lundi 8 décembre 2014

LA GRANDE GUERRE AU JOUR LE JOUR LE 24 NOVEMBRE 1914

24 NOVEMBRE 1914


I)
Les emplacements du 56e inchangés.
À Vignot : La deuxième fraction du renfort destiné au 2e bataillon, composée de 86 hommes est partie le 24 à 6h de Vignot pour arriver à la Croix-Saint-Jean à 17h où elle a été prise par les cadres du bataillon. Pendant leur trajet, ils ont été surpris par des projecteurs Allemands placés au Camp des Romains qui les ont suivis de Pont-sur-Meuse à Mécrin : Aucun bombardement n’a suivi...

1er bataillon : Une voiture de munitions demandée la veille par le Commandant Mayotte est partie dans la matinée. Beaucoup de munitions ont brûlé.
2e bataillon : Dès l’arrivée de la 2e fraction de renfort, les hommes ont été affectés à leurs compagnies. Ils sont parvenus aux tranchées sans incident. À la tombée de la nuit, vive fusillade. Le Capitaine Beaulieu demande deux voitures de munitions pour les 5e et 6e compagnies.

3e bataillon : Dans la matinée, mort du Capitaine Moine tué par une balle perdue à son poste de commandement pendant qu’il donnait des ordres aux chefs de section.
La mort du capitaine Moine est l’objet d’une consternation générale de la part des hommes et des officiers dont il était apprécié.
Vignot (suite) Le soir, relève des bataillons formant la Réserve Générale.
Le 2e bataillon du 13e part à la tombée de la nuit cantonner à Boncourt en même temps que le 3e bataillon du 134e qui va à la Presqu’île du Bielet.
Ils sont remplacés par les 1er et 2e bataillons du 85e d’Infanterie Le 3e bataillon du 171e reste à Vignot.

II)
J’ai passé la nuit dans un grenier, sur un matelas, entre deux claies chargées de pommes et sous des chapelets d’oignons.
Le canon se tait. Il n’en est que plus redoutable, les Allemands se tenant silencieux avant les bombardements. Mais la nuit s’est passée sans que nous fussions inquiétés. Comme c’est frêle un toit, quand les obus de 210 le menacent ! Et comme on dort mal sous cette coquille et sous cette menace, surtout par une nuit de grand gel !

Le matin, nous apprenons qu’à Crouy la compagnie Dufour a été éprouvée : l’adjudant Monville (qui s’empara naguère des fameux bandits Bonnot et Garnier) a été mis en morceaux par un obus, le capitaine a la joue endommagée, plusieurs troupiers sont tués...
La journée se passe dans l’attente de quelque chose… qui ne se produit pas.
Le ciel est noir.
Il tombe des petits brins de neige.
Les canons tirent de temps à autre.
Les Allemands bombardent encore Soissons et les environs de la batterie qui se trouve dans les bois près de nous. Je vais jusqu’au faubourg de Soissons. Je vois dans un champ devant une bicoque des enfants qui se sont creusé, contre les obus, une tranchée miniature du modèle des nôtres. Ils s’amusent énormément : Pensez ! 3 obus sont tombés là, tout près, presque sur eux. Ils en attendent d’autres, impatients de mettre leur tranchée à l’épreuve.

III)
Saint-Adresse Stéphane Peeters
Assis sur les marches de la porte de service, l’énorme cuisinier fredonne un air populaire entre deux bouffées de cigarette. Son crâne rasé dodeline au rythme de la mélodie. Le marmiton n’interrompt son récital que lorsqu’il voit s’approcher un jeune homme bien mis.
« Qu’est-ce que tu veux, gamin ? Tu devrais pas être ici, c’est un bâtiment officiel. »
Le garçon s’arrête. Il n’est plus sûr d’être au bon endroit. Lorsqu’il se retrouve nez à nez avec le cuisinier, qui s’est levé pour le toiser de toute sa hauteur, il tremble un peu.
« T’as perdu ta langue ? C’est pas ouvert au public, je te dis, grogne le cuisinier. »
Il fixe le jeune homme de ses yeux profondément enfoncés dans leurs orbites, comme deux feux minuscules brûlant au fond de leurs grottes de chair.
« Pardon, monsieur, c’est bien le Palais des Régates ? En fait je… bégaye le jeune homme avec un fort accent Belge. Je cherche à voir le chef de salle pour…
— Ah ! l’interrompt le cuisinier qui se fend immédiatement d’un sourire bienveillant. Tu dois être Peeters ?
— Oui, oui, tout à fait ! s’exclame le garçon, enfin rassuré. Stéphane Peeters, le nouveau maître d’hôtel, ench…
— Laisse tomber les politesses, va, on n’a pas la journée. Le chef de salle est malade, alors c’est moi qui te fais visiter. »

La porte de service claque bruyamment et tous deux se retrouvent bientôt dans une vaste cuisine, aux murs blancs et à l’équipement quelque peu vétuste. Plusieurs hommes sont à leurs postes.
« Tu sais comment tout ça marche, hein ?
— Oui, répond fièrement Stéphane, j’étais maître d’hôtel à Bruxelles avant la guerre.
— Bon, ben c’est déjà ça, souffle le marmiton, parce qu’ici, tu vas voir, on trouve de tout. Tiens, le type là-bas, à la plonge, dit-il en indiquant un homme aux cheveux grisonnants, figure-toi qu’il était postier à Liège. Et le gars avec la casserole, là-bas, il paraît qu’il avait sa propre société de textile. La guerre, ça mène à tout, tu vois ! »

Il tape si fort dans le dos de Stéphane pour ponctuer son bon mot que le maître d’hôtel fait deux pas en avant bien malgré lui. Il rit pour contenter le cuisinier, même s’il a du mal à se remettre sur ses pieds.
Ils passent ensuite la porte des cuisines pour se retrouver dans une vaste salle où deux tables en bois se font face. L’une d’elles est de dimensions modestes, mais elle est recouverte d’une nappe bien plus élégante.
« C’est pour un mariage ? s’étonne Stéphane.
— Ha ha ha, t’es un marrant, toi ! s’esclaffe l’homme en lui assénant de nouveau une tape dans le dos. Ils ne t’ont rien dit en t’affectant chez nous ?
— Non, pas vraiment, juste qu’on avait besoin de moi, répond Stéphane en passant discrètement une main sur son épaule endolorie.
— Et voilà ! Chaque fois c’est la même chose, râle-t-il. C’est à moi de tout expliquer ! Bon, tu sais au moins pourquoi le service des réfugiés Belges t’a envoyé à Sainte-Adresse ?
— Parce que c’est la nouvelle capitale de la Belgique en attendant que l’on reprenne le pays… ose timidement le jeune homme, qui craint la prochaine attaque du cuisinier.
— C’est ça. (Il sourit avec enthousiasme.) Mais si tu veux mon avis, les Français se sont bien foutus de nous ! Ils auraient pu trouver plus grand que ce coin perdu du Havre pour faire office de capitale, dit-il avec agacement. Mais bon, tu connais les Français. Et puis si tu ne les connais pas encore, ça ne va pas tarder, tu vas voir ! »

Stéphane n’échappe pas à une bourrade amicale du cuisinier. Soudain, deux détonations secouent tout le bâtiment, suivies par un long mugissement. Dans les cuisines, les casseroles s’entrechoquent avec fracas et la vaisselle tremble dans un vacarme tel qu’on l’entend jusque dans la salle. Stéphane, paniqué, se baisse pour se protéger. C’est alors qu’il voit avec étonnement que le cuisiner n’a pas bougé.

« Tiens, les Français font tirer leurs canons, dit tranquillement le marmiton, en ignorant la mine effrayée de Stéphane.
— Mais sur quoi peuvent-ils bien tirer ? Les Allemands sont déjà là ? s’inquiète Stéphane, qui se relève doucement.
— Ils tirent sur la mer, mon vieux. (Le cuisinier se rallume une cigarette.) C’est pour faire peur aux sous-marins. Je ne sais pas si ça marche, mais tu verras, ils le font plusieurs fois par jour. Bon, de quoi je te causais ?
— Des tables. La grande et la petite. »
Le maître d’hôtel est à peine remis de ses émotions mais il veut faire bonne figure.
« C’est ça, merci. Écoute, puisque le gouvernement est ici, les délégués étrangers auprès du gouvernement le sont aussi. Et c’est ici, au Palais des Régates, qu’ils sont accueillis et qu’ils mangent. Ton travail, ça va être de préparer leurs tables et de servir ces Messieurs.
— Et comment les placer sur chacune des tables ? insiste le maître d’hôtel.
— La petite, c’est pour nos alliés. La grande, pour les pays neutres. Dès que l’un d’entre eux se rallie à nous, tu le passes sur la petite table. Il y a un tableau là-bas, vérifie-le tous les jours. »

Stéphane approuve et embrasse la salle du regard en essayant de l’imaginer emplie d’ambassadeurs répartis en fonction de leurs alliances militaires. Une question lui traverse l’esprit, et il ne peut s’empêcher de demander :
« Et si un pays rejoint l’ennemi ? »... Le cuisinier serre son tablier entre ses poings.
« Alors débarrasse son couvert, viens en cuisine et brise son assiette. Tu parlais de table de mariage ? Hé bien ici, c’est pareil. Quand un invité ne fait pas honneur aux hôtes, il n’est pas le bienvenu, » dit-il en repartant vers les cuisines.

IV)
à 9h30 enterrement des 4 hommes tués par l'obus du dimanche soir 8h. (M. Maréchal, Conseiller de Fabrique de la Cathédrale en est un), rue de la Porte de Paris. Je devais assister à la messe et donner l'absoute.
Au dernier moment le Commandant de Place interdit la cérémonie par mesure de prudence. Journée et nuit tranquilles.

V)
Temps comme hier. Le début de la journée est assez calme quoique nos pièces tirent toujours ce qui semble tout indiqué que les autres répondront sans nul doute.
A 10h30, Départ de l'ambulance de la Bouchonnerie, le convoi funéraire des 3 officiers et du Capitaine des pompiers, spectacle émouvant et triste en même temps, le convoi passe derrière notre maison, devant le parc et se dirige sur le cimetière de l'ouest, route de Bezannes. Nuit assez tranquille quelques coups de canon seulement. J'ai omis de dire que le convoi était conduit par l'archevêque...

V)
« La nuit passée a été épouvantable, le bombardement commencé à 22h du soir, n’a cessé qu’à 5h15 ce matin. Les obus arrivent par rafales de 3, 4, 5 et 6 simultanément...
Un gros calibre (probablement 210) est tombé sur l’hôtel de ville, à l’angle de la rue des Consuls et de la Grosse Écritoire. Son explosion a projeté des blocs de pierre de taille sur le trottoir de cette dernière rue et causé des dégâts considérables du haut en bas de l’édifice, jusqu’au rez-de-chaussée où se trouve le bureau des contributions (…) »
Extraits de « je t’écris de la tranchée » de Dorgelès soldat à Hermonville (Marne)

VI)
Les décisions du 118e RIT cantonné à Verzenay, les mauvais élèves musiciens retourneront dans les tranchées...Tambours et clairons, le lieutenant-colonel a constaté hier que les tambours et clairons ne font absolument rien à l’école malgré les avertissements qu’il leur a déjà donnés, il les prévient une dernière fois que si d’ici 8 jours ils ne modifient pas leur façon de faire et n’ont pas fait de progrès, il les renverra dans les tranchées avec leurs bataillons.

VII)
Les Allemands imposent la carte d’identité le 24 novembre en Belgique.
L’occupant introduit l’usage d’un document jusque-là peu connu des Belges. Les différentes restrictions à la liberté de déplacement mises en place par l’occupant vont déboucher logiquement sur la création d’un document inconnu de la population Belge avant août 14 : La carte d’identité. Dès le 24 novembre, elle est obligatoire (avec photo !) pour toute personne de plus de 15 ans.

VIII)
Avec les troupes Indiennes à Festubert, le 23 novembre 1914 a lieu un violent fait d’armes qui va impliquer les 2 divisions Indiennes (Meerut division et Lahore Division). C’est à Festubert qu’a lieu ce « coup de main » Allemand. La contre-attaque qui s’ensuit va permettre à certains hommes de se distinguer par leur héroïsme et leur bravoure.

IX)
Midi :  Il vient de passer un détachement de 400 hommes du 76e d’infanterie se rendant au front, ils paraissent bien en forme et sont plein d’entrain. La cantine gratuite, outre les aliments, leur a distribué 120 pièces de lainage (tricots, chaussettes, passe-montagne, etc.).
22h : Il est passé une trentaine d’Hindous se rendant à Marseille, leur costume est original, ce sont de grands et beaux gaillards, au teint très bronzé, au visage expressif, ils sont très secs et paraissent très nerveux, Ils ont refusé le pain, la viande, le café et le thé, n’acceptant que du lait...

X)
Lu dans « Le Moniteur »
France.
Pas de faits saillants en Flandre ou sur territoire Français. Des canonnades seulement.

Aviation.
Des avions Anglais ont survolé Friedrichshafen où se trouvent les chantiers de construction des Zeppelins, près du lac de Constance . Ils y ont laissé tomber plusieurs bombes qui ont effectué des dommages sérieux. L’un des aviateurs a été blessé et capturé.: C’est de ce côté qu’opère le général Von Hindenburg.
Ce qui est sûr dès à présent, c’est que l’artillerie Russe bombarde Cracovie, que sa population a dû évacuer.

Hongrie.
Plusieurs chefs de partis Hongrois se sont rencontrés et ont manifesté une tendance à voir la paix signée promptement.
De toute évidence, la pression que les armées du tsar exercent dans la région des Carpathes, et qui menace maintenant la plaine Hongroise et Budapest n’est pas étrangère à leur délibération.

Italie.
Le gouvernement Italien, qui continue ses préparatifs militaires comme s’il devait entrer en campagne à une échéance plus ou moins prompte, vient de rappeler des classes de chasseurs Alpins. Il garnit progressivement de troupes sa frontière orientale, du côté de l’Autriche.

On annonce une grande victoire Russe près de Plock
 Le Bulletin des Armées confirme l'échec des Allemands en Flandre dans des termes d'une précision telle qu'il ne peut subsister le moindre doute pour l'esprit.
D'autre part, le bruit court d'une victoire remportée par les Russes sur la Warta, en dépit des efforts du général Von Hindenbourg, le seul véritable homme de guerre que paraissent avoir les Allemands*.
(On me dit que ce récit a pour auteur André Tardieu**, qui est à l'état-major du général Foch...) Il est heureux que les nouvelles soient bonnes car il paraît qu'hier, au cabinet civil du gouvernement de Paris, on fait de fort longues figures sur l'avis que Soissons est bombardé. Ces messieurs voient déjà la capitale menacée.

Gervais-Courtellemont, l'explorateur, a reçu des informations particulières d'après lesquelles l'Allemagne manque de deux objets de première nécessité : Le cuivre et le pétrole, d'où gêne sérieuse et qui ne peut que grandir pour la fabrication des projectiles et les transports par automobile.
Il en conclut que la guerre pourrait finir plus tôt qu'on ne s'accoutume à le penser : Car l'esprit humain est ainsi fait et il a peine à se représenter autre chose que ce qui est.
On croit à la guerre indéfinie comme on croyait naguère à la paix perpétuelle.

Quelques personnes de sang-froid commencent à supputer les pertes et les ruines que la guerre, même victorieuse, ne pourra manquer de laisser.
Une des opérations d' « avant-guerre » (selon le mot si admirablement créé par Léon Daudet et qui restera dans la langue française), une des opérations d'avant-guerre les mieux réussies de l'Allemagne à été le coup porté à la Bourse de Paris.
Les Rosenberg*** et consorts, sujets Autrichiens ou Allemands, sûrs de leur affaire, vendaient à tour de bras les valeurs que nos pauvres capitalistes et spéculateurs Français rachetaient naïvement. Le moratorium a empêché leur ruine immédiate. Mais il faudra bien liquider, et comment, dans quelles conditions ?
Par l'indisponibilité subite des capitaux placé sans reports, une crise de confiance terrible s'est ouverte.
La Banque va prêter 200 millions pour que 40 % de ces reports puissent être remboursés.
Mais après ? Il est trop clair qu'un nombre important de ces spéculateurs (en particulier les banquiers et les industriels du Nord, de l'Est, de la région de Reims, coutumiers de grandes opérations de Bourse) vont se trouver ruinés par la guerre et dans l'impossibilité d'acquitter ce qu'ils doivent aux agents de change.
L'agent de son côté, étant responsable vis-à-vis de ses clients, devra payer de sa poche les différences que ceux-ci ne pourront acquitter. « En laissant de côté les agents qui, ne pouvant faire face à leurs engagements, seront obligés de faire appel à la garantie solidaire de leurs collègues, j'estime, me dit une personne bien renseignée, que ceux qui, après ce cataclysme, pourront représenter les ¾ ou même la moitié de leur capital, auront encore à s'estimer heureux. »
* La bataille d'Ypres, en Belgique, qui a duré une quinzaine de jours, s'est soldée le 17 novembre par une stabilisation du front. Les alliés conservent la ville d'Ypres mais les Allemands gagnent une position dominante.
A l'Est, la 11e armée Allemande de Von Mackensen, qui a essayé d'aider les Austro-Hongrois en Galicie et a dû se replier sur la Warta, a repris l'offensive le 12 novembre en direction de Lodz. La bataille est longtemps indécise.
** André Tardieu (1876-1945), secrétaire des Affaires étrangères, chroniqueur diplomatique au Temps de 1905 à 1914, député modéré en 1914, collaborateur de Clemenceau à la conférence de paix de Versailles, il sera président du Conseil en 1929 et en 1932.
*** Oscar von Rosenberg était un banquier d'origine Autrichienne. On accusera le frère de Georges Clemenceau, Albert, de l'avoir protégé pendant la guerre.

X)
Au lendemain de l’annonce par Winston Churchill devant la Chambre des communes du raid réalisé par 3 appareils Britanniques contre les ateliers de construction de chez  Zeppelin à Friedrichshafen.

Le grand-duc Nicolas réussit de son côté à boucher la brèche créée par les Allemands dans la région de Lodz en engageant dans les combats de nouvelles troupes arrivées en renfort.

En Italie, Benito Mussolini est exclu de la section milanaise du parti socialiste Italien. Le tribun est accusé de violation manifeste de la discipline du parti parce qu’il s’est prononcé en faveur d’une intervention militaire auprès des Alliés.
L’homme ne se démonte pas et proclame : « Je déploie ouvertement le drapeau du schisme, je ne le plie pas, je m’insurge et j’en appelle aux armes à toutes les armes, en faveur du socialisme et contre les ennemis occultes du socialisme.
24 novembre 1914

Je vais à la cathédrale au service célébré pour le repos de l’âme du pauvre Maurice Brosset, tombé à l’ennemi dans l’Argonne, le [20] octobre dernier. L’église est remplie. Nous allons, pour l’instant, de tristesses en tristesses. Que de deuils !

Les Allemands semblent relâcher sur l’Yser, malgré toutes leurs attaques brutales ils n’ont pu arriver à fléchir le mur d’acier que nos forces, celles de nos amis les Anglais et les Belges, ont dressés.
Ils doivent passer et prendre Calais, à tout prix, a dit Guillaume... Ils ne passeront pas et ne prendront pas Calais.

XI)
Je suis rentrée à 3 heures. Mon voyage de retour s’est bien mieux effectué que l’aller.
A l’aller, notre compartiment était envahi par des bonnes gens de 3e classe et, étant 8, pas moyen de s’étendre et de dormir d’une façon reposante. Tandis que cette fois, de Paris à Chaumont soit 12 heures, je suis seule avec un capitaine d’infanterie, homme extraordinairement bavard, brave garçon (il a absolument voulu que je partage son dîner, voyant que je n’avais que du lait) mais peu intéressant.
De Chaumont à Épinal j’ai comme compagnon le beau-frère de Mr Flayelle, gros et grand homme de 50 ans passés, également très aimable quand il ne ronflait pas d’une façon trop sonore.
Enfin j’ai une banquette pour moi seule et me suis bien reposée malgré les arrêts et changements de trains trop fréquents. Ce monsieur vient de Normandie, où il semble être gros propriétaire, pour voir son neveu Flayelle blessé et soigné à Nancy.

J’ai retrouvé notre trio avec joie, tu le devines, Maman ne m’attendant pas était partie à Épinal. Il paraît que Pierre Mangin est venu me voir à 14h, mais je n’étais pas encore là et Maman étant partie il n’a vu que les enfants.
Il était en uniforme vert avec deux galons d’argent m’a dit Dédé. Tu sais qu’il a trouvé la petite place rêvée près de son neveu à Épinal. Il aurait certes mieux fait de rester à Cornimont où il aurait été plus utile.

J’ai bien vite écrit à Mère en rentrant pour sa fête. Je n’y avais pas du tout songé au cours de mon voyage, et voilà aussi ton anniversaire que j’ai laissé passer sans te redire tout mon amour, mon mari si cher, toute la tendresse dont je veux t’entourer. Soigne-toi bien, ne fais pas d’imprudence. Hier matin, j’ai bien vite fait un petit colis enveloppé de toile cirée dont tu pourras te resservir soit comme emballage, soit comme plastron contre les intempéries et contenant une petite partie de ce que je t’avais apporté. Je t’ai mis des feuilles pour y griffonner des chiffres si tu en as le loisir.
Marie Molard m’écrit que Mère ne va pas bien, que c’est donc pénible. Je ne lui ai naturellement pas parlé de ta blessure. Inutile de la mettre encore en soucis. Tout ce qu’espère Marie, c’est que grâce au radium on puisse la prolonger durant la guerre, qu’elle revoie ses fils qui ne peuvent bouger de leur poste.

Tu es guéri et Georges est vivant quoique prisonnier. Il nous parle des bons soins qu’on lui prodigue dans son hôpital de Schwerin dans le Mecklembourg, Maman en viendrait presque à remercier les Allemands de prendre ainsi soin de lui.

XII)
JMO/Rgt :
« 5e et 6e bataillons ont continué les travaux d’organisation. Les 2 Cies aux A.P. n’ont rien signalé sur le front de surveillance. Dans l’après-midi, revue à Vathiménil des trains du corps. A minuit, une section de 45 hommes choisis sous le commandement du Ss/Lieut. Buisson est partie pour tendre une embuscade à l’ennemi au village de Reillon. »

JMO/SS :
« Préparatifs de départ pour passer en 3e ligne
Indisponibles = 42 »

XIII)
La campagne de Langhemark est triste et inondée. Petites prairies alternant avec des champs de betteraves, séparées par des ruisseaux innombrables bordés de saules et de peupliers.
De-ci de-là, innombrables à travers la plaine, de petites ou grandes fermes, à toit de chaume ou de tuiles rouges, peintes de vert, de marron, de rouge ou de jaune, attestent un pays fertile et de bon rendement.
Le long des routes, des auberges, des cabarets où le dimanche on venait fumer sa pipe et boire sa chope « sous l’œil de Dieu » (Gott sie euch, hier vloekt men nicht) dont l’un, « Korteker-Cabaret » deviendra tragiquement célèbre, dont d’autres, « Morteldje-Cabaret », « In Der Bosch-Cabaret » seront des points de rassemblement commodes pour le bataillon.

Pour l’instant, nous errons sur la terre gelée, à travers ces champs couverts de cadavres et d’équipements de toute sorte, coupes de courtes branches d’attaque, parsemés de croix et sur lesquels errent de lamentables théories de vaches et de cochons, blessés pour la plupart.
De loin, les fermes paraissent intactes, de près, tout n’est que ruines et courants d’air. Plus de portes ni de fenêtres, une saleté repoussante. Elles ont servi de cuisines à je ne sais combien de régiments, et chacun a accumulé sa graisse sur celle du prédécesseur, quand on ne trouve pas dans les caves des cadavres de soldats qui sont venus mourir là ou témoignent de la présence d’un ancien poste de secours.

Notre bonne étoile nous guide heureusement vers une ferme de belle apparence, un peu à l’écart de la route Boesinghe – Langhemark dissimulée dans des arbres et à quelques centaines de mètres de Pilkem : la ferme Smak.
Nous y pénétrons.
C’est un peu moins sale qu’ailleurs. Il existe des contrevents et des portes. Nous expulsons les cochons qui dorment dans un salon sur de la paille et nous nettoyons rapidement.
Il y a du charbon et des pommes de terre dans la cave... Victoire ! Nous allons être comme des princes, et l’après-midi on se débarbouille et se nettoie dans notre ferme dont les propriétaires ne nous gêneront pas à coup sûr.
Des recherches nous font découvrir, à côté, un superbe abri blindé construit pour un général pour le moins et qui nous serait précieux en cas de bombardement.
Enfin, dans des granges, sur de la paille et dans du foin, on trouve des meubles cachés par les propriétaires et du linge. Le tout est utilisé aussitôt.
De jeunes cochons abandonnés fournissent un supplément à l’ordinaire, et notre vie de « Landbouwster » va durer 7 jours jusqu’au 30 novembre où nous descendrons au repos à Woesten.

Deux péripéties viendront troubler notre quiétude. Un lieutenant d’artillerie (Fould, 8e) se livre à l'aide de ses jumelles à de beaux réglages sur les tranchées ennemies, devant la route de Bikschote, à Langhemark et au bombardement d’un convoi, à un carrefour de route, près de la forêt d’Houthulst.
On voit à des distances incroyables par temps clair et sec dans cette grande plaine d’Ypres.

Le 28 novembre, un spectacle plus triste se présentera à nous. D’une fenêtre du grenier, nous assisterons au bombardement par des 130 de Pilkem et de son moulin encore debout
La 3e compagnie de chez nous qui s’y trouve en réserve y subit quelques pertes. C’est là que sont tués par l’éboulement de la maison d’école où ils jouent aux cartes l’adjudant Réveillé et le sous-lieutenant Jobrial.
Le malheureux Réveillé est retiré le soir, aplati comme une galette, d’un monceau de décombres. Jobrial succombe des suites de ses blessures au poste de secours de Boesinghe.

Comme il n’y a pas pour moi de séjour agréable quelque part sans excursions, je fais avec Jubain, l’intrépide ordonnance du commandant, l’exploration de Langhemark à plusieurs reprises. Le mot de démoli de fond en comble rend peu l’état où se trouve Langhemark. En temps de paix, ce devait être une ville de quelque importance, aux rues propres, aux coquettes maisons flamandes bariolées si agréablement. Un square, un château, des places, l’éclairage au gaz, une gare, de grands égouts, des maisons bourgeoises bien meublées, des boutiques bien achalandées, tout indiquait la ville de province qui vit bien au centre d’une région de culture et d’élevage.

Pour l’instant, on distingue avec peine, à certains endroits, la rue des maisons. Les arbres du square jonchent le sol. Le château dresse des pans de mur où les « joyeux » ont spirituellement caricaturé les Boches et jetés leurs sacs et équipements. Un piano renversé, des fauteuils éventrés et autres débris hétéroclites garnissent la pelouse du parc. Je ne peux le visiter à fond, les marmites m’ayant forcé à écourter mon excursion, comme je me trouve dans le parc. Je visite, pour me dédommager, la maison du notaire dont le tapis de l’escalier pend dans la cage béante de l’escalier écroulé.
Les réverbères des rues, debout pour la plupart, servent de points de repères dans un fouillis pareil. Les boutiques offrent aux chercheurs des objets intéressants parmi les décombres. Un magasin de bicyclettes permet à nos cyclistes de se remonter à peu de frais. D’autres soldats ont pu se couvrir chaudement avec des vêtements, des manteaux de femmes ou pardessus, pendant leurs veilles de tranchées.

Notre ligne passe aux dernières maisons sur la route de Roulers, en laissant à l’ennemi les gazomètres et le chemin de Poelkapelle. Vers la gare, nous tenons la route de Bikschote, puis, après les attaques de Wydendreft, nous occupons le « marais » qui nous sépare de ce hameau. L’église dresse encore sur ses murs le squelette de son clocher dont le moulin de la route de Boesinghe est le digne pendant.
Un hiver durant, Langhemark nous a fourni pommes de terre, vêtements, pétrole, surtout charbon. Qu’il en soit remercié. Les Allemands qui l’occupent aujourd’hui n’ont pas dû pouvoir en tirer grand-chose. Autant de pris sur l’ennemi.

XIV)
Si les batailles menées par les Britanniques dans le secteur de la Lys, en octobre 1914, sont les dernières batailles de la guerre de mouvement, celle qui se déroule à Ypres, du 19 octobre au 22 novembre, est la première de la guerre de positions.

Commence alors, sur le « front oublié » de la Lys, une période très éprouvante : le premier hiver dans des tranchées mal aménagées, avec un approvisionnement médiocre et des morts provoquées par de nouvelles méthodes, celles de la guerre de tranchées : Tireurs d’élite, mines, artillerie, attaques meurtrières limitées sur des secteurs du front adverse. Parmi les premiers affrontements de cette guerre de tranchées, la défense de Festubert par les troupes Indiennes, les 23 et 24 novembre 1914, et celle de Givenchy, les 20 et 21 décembre, constituent les répétitions, à petite échelle, de grandes épreuves à venir...
XV)
Par Yves Le Maner, Directeur de La Coupole, Centre d’Histoire et de Mémoire du Nord–Pas-de-Calais
Pour mon anniversaire de naissance, j’ai une désagréable visite. A 8h, un camion s’arrête devant notre porte et 5 hommes de la Landsturm se dirigent vers la maison.
On sonne ! ça y est ! Cette fois, c’est à notre tour à être dépouillé du peu de vin que nous avons en cave. Quivron a vu le coup et vient m’offrir de suivre l’opération comme il a fait chez Mme Despature.
Un grand diable de sous-officier introduit ses hommes et me met sous les yeux un papier de réquisition des ¾ de nos bouteilles écrites en très bon Français. Lui-même se fait très bien comprendre. J’essaie de le persuader que je ne le laisserai descendre que sur un reçu au cachet de la kommandantur.
Il se rebiffe, mais me rappelant la leçon de M. Vandenbergh, je m’aperçois bientôt qu’il vaut mieux filer doux.

Le sous-officier se met à compter le contenu de chaque caveau et me dit qu’il va nous laisser 15 bouteilles de ceci, 30 bouteilles de cela, etc… soit le quart de chaque lot. Je lui fais remarquer que devant me prendre le quart de la totalité de mon vin, il n’est pas tenu à prélever ces quantités sur les vins que notre âge et notre santé réclament surtout.
Il consent en fin de compte à prendre 674 bouteilles de notre ordinaire, et nous fait la bonne part, le quart restant se rapprochant du tiers.
L’opération terminée, nous prions Dieu que, bientôt, nos petits Français aillent à leur tour visiter les caves Allemandes.

Pour me changer les idées, je vais faire un tour en ville et je rencontre rue de la gare un singulier cortège. C’est un défilé de soldats brancardiers suivis de 25 religieuses de Niederbrown qui marchent à la façon de troupiers 4 par 4 et au commandement. La foule les dévisage avec une très grande curiosité.
La femme de l’électricien Lefebvre raconte à Marie qu’elle loge un capitaine et que, hier soir, cet officier a été vivement appelé pour une affaire de la plus grande gravité.
Il paraît que dans la première partie de la soirée, soudain un coup de revolver est tiré rue des Fabricants. Immédiatement, des hommes de garde sont requis et des recherches sont faites dans certaines maisons. Mais l’officier arrête bientôt l’enquête et rentre chez Mme Lefebvre en lui disant que, le cas pouvant amener des complications terribles pour Roubaix, il a étouffé l’affaire.


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