samedi 6 décembre 2014

LA GRANDE GUERRE AU JOUR LE JOUR LE 22 NOVRMBRE 1914

22 NOVEMBRE 1914...


I)
Un véritable quiproquo :
Une dépêche Havas, naturellement aggravée par Le Temps, nous apporte de Pau la nouvelle suivante :
L'abbé Etcharf, de Saint-Étienne-de-Baigorry, a fait au début de la guerre un violent prêche où il déclarait que la guerre est le châtiment voulu par la Providence, à cause de la persécution religieuse. Traduit devant le tribunal de Bayonne, il est acquitté. Sur pourvoi du ministère public, le jugement a été confirmé, mais l'arrêt déclare déplorables les paroles du curé, bien que ne tombant pas sous le coup de la loi.
La dépêche Havas parle de « sévères attendus ».

« Le Temps » confondant les curés et les pasteurs, la prédication et le prêche, éclaircit comme il peut ces attendus déplorables.
Nous permettra-t-on de douter que les audiences du tribunal et de la cour aient vraiment élucidé la question dont ils ne sont pas juges, si la prédication catholique est restée libre en France ?

Depuis plus d'un mois que l'on parle de ce prône du curé Basque, nous nous demandons s'il n'y a point là tout simplement un abominable malentendu, comme il en surgit à chaque instant dans notre nationalité en charpie,
« dans ce peuple mutin divisé de courage », comme disait Ronsard pour une période analogue…
Oui, si c'était un quiproquo ?…
Le doux et mystique Voyant qui conseillait à ses disciples de s'aimer les uns les autres commencerait par dire aux Français d'aujourd'hui :
« Traduisez-vous les uns les autres ! Ah ! ne vous battez pas, ne vous condamnez pas avant de vous être traduits ! »

Donc, le curé Basque a prêché que cette guerre est un châtiment providentiel des crimes ou des fautes de la France.
Que dit-il, ainsi parlant ?
Avec la précipitation de l'esprit de parti, avec l'espèce de cécité rageuse que donne la passion anticléricale, les journaux radicaux, « Dépêche de Toulouse » en tête, ont pensé que ce châtiment est unilatéral, qu'il est destiné à la France seule et que, par voie de conséquence, « guerre », dans la pensée du curé Basque, voulait dire châtiment suprême, donc défaite, donc disparition de la France…

Or, en soi, la guerre est un fléau bilatéral. Dans la conception catholique de la providence, il est parfaitement admissible que la même guerre puisse aussi punir les crimes de l'Allemagne.
Les Français ont pu le mériter par les persécutions incontestablement appliquées au catholicisme, par exemple à l'exil de 100 000 religieux ou religieuses... Mais les Allemands ont pu encourir un châtiment égal par d'autres infractions, telles que leur orgueil, leur chasse folle au bien-être le plus épais, leur luxe insultant et grossier, la décadence des mœurs privées et publiques dans toutes les classes de leur société.
Cette façon d'entendre la justice divine laisse absolument en suspens l'issue de l'épreuve, quelle qu'en soit la décision.
La France 10 fois criminelle peut être 100 fois victorieuse : Nil obstat.
Et bien au contraire, s'il est vrai que les purgatoires aboutissent aux paradis…
— Mais le châtiment ?
— Eh ! le châtiment, il est manifeste. Est-il besoin d'être vaincus pour le subir et pour le subir tous ?
Cette hécatombe de combattants à la fleur de l'âge, ces flots d'un beau sang sacrifié qui, ruissellent depuis 3 mois, ces larmes de mères, de filles et de veuves, et ces coups que redouble, selon la pénétrante pensée de Joseph de Maistre, l'ange de l'extermination, ne trouvez-vous pas que cela châtie ?
Ou qu'est-ce qu'il vous faut ?

Ce qu'il vous faut, messieurs de la Cour d'appel de Pau et messieurs de la presse républicaine, même modérée, c'est d'avoir gardé la notion du langage de la théologie ou de la casuistique, tel qu'il est parlé et doit l'être en toute chaire catholique.
Vous vous indignez, vous ragez, déchirez vos habits et criez au blasphème avant même de savoir ce dont il s'agit. Cela vous donne l'envie de pondre des lois nouvelles. Il vous suffirait d'appeler un bon truchement.
« Vieilles haines »
Si l'affaire du curé Basque n'est pas tout à fait limpide, il faut citer celle de l'évêque de Grenoble, S. G. Mgr Maurin, accusé par le journal socialiste du pays de nourrir dans son cœur le serpent des « vieilles haines accumulées », parce qu'il engage ses prêtres et fidèles à lui déférer, pour qu'il les défère lui-même aux tribunaux, les gens qui colportent des imputations infamantes pour le clergé…
Dans une lettre publiée par La « Croix de l'Isère » après insertion dans Le « Droit du Peuple », ce prélat expose avec une grande clarté qu'il n'y a pourtant pas 2 conduites possibles :
Si l'on veut la paix et l'amitié, il faut se rendre mutuellement justice.
Si l'on se montre injuste, il faut consentir à aller s'expliquer, au besoin s'accorder devant les tribunaux.
À moins qu'il n'y ait un troisième parti obscurément voulu et secrètement préparé par une faction ignorée, mais forte : Le parti pris d'éterniser nos guerres civiles.
Mieux vaudrait pourtant en finir avec ces « vieilles haines » artificiellement attisées et exaspérées !
Tant de cœurs doivent depuis longtemps s'être reconnus pour des frères, puisqu'ils sont les uns et les autres du bon sang de France !

II)
Courmelles
Nuit bruyante. Le bombardement de Soissons et les réponses que nous y faisons ont secoué toute la nuit ma maisonnette. Comment tient-elle encore debout ?…
Les vitres ont eu de tels frémissements que le mastic qui les maintient s’est détaché par petits fragments.
Journée plus bruyante encore. J’ai essayé d’entrer dans Soissons pour photographier des éclatements d’obus. Mais lorsqu’arrivé au faubourg de Crise je me suis trouvé en face d’un énorme trou de marmite tout frais creusé, j’ai jugé bon de rebrousser chemin. Et j’ai gravi la colline derrière Belleu, et de l’Arbre de Bourges j’ai contemplé, sous une bise glaciale, la bataille d’artillerie qui se livre par-dessus l’Aisne.
Spectacle, d’ailleurs, familier : Au-dessus de Vregny on aperçoit à intervalles réguliers le quadruple feu des shrapnells français éclatant avec un vacarme de tonnerre.
Sur Condé, même jeu. Toutes les 10 minutes une marmite allemande tombe sur Missy et une énorme fumée colonne de fumée noire s’élève à cet endroit.
A Soissons une usine, qui est, je crois, la fonderie, brûle, jetant dans le vent des flammes et des lambeaux de fumée.

-15h. En arrivant à Courmelles je trouve l’ordre donné au bataillon de se tenir prêt à partir.
Vite je boucle ma cantine.
Et j’attends toute la nuit : Le canon fait un vacarme sérieux. Je commence par m’étendre sur mon lit, tout habillé, m’attendant à partir d’une minute à l’autre. Et puis je me déchausse et me glisse sous mes couvertures. Les obus n’ont pas l’air de vouloir venir jusqu’à Courmelles… Alors je me déshabille à moitié…
-Minuit- 10 coups de canons Français contre deux Allemands. Ça va. Je me déshabille... Et je m’endors…
III)
Journal du Rémois Paul Hess (extraits)
« Ce matin vers 8h15, bombardement extrêmement violent. Les obus arrivent soudain dans le quartier.( …) Les 210 ont atteint la rue Talleyrand, les maisons Clause N°6 et Bellevoye, bijouterie, N°27, sont presque complètement démolies).

Ma femme et ma fille Madeleine qui se trouvent à cette heure dans la chapelle de la rue du Couchant, ne pouvant songer à revenir, se mettent à l’abri dans les caves de la maison des Œuvres, rue Brûlée, mais n’y sont pas arrivées qu’une explosion se produisant à courte distance, chez le Dr Colleville, rue Chanzy, brise les vitres sur leur passage, par son déplacement d’air.
D’autres obus tombent ensuite encore rue Chanzy, puis au coin de la rue Marlot et de la rue Boulard, où une maison neuve est entièrement disloquée, il en tombe un autre qui fait d’importants dégâts et décapite une femme de service à la maison Jannelle, 63, rue des Capucins (…)

Le bombardement reprend, dans la soirée, sur le faubourg de Paris. Un obus faisant explosion dans le bas de la rue de Vesle, tout près d’un groupe d’officiers d’administration , dont plusieurs affectés à l’hôpital temporaire N°8 fonctionnant à la clinique Mencière, tue 4 de ces malheureux qui se promenaient tranquillement sur la fin de ce dimanche : MM Soudain, Guyon, Mareschal, négociant en vin de champagne en notre ville et Salaire, commandant du bataillon de sapeurs pompiers de Reims et il en blesse 3 autres : M.Barillet, grièvement et MM. Bouchette et Goderin. On compte en ville, paraît-il une vingtaine de blessés.

IV)
Lu dans le Moniteur en date du 22 novembre 1914
France.
-La canonnade se poursuit par intermittences dans la Flandre et le nord de la France. Nous avons fait sauter des tranchées dans l’Argonne et repoussé cinq attaques dans la Woëvre.

Russie.
-La contre offensive Russe se dessine avec succès sur toute la ligne et principalement entre Czenstochowa et Cracovie, du côté de la Silésie. Przemysl est sur le point de tomber et l’on n’attend plus que l’assaut final. Les autorités militaires Prussiennes fortifient hâtivement Berlin, comme si le péril pour la capitale devient imminent.

Allemagne.
-Les désertions se multiplient dans l’armée Allemande parmi les hommes de la lanstrurn.
Le Reichstag va être appelé à voter un crédit de 6.250 millions.

On enregistre le bruit d’un attentat contre le sultan Mehmed V.
Un complot a été tramé, auquel participe l’héritier du trône Youssof Eddine, ennemi d’Enver pacha hostile, à l’influence Allemande.
L’Italie se préoccupe de la marche des Turcs vers le canal de Suez.

V)
Par Lucien Ledoux Paris, Faubourg Saint-Jacques
La neige crisse sous les chaussures de Lucien à chacun de ses pas... Les flocons n’ont cessé de tomber depuis le début de la journée. Les rues se sont couvertes d’une couche molle et blanche dans lesquelles chaque empreinte a écrit une histoire. Lucien essaie de les deviner à la lueur des réverbères. Des traces encore fraîches de lourds souliers cloutés forment un cercle. Lucien s’imagine un policier en faction marchant en rond pour se réchauffer, ou bien le complice d’un crime en train de faire le guet qui aurait fui à l’approche du jeune imprimeur.
Des traces de roues et de sabots entachées d’une large éclaboussure carmin laissent deviner qu’un chariot de marchand de vin a perdu ici l’un de ses tonneaux. Autour du lieu de l’incident, on peut lire les pas de ceux qui se sont écartés pour ne pas être éclaboussés et ceux des curieux qui se sont approchés promptement afin de commenter l’événement.

Lucien poursuit son chemin pour aller prendre son service à l’atelier. Il soupire. Voilà qu’il en est réduit à lire dans la neige pour se distraire.
Depuis qu’Antoine et Jules sont partis, ce n’est plus pareil.
Pour un peu, il regrette presque de ne pas les avoir suivis à la guerre. Là-bas, au moins, ils doivent en voir, des choses.

« L’Intransigeant » raconte que les soldats Français donnent des noms de rues de Paris à leurs tranchées et qu’ils s’y amusent presque, tant les Allemands flanchent à la moindre attaque.
L’autre jour, un article racontait même qu’un soldat du Reich venu se rendre a été refusé par les Français qui n’ont pas envie de s’ennuyer pour un seul prisonnier. L’Allemand est donc reparti à sa tranchée puis est revenu une heure plus tard avec 20 de ses camarades pour se rendre en groupe.
Lucien en est à se demander combien de prisonniers ont bien pu faire Jules et Antoine lorsqu’il aperçoit devant lui l’atelier illuminé, grand ouvert malgré le froid.

Dans la lumière qui sort de l’imprimerie se dessine la silhouette de l’un des employés. Il barbouille de la colle sur la porte à grands coups de pinceau avant d’y apposer une affiche. À peine a-t-il terminé son œuvre que surgit derrière lui une silhouette bedonnante familière à Lucien.

« Papa ? » appelle Lucien, interloqué.
Son père ne se retourne pas, trop occupé qu’il est à relire l’affiche encore humide. Lucien le rejoint, alors que l’employé est retourné à son poste. Son visage se décompose peu à peu, lorsqu’il découvre ce qui est écrit en grands caractères...

« Les imprimeries Ledoux recherchent un chef de machine et un ouvrier qualifié pour approvisionner les machines. Horaires de nuit. Salaire à discuter. Contacter M. Ledoux, propriétaire. »

Lucien reste bouche bée, incapable d’en croire ses yeux. Très lentement, il se tourne vers son père et demande d’une voix tremblante :

« Tu veux remplacer Antoine et Jules ?
Bah ! s’exclame son père avec dédain. L’hiver est déjà là, alors la guerre ne devrait pas reprendre avant le printemps. Et vu comme ces fainéants n’arrivent pas à avancer… Dans le meilleur des cas, on ne reverra pas tes deux copains avant l’an prochain ! Et l’imprimerie ne peut pas éternellement tourner en sous-effectif.
— Mais, papa, tu ne peux pas leur faire ça ! s’emporte Lucien. Ils n’ont pas choisi d’être là-bas, tu ne peux pas en plus les renvoyer !
— Bien sûr que je le peux ! (Le père de Lucien tape du pied dans la neige avant de s’en retourner vers l’intérieur de l’atelier, que réchauffent les machines en train de tourner.) C’est encore moi le patron, que je sache !
— Qu’est-ce qu’ils feront à leur retour ? Et puis où va-t-on trouver des bras, des gens qualifiés ? La ville est déserte ! »

Lucien poursuit son père, la voix emplie d’amitié pour ses camarades et de colère envers son père.
M. Ledoux se faufile entre les machines et inspecte les derniers tirages. Il élève la voix par-dessus le raffut des presses pour répondre à Lucien :
« Les théâtres, mon fils ! Avec la guerre, ils sont fermés. Bon nombre de troupes sont incomplètes, les acteurs sont au front. Pense à tous ces techniciens qui y travaillaient et qui cherchent un emploi ! Avec les prix qui montent, c’est maintenant qu’il faut les embaucher, quand ils en ont vraiment besoin, et qu’ils n’ont pas les moyens de négocier. Avant que les théâtres ne rouvrent !
— Mais… tente vainement Lucien.
— Mais rien du tout ! s’exclame son père en se tournant vers lui, furieux. C’est mon entreprise, et c’est moi qui commande ! Je ne suis pas ici pour faire plaisir à tes petits copains mais pour faire manger notre famille !
Nous avons l’opportunité de refaire les effectifs de la société à bas prix, je ne vais pas la laisser passer simplement pour deux camarades d’écoles qui ne sont pas fichus de repousser les Boches jusqu’à Berlin ! »

Lucien bredouille quelques excuses le temps que son père se calme un peu. Il le suit dans l’imprimerie sans dire un mot. Il attend de sentir qu’il peut revenir sur le sujet sans risquer une nouvelle explosion de colère paternelle.
« Est-ce qu’au moins, tu pourrais considérer les nouveaux salariés comme des remplaçants et envisager de reprendre Antoine et Jules à leur retour ? Ils sont plus expérimentés que n’importe qui d’autre sur ces postes et tu le sais. »
Le père de Lucien le considère de haut en bas, stupéfait du toupet de son fils. Après avoir longuement soupiré, comme s’il acceptait de céder à un caprice, il concède enfin :
« Pourquoi pas. »
Lucien aurait seulement préféré qu’il n’ajoute pas, d’un ton glacial :
« À condition qu’ils reviennent. »

VI)
Selon le communiqué officiel, la journée a été marquée par de violentes canonnades. Les Allemands ont dirigé particulièrement leurs coups sur Ypres, dont le clocher et la cathédrale. Les halles et de nombreuses maisons ont été incendiées, sur Soissons et sur Reims.

Dans l'Argonne, la journée a été très chaude. L'ennemi a pratiqué des attaques très vives qui ont été repoussées.

Sur le champ de bataille, le correspondant de guerre du « Daily Chronicle » signale l'apparition d'un nouveau canon Anglais, dont les effets sont absolument terribles. Ce canon, dont plusieurs pièces sont en service, « a permis, paraît-il, de supprimer des forêts entières, à ras du sol, si bien que les Allemands ne paraissent plus guère disposés à se retrancher systématiquement dans les bois, comme ils l'ont fait aux environs d'Ypres, de Lille et de La Bassée.
Dans certains de ces bois, on a trouvé une multitude de cadavres enfouis sous les troncs et les branches entassés. Les effets du nouveau canon anglais sont tels que sur 5 000 prisonniers capturés dans le courant de la semaine dernière, une vingtaine sont devenus fous. »

En Belgique, un violent bombardement d'Ypres détruit les halles et l'hôtel de ville.

En Galicie, les Autrichiens abandonnent Novo-Sandec sous la poussée de nos troupes.

Les Allemands attaquent entre la Vistule et la Warta, dirigés sur le triangle des forteresses de Novo-Georgievsk (au confluent de la Narew et de la Vistule), de Zegrze (au confluent du Bug et de la Narew) et de Varsovie.

Dans la campagne Austro-Serbe, le communiqué officiel indique que 15 jours se sont écoulés depuis que les troupes Serbes ont reçu, pour d'importantes raisons stratégiques, l'ordre de se replier sur des positions qu'elles occupent actuellement.
Le bombardement de Belgrade continue toujours. Les Autrichiens persistent à diriger leurs obus sur la ville, où ils n'épargnent même pas les hôpitaux, les églises, les écoles, les bibliothèques, et s'efforcent d'arriver à une destruction systématique et totale.

En Turquie, le croiseur Hamidteh accompagné de torpilleurs bombardent Tuapse (port de la Russie d'Asie sur la mer Noire)

Une escadre Anglo-Française croisant près des Dardanelles tire sur des torpilleurs Turcs.

Le journal « Le Temps », publie le témoignage d’un industriel sur l'occupation Allemande dans la région du Nord.
« Les effets de l'occupation ont été, en somme, extrêmement variables, et sensiblement influencés par l'état d'esprit des chefs. Les Allemands, à Valenciennes à Roubaix, etc..., se sont attachés, avec une méthode rigoureuse, à s'emparer de tous les produits immédiatement utilisables, et à transporter dans leur pays toutes les marchandises manufacturées et les matières premières dont ils peuvent avoir besoin. Puis systématiquement, ils ont détruit les usines, qu'en d'autres lieux ils cherchent, au contraire, à remettre en activité. »

Le correspondant du journal « Le Temps » à Saint-Omer écrit à propos des espions Allemands. « Les Allemands emploient tous les moyens pour pénétrer dans les lignes des alliés. C'est ainsi qu'il y a quelques jours, dans les environs d'Estaires, un prêtre va de maison en maison, demandant des adresses en vue de la distribution de tricots de laine aux troupes.
Confiant, chacun fait de son mieux pour renseigner l'abbé. Celui-ci disparaît bientôt, après avoir promis l'envoi sans délai de chauds sous-vêtements. Nos soldats attendront ceux-ci en vain... Mais dans la soirée ils reçoivent une pluie d'obus bien dirigés sur les points les plus importants et repérés sans aucun doute par le faux abbé qui n'était qu'un espion. »

L’alcoolisme fait des ravages, le journal « Le Temps » dénonce ce danger public « Dans certaines régions de la Normandie les arrêtés sages et salutaires des administrations civiles et militaires pour l'interdiction de l'absinthe et la limitation de la vente de l'alcool restent lettre morte.
C'est un danger et un scandale. Lorsqu’au début de la guerre, les pouvoirs publics, prennent des mesures pour combattre les funestes effets de l'alcoolisme, l'opinion approuve cette décision. Mais peu à peu, il semble que la surveillance se soit relâchée et la tolérance accentuée (…) Voici les faits signalés
1- Depuis quelques semaines les rues d'Elbeuf et des communes environnantes sont encombrées certains jours de gens en état d'ébriété.
2- Il est avéré que le commerce clandestin de l'absinthe n'a jamais été interrompu et qu'on peut s’en procurer facilement.
3- Les blessés en convalescence qui ont la permission de sortie les dimanches et jours de fête rentrent dans leurs hôpitaux respectifs dans un état voisin de l'ivresse.
4- Les territoriaux affectés à la garde des ponts ou des chemins de fer sont sans cesse sollicités par des marchands d'alcool, certains même se livrent à l'alcool à tel point que la sécurité publique en est sérieusement menacée. »

VII
Renforcer la coordination de l’action militaire
Alors que dans les Flandres, les échanges d’artillerie se poursuivent sans l'assaut de fantassins, une conférence interalliée est convoquée à Furnes et décide la mise en place d’un Bureau commun de renseignements qui réunit les informations recensées par les Français, les Britanniques et les Belges de manière à améliorer la coordination des Alliés.

Tous en conviennent, il faut favoriser la transmission des informations pour parfaire les missions qui méritent d’être accomplies par l’ensemble des forces engagées sur le front occidental. Cela pourrait être étendu à d’autres zones d’affrontement si les résultats qui sont obtenus attestent que ce choix est le plus pertinent pour doper l’efficacité militaire.

VIII
JMO/Rgt :
« 5e bataillon : travaux de fortification toute la journée
6e bataillon : les 22e et 24e Cies ont relevé les 21e et 23e Cies aux avant-postes respectivement à Bénaménil et Thiébeauménil. Travaux de propreté, le reste de la journée pour Fraimbois. Rien à signaler aux A.P. sur le front de surveillance. »

JMO/SS :
« Service en campagne. Le terrain est gelé par les grands froids avec le vent qui a fait son apparition.
Indisponibles = 37
Evacué sur ambulance n° 1 à Rambervillers :

IX)
Il a gelé à nouveau. La terre est blanche, et les cloches tintent clair, les paysans qui se rendent en longues théories aux offices donnent l’impression d’un chromo classique de Noël. Mais, pour nous, voilà bien longtemps qu’il n’y a plus ni dimanche ni fête, et je cours, et je cours à travers champs refaire un nouveau cantonnement dans la direction de l’abbaye de Saint-Sixte de l’autre côté de Kopernolock.
Vers midi, le bataillon se rend à ses nouveaux emplacements, et, pour me délasser, je fais de la comptabilité le reste de la journée. Nos nouveaux hôtes, humbles possesseurs d’une minuscule ferme bariolée de vert et de rouge, sont accueillants et parlent un peu de Français. Nous leur donnons les vivres, ils fournissent le beurre et les pommes de terre, et nous dînons en famille. Le soir, on cause avec eux de la « erre » comme ils disent là-bas. Elle est bien près d’eux. Ils conservent cependant la tranquille assurance du peuple des Flandres qui « s’accommode avec », plutôt que de s’exiler.

La première bataille prolongée menée entre les forces Alliées et Allemandes dans le très contesté saillant d'Ypres durant la Première Guerre mondiale prend fin après plus d'un mois de combats...
Après la progression agressive Allemande à travers la Belgique et L'Est de la France décisive... Arrêtée par la victoire des Alliés dans la bataille de la Marne à la fin de Septembre 1914, la soi-disant « course à la mer » a commencé, lorsque chaque armée par la construction de fortifications et de tranchées à la hâte le long chemin vers le nord, jusqu' à Ypres. La course s'est terminée à la mi-Octobre dans, l'ancienne ville Flamande et ses fortifications qui gardent les ports de la Manche.
Le 19 Octobre, les Allemands lancent leur offensive en Flandre, visant à briser les lignes Alliées et la capture d'Ypres et des autres ports de la Manche, et, ainsi prendre le contrôle des ports de la Manche et la mer du Nord au-delà...
Les Alliés ont tenu, cherchant à aller au combat dans la mesure du possible.
Le dernier jour d'Octobre, les unités de cavalerie Allemandes ont commencé un assaut plus concentrée, forçant la cavalerie Britannique à quitter sa position de Messines. Plus au nord, le 1er Corps Britannique du général Douglas Haig a réussi à tenir ses lignes, conduisant de nombreux Allemands à croire à tort qu'ils étaient confrontés à des mitrailleuses Britanniques.
Une autre attaque Allemande le 11 Novembre a presque renversé les Britanniques dans la ville de Hooge, mais ils se sont heurtés à une troupe hétéroclite de défenseurs Britanniques (y compris les cuisiniers, infirmiers, greffiers et ingénieurs) qui ont été en mesure d'exploiter l'indécision Allemande et de repousser l'ennemi sur ses lignes...
Chaotique combats continué sans relâche tout au long des trois semaines suivantes à Ypres, avec de lourdes pertes subies des deux côtés.
Le 22 Novembre, les combats ont été suspendu avec l'arrivée de l'hiver. La première bataille d'Ypres a pris la vie de plus de 5 000 Britanniques et 5 000 soldats Allemands, mais la région verra beaucoup plus de sang au cours des 4 années à venir. Dans les paroles mémorables d'un soldat Britannique, Donald Fraser, « on n'était pas un soldat si on n'avait servi sur le front d'Ypres. »

X)
Mâcon, le 22 novembre 1914 Chers Parents,
Je n’ai pas encore de nouvelles du colis que vous m’avez expédié. Je l’attends toujours. J’espère bien qu’il m’arrivera. Il y a eu un peu de remue-ménage à la caserne cette semaine. Mercredi dernier, ceux de la classe 14 formant le prochain détachement ont été désignés. On a pris ceux qui ont été vaccinés 3 fois ou pas du tout, excepté les élèves-caporaux. Aussi ce n’est pas encore mon tour cette fois

Les partants ont été habillés, équipés et passés en revue. Ils devaient partir hier, mais ils sont encore là.
Ce sera peut-être pour demain, mais sûrement d’ici peu.
On ne le leur a pas encore dit.
Ils n’iront pas directement sur la ligne de feu.
Ils camperont sous des tentes qu’ils emportent sur le sac pendant quelque temps.
On leur a donné de chaudes ceintures de flanelle, des gants, des chaussures neuves, en résumé, ils sont bien vêtus, bien équipés, ils emportent une quantité de provisions, le seul inconvénient, c’est que le sac est très lourd avec ce chargement complet.

Ceux qui restent partiront plus tard. Quant aux élèves-caporaux, le sergent instructeur nous a dit que des ordres sont donnés pour compléter notre instruction. Partirons-nous avec les autres ou resterons-nous avec la classe 15, je n’en sais rien, nous verrons bien.
Je préférerais rester, mais je m’attends quand même à partir, comme cela, je ne serai pas trop surpris.

L’adjudant-chef nous a fait hier matin à tous un petit discours. Il a recommandé à ceux qui partent de garder un peu d’argent, de ne pas tout dépenser, au cas où ils seraient blessés ou faits prisonniers, de toujours se prémunir de vivres et de cartouches, de prendre même ceux des blessés ou des morts. Ce n’est pas un homme à se faire de la bile, c’est un blagueur, il a déjà été au feu et est au courant de ce qui s’y passe. Il nous a donné d’utiles conseils. 

Il y a déjà une quinzaine de jours que vous êtes à Saint Christophe, vous allez sans doute bientôt retourner à Caen. Je vous y écrirai la prochaine fois. Je me demande quand j’y retournerai. Je suis quelquefois pris d’ennui en constatant que la guerre n’avance pas vite, mais cela se passe.
Je sors presque tous les soirs, même quand je suis fatigué, car ce n’est pas très gai de rester dans les chambres.

Je vous embrasse bien tous ainsi que Papa Gustave et ma tante.
Je suivrai ses conseils.
Henri.

XI)
Parcourez le « Miroir » d’aujourd’hui, vous y verrez encore des photographies des villes de Belgique lourdement bombardées et incendiées, mais aussi les « courageux » du Nord, qui ne veulent pas abandonner les populations.

Au sujet des Alsaciens, Mlle T..., fille d'un des pasteurs les plus vénérés de Mulhouse, me dit les choses les plus rassurantes. Le bruit courait que les soldats Français n'étaient pas reçus en Alsace aussi bien qu'espéré, cependant La vérité est qu'à leur entrée à Mulhouse la réception a été admirable, plus belle que les vieux Mulhousiens n'osaient s'y attendre.

Les populations ouvrières des faubourgs, où l'on pouvait craindre de l'indifférence, ont montré un enthousiasme qui est presque du délire. Naturellement, des représailles exercées par les Allemands à leur retour dans la ville ont eu pour effet, dans la suite, de rendre les Alsaciens plus circonspects.

De plus les immigrés ont très souvent trahi nos soldats, les ont attirés dans des guet-apens. Le jour où l'Alsace sera à nous, il ne faut pas douter d'une adhésion entière. Les industriels qui ont le plus à souffrir dans leurs intérêts d'une peut-être ré-annexion sont prêts à tous les sacrifices...

XII)
Dimanche 22, Il y a aujourd'hui un important mouvement de troupes vers le sud. De nombreux convois entrent en ville, venant de la direction de Cantimpré des trains passent sans cesse, allant vers Busigny, emportant des hommes, des canons, des munitions.
Les optimistes crient bien haut que c'est un recul, que les armées rentrent en Belgique par Erquelines... Comment le savent-ils ? Je crois plutôt que l'ennemi porte ses troupes sur un autre point pour attaquer ailleurs. Pourvu que les nôtres s'en aperçoivent et se mettent en mesure de résister !

Les gens qui voient tout en rose annoncent déjà que Lille et Douai doivent être repris. Ils vous abordent tout rayonnants, et, après vous avoir serré rapidement la main, après avoir jeté autour d'eux un regard furtif, ils vous chuchotent à l'oreille que la situation est superbe !...
L'ennemi bat en retraite et regagne la Belgique
Les Russes, renforcés par les Japonais, foncent sur Berlin à marches forcées, culbutent tout sur leur passage, comme une trombe de fer.
Les Français, après avoir hissé le drapeau tricolore sur les cathédrales de Metz et de Strasbourg, envahissent au pas de course le grand-duché de Bade, Les Anglais se concentrent au nord en masses compactes et vont, eux aussi, entrer en danse.
Ce sera bientôt la grande curée, la fin de la Germanie, et d'ici un mois nos soldats rentreront dans leurs foyer couronnés de lauriers !

Le canon tonne sans discontinuer à distance, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Quelle peut bien être la destination des troupes descendues par le chemin de fer du Nord, vers Busigny ? Il est passé prés de 150 000 hommes de toutes armes !

XIII)
5 attaques Allemandes repoussées entre Verdun et Fresmes
Paris, 22 novembre, 1h50 Communiqué officiel du 21 novembre, 23h : La journée a été des plus calmes. Rien d'intéressant à signaler sinon que, dans la Woëvre, aux Eparges, 5 attaques Allemandes exécutées en masses et dans un espace de 2 heures, ont été arrêtées net par le tir de notre artillerie...

Le calme après de la tempête Bordeaux: 22 novembre, 15h30 la journée du 21 a été calme sur la totalité du front.
En Belgique comme dans la région d'Arras à l'Oise, il n'y a eu que des canonnades intermittentes.
Notre artillerie s'est montrée, en général, plus active que l'artillerie ennemie.
Nos batteries ont réussi à démolir plusieurs lignes de tranchées Allemandes, l'ennemi travaille, d'ailleurs, à en reconstruire de nouvelles en arrière.
Journée calme également sur l'Aisne et en Champagne, aussi bien qu'en Argonne, sur les Hauts-de-Meuse et dans les Vosges...

A Haraucourt comment se relèvent les Villages en ruines :

Interview de monsieur de M. Midavaine Haraucourt, 22 novembre.
Comme il a changé, le pauvre village ! Depuis le jour où, en pleine canonnade, j'y passai quelques heures dans une tenue de fossoyeur « in partibus », le bombardement a fait son œuvre : La rue du Port aligne les façades croulantes de ses maisons, la tour du clocher détache sur le ciel ses lignes crénelées, la place de la Liberté, où l'état-major de la division rassemble ses fourgons, est déserte, silencieuse, devant les vestiges du vieux château, les écoles, occupées alors par les services de l'intendance, sont abominablement ravagées et montrent par une brèche énorme les rayons en désordre d'une bibliothèque...

L'église présente un aspect lamentable, navrant.
Les cloches ont fondu dans le brasier.
La nef, le chœur sont pleins de poutres calcinées, de briques, de fers tordus, d'objets ayant servi au culte et qui accumulent pêle-mêle ex-voto, croix, bénitiers, fonts baptismaux.
Plus de toiture, plus de vitraux ornant le trèfle des ogives, plus de chapiteaux couronnant les piliers.
Deux tableaux ont seuls échappé au ravage.
L'autel est recouvert d'informes débris.
Un catafalque disloqué évoque la scène pénible qui a attristé les obsèques de l'adjudant Cafaxe... C'était un enfant de Haraucourt. Il servait au 156e de ligne.
Sa compagnie attaque le Bois-de-la-Forêt, non loin du village natal, quand une balle le couche sur le sol.
Son cadavre reste près d'une semaine à la même place.
Un soir, son père se résout de le ramener... On attelle donc une carriole, mais l'équipage est bientôt repéré... Les obus, les balles sifflent... On n'a que le temps de fuir.

2 ou 3 jours plus tard, les Allemands se replient. On peut enfin ramasser le corps du sous-officier, une courte prière est récitée dans l'église, quand un obus troue la voûte et s'abat sur la bière, au milieu de l'émouvante cérémonie...
Il est 20h, le père charge le funèbre fardeau sur une brouette pour aller au cimetière.
Une lanterne éclaire le cortège composé de quelques amis.
Cette fois, une patrouille Française croit que cette lumière est un signal, et, après la tragique inhumation de son gars mort au champ d'honneur, le malheureux père doit passer la nuit au corps de garde sous l'inculpation d'espionnage, lui, le vétéran, qui a fait toute la campagne de 1870 !

Un bataillon du ...e de ligne, originaire de la Saintonge, cantonne à Haraucourt depuis la semaine dernière. Le poste est installé dans ce qui reste d'une vaste ferme, dont les engrangements, au fond de la cour vide, découpent la silhouette délabrée de leurs murs. Des corvées passent, des cuisiniers activent un foyer récalcitrant, un sous-officier distrait ses loisirs en peignant une délicate aquarelle.

Pendant ce temps les fantassins arpentent, non loin de Haraucourt, les terrains profondément creusés en maints endroits par des tranchées que l'on a maintenues absolument intactes, en prévision d'une reprise des hostilités sur le même champ de bataille.

Rien ne saurait traduire l'impression qui se dégage de ces manœuvres, de ces exercices ayant pour but l'attaque (sans un coup de fusil, sans l'accompagnement sourd du canon) du village évacué d'abord sur les ordres de la prévôté, abandonné ensuite par l'affolement de la panique :
« - Une demi-douzaine d'habitants, nous dit M. l'adjoint Barotin, sont restés ici.
Un ménage de vieux, une paralytique qui refuse d'être transportée dans une brouette.
Les pauvres gens ont été si douloureusement bouleversés par la destruction de Haraucourt qu'à cette heure, hélas ! ils dorment côte à côte dans notre petit cimetière.
Le maire a dû céder son écharpe à M. V. Briat, qui s'occupe avec fermeté des intérêts de la commune.
- Le bombardement a duré du 6 au 8 septembre, ajoute M. Barotin, pendant 3 jours et 3 nuits consécutifs, les Allemands se sont acharnés sur le pays. Leurs obus incendiaires ont répandu partout la dévastation. Toitures, plafonds, mobiliers ont disparu dans la catastrophe.

Nous sommes allé à Haraucourt afin d'assister justement aux travaux que fait exécuter la commission d'assistance pour le rapatriement des réfugiés des villages Lorrains.
Car une question, actuellement, se pose à tous les esprits :
- Avec les fonds de secours accordés par l’État, avec les ressources qu'a fournies la générosité des souscripteurs, dont la bourse vient en aide à tant de misères, comment s'y prendront les architectes, les terrassiers, les maçons, les couvreurs, toutes les corporations du bâtiment, en un mot, pour reconstruire ce que le vandalisme des barbares a criminellement anéanti ? »
La meilleure réponse à cette question, est une visite dans les chantiers en pleine activité qui réparent déjà le désastre de Haraucourt.

MM. de Roche du Teilloy et Chrétien, membres du Comité, se sont fréquemment rendus sur place, afin d'étudier les moyens prompts et sûrs qu'il convient d'employer pour la remise en état des immeubles susceptibles de supporter sans trop de frais les réparations et l'aménagement nécessaires.
L'exécution des travaux a été confiée à l'active surveillance de M. Midavaine, que nous avons eu la bonne fortune de rencontrer hier chez M. l'adjoint Barotin.

Vous avez mesuré toute l'étendue, toute la gravité du mal, nous dit M. Midavaine. Vous apprécierez mieux l'importance du remède. Suivez-moi donc. Je vous servirai de guide.
Chemin faisant, je vous expliquerai la marche des travaux, vous verrez à l'œuvre le personnel que nous avons recruté pour réaliser le vœu des commissions officielles et de la population Lorraine. »
Reconstruire les édifices entièrement démolis, il n'y faut point songer. L’État se chargera de ce soin après la guerre.
Des commissions évalueront exactement les dégâts, abattront les murs, laisseront subsister seulement au ras du sol les basses fondations, s'entendront avec les propriétaires pour les indemnités qui leur sont dues :
Je présume que les villages détruits bénéficieront d'avantages sérieux, les rues seront plus correctement alignées, les fumiers cesseront de verser leur purin dans les ruisseaux, des commodités en rapport avec les progrès de l'hygiène rendront agréable la disposition des logements. En attendant l'accomplissement d'une telle besogne, il sera indispensable, à mon avis, de construire provisoirement, non loin des villages en ruines, des baraquements pour l'architecture desquels, l’État adoptera sans doute un type, comme on fait pour les cités industrielles.

Chaque habitant retrouvera pour un temps son foyer, ses habitudes, son matériel agricole. Les fermes obtiendront naturellement un espace-proportion- né à l'importance de leur exploitation, les particuliers sauront se contenter d'un logis modeste. »

En opérant ainsi, une période de 4 à 5 années suffirait pour effacer, dans certaines communes aussi terriblement éprouvées que Gerbéviller, par exemple, toutes les traces des incendies et du pillage germaniques, nous n'en sommes pas encore à envisager cette œuvre immense et délicate.
M. Midavaine se borne à réparer les toitures, à boucher un trou d'obus dans les façades, à clore une chambre dont l'explosion a réduit en miettes les fenêtres, à faire ce qu'en terme du métier on appelle le « racolement » :
- Mes ouvriers, dit-il, travaillent depuis 3 semaines, ils ont permis à environ 200 personnes de revenir déjà à leur domicile.
Tenez ! voici le devis approximatif établi par la commission et dont les estimations limitent à peu de chose près mes dépenses.
L'achat des tuiles a coûté environ 4.000 francs, la maçonnerie, les ferrures et les serrures des fenêtres, 1.500 francs, la vitrerie de 77 immeubles, à raison de 6 fenêtres par immeuble, 1.400 francs, les autres matériaux, lattes pannes, chevrons, etc., porteront à 20.000 fr. le total des frais prévus... »

Tout en causant, M. Midavaine nous a conduit à la cantine de ses ouvriers. C'est l'heure du déjeuner. Une soupe appétissante fume dans les assiettes. Les hommes se serrent autour du poêle. La pièce sert à la fois d'atelier et de réfectoire.
On remarque 3 établis de menuiserie enfouis dans les copeaux, une table où sont rangés une vingtaine de couverts et, dans un coin, de la paille abondamment étendue sur le plancher.

Nous interrogeons :
- Êtes-vous satisfaits du menu ?
- Dame, oui. répond un grand diable. La soupe est excellente, mais, pour deux sous, on n'a guère de pain.
La nourriture est abondante et saine.

Aux débuts de son installation à Haraucourt, l'équipe a « pris pension » dans un restaurant de l'endroit, mais, avec les 3 francs de salaire quotidiens octroyés par la préfecture, les ouvriers économisent très difficilement quelques sous...
- J'ai déniché cette maison, indique M. Midavaine. Au premier étage, on peut coucher une trentaine d'hommes :
Vous voyez que le confortable, à défaut de luxe, règne ici.
J'ai obtenu un « arrangement » avec l'ancienne pension de mon équipe qui, moyennant un prix fixe de 2 sous, sert des rations suffisantes de soupes, de légumes, de viande.
Le pain et surtout le vin augmentent le prix des repas. Mais je vous assure que personne ne se plaint.
Si les ouvriers ne se plaignent pas, l'entrepreneur n'a pas toujours le cœur rempli d'allégresse. Il trouve en eux des collaborateurs sans empressement, d'un zèle plutôt tiède :
- Je ne peux leur verser un salaire supérieur à celui que la commission a fixé. Quel dommage, soupire M. Midavaine, que nous ne soyons pas mieux secondés. Les chômeurs du bâtiment ont une occasion de gagner pendant tout l'hiver de quoi vivoter.
Les ouvriers de la vallée de la Seille ont été remarquables, mais ils sont une exception. Pensez donc, monsieur, qu'avec 50 hommes actifs, consciencieux, la réfection totale des 3 ou 4 villages qu'il faut ainsi remettre en état demanderait moins de 3 semaines ! Ce serait un magnifique service à rendre. Hélas ! la plupart de ceux qui ont aux lèvres le grand mot de solidarité oublient trop vite que nous les associons précisément à une œuvre où la solidarité trouvera bien rarement une plus belle application.

Nous promettons à M. Midavaine de lancer un appel aux ouvriers et notre confiance dans le résultat semble atténuer sensiblement sa misanthropie.
- Tant mieux si vous réussissez ! La nature humaine est faite d'égoïsme. Je m'en aperçois chaque jour davantage. N'ai-je pas rencontré des sinistrés qui réclamaient qu'avant toute autre pro-occupation.
je couvre leur grenier où le foin est plus qu'à moitié pourri ?. Le sort du voisin sans gîte les intéresse moins vivement que la préservation de leur fourrage.

En revanche, la nouvelle qu'on répare leurs maisons a été accueillie chez les réfugiés, par une joie qui récompense de leur infatigable dévouement les membres de la commission de rapatriement.
M. Midavaine reçoit chaque jour la visite d'habitants impatients de rentrer à Haraucourt , ils réintègrent leurs pénates avec attendrissement, quand par hasard les fureurs du bombardement ont seulement causé des dégâts insignifiants...Tous ces braves gens sont prêts à reprendre le cours si tragiquement interrompu de leurs travaux, ajoute l'entrepreneur.
Ils parlent encore d'espoir, ils disent leurs projets, ils se tournent vers l'avenir avec confiance, ils ont l'âme forte et l'on sent qu'après la guerre ils participeront avec fierté au mouvement de résurrection nationale où la Lorraine occupera une place digne d'elle, par son effort, par son énergie, par son glorieux désir d'oublier tant de jours mauvais, tant de souffrances.
Achille Liègeois.








Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire