dimanche 21 décembre 2014

LA GRANDE GUERRE AU JOUR LE JOUR 2 DECEMBRE 1914

2 DECEMBRE 1914

I)
Le Président de la République en Meurthe et Moselle
Nancy, 2 décembre 1914.
M. le Président de la République, accompagné de M. A. Dubost, président du Sénat, de M. P. Deschanel, président de la Chambre, de M. R. Viviani, président du Conseil, et de plusieurs officiers d'état-major, a visité, dans la soirée de samedi et toute la journée du dimanche, le département de Meurthe-et-Moselle.
Cette visite présidentielle étant destinée spécialement aux armées, il a été expressément recommandé qu'elle ne soit pas annoncée et qu'elle ne soit accompagnée d'aucune réception officielle.

Le samedi soir, M. le Président de la République arrive à Nancy, vers 18h, venant de Bar-le-Duc, après avoir consacré l'après-midi à visiter divers champs de bataille sous la conduite de M. le général commandant l'armée.
Raymond Poincaré descend à l'hôtel de la Préfecture, il convie à dîner avec les personnages éminents qui l'accompagnent, M. le Préfet, sa famille et ses collaborateurs.
Le Général commandant les troupes du front
Le Général commandant d'armes,
M. Simon, maire de Nancy,
Le recteur Adam,
Le procureur général Célice,
Le conseiller général Jambois, président du Comité de secours.
Le Président de la République félicite tout particulièrement M. le maire de Nancy pour l'esprit d'initiative, l'effort d'organisation, le calme et la confiance dont la municipalité de Nancy a donné tant de preuves aux heures les plus difficiles.

Dimanche matin, le cortège présidentiel quitte la Préfecture, à 8h30, et se rend à Crévic, où M. le Président de la République félicite M. le maire Royer de son attitude si courageuse pendant les dures épreuves subies par la commune, le cortège travers ensuite Maixe, Réméréville, Champenoux et peut se rendre compte des pertes matérielles que ces diverses communes ont eu supporter du fait de la guerre, le cortège visite en détail le champ de bataille de Champenoux, il pousse plus loin jusqu'aux avant-postes...

M. le Président de la République visite les tranchées et peut constater que, dans cet art nouveau pour eux, nos soldats Français sont passés maîtres, il admire la belle tenue, l'endurance, la vaillance, la bonne humeur de nos troupes et s'entretient longuement avec les officiers.

Non loin d'une de ces lignes d'avant-postes se passe un
e scène profondément, émouvante. Une section présente les armes, commandée par un sergent ayant le bras en écharpe. Le Général commandant l'armée fait connaître à M. le Président de la République l'action d'éclat pour laquelle le sergent Lavedan a mérité la médaille militaire : Il y a quelques jours, dans un engagement fort vif, le sergent reçoit au bras une blessure douloureuse, il continue l'attaque, attend la première accalmie pour venir se faire panser et, dès que son bras est sommairement bandé, tient à rejoindre immédiatement sa section dont ce bel exemple de courage double la force offensive. M. le Président de la République attache lui-même la médaille des braves sur la capote du jeune sergent.
M. Le Préfet de Meurthe-et-Moselle ayant demandé au sergent Lavedan l'adresse de sa famille, apprend que le nouveau médaillé est instituteur public à Antin (Hautes-Pyrénées), où sa femme est également institutrice, de retour à Nancy, il télégraphie à Mme Lavedan un sommaire récit de cette cérémonie et, en lui donnant de bonnes nouvelles de son mari, lui dit combien elle peut concevoir de la conduite de celui-ci une légitime fierté.

Immédiatement après le déjeuner offert par lui à la Préfecture, M. le Président de la République se rend à Lunéville, dans la salle d'honneur de la mairie, M. le Préfet lui présente M. le sous-préfet Minier, M. le maire Keller, M. l'adjoint Brault.
Keller dit au Président combien il est touché de sa visite et lui fait un rapide récit des épreuves subies par Lunéville pendant l'occupation Allemande. M. Raymond Poincaré adresse à chacun de justes éloges.
En sortant de la mairie de Lunéville, comme une heure auparavant en quittant la Préfecture de Nancy, M. le Président de la République est chaleureusement acclamé par la foule accourue pour le saluer dès que la nouvelle de sa présence s'est répandue dans la ville.

Le cortège se dirige alors vers Gerbéviller où M. le Président et ses illustres compagnons de voyage éprouvent une profonde émotion à contempler les ruines accumulées par la rage des barbares. Après avoir traversé à pied la malheureuse commune, M. le Président se rend à l'hôpital. M. le Préfet de Meurthe-et-Moselle avait fait la veille au premier magistrat de la République et au chef du gouvernement le récit de la magnifique conduite, durant de longues et tragiques semaines, de la Sœur Julie et de ses compagnes, il leur a dit combien l'unanimité de l'opinion publique et des élus du département serait reconnaissante au Gouvernement de la République d'accorder à cette vaillante femme une haute distinction, il n'a point de peine à obtenir une décision favorable.

Aussi, dans la petite salle à manger de l'hôpital, M. le président de la République, après quelques paroles charmantes adressées à la Supérieure et à ses courageuses collaboratrices, prie M. Richard, directeur de la Sûreté générale, de lui prêter sa croix et l'épingle sur la guimpe de Sœur Julie, à qui chacun voulut avoir l'honneur de serrer la main... Sœur Julie est bien embarrassée, elle est certes plus courageuse devant les Allemands, lorsque, les manches retroussées et la cornette en bataille, elle défend contre eux son ambulance et ses blessés, elle est toute confuse et ne fait point de longs discours, je crois bien même qu'elle perd un bon moment l'usage de la parole, elle esquisse une série de petits saluts qui ont pour effet de mettre sa cornette de travers, mouvement opportun dont profite M. le préfet pour embrasser avec une respectueuse affection la nouvelle « Chevalier de la Légion d'honneur » au nom de toutes les familles de Meurthe-et-Moselle si patriotiquement unies en ces heures douloureuses et magnifiques d'épreuves et d'espérances nationales.

M. le Président de la République se rend ensuite à Toul, où il convie à dîner à la Sous-Préfecture, M. le Gouverneur et M. le Sous-Préfet de Toul, MM. Chapuis et Langenhagen, sénateurs, et M. Fringant, député de Toul, tous 3 mobilisés et actuellement en résidence à Toul.

A 19h30, un train spécial ramène à Nancy M. le Président de la République, MM. les Présidents du Sénat et de la Chambre et M. le Président du Conseil ainsi que les hauts fonctionnaires et les officiers qui l'accompagnent. M. le Président de la République, avant que le train s'ébranle, voulut bien charger M. le préfet de Meurthe-et-Moselle de présenter aux diverses organisations hospitalières les très vifs regrets qu'il ressent de n'avoir pu visiter les blessés et les malades militaires, il comptait faire cette visite le samedi après midi, mais la visite des champs de bataille et des troupes sur le front s'étant prolongée au delà des prévisions, il n'arrive à Nancy qu'à la fin du jour, trop tard pour entreprendre une visite dans les hôpitaux, à l'heure où blessés et malades commencent à se reposer, et le programme du dimanche est trop chargé pour qu'il soit matériellement possible d'y faire quelques adjonctions...
M. le Président confie aussi à M. L. Mirman le soin de faire connaître aux populations de ce département éprouvé l'impression à la fois douloureuse et forte qu'il emporte de son rapide voyage, douloureuse par le spectacle de tant de ruines matérielles, forte par le spectacle de tant de fermeté, d'inébranlable et juste confiance, par le spectacle d'un si bel élan national que lui offrent à la fois et nos admirables troupes sur le front de combat et nos vaillantes populations Lorraines.
(Communiqué de la Préfecture).

II)
La Vallée de Cernay :
Conformément aux directives données par le général commandant le 34e Corps d'Armée, la 66e division a reçu l'ordre d'entreprendre, le 1 décembre 1914, une opération sur Aspach-le-Haut, en vue de rendre plus régulières les communications entre Thann et Belfort par la route Thann – Rodern - Seuntheim.

Après une préparation d'artillerie assez sérieuse, 3 compagnies du 213e régiment d'infanterie a occupé Aspach-le-Haut, tandis qu'à gauche une compagnie du 15e bataillon de chasseurs, appuyée par une section de 65 de montagne, opère une diversion dans la direction de Rinipach.

III)
Siège d’une courte, mais meurtrière bataille en décembre 1914, la Tête des Faux (Haut-Rhin) n’est accessible qu’à pied après une bonne heure de marche.
Le sommet de la Tête des Faux domine de ses 1219 mètres les villages du Bonhomme, de Lapoutroie et d’Orbey et surtout le col du Bonhomme considéré en 1914 par les Français comme stratégique. Le sommet tire son nom de la forêt de hêtres (fagus sylvatica en latin, Fau en ancien français, Faou en breton) qui jadis le recouvrait. Il est l’objet d’une brève, mais terrible bataille où les hommes des 28e et 30e bataillons de chasseurs alpins (BCA) gagnèrent leur surnom de « Diables bleus ».
La 132e brigade de la 66e division attaque sur la Tête-de-Faux, dans le but d'occuper ce sommet. L'opération est menée par le 215e régiment d'infanterie, deux compagnies du 28e et 5 compagnies du 30e bataillon de chasseurs. Nos soldats enlèvent à la baïonnette le sommet de la Tête-de-Faux, poursuivent l'ennemi à plus de 300 mètres au-delà, mais sont arrêtés par de nouvelles organisations défensives.
Ils se retranchent alors et repoussent 2 contre-attaques. Sur la droite, deux compagnies du 215e régiment d'infanterie enlèvent, pendant ce temps, la petite Tête-de-Faux, mais doivent ensuite. rétrograder sous le tir des mitrailleuses.
Toutes nos tentatives sur ce point échouent. Seuls, les chasseurs peuvent maintenir leur occupation de la Tête-de-Faux

IV)
Presque plus de canonnades depuis hier soir. Le temps se remet un peu et des biplans volent du Sud au Nord cette fois. M.Van Deynsele, 95 rue de Blanchemaille, a reçu de la Hollande, une quinzaine de cartes postales de prisonniers, malheureusement encore rien de Jean, mais les délais sont à peine révolus, donc patience !

La cousine Jean Fremont cause à Élise une fausse joie. Elle vient de lui dire ici qu’une liste de prisonniers civils qui ont été relâchés d’Allemagne et renvoyés à Douai, se trouve entre les mains de Mme Morelle-Scarceriau, et elle ajoute que le nom de Ch. Loridan s’y trouve. Déception ! Il n’y a rien d’exact dans ce bruit.

En Haute-Alsace, la prise d'Aspach-le-Haut a déjà été signalée. Nous avons pris, le 2 décembre, au sud du col du Bonhomme, la crête de la Tête-de-Faux. où l'ennemi a un observatoire d'artillerie qui domine la haute vallée de la Meurthe.

Nos chasseurs ont enlevé cette crête, à 2 heures, animés d'un magnifique entrain, en chantant la « Marseillaise ». Ils ont subi des pertes assez sensibles.
Nous avons progressé sur la côte de Grimaude, Puis repoussé toutes les contre attaques au Nord-Ouest de Senones... L'ardeur de nos troupes dans les Vosges est admirable.

La Note termine en signalant quelques actes de bravoure, notamment le suivant :
2 sapeurs télégraphistes, Carles Antoine et Louis Demoizet, ont rétabli, le 28 novembre, sous un bombardement violent, les fils téléphoniques coupés entre le moulin de Zuydschoote et l'écluse de Hetsas . Ils ont été cités à l'ordre du jour.

Les emplacements du 56e RI sont inchangés.
Vignot :
Départ dans la nuit du 1er au 2 décembre à 2h d’un détachement de renfort du 95e qui va rejoindre son régiment à l’étang de Ronval. Un aéro-allemand survole le village, notre artillerie le tire mais sans l’atteindre.

Le détachement de renfort du 2e bataillon se prépare à aller rejoindre dans la nuit son bataillon à la Croix Saint-Jean. (Départ dans la journée du détachement de renfort destiné au 29e RI).
1er bataillon : Un bataillon du 27e placé à gauche du 1er bataillon du 56e a attaqué à 6h. Une tranchée prise dans la matinée par le 27e a été reprise dans la soirée par l’ennemi. Au bataillon, rien à signaler. Fusillade toujours constante. Demande de munitions.

2e bataillon :
Des patrouilles circulent, toutes les nuits à la sortie des tranchées afin de voir si les Allemands avancent leurs ouvrages.

Rapport sanitaire. Notes du médecin-major :
« La vermine sous toutes ses espèces se développe de plus en plus dans les tranchées. Il serait à désirer que les soldats puissent avoir quelques jours de repos pour pouvoir procéder à l’hygiène du corps et des vêtements, chose absolument impossible en première ligne où ils sont depuis plus de deux mois ».

IV)
Déclaration au Reichstag du 2 Décembre 1914 contre le vote des crédits de guerre

A Berlin, le Reichstag vote un crédit de guerre de 6 milliards 250 millions.
Un seul député s’y oppose : Karl Liebknecht. L’exposé des motifs qu’il envoie au président du Reichstag (et que celui-ci refuse de publier)

Texte refusé par le groupe social-démocrate du Reichstag
Au sujet du projet qui nous est soumis, nous déclarons :
Il s'agit d'une guerre impérialiste, particulièrement du côté Allemand, qui a pour but des conquêtes de grand style. Il s'agit, du point de vue de la course aux armements, dans le meilleur des cas d'une guerre préventive provoquée par le parti de la guerre Allemand et Autrichien dans l'ombre du semi-absolutisme et de la diplomatie secrète, guerre dont l'opportunité est apparue favorable au moment où d'importants crédits militaires allemands ont été obtenus et un progrès technique réalisé.
Il s'agit également d'une entreprise bonapartiste en vue de la destruction et de la démoralisation du mouvement ouvrier. L'attentat de Sarajevo a été choisi comme prétexte démagogique. L'ultimatum Autrichien du 23 juillet à la Serbie est la guerre, la guerre voulue. Tous les efforts de paix ultérieurs ne sont que simple décor et subterfuges diplomatiques, qu'ils fussent entrepris sérieusement ou non par ceux qui y participent.

C'est ce que nous ont appris avec une netteté croissante ces quatre derniers mois. Cette guerre n'a pas été déclenchée pour le bien du peuple Allemand. Ce n'est pas une guerre pour la défense du territoire et de la liberté. Ce n'est pas une guerre pour une plus haute « civilisation », les plus grands pays Européens de même « civilisation » se battent entre eux, et cela précisément parce que ce sont des pays de même « civilisation », c'est-à-dire de « civilisation » capitaliste. Sous la bannière trompeuse d'une guerre de nationalités et de races on poursuit une guerre où l'on trouve dans chaque camp le mélange le plus confus de races et de nationalités. Le mot d'ordre : « contre le tsarisme » n'a eu d'autre but que de mobiliser les instincts les plus nobles du peuple Allemand, ses traditions révolutionnaires, au service des buts de guerre, de la haine entre les peuples.

L'Allemagne, dont le gouvernement s'est tenu prêt à apporter au tsar sanglant une aide militaire contre la grande révolution Russe, l'Allemagne, où la masse du peuple est économiquement exploitée, politiquement opprimée, où les minorités nationales sont étranglées par des lois d'exception, n'a aucune vocation à jouer au libérateur des peuples.
La libération du peuple Russe doit être l’œuvre du peuple Russe lui-même, tout comme la libération du peuple Allemand ne peut être le résultat des tentatives de bienfaisance d'autres États, mais l’œuvre du peuple Allemand lui-même.
Pour mener à bien les manœuvres scandaleuses grâce auxquelles la guerre a été déclenchée et en vue d'interdire toute opposition et de faire croire à l'unanimité chauvine du peuple Allemand, l'état de siège a été proclamé, la liberté de presse et de réunion supprimée le prolétariat en lutte désarmé et contraint à une « union sacrée » au plus haut point unilatérale, qui mal dissimulée derrière des « aveux » accessoires, n'est qu'une forme stylistique de la paix des cimetières.

Une énergie d'autant moindre a été déployée pour atténuer l'effroyable disette qui a frappé la majeure partie de la population. Même en ces temps difficiles, le gouvernement n'a pu se résoudre à prendre les mesures nécessaires sans tenir compte des objections de ceux qui mettent leur intérêt personnel, aujourd'hui comme toujours, au-dessus de celui des masses.
Quant à la façon dont la guerre est menée, elle suscite notre opposition farouche.
La proclamation du principe : « Nécessité fait loi » est la négation même de tout droit international
Nous protestons contre la violation de la neutralité du Luxembourg et de la Belgique, violation de traités solennels, invasion d'un peuple pacifique. Toutes les tentatives faites ultérieurement pour l'excuser ont échoué. Nous condamnons le traitement cruel infligé à la population civile des territoires occupés. La dévastation de localités entières, l'arrestation et l'exécution d'innocents pris comme otages, le massacre d'individus désarmés, sans égard à l'âge ni au sexe, qui ont eu lieu en représailles d'actes de désespoir et de légitime défense, justifient la plus sévère condamnation. La même faute commise par d'autres armées ne peut servir d'excuse. Nous regrettons les anomalies que manifeste encore le traitement des prisonniers de guerre dans tous les pays, l'Allemagne y compris. Nous exigeons dans cette question, comme pour le traitement des ressortissants civils des pays ennemis, une réglementation internationale immédiate dans un esprit humanitaire et sous le contrôle des neutres. Nous rejetons le principe des représailles.
Nous nous opposons résolument à toute annexion qui heurte le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et ne sert que les intérêts capitalistes. Loin d'être une assurance de paix, toute paix aboutissant à des conquêtes ouvrira une ère de course aux armements aggravée et portera dans son sein une nouvelle guerre.

Nous sympathisons avec les enfants du peuple qui accomplissent sur le champ de bataille des exploits surhumains en vaillance, en privations et en abnégation. Nous sommes avec eux comme avec notre propre chair et notre propre sang, dont nous demanderons, le moment venu, un compte impitoyable. Mais nous condamnons d'autant plus cette guerre, notre devoir vis-à-vis du peuple Allemand et de l'humanité tout entière, vis-à-vis du prolétariat international auquel il appartient indissolublement, nous oblige à nous opposer de toutes nos forces à cet entre déchirement des peuples.

Nous exigeons la conclusion d'une paix rapide et honorable. Nous remercions nos amis des pays neutres de leurs précieuses initiatives dans ce sens et saluons les efforts de paix des puissances non belligérantes, dont le rejet ne sert que les buts de la politique d'annexions et des capitalistes de l'industrie des armements intéressés à une longue durée de la guerre.
Nous mettons les gouvernements et les classes dirigeantes de tous les pays belligérants en garde contre la poursuite de ce carnage et appelons les masses laborieuses de ces pays à en imposer la cessation. Seule une paix née sur le terrain de la solidarité internationale peut être une paix sûre. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous à nouveau malgré tout !
En élevant une protestation contre la guerre, ses responsables et ceux qui la mènent, contre la politique générale qui l'a provoquée, contre les plans d'annexion, contre la violation de la neutralité de la Belgique, contre la dictature militaire, contre l'oubli des devoirs politiques et sociaux dont les classes dirigeantes se rendent coupables aussi et surtout maintenant, nous refusons les crédits demandés.

Cette déclaration, soumise par Liebknecht au groupe social-démocrate pour être lue à la séance du Reichstag du 2 décembre 1914 est rejetée par le groupe, et son inscription dans le sténogramme des débats refusée.

V)
Ypres Neville Bowers

« Tu peux m’laisser là. D’toute façon, j’vais crever ! »
Neville s’arrête une nouvelle fois pour regarder Robinson. Il est à genoux dans la neige dont l’épaisse couche recouvre le champ. Il reprend difficilement sa respiration, il ressemble à une machine à vapeur mal réglée. Il ne lève même pas les yeux quand Neville, qui frotte ses mains gantées contre ses manches pour se réchauffer, s’approche de lui :
« Monsieur Robinson survit aux balles, Monsieur Robinson survit aux obus, mais Monsieur Robinson a peur d’un peu de neige ? ironise Neville avec de grands gestes.
— Un peu de neige ? s’exclame Robinson en montrant son nez rougi. Ça monte presque jusqu’aux genoux ! J’en ai marre, j’ai froid ! Je déteste le froid !
— Arrête de te plaindre et remets-toi en marche. La corvée, c’est la corvée. »
Neville s’approche de son camarade, et veut l’aider à se relever.
« Alors on va chercher les rations, on apporte tout ça aux copains et on savoure le tout près d’un bon feu dans un abri. Qu’en dis-tu ?
— J’en dis que j’veux rentrer ! (Le mitrailleur repousse Neville et se rassoit dans la neige.) Je vais crever, je te dis ! Tu diras à mes parents que j’ai pris une balle et puis c’est tout ! dit-il avec théâtralité.
— Pourquoi faut-il toujours que tu exagères ? Allez, debout, on y va, je te dis. »
Neville lui tourne le dos et se remet lentement à tracer un chemin dans la neige. Robinson se dresse sur ses pieds et crie, avec ses mains en porte-voix :
« Bowers, tu m’abandonnerais là ? T’as pas de cœur ! »
Neville ne se retourne pas mais lui lance, amusé :
« Qui voulait que je le laisse là il n’y a pas cinq minutes ? »

Un bruit étrange, comme un long cri, vient de s’élever dans la campagne.
Neville et Robinson s’accroupissent instantanément. Autour des champs, il n’y a que quelques bosquets. Rien ne bouge sous le ciel gris. Au loin, on devine le clocher du village où les cuisines roulantes se sont installées.
Une nouvelle fois, le son retentit : Le long sifflement ne ressemble pas à un obus... Les deux Anglais reconnaissent enfin une machine à vapeur qui s’approche.
Presque immédiatement, une énorme locomotive décorée d’un drapeau Anglais surgit au détour d’un bois. Recouverte de grosses plaques métalliques, elle chasse la neige en s’avançant lentement sur les rails. Neville et Robinson restent bouche bée en voyant ainsi le train fendre le paysage poudreux. Ils s’étonnent plus encore lorsqu’ils réalisent que chacun des wagons est hérissé de canons.
C’est alors que l’étonnant convoi ralentit et s’arrête au bout du champ... Des soldats, armés de pelles, en descendent rapidement. Ils se mettent à dégager la voie d’une couche de neige plus imposante.
La curiosité redonne toute son énergie à Robinson. Il se met à courir comme il peut. Ses genoux s’enfoncent à chaque pas mais il sautille en faisant de grands signes à l’équipage du train.

« Suis moi ! Il faut qu’on sache c’que c’est qu’ce truc ! » s’exclame-t-il en fonçant vers le train.
Les deux Anglais courent vers le convoi à l’arrêt.
Les sentinelles postées au bord de la voie ne réagissent qu’à peine, reconnaissant l’uniforme couleur terre de leurs compatriotes. Sitôt qu’il aperçoit le conducteur descendre de sa machine, Robinson l’assaille de questions sans reprendre son souffle :
« Salut, mon vieux ! Dis donc, quel engin ! Qu’est-ce que c’est ? Bon Dieu, même les camions que j’ai conduits au pays ont l’air de jouets à côté de ta machine ! Vous venez faire quoi dans le secteur d’Ypres ? Vous avez été bombardés ? »
Le mécanicien ne dit rien et fait simplement signe qu’il ne comprend pas. Robinson ouvre de grands yeux étonnés.

« Un problème, messieurs ? intervient un officier à l’allure élégante, qui descend à son tour de la locomotive. D’où venez-vous, soldats ?
— Des tranchées d’Ypres, mon capitaine, répond Neville qui comprend bien que la question vise à savoir s’ils sont des déserteurs. Nous sommes de corvée de ravitaillement, poursuit-il, mais mon camarade le soldat Robinson a vu votre convoi et voulait l’admirer, mon capitaine.
— Ça oui ! Il est beau, cet engin ! renchérit Robinson en contemplant la locomotive. Votre mécano doit avoir un sacré coup de main pour s’occuper d’un tel monstre. Mais, excusez-moi, il ne parle pas anglais ? J’ai… »

L’officier l’interrompt en riant :
« Vous parlez de Raymond ? Mais Raymond n’est pas anglais, enfin, c’est un Belge !
— Un Belge ? À bord d’un train anglais ? Mais qu’est-ce qu’il se passe ici ? s’interroge Robinson, médusé.
— Ce qu’il se passe ? répète l’officier. Vu ce que les Allemands ont envoyé sur Ypres, nous sommes ici pour leur faire payer chacun de leurs coups. Et avant même qu’ils ne localisent notre batterie roulante, nous serons déjà loin.
— Alors, vous êtes là pour nous aider ? Avec votre machine ?
— Ce n’est pas juste une machine, voyons, s’amuse l’officier. Hein, Raymond ? Dis-leur ce que c’est ! Le train ! Sa majesté ! »
Une étincelle de fierté brille dans les yeux du machiniste qui comprend enfin une partie de la conversation. Face à Neville et à Robinson, il annonce de son meilleur accent :
« H. M. A. T. ! His Majesty Armored Train ! Pour vous servir. »

VI)
Situation en France
Le communiqué du ministère de La Guerre, nous indique :

A Vermelles, le château et son parc, deux maisons du village et des tranchées sont conquises par les Alliés.

Un échange de tirs de canon très violent a lieu aux abords de Fay (sud-ouest de Péronne).

Dans la région de Vendresse-Craonne, le bombardement allemand est très violent.

En Argonne, une attaque Allemande dirigée contre Fontaine-Madame est refoulée et les Français réalisent quelques progrès (enlèvement d'une tranchée dans le bois de Courtes-Chausses et d'un petit ouvrage à Saint-Hubert). Les Allemands font sauter à la mine le saillant nord-ouest du bois de la Grurie.

En Alsace, nos troupes enlèvent Aspach-le-Haut et Aspach-le-Bas, au sud-est de Thann.

En Belgique, la lutte entre Nieuport et Ypres semble s'être définitivement apaisée, une violente canonnade se poursuit sur tout le front au sud d'Ypres, c'est-à-dire entre l'Yser et la Lys. On signale en ce qui concerne le front Nieuport-Dixmude un lent repliement des Allemands sur une ligne allant de Leffinghe, au sud d'Ostende, à Leke, au nord de Dixmude.
De plus, ils se retranchent fortement dans le nord de la Flandre, notamment entre Heyst et Duinbergen. Par contre, les alliés gagnent du terrain sur plusieurs points, notamment à Langemarck et à Zonnebeke.

Au sud, la concentration des forces Allemandes se fait devant et à l'est d'Ypres. On évalue ces forces à environ 120 000 hommes et on prétend que le kronprinz en personne se trouve sur cette partie du champ de bataille afin de diriger lui-même le suprême assaut contre la vieille ville Flamande.

Dans la campagne Russe, Le tsar et le kaiser sont au front, aux armées. Le journal Le Temps publie ces deux dépêches « Le tsar a quitté Petrograd à 10 heures du matin pour le théâtre de la guerre. » et « Le kaiser est aussi lui-même sur le front oriental. Il est arrivé lundi à Insterburg, en Prusse Orientale, et a continué en automobile vers le front. » La présence des deux souverains atteste l'importance de la grande bataille qui se déroule en Pologne.

Le journal Le Temps nous informe d’une rencontre de M. Poincaré et du roi George V au grand quartier général de l’armée Britannique à Saint-Omer.
« Le président de la République, accompagné de M. Viviani, président du conseil, et du général Joffre, s'est rendu au grand quartier général de l'armée Britannique où il a rencontré le roi d'Angleterre.
Après avoir eu ensemble une longue et cordiale conversation, le roi George et le président sont partis dans la même automobile découverte pour le front de l'armée Anglaise.

Dans toutes les localités qu'ils ont traversées, la population est accourue sur leur passage et les a chaleureusement acclamés.
Le roi et le président ont passé la journée au milieu des troupes Britanniques.
Le soir, le roi George a retenu le président à dîner au quartier général Anglais avec le prince de Galles, le maréchal French, M. Viviani, le général Duparge et les colonels Huguet et Pénelon.
Le général Joffre a rejoint son quartier général avant le dîner. Le président et M. Viviani sont repartis dans la nuit pour Paris où ils sont arrivés ce matin. »

Cette visite royale des troupes Britanniques a été accueillie par la population Anglaise avec une grande émotion comme nous l’indique cet article dans Le Temps.
« La nouvelle du départ du roi pour visiter ses troupes sur le front a causé une grande émotion à Londres et dans tout le pays. Le roi trouve un accueil enthousiaste auprès de ses soldats qui combattent dans les tranchées et qui ont pour lui un profond attachement. La présence du roi parmi ses généraux inspire un nouveau courage à l'armée Anglaise. Dans tout le vaste empire Britannique, la nouvelle de la visite royale est reçue avec un sentiment de vive satisfaction. »

VII)
Les journalistes du Figaro viennent d’apprendre que les Allemands vont publier un journal en langue française dans les zones occupées. Ils en sont très choqués :
« Leur dernière trouvaille. Un nouveau tourment ! Ils vont publier un journal. Il sera rédigé en français, étant destiné à ceux de nos compatriotes qui subissent actuellement l'effroyable torture de l'occupation Allemande.
Évidemment, les malheureux ne pouvant difficilement se procurer des nouvelles. Mais ne vaut-il pas mieux pour eux rester dans une certaine ignorance des événements, que de lire les bourdes formidables qui vont leur être servies ?
Il est puéril de s'attendre à quoi que ce soit ressemblant à un procédé équitable de la part des fonctionnaires du Kaiser. Si, comme l'annonce la Gazette de Cologne, ils ont décidé de publier un journal dans les départements Français encore occupés, c'est qu’ils veulent ajouter aux supplices déjà infligés à nos concitoyens un supplice nouveau, celui de la nouvelle mensongère, tendant à les tromper sur la durée de leur martyre.
Reste à savoir combien ce nouveau journal aura de numéros ? Pas beaucoup, disent nos canons, toujours tonnants. »...

VIII)
Courmelles.
Quelques coups de canon… Un avion allemand poursuivi par un français…
Quelques obus sur les hommes du 9e bataillon au mont de Courmelles… Également quelques obus sur les cantonnements du 1er bataillon à Ambleny. Sans dégâts.
Voici d’ailleurs ce que montre la monotonie actuelle :

IX)
Entendu, au milieu de la nuit, une très forte détonation qui m'a réveillé en sursaut. Ma première impression a été qu'un « gros calibre » est tombé tout près. N'entendant plus rien et ne sachant quoi penser, je me suis rendormi m'imaginant cette fois que probablement le vent avait fait tomber un mur, dans les ruines d'à coté.
Mais ce matin, tout le monde parle de l’explosion formidable qui a fait vibrer jusqu'aux extrémités de la ville. Il en est qui affirment que c'est un parc à munitions allemand, installé à l'usine SCAR de Witry-les-Reims, qui a sauté ; d'autres disent que c'est le fort de Brimont. On parle aussi de tranchées minées... personne ne sait rien... canonnade et obus.

X)
Le Courrier de ce jour, publie ceci en gros caractères :
Avis aux familles qui désirent quitter notre ville
Un assez grand nombre de familles seraient désireuses de quitter Reims en raison de la situation actuelle de la ville, mais elles n'ont pas le moyens d'effectuer le voyage :
L'administration municipale s'est préoccupée de cette situation et a décidé d'aider effectivement les familles qui se trouvent dans ce cas, en prenant à sa charge leur transport.
Les demandes doivent être faites à l'hôtel de ville, en présentant les laissez-passer obtenu de l'autorité militaire, indiquant la voie à prendre.

- Plus loin, le journal parle ainsi du bombardement :
Le Bombardement (78e jour de siège)
Les obus ont été envoyés hier matin et dans l'après-midi sur notre ville, avec une régularité méthodique.
Ils ont occasionné des dégâts sur l'importance desquels il ne nous est pas loisible de renseigner nos lecteurs.
Qu'il nous soit permis d'espérer que, grâce aux précautions recommandées à notre population, il n'y aura à déplorer aucune victime...

XI)
Dans la journée, le 90 et le 155 de la 52e DI ont tiré un assez grand nombre de coups dans la direction du bois de Soulains, ferme Modelier (?). Vers 15h00, une grosse colonne de fumée noire s’est élevée dans cette direction. Il est possible que ce soit un dépôt de munitions qui ait sauté. Remarqué de nombreux avions français allant dans la direction du nord est. À leur retour les Allemands ont tiré sans aucun résultat. À 16h relève. Le 3e bataillon vient à la Verrerie. Le 1er va cantonner à Courcelles.

XII)
Lu dans Le Moniteur du mercredi 2 décembre 1914
Simple canonnade de la part des Allemands en Flandre, où leur infanterie ns’est pas manifestée, sauf a Bixschoote : Elle a été d’ailleurs immédiatement forcée de rentrer dans ses tranchées. A la suite d’un brillant combat, nos troupes ont enlevé le parc et le château de Vermelles, entre Lens et Béthune.
Elles ont progressé aussi dans le bois de la Grurie, en Argonne.
Un communiqué du ministère de la guerre Français établit comme suit la composition des forces Allemandes engagées sur l’un et l’autre front :

Contre nous : 21 corps 1/2 actifs, 22 corps et demi de réserve, 8 de territoriale- en tout 52 corps.

Contre les Russes: 4 corps actes, 10 corps et demi de réserve, 7 corps de territoriale, plus, bien entendu, l’armée Austro-Hongroise.

Russie. L’état-major Russe signale une nouvelle offensive Allemande dans la région de Lovicz (Pologne), où elle a été du reste brisée. Près de Lodz, simple canonnade , mais de gros renforts Allemands sont venus de Silésie vers Kalisch, où des dispositions ont été prises pour les arrêter.
Une brigade de la garde Prussienne, avec cinq batteries, a été délogée et mise en fuite à Szrecow. le tsar est arrivé sur le terrain des opérations.
2 décembre 1914 : la Tête-de-Faux redevient Française




Décembre 1914 - La Vie en Lorraine (1/3) - blamontwww.blamo.infont.info/textes871.html
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