus tombant assez près, et nous tenir une seconde fois en alerte à 3h. Bombardement violent. Un obus a troué la voûte d’une chapelle à la basilique Saint-Remi.
Les journaux disent qu’environ 200 projectiles ont été envoyés par les Allemands. »

VI)
Le ciel est limpide, l’air léger, le soleil dore la campagne. A mes pieds, les rues, bordées de décombres, sont emplies de soldats. Des convois, en longue file, s’allongent sur les routes venant du sud.
Au nord, la perspective, limitée à gauche et à droite par les massifs de la forêt de l’Argonne, s’étende à perte de vue. Parmi les ondulations du terrain mamelonné, des villages apparaissent tout blanc, coiffé de toits rouges. C’est Aubréville, Neuvilly, Boureuilles et les premières maisons de Varennes. Plus à droite, sur une crête élevée, entourée de bois couleur de rouille, Vauquois, entièrement détruit, met une tache claire. Encore plus à droite, et très en arrière, on distingue une sorte de pic, dont le sommet est couronné d’un bourg imposant : Montfaucon.

VII)
Courmelles
J’y suis allé, ce matin, me mettre nez à nez avec les boches.
Accompagné des Lts. Gassier et Cordonnier, je suis allé (je me suis glissé, plutôt) jusqu’à nos extrêmes tranchées au nord de Soissons, exactement à droite de la route de Château-Thierry à Béthune, au-dessus de Crouy, à la cote 132.

Pour l'atteindre nous avons traversé Soissons,
Passé l’Aisne sur un pont de péniches établi par les Anglais auprès du pont à arches détruit,
Longé les ruines d’une distillerie aux énormes réservoirs éventrés et culbutés, Gravi une côte où parmi des maisons écroulées et brûlées des troupiers bivouaquent, tout recroquevillés dans leurs petites niches de terre et de paille. Enfin arrivés à un large tournant de la route, alors que déjà les balles sifflent au-dessus de nous, nous avons obliqué à droite et pénétré dans un bois. Dans ce bois, en contrebas de la grand-route, niche le 276e d’infanterie.
Les niches sont toutes de même modèle : Une voûte creusée dans le sable, prolongé au dehors par une petite marquise de fagots couverts de terre et protégée par une muraille de mottes de terre... Là-dedans on est absolument à l’abri de tous les modèles d’obus.
Ce village est le lieu de repos où viennent dormir les hommes ayant occupé les tranchées 24 heures de suite.
Au milieu du village, ou, du moins, le long de son sentier, des tombes, bordées de pierres, fleuries de chrysanthèmes, tombes d’Allemands, tombes de Français, tombes de Marocains…
Des arbres brisés par les obus barrent de temps en temps le chemin. Nous marchons la tête baissée, le contrebas du sentier n’étant pas encore assez bas pour mettre notre tête (nous avons chacun 1m80) à l’abri des balles.

Au bout de 300m nous trouvons le long couloir qui va nous mener aux tranchées avancées.
Il est profond, étroit, taillé dans le calcaire blanc. De temps à autre un léger élargissement permet aux allants et aux venants de se croiser.
Ce couloir n’en finit plus. Au-dessus de nos têtes des balles sifflent. Des obus français passent, rapides, hâtifs, comme impatients d’arriver au but.
Nous passons devant l’entrée d’une carrière, une odeur de cadavre s’en dégage : Je crois bien ! un mort y est enterré sous 2 doigts de poussière. Autour de lui des sacs, des casques Allemands, des fusils brisés.
Les Allemands ont logé là-dedans. Il n’y a plus qu’un locataire… Nous passons…

Le couloir perd peu à peu de sa profondeur et nous aboutissons bientôt dans une sorte de cirque planté de 4 ou 5 bouleaux brisés et dont le pourtour est garni de troupiers silencieux, les uns blottis dans des niches de calcaire blanc, les autres attentifs, l’œil fixé comme à une étroite lucarne.

Nous sommes arrivés au but de notre voyage quasi-souterrain. Les hommes attentifs sont des tireurs qui guettent par les meurtrières l’apparition d’un ennemi. Un lieutenant est avec eux, en capote d’homme de troupe, comme sont maintenant tous les officiers.
Il nous fait approcher d’une des meurtrières :
J’y mets l’œil. « Voyez-vous la tranchée boche ? »
Je fouille l’horizon au-dessous de l’herbe et de betteraves.
Je ne vois rien.
« Là, voyons, tout près à 25m. »
A 25m !…
Comment c’est la tranchée ennemie qui est là sous mon nez !
Je la cherchais à 3 ou 400m.
Oh ! oh ! je parle aussitôt moins fort.
Et je regarde de tout mon œil écarquillé !
Ce n’est pas commode parce que par le même trou passe le canon d’un fusil.
En face, à portée de la main, dirait-on, un mouvement du sol, des petits trous noirs qui sont des meurtrières et derrière ça un bruit de voix. Voilà ce qu’on entend et ce qu’on voit de l’ennemi quand on se trouve à 25m de lui, moins que la largeur de l’avenue de l’Opéra !...

Nous revenons par le long couloir. Tout à coup une explosion retentit auprès de nous avec un bruit aigu et sec que je ne connaît pas.
« Ça, nous dit un troupier qui se trouve avec nous, ça c’est une boîte à mitraille qui vient d’éclater.
Grouillons-nous ! il va en rappliquer d’autres…»
Nous hâtons le pas.
En effet, elles « rappliquent » et nous font un cortège bruyant.
Nous arrivons au bois du 276e. Les petites marmites nous suivent et leurs éclats brisent les branches au-dessus de nous.
Les « crapouillots » qui les crachent se trouvent à 500m de nous. Mais soudain des sifflements se font entendre au-dessus de nous, graves comme lorsque l’obus va atteindre le but de sa course.
Ce sont des 80 de montagne de chez nous qui répondent aux crapouillots.

En descendant vers Soissons nous passons par un endroit très sinistre : Une ferme complètement rasée par l’artillerie (la Maison-Neuve, je crois) dans le champ auprès d’elle 12 tombes alignées, 30m² entièrement labourés, retournés par des marmites, et puis, cachée derrière un pan de mur, dissimulée sous des feuillages une pièce de 75, prête à tirer... Elle est à 200m des tranchées ennemies !…

VIII)
De notre envoyé spécial :
Parmi les ondulations du terrain mamelonné, des villages apparaissent tout blanc, coiffé de toits rouges. C’est à cette forte position, « la butte aux lapins » , comme l’appellent nos troupiers, que les Allemands se sont accrochés désespérément.
On comprend qu’il ne soit pas facile de les en déloger. La hauteur commande toutes celles des environs. Malgré cela, nos soldats sont convaincus qu’ils l’enlèveront de vive force, avant qu’il soit longtemps. Et ils s’y emploient héroïquement.

Je fouille l’horizon avec ma jumelle quand un long appel de clairon, tout proche de moi, me fait tourner la tête.
On me fait signe... Un avion est signalé !
Bientôt j’aperçois, très haut dans le ciel, un point mouvant qui se rapproche vite et révèle un biplan Français. Une nouvelle sonnerie avertit qu’il ne faut pas tirer sur lui...

Le grand oiseau plane au-dessus des lignes ennemies, fait de vastes circuits et se dirige vers nos lignes à nous.
Alors j’entends de grosses détonations. L’artillerie lourde des Allemands tire sur l’avion. Des flocons de fumée blanche, dans l’air, marquent l’éclatement des obus. Une angoisse m’étreint... Vais-je voir descendre notre aviateur ?

Heureusement, le tir de l’adversaire est trop court. Secouant ses ailes, l’avion prend du champ, survole impunément les canons qui le visent, en repère l’emplacement et finalement vient se poser à Neuvilly.

Voulant venger leur échec, les Allemands postés sur la montagne de Vauquois, se mettent à canonner furieusement nos positions. Nos artilleurs répondent vigoureusement avec les grosses pièces. Dans les tranchées sillonnant la plaine, la fusillade éclate. Le 75 se met bientôt de la partie. C'est un bruit assourdissant !
Cependant, la bataille continue et l’on ne voit pas un être humain dans l’immense étendue de la campagne. Toutes les pièces ont défilées et l’infanterie tire sans sortir des tranchées. On aperçoit seulement un grouillement de masses confuses au delà de Vauquois. Ce sont des Allemands que notre feu déloge des bois de Cheppy.

Comment rendre l’impression saisissante causée par un tel spectacle ? La bataille se livre sous mes yeux, j’en entends le bruit, je peux en deviner les phases, au son, et je ne vois pas les combattants...
La ligne ennemie est facile à imaginer. Au dessus des bois, entre Vauquois et Montfaucon plane un aérostat Allemand... Qu’on se représente un gros fuseau, pareil à un cigare trop court, de couleur ocreuse, dont l’avant est bizarrement incliné vers le sol. On se demande comment la nacelle peut garder sa stabilité. Les observateurs qui l’occupent cherchent à repérer nos positions... Le résultat est que nos 15 obligent le ballon captif à atterrir. Sa mission est manquée.

Alors c'est de la part de l’adversaire une pluie d’obus, s’abattant à tort et à travers, mais ne causant aucun dommage important.
Nos tranchées, minces coupures entaillant la plaine, demeurent indemnes. Finalement le feu des Allemands va en diminuant d’intensité. Bientôt, il cesse tout à fait.

Nos batteries et nos rangées de tirailleurs se taisent à leur tour. Le résultat voulu est atteint, me dit-on. La position exacte de l’ennemi est connue et l’attaque prochaine se fera non par tâtonnement mais à coup sûr.
Profitant de l’accalmie, des cyclistes, des automobiles, et quelques charrettes sortent de leurs abris, comme par enchantement Les routes, désertes tout à l’heure, s’animent brusquement. Tout cela se hâte vers Clermont.
Un fourgon automobile apparaît, le drapeau à croix rouge flottant au vent, et se dirige vers l’hôpital, où est installée l’ambulance de première ligne... Une demi-heure après, 4 d’entre eux sont morts. Ce sont de glorieuses victimes de l’engagement auquel j’ai assisté.
Nous les vengerons, me dit en passant un petit soldat. Cette promesse sera tenue quelques heures plus tard.

Le soir tombe. Les champs s’enveloppent d’ombre et de silence. Dans les cantonnements, on mange la soupe. Puis les feux sont éteints.
Cependant, les ténèbres de la campagne se peuplent peu à peu de grandes formes mouvantes. Sans bruit, les troupes vont renforcer les lignes avancées. Il y a un sourd piétinement, des commandements à voix basse circulent dans les rangs. Puis tout se tait. La vision disparaît.

Vers 21h, soudain un formidable coup de canon éclate au loin. C'est un signa !. Nos grosses pièces se mettent à tirer à coups pressés, tandis que le 75 fait entendre son martellement précipité. La bataille de nuit commence.
L’artillerie ennemie riposte avec fureur.
Bientôt, des deux côtés les mitrailleuses et les fusils font rage.

Cela dure plusieurs heures qui me paraissent interminables.
Les détonations, répercutées par l’écho, dominent tous les bruits de la bataille. Enfin, des clameurs lointaines parviennent jusqu’à moi, apportées par le vent...

C’est l’assaut à la baïonnette, donné par les nôtres, dans les bois.
Combien de temps s’écoule-t-il ?
Je ne saurais l’apprécier tant l’angoisse me tenaille.
Une estafette arrive au galop dans la direction du groupe où je suis et crie en passant « Nous sommes vainqueurs ! »

C’est vrai. La position ennemie a été enlevée. Les morts de la journée sont vengés.
Au prix de quels efforts héroïques, je le sais un peu plus tard, au jour.
Le lendemain, le communiqué officiel contient cette phrase :
« Lutte acharnée dans l’Argonne où, par des actions à la baïonnette, nos troupes ont refoulé les Allemands. »
C’était tout.

IX)
Jacques Bainville, à l'origine d'une mesure de justice envers les familles des « morts pour la France »...

Après l'enterrement de Calmette, j'avais écrit : « Ce sera l'enterrement du Victor Noir de la Troisième République. Tous les spectateurs de cet émouvant cortège funèbre (c'est-à-dire tout Paris) ont eu l'impression d'une fin de régime, d'une veille de catastrophe.
Le crime commis par le cousin de l'Empereur précède de 6 mois la guerre. De combien de temps la précédera le crime commis par la femme d'un ministre de la République ? »
Je me souviens que Le Journal de Genève avait, sans commentaires, reproduit cet article. J'aimerais savoir si ses lecteurs se le rappellent...

On raconte que Mme Caillaux, s'étant proposée pour soigner les blessés dans une ambulance, se serait entendue répondre : « Oh ! madame, votre place est plutôt sur le front : Vous tirez si bien. »
Aujourd'hui on apprend que Joseph Caillaux et sa femme se sont embarqués pour l'Amérique du Sud. L'« ancien ministre a rendu ses galons de trésorier aux armées et a reçu une mission du ministre du Commerce.
Le gouvernement (Briand et Delcassé) s'est-il débarrassé d'un homme dangereux, qui peut prendre la direction du parti de la paix à tout prix ?
C'est possible !
Il y a eu certainement des difficultés entre Joseph Caillaux et l'autorité : On affirme que le général Gallieni lui a infligé 15 jours d'arrêt.
La Bataille syndicaliste affirme qu'il a été écarté de l'armée et de France en raison d' « abus de pouvoir » dans l'exercice de ses fonctions... Il se peut.
Ce qui est certain, c'est que l'atmosphère de Paris devient singulièrement orageuse pour Joseph Caillaux.
L'incident du 24 octobre... La poursuite du ministre et de sa femme par la foule, entre le restaurant Larue et l'Opéra a été beaucoup plus grave qu'on ne l'a dit d'abord.
La vie de Joseph Caillaux a été sérieusement en danger. Des témoins de sang-froid affirment que, si cette petite émeute s'était passée dans des rues étroites, au lieu de se former sur les boulevards, où les agents ont pu charger et dégager l'ancien ministre, sa vie et celle de sa femme étaient menacées. Ce départ pour l'Amérique est gros de sens.
Il indique l'orientation de l'avenir.

...On lit dans le communiqué du Conseil des ministres d'hier matin :
« Le Conseil a décidé, sur la proposition du ministre des Finances, de saisir les Chambres d'un projet de loi pour supprimer en ligne directe et au profit du conjoint survivant les droits de mutation sur les successions des officiers et soldats morts sous les drapeaux. »

Maurras veut bien ajouter le commentaire qui, je le dis sans fausse honte, me cause un vif plaisir :

« Non, ce n'est pas sur la proposition de l'honorable M. Ribot, mais sur l'avis de Jacques Bainville, dans L'Action française du 2 octobre, article intitulé : « Le fisc et les héros », qu'a été prise cette mesure plus que tardive et qu'il est permis de trouver insuffisante, comme nous aurons prochainement l'occasion de le voir et de le démontrer.
Aujourd'hui, il nous suffit d'en prendre acte et d'y mettre la signature de notre collaborateur, en faisant remarquer de nouveau que cette idée du gouvernement a été appliqué dans la monarchie Anglaise qui nous en a donné l'exemple, il y a de longs mois, et qu'elle a été importée en France par un royaliste.
L'essence tardigrade du régime et de l'esprit républicain se trouve donc pincée sur le fait une fois de plus. »

Si j'ai pu aider à cela, je n'aurai pas été tout à fait inutile. Il restera, comme me l'avaient suggéré plusieurs correspondants, à obtenir que, pour les orphelins mineurs, la ruineuse licitation soit laissée de côté... Malfaisance du Code civil, conçu, comme disait Renan, pour un peuple d'enfants trouvés qui mourraient célibataires...

XI)
Le défilé du 11 novembre 1914 a eu lieu à Dunkerque. On peut en lire le compte-rendu dans le journal Le Matin :

« [Sont entrés dans la ville ] une trentaine de goumiers, Algériens au burnous bleus, juchés sur leurs petits chevaux fringants, précédés de leur chef, un caïd à la selle brodée d'or, décoré de la Légion d'honneur, et qui porte sur la manche de sa veste rouge les galons de lieutenant Français. Ils encadrent une centaine de prisonniers Allemands qu'ils ont capturés, troupeau veule et sans couleur, visages ahuris et résignés, ces captifs désarmés avancent en rangs compacts, uniformément gris, sales... Visages, mains, bottes, vêtements élimés, tout est du même ton terreux, ils regardent autour d'eux d'un air étonné et se laissent docilement conduire jusqu'à la prison par les beaux Arabes aux visages de bronze, aux bottes de cuir rouge, aux harnachements incrustés d'argent, qui cavalcadent fièrement jusque sur les trottoirs. »

On admire le talent de coloriste du journaliste, et l'opposition saisissante qu'il crée entre le troupeau veule, sale et terreux des Allemands (il ne les qualifie pas encore de boches, mais c'est évidemment ce qu'il pense), et, le bleu, l'or, le rouge, le bronze, l'argent, des beaux Arabes, troupe éclatante et victorieuse, témoin de la splendeur et de la diversité de la France et de son armée, car la France c'est aussi l'Empire, donc le monde, et le monde ne va pas se laisser bousculer longtemps par quelques teutons ahuris aux vêtements élimés.
Évidemment, le 11 novembre 1914, tout le monde ignore qu'il y en a encore pour 4 ans avant le 11 novembre 1918...

XII)
Lettre à ceux qui m'accusent
À Genève, où je travaille à l’Œuvre internationale des Prisonniers de Guerre, m’est parvenu tardivement l’écho des attaques suscitées contre moi dans certains journaux par les articles que j’ai publiés, au Journal de Genève, ou plutôt par deux ou trois passages artificieusement choisis dans ces articles (car ceux-ci ne sont connus de presque personne, en France).

Ma meilleure réponse sera de les réunir en brochure et de les publier, à Paris. Je n’y ajouterais pas un mot d’explication, car il n’est pas une ligne que je n’estime avoir eu le droit et le devoir d’écrire.
Et je pense que, d’ailleurs, il y a mieux à faire, en ce moment, qu’à se défendre soi-même, il y a à défendre les autres, les milliers de victimes que fait chez nous la guerre, le temps que l’on consacre à répondre à un adversaire est comme un vol que l’on fait à ces malheureux, à ces prisonniers, à ces familles, dont nous tâchons à Genève, de rapprocher les mains qui se cherchent à travers l’espace.

Mais puisqu’on ne s’est pas contenté de m’attaquer personnellement, puisqu’on a attaqué des idées, une cause, que je crois celles de la vraie France, puisque mes amis attendent de moi que je défende ces pensées qui sont aussi les leurs, je profite de l’hospitalité qui m’est offerte, pour répondre nettement, franchement, en bon François et Nivernois.

J’ai publié 4 articles :
Une lettre à Gerhart Hauptmann, au lendemain de la dévastation de Louvain Au-dessus de la Mêlée — De deux maux le moindre — et Inter Arma Caritas.
Dans ces 4 articles, j’ai dit que de tous les impérialismes qui sont le fléau du monde, l’impérialisme militariste Prussien est le pire, qu’il est l’ennemi de la liberté Européenne, l’ennemi de la civilisation d’Occident, l’ennemi de l’Allemagne elle-même, et qu’il faut le détruire.

Sur ce point, j’imagine que nous sommes tous d’accord.
Que me reproche-t-on ?
Sans entrer dans la discussion de certains points de détail, comme l’appel fait par les Alliés aux forces de l’Asie et de l’Afrique, que j’ai désapprouvé et que je désapprouve encore, parce que j’y vois un grave danger prochain pour l’Europe, pour les Alliés eux-mêmes, et que ce danger commence à se réaliser déjà, par les menaces de soulèvement du monde islamique, on me reproche essentiellement deux choses :
1° Mon refus d’englober dans la même réprobation le peuple Allemand et ses chefs, militaires ou intellectuels.
2° L’estime et l’amitié que je conserve pour des hommes de cette nation avec qui nous sommes en guerre.

Je répondrai d’abord, sans ambages, à ce second : oui j'ai des amis Allemands, comme j'ai des amis Français, Italiens, Anglais, de toute race. C’est ma richesse, j’en suis fier, et je la garde. Quand on a eu le bonheur de rencontrer dans le monde des âmes loyales avec qui l’on partage ses plus intimes pensées, avec qui l’on a noué des liens fraternels, ces liens sont sacrés, et ce n’est pas à l’heure de l’épreuve qu’on ira les briser.
Quel lâche serait-il donc, celui qui cesserait peureusement de les avouer, pour obéir aux sommations insolentes d’une opinion publique qui n’a aucun droit sur notre cœur ?
L’amour de la patrie exige-t-il cette dureté de sentiment, que l’on décore, je le sais, du nom de Cornélienne ? Mais Corneille lui-même a fourni la réponse :
« Albe vous a nommé, je ne vous connais plus. — « Je vous connais encore, et c’est ce qui me tue. »
Ce que de telles amitiés, en des moments pareils, ont de douloureux parfois jusqu’au tragique, certaines lettres le montreront plus tard. Du moins, nous leur devons d’avoir pu, grâce à elles, nous défendre de la haine, qui est plus meurtrière encore que la guerre, car elle est une infection produite par ses blessures, et elle fait autant de mal à celui qu’elle possède qu’à celui qu’elle poursuit.

Ce poison, je le vois avec inquiétude se propager, à l’heure actuelle. Les cruautés et les ravages commis par des armées Allemandes ont fait naître chez les populations victimes un désir de représailles, qui se conçoit, mais que la presse n’a pas pour tâche d’exaspérer : Car ce désir risquerait de conduire à de dangereuses injustices, dangereuses non seulement pour le vaincu, mais surtout pour le vainqueur.

Le France a, dans cette guerre, la chance d’avoir le plus beau rôle, et la chance plus rare encore que l’univers l’ait reconnu. Un Allemand m’écrivait, il y a quelques semaines : « La France a obtenu, dans cette guerre, un prodigieux triomphe moral : Les sympathies du monde entier se sont ruées vers elle, et — le plus extraordinaire — l’Allemagne elle-même a un secret penchant pour l’adversaire. » Ce triomphe moral, nous devons tous vouloir qu’elle le garde jusqu’au bout, qu’elle reste, jusqu’au bout, juste, lucide et humaine. Je n’ai jamais pu distinguer la cause de la France de celle de l’humanité.
C’est parce que je suis Français que je laisse à nos ennemis Prussiens la devise : « Oderint, dum metuant. »
Je veux que la France soit aimée, je veux qu’elle soit victorieuse non seulement par la force, non seulement par le droit (ce serait encore trop dur), mais par la supériorité de son grand cœur généreux.
Je veux qu’elle soit assez forte pour combattre sans haine et pour voir, même dans ceux qu’elle est forcée d’abattre, des frères qui se trompent et dont il faut avoir pitié, après les avoir mis dans l’incapacité de nuire.

Nos soldats le savent bien. Je ne compte pas les lettres qui nous viennent du front et nous citent des traits de fraternité compatissante entre les combattants.
Mais les civils qui se trouvent à l’écart du combat, qui n’agissent point, qui parlent, qui écrivent et s’entretiennent ainsi dans une agitation factice et forcenée sans pouvoir la dépenser, ceux-là sont livrés aux souffles de violence fiévreux.
Et là est le danger. Car ils sont l’opinion, — la seule qui puisse s’exprimer : (toute autre est interdite). C’est pour eux que j’écris, non pour ceux qui se battent : (ils n’ont pas besoin de nous !)

Et lorsque j’entends des publicistes tâcher de tendre toutes les énergies de la nation, par tous les excitants, vers cet objet unique : L’écrasement total de la nation ennemie, j’estime qu’il est de mon devoir de m’élever contre ce que je crois à la fois une erreur morale et une erreur politique.
On fait la guerre à un État, on ne la fait pas à un peuple. Il serait monstrueux de faire porter à 65 millions d’hommes la responsabilité des actes de quelques milliers, de quelques centaines peut-être.
De cette Suisse Française, si passionnée pour la France, si frémissante de ses sympathies pour elle et du devoir de les refréner, j’ai pu, depuis 3 mois, par la lecture des lettres, des brochures d’Allemagne, scruter attentivement la conscience de la nation Allemande.
Et j’ai pu me rendre compte ainsi de bien des faits qui échappent à la plupart des Français : — Le premier, le plus frappant, le plus inattendu, c’est qu’il n’y a dans l’ensemble de l’Allemagne aucune haine réelle contre la France, (toute la haine est tournée contre l’Angleterre). Le pathétique même de la situation est que jamais l’esprit Français n’avait exercé sur l’Allemagne une telle attraction que depuis 2 ou 3 ans, on commençait à découvrir la vraie France, la France du travail et de la foi, les nouvelles générations Allemandes, les jeunes classes que l’on vient de mener à l’abattoir d’Ypres et de Dixmude comptaient les esprits les plus purs, les plus idéalistes, les plus épris du rêve de fraternité universelle.
Dirai-je que pour beaucoup d’entre eux la guerre a été un déchirement, « une horreur, un échec, un renoncement à tout idéal, une abdication de l’esprit, » Comme l’écrivait l’un d’eux, à la veille de mourir ?
Dirai-je que la mort de Péguy a été un deuil pour beaucoup de jeunes Allemands ?
On ne le croira pas. Il le faudra bien pourtant, le jour où je publierai les documents amassés.
Ce qu’on sait un peu mieux en France, c’est comment cette nation Allemande, enveloppée dans la nasse des mensonges de son gouvernement, s’abandonnant à lui avec un loyalisme aveugle et entêté, en est arrivée à la croyance profonde qu’elle est attaquée, traquée par l’envie du monde, et qu’il lui fallait se défendre à tout prix, ou mourir.
Il est dans les traditions chevaleresques de la France de rendre hommage au courage d’un adversaire.
On doit à celui-ci de reconnaître qu’à défaut d’autres vertus l’esprit de sacrifice est, chez lui, presque illimité.
Ce serait une grave faute de le pousser à bout.
Au lieu d’acculer à la grandeur d’une défense désespérée ce peuple aveuglé, tachez de lui ouvrir les yeux.
Ce n’est pas impossible. Un patriote Alsacien, qu’on ne peut taxer d’indulgence pour l’Allemagne, le Dr Bucher, de Strasbourg, me disait naguère que si l’Allemand est plein de préjugés orgueilleux, soigneusement cultivés par ses éducateurs, du moins on a toujours cette ressource avec lui de pouvoir discuter et que son esprit docile est accessible aux arguments.
Je vous en donnerai un exemple : L’évolution secrète que je vois se produire dans la pensée de certains Allemands.
Nombre de lettres Allemandes que j’ai lues depuis un mois commencent à émettre des doutes angoissés sur la légitimité des actes accomplis par l’Allemagne en Belgique.
J’ai vu ces inquiétudes se former peu à peu dans des consciences qui d’abord reposaient en la certitude de leur droit.
La vérité lentement se fait jour. Qu’arrivera-t-il si sa lumière gagne et s’étend ?
Portez-la dans vos mains ! Qu’elle soit notre meilleure arme ! Comme les soldats de la Révolution, dont l’âme revit dans nos troupes, combattons non pas contre, mais pour nos ennemis. Et, délivrant le monde, délivrons-les aussi.
La France ne brise pas de chaînes pour en imposer d’autres.
Vous pensez à la victoire. Je pense à la paix qui suivra.
Car les plus belliqueux d’entre vous ont beau dire et, comme dans tel article, nous offrir la régalante promesse d’une guerre perpétuelle,
« d’une guerre qui dure après la guerre, indéfiniment »… (elle finira pourtant, faute de combattants !)… il faudra bien un jour que vous vous donniez la main, vous et vos voisins d’outre-Rhin, ne fût-ce que pour toper dedans, pour vos affaires, il faudra bien que vous repreniez ensemble des relations supportables et humaines : Arrangez-vous donc de façon à ne pas les rendre impossibles ! Ne brisez pas tous les ponts, puisqu’il nous faudra toujours traverser la rivière. Ne détruisez pas l’avenir.
Une belle blessure bien franche, bien propre, se guérit, mais ne l’envenimez pas.
Défendons-nous de la haine. S’il faut dans la paix préparer la guerre, comme dit la sagesse des nations, il faut aussi dans la guerre préparer la paix. C’est une tâche qui ne me semble pas indigne de ceux d’entre nous qui se trouvent en dehors du combat et qui par la vie de l’esprit, ont des liens plus étendus avec l’univers, — cette petite église laïque qui, mieux que l’autre aujourd’hui, garde sa foi en l’unité de la pensée humaine et croit que tous les hommes sont les fils du même Père. En tous cas, si une telle foi nous vaut d’être injuriés, ces injures sont un honneur, que nous revendiquons devant l’avenir.
Lettre à ceux qui m'accusent Romain Rolland

Le Pape, la Guerre et la Paix – Charles Maurras - Maurras.net
maurras.net/textes/240.html
8 septembre 1914; Le catholicisme et la paix — 14 novembre 1914; Portée ... 17 janvier 1916; Un article des Études, le pape et les lois de la guerre — 9 février ...
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17 novembre 1914: stabilisation du front - Commémorer 14-18
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Le 17 novembre 1914, la "course à la mer" s'arrête. Sur près de 680 kilomètres, le front ouest s'est stabilisé de la mer du nord à la frontière suisse. Partant de ...
17 novembre 1914 | À la vie, à la guerre
www.alaviealaguerre.fr/17-novembre-1914/
Londres. Howard Harrington. Le bureau est immense, et pourtant, il donne à Howard la sensation d'étouffer. Peut-être que cette impression d'avoir le nez collé ...










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