mardi 4 novembre 2014

LA GRANDE GUERRE AU JOUR LE JOUR LE 24 OCTOBRE 1914

 24 OCTOBRE 1914


I)
Situation de prise d'armes :
26 officiers 2 116 hommes.
Relevé à 1h le 274e régiment se porte sur les cantonnements ci-dessus indiqués en 4 échelons :
1) le train de combat  partant à 0h,
2) le 2e Bataillon à 2h,
3) le 1er Bataillon à 3h
4) le 3e Bataillon à 3h50.
Le régiment entre dans son cantonnement au lever du jour et forme avec le 39e (plus 2 escadrons du 11e hussards et un groupe de l'A 3), une brigade
mixte de réserve d'armée placée sous le commandement du Colonel Hugo Dorville.
II)
Le colonel a reçu la carte suivante :
«  Les soussignés, habitants de Loivre, émigrés à Trigny sont heureux de vous féliciter à l'occasion de votre mise à l'ordre de l'armée. Les journées terribles du 13 et du 14 septembre, les obus s'abattant en rafale, la fusillade ininterrompue, les cris des combattants, la défense du pont du Canal, nos maisons, hélas brûlant et s'effondrant, tout cela sera à jamais présent à nos mémoires et votre nom restera avec celui de vos officiers associé dans nos souvenirs à celui de votre intrépidité, du courage de vos soldats et de ces heures tragiques que nous avons vécues avec vous.
Trigny le 2 Octobre 1914
suivent 20 signatures. »
III)
Pertes : 3 évacués.
Ce matin, visite du Médecin-chef, le professeur Jean-Louis Faure, c’est, paraît-il, un des plus réputés chirurgiens de Paris. Il m’interroge très amicalement et m’encourage d’une manière tout à fait cordiale. Une grande dame vêtue en infirmière, les cheveux blancs sous le voile, lui succède peu après. Elle me demande tous les renseignements nécessaires à l’établissement de mon billet d’hôpital et en prend soigneusement note. Au cours de l’entretien, dont elle fait, du reste, à peu près tous les frais, car je n’ai guère l’humeur bavarde, en ce moment encore moins qu’en tout autre, elle me glisse qu’elle est mademoiselle Philibert, la sœur de l’Amiral dont j’ai certainement entendu parler, ce que je lui affirme sur l’heure.

Enfin, troisième visite, celle-ci attendue depuis cette nuit : Ma femme qui ne reste que quelques minutes et me raconte qu’hier soir, elles n’ont pas été, ma mère et elle, jusqu’à Clichy, mais ont passé la nuit chez nos cousins Nouailhetas. Elle me promet de revenir ce tantôt.

Après son départ, arrivent 2 infirmiers qui m’enlèvent de nouveau pour me conduire dans une autre chambre où je serai seul, m’affirme l’un d’eux. En me voyant sortir, mon compagnon, avec son accent méridional, s’écrie : « Comment, vous partez déjà ? »
Cette fois, je suis locataire de la chambre « Les Coquelicots » dont on a fait déménager le précédent occupant, un chef de Bataillon d’Infanterie, le commandant Assolant, en traitement pour une … fistule et renommé, à ce qu’il paraît, pour son humeur peu accommodante.
Je serai soigné par une petite sœur qui vient de venir près de mon lit et dont le doux regard, sous la cornette blanche, révèle l’inépuisable bonté.

IV)
Le 24 octobre 1914 du 256e Régiment d’infanterie de Chalon. Le Régiment occupe toujours les mêmes positions dans le Nord Pas-de-Calais, mais l’artillerie ennemie le bombarde avec acharnement et met hors d’état une de nos mitrailleuses. L’ennemi, en vain, essaie de faire une petite attaque qui est aussitôt repoussée. Le capitaine Zeller, adjoint au colonel, est évacué pour maladie. Bilan des pertes : 4 tués, 9 blessés et un disparu.

V)
Même journée que la précédente. Encore une fois j’ai passé l’après-midi auprès des pièces de 155 qui, encore une fois, tirent sur le pont de bateaux de Saint-Mihiel, aidées par le biplan du lieutenant Cauville.

Comme le temps est beau et clair les aviateurs Français et ennemis n’ont point cessé de parcourir les airs, enveloppés les uns et les autres dans les innombrables petits flocons gris des obus.

Mais, malgré tout ce déploiement aérien, l’ennemi n’a pu encore repérer la batterie. On soupçonne cependant le facteur de Ménil-Courcelles de faire de l’espionnage de ce côté-là... A partir de ce soir il sera suivi pas à pas par un de nos hommes vêtu en civil. Pour éviter les espions nous sommes obligés de nous entourer de mille précautions. C’est ainsi que sur chaque point dominant de la région nous avons un caporal armé d’une jumelle qui surveille les crêtes d’où des signaux peuvent être échangés entre l’espion et l’ennemi.

VI)
Journal du Rémois Paul Hess (extraits)
Dans la nuit, les grosses pièces nous ont tous réveillés, avec leurs formidables détonations.
Des obus sont tombés, l’usine des Vieux Anglais en a reçu encore une dizaine. Matinée calme ensuite. A 13h30, tandis que nous sommes dans le quartier des ruines, Jean, Lucien et moi nous entendons de nouveau des sifflements et des éclatements à proximité.
Depuis quelques jours, l’usine des Longaux, avoisinant la maison de mon beau-père, rue du Jard, où nous habitons provisoirement, est occupée en permanence par de l’infanterie. Aussi entendons-nous, de temps en temps, de brefs coups de clairon signalant aux soldats qu’ils doivent rentrer immédiatement, afin de ne pas se faire repérer, lors des visites des Taubes.

VII)
Flandres-Yser : Extrait de l’historique du 94 RI
Le 94e régiment d’Infanterie  part de Ost-Dunkerque, à 3h en direction de Pervyse. A 6h, il reçoit l’ordre d’attaquer Klosterthoeck, les passerelles et les tranchées de la boucle de l’Yser.

Le 1er Bataillon (Commandant Barbaroux) est en réserve de Division. Les deux autres Bataillons viennent le long de la voie ferrée se placer face à leur objectif : 3e Bataillon à droite, 2e à gauche. L’attaque doit avoir lieu à 10h30

VIII)
Lu dans Le Moniteur en date du 24 octobre 1914
France :
-L’armée Allemande ne se lasse par de renouveler ses attaques entre la mer et Lille. Nous avons cédé sur quelques points près de la Bassée, autour d’Armentières, par contre, nous avons progressé, comme entre Amiens et Chaulnes ( vers Rosières), dans la Woëwre et aux environs de Pont-à-Mousson.
3 batteries d’artillerie ont été détruites par nous, au nord de l’Aisne.

Pologne ;
-Le plan du général von Hindenburg qui commande les forces Allemandes en Pologne a totalement échoué : les troupes Germaniques ne tiennent plus la Vistule que sur un étroit espace entre l’embouchure de la Pilica dans la Vistule et Ivangorod. Le kaiser marque sa colère en prescrivant des arrestations en masse en Posnanie.

Allemagne :
-Le général de Moltke, chef d’état-major général de l’armée Allemande, est mourant, mais la presse Berlinoise a reçu l’ordre de tenir cette nouvelle secrète.
Le nombre des maisons Allemandes et Austro-Hongroises qui sont mises sous séquestre par décision des tribunaux Français s’élève de jour en jour.

Bosnie :
-D’importants contingents Autrichiens ont encore une fois attaqué les troupes Serbo-Monténégrines en essayant de les enfoncer au nord de Sarajevo en Bosnie, mais elles ont été repoussées énergiquement.

A Cattaro, les batteries Franco-Monténégrines du Lovcen continuent leur besogne de destruction sur les forts Autrichiens.

IX)
Grossetti a reçu cet ordre de d'Urbal :
 « La ligne de l'Yser doit être maintenue ou rétablie à tout prix. »
Arrêtant sa marche vers Ostende, il va lancer la brigade Bazelaire sur Pervyse.
Bien retranchés et disposant d'une redoutable artillerie, les Allemands font pleuvoir une grêle de shrapnells sur nos soldats, dont la marche est d'abord hésitante. « Ouvrez vos parapluies ! » clame Grossetti.
Rassérénés par ce mot, nos soldats enlèvent leurs sacs et s'en couvrent la tête.

L'audace goguenarde de leur chef a trouvé mieux pour stimuler leur élan. Plein de mépris pour les volées de mitraille qui balaient la route, Grossetti s'y installe, fait apporter 2 chaises, et, pendant une demi-heure, il dicte là ses ordres et reçoit les officiers envoyés aux renseignements.
Un major Anglais, en particulier, est saisi d'admiration devant cette impassibilité héroïque qui passe de loin le flegme Britannique.

La ville est reprise. De son côté, le commandant Rabot, avec les fusiliers marins, a réussi à réoccuper Ramscapelle. Pendant ce temps, à Dixmude, Ronarc'h continue de tenir. Malgré nos contre-offensives qui les repoussent sans cesse, les Allemands font preuve d'une audace extraordinaire.

X) 
Départ de Ost-Dunkerque, à 3h, en direction de Pervyse. A 6h, il reçoit l'ordre d'attaquer Klosterthoeck, les passerelles et les tranchées de la boucle de l'Yser. Le 1er Bataillon (Commandant Barbaroux) est en réserve de Division. Les 2 autres Bataillons viennent le long de la voie ferrée se placer face à leur objectif:
3e Bataillon à droite, 2e à gauche.
L'attaque doit avoir lieu à 10h30 mais le mouvement est arrêté et ne reprend qu'à 13h. L'ennemi commence à garnir les tranchées et le combat d'Infanterie et d'artillerie s'engage en même temps.
Le 3e Bataillon oblique à droite et continue vers Stuyvekenskerke, devant lequel il est arrêté pour le reste de la journée.

Pendant ce temps, le 2e Bataillon progresse, lentement sous un feu violent d'artillerie lourde et de mitrailleuses. Enfin, il arrive à l'assaut et l'ennemi est délogé de la ferme Vicogne, où il laisse de nombreux blessés et prisonniers. Vers 17h, l'attaque est poussée à fond et toute la ligne portée plus en avant. En un magnifique effort, à la nuit noire, éclairée par de nombreux incendies, le moulin et la tour de Klosterhoeck sont enlevés.

Le Sergent Polin, faisant preuve d'initiative intelligente, ramène au feu une Compagnie Belge, il est cité à l'ordre (Citation du Sergent Polin : Sous-officier admirable de bravoure et de sang-froid... Le 24 octobre 1914, a ramené au feu une Compagnie Belge qui lâchait pied à la suite de rafales d'artillerie).
Le 3e Bataillon vient à la gauche du 2e pour assurer la liaison avec les Belges, qui sont très en retrait.

XI)
La première bataille d'Ypres :
Le 24 au matin, une instruction arrive du Détachement d’Armée :
Roosbrugge, 24 octobre 9h30 instruction personnelle et secrète.
« D’après un renseignement obtenu cette nuit, les XXVIe et XXVIIe Corps Allemands, partant de la région de Courtrai, attaqueront sur Boesinghe et Ypres.

Cette action est extrêmement favorable à l’attaque actuellement en cours. Il est, en effet, préférable pour notre offensive de rencontrer des troupes en mouvement plutôt que des troupes établies solidement sur un front défensif. Il y a donc lieu de profiter de cette situation pour attaquer vigoureusement et repousser, sans leur permettre de s’accrocher au sol, les adversaires, dont les formations qu'on rencontrera sont peu consistantes »
V. d’Urbal.

Le général Foch y va aussi de son couplet :
Le général Foch au général commandant le 9e Corps, le 24 octobre à 12h Tous les éléments du 9e Corps sont actuellement débarqués, prendre toutes les dispositions (transport en autos, etc…) pour que tous ces éléments soient utilisés aujourd’hui et que l’action en reçoive une nouvelle impulsion. Il nous faut de la décision et de l’activité.
J. Foch.

XII)
A 7h, la préparation d’artillerie se déclenche. Une fois terminée, les attaques sont lancées.
Les 66e et 125e avancent d’un kilomètre vers Poelkapelle. Le 68e poursuit son avance de la veille et gagne ainsi 500 nouveaux mètres. Les tranchées Allemandes sont enlevées à la nuit.

Le 90e gagne du terrain.
Dans Zonnebeke, le 114e mène un combat de rue, progressant de maison en maison. Ayant amené un 75 en première ligne, la caserne de gendarmerie cède enfin.
Vers 11h, une sérieuse contre attaque Allemande se fait sentir sur les 90e et 114e. Des éléments de la 18e DI sont engagés afin de couvrir le flanc droit de la 17e DI. 2 bataillons du 135e sont ainsi engagés au sud de la route de Passendale.

A 18h, le colonel Briant, chef de corps du 114e, rend compte qu’il tient tout le village de Zonnebeke. Les combats continuent toute la nuit.

XIII)
De violents combats se poursuivent le long de l’Yser (Belgique).

Dans les journaux, les nouvelles du front se font rares pour cette journée du 24 octobre, mais la guerre est bien là, à longueur de colonnes, elle est omniprésente, oppressante.

Dans un article repris par le Journal « Le Temps », on apprend la mort du sénateur Reymond, le journal la « Tribune de Saint-Étienne » donne des renseignements sur les circonstances émouvantes dans lesquelles la famille du docteur Émile Reymond connut sa mort. « Mercredi soir, Mme Francisque Reymond reçut une dépêche de Toul lui annonçant qu'au cours d'une reconnaissance son mari avait reçu de légères blessures et qu'il était soigné dans une ambulance.(…)
Mme Émile Reymond en passant à Saint-Étienne, se rend à la préfecture. Quelques minutes avant son arrivée, le sous-préfet de Toul a annoncé par téléphone au préfet de la Loire que le sénateur Émile Reymond venait d'expirer entre les bras de MM. Aristide Briand et Sarraut.

Mme Émile Reymond est agitée d'une sorte de gaieté fébrile quand elle pénètre dans le cabinet du préfet elle éprouve une légitime fierté de la blessure de son mari qui ne doit laisser, espère-t-elle, d'autre souvenir qu'une cicatrice glorieuse... Le préfet de la Loire et Mme Lailemand ont la tâche douloureuse de lui apprendre l'atroce vérité. »

XIV)
La menace sur la région Parisienne est présente, surtout dans le ciel, voici 2 dépêches publiées dans Le Temps : « 2 Taubes franchissent les lignes, Françaises et se dirigent vers Compiègne, poursuivis par une escadrille d'avions Français, ils font demi-tour et disparaissent. »

Et aussi « Un « Taube », venant du côté de la Suisse, vole au-dessus de Belfort cet après-midi de 2h35 à 2h45... Mais accueilli par une forte canonnade, il a dû se retirer rapidement, sans avoir suscité autre chose qu'une vive curiosité. D'après sa marche, un instant incertaine, on croit qu'il a été atteint par le feu de la place. »

XV)
En Belgique, dans la région de l'Yser, les Allemands continuent, ce vendredi, les attaques sur tout le front Belge, qui s'étend de l'ancien fort de Knocke, à quelques kilomètres au sud de Dixmude, jusqu'au littoral. Une division Belge prend l'offensive à l'est de Nieuport, et réoccupe Lombaertzyde, au nord de Nieuport.

Les monitors et d'autres navires de la flotte Anglaise de bombardement tirent sur les batteries Allemandes près d'Ostende.

La campagne Russe sur la Vistule, selon le communiqué, du grand état-major Russe, au nord de la Pilitza, les Allemands opposent qu'une faible résistance et ils sont rejetés jusqu'à Skerniovice (à environ 60 kilomètres au sud-ouest de Varsovie).

En avant de la rivière Iljanka, des troupes Autrichiennes cherchent encore à se maintenir sur la Vistule, mais les troupes Russes traversent le fleuve en combattant.
Dans la région comprise entre Radom et Ivangorod, des combats sont fréquemment engagés par les Allemands.

En Galicie, sur le front du San et au sud de Przemysl, les combats continuent avec acharnement.

Le front se stabilise de Vermelles à Armentières, il ne bougera quasiment plus jusqu’au printemps 1918.

Le général Foch installe son quartier général à Cassel.
À Arras, les combats atteignent leur intensité maximale.

Les troupes Indiennes arrivent près de Béthune.

« Le Temps » publie le mode de répartition de la population Belge en France
« Les réfugiés Belges qui arriveront par paquebots à la Pallice (La Rochelle) seront répartis comme suit dans les départements ci-après :
Ariège : 4 000
Charente : 2 000
Dordogne : 2 000
Haute-Garonne : 2 000
Gers : 1 000
Gironde : 1 000
Landes : 2 000
Lot-et-Garonne : 2 000
Hautes-Pyrénées : 10 000
Basses-Pyrénées : 500
Deux-Sèvres : 3 000
Tarn : 5 000
Tarn-et-Garonne : 3 000
Vendée : 3 000
Vienne : 2 000
Haute-Vienne : 2 000

Les 2 000 réfugiés, arrivés jeudi soir par le paquebot Amiral-Magon, venant de Calais, sont partis après avoir pris un repas chaud abondamment servi, 1 000 pour Cahors et 1 000 pour Mont-de-Marsan. »

XVI)
Dans la nuit, les grosses pièces nous ont tous réveillés, avec leur formidables détonations
Des obus sont tombés, l'usine des Vieux-Anglais en a reçu encore une dizaine. Matinée calme ensuite.
A 13h30, tandis que nous somme dans le quartier des ruines, Jean, Lucien et moi nous entendons de nouveau des sifflements et des éclatements à proximité.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Samedi 24
Nuit peu tranquille. Bombes de 11h à minuit. Visite à Saint Jean-Baptiste de la Salle avec M. Landrieux, l'abbé Houlou Jubet subit l'amputation.

Après-midi, un aéroplane Allemand est mitraillé par un aéroplane Français qui l'atteint, l'Allemand descend sans tomber et s'enfuit dans ses lignes.
10 minutes après, 5 ou 6 bombes sont lancées sur la ville.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims...

XVII)
Bonne lettre d’Auxerre (21 octobre), où tout continue à bien aller, on y a changé de domicile, et l’adresse actuelle est maintenant 26 rue de Paris.

D’Épernay aussi arrivent 4 pages de Suzanne qui traduisent l’impatience du retour qui talonne toute la Colonie, et l’ennui que l’échange de nos correspondances ne puisse se faire en moins de 8/10 jours.

Dans l’après-midi nouvelle lutte d’aéroplanes, sans souci du danger, tout Reims est dehors de chez soi et on suit anxieusement les péripéties d’un combat qui paraît tourner au désavantage de l’Allemand, qui baisse et s’incline, alors que nos frénétiques applaudissements saluent nos hardis Français.

Hélas ! nos manifestations sont prématurées, car on voit le maudit se relever lentement, passer au-dessus de nos lignes et aller atterrir chez les siens.
Pour répondre à Mme Ragot, qui s’informe de Melle Henriette Hutin, je vais à 17h rue du Levant, les portes du N°11 sont closes et personne ne répond à mon coup de sonnette, mais une voisine qui en a les clefs, m’assure que chez Védie-Jacquard j’obtiendrai tous renseignements utiles au but de ma démarche.

J’y cours (au sens exact du mot) car des obus éclatent dans les environs de la caserne Colbert, et je trouve, en effet, Melle Hutin installée 6 rue des Augustins, chez son frère qui l’a recueillie depuis le 17 septembre.
Tous deux paraissent enchantés d’être maintenant rapprochés.

XVIII)
On secourt ou case des Belges, des Flamands, à bout de ressources. Tous racontent des faits révoltants. Chez l’un, les Allemands ont fusillé tous les hommes qui avaient des durillons aux mains parce que c’était, selon ces bandits, l’indice qu’on avait travaillé aux tranchées, sous prétexte qu’il y a, dans une rue, des plumes de volailles, tuées évidemment pour régaler des soldats Français... L’envahisseur incendie le village.

Chez l’autre, dont le père est infirme, les Allemands se gobergent 8 jours, quand la cave fut vide, ils y mirent le feu et la maison fut détruite. L’infirme voulut se retirer chez son fils aîné, mais la demeure de celui-ci avait subi un sort pareil…

Contraste ironique : la seule maison épargnée à Senlis est celle d’Henri de N., de son vrai nom Henri R., de Brive, qui tente de créer un courant d’opinion favorable au Kaiser. Voir son foyer ravagé par les Prussiens, c’est atroce, mais être épargné par eux, c’est bien pis. Je ne conseille pas, au pseudo M. de N. de venir conférencier à Brive, on lui ferait un joli succès.

XIX)
Les Français reprennent Melzicourt (Marne)
Dans l’Argonne Marnaise, les soldats Français ne s’en laissent pas compter et le 24 octobre 1914, ils reprennent le petit village de Melzicourt.
Les journaux vantent ce modeste fait d’armes pour dire qu’à l’ouest de l’Argonne l’ennemi cède et que cela est d’autant plus symbolique qu’on n’est pas très loin du célèbre champ de bataille de Valmy en septembre 1792.
On vante les pantalons rouges, soldats de l’automne 1914 qui ont la foi des soldats de la Révolution !?

Les combats sont également très violents autour d’Ypres en Belgique. on signale de sévères accrochages à Langemark, Zonnebeeke, Dixmude et l’on insiste sur la vaillance des fusiliers marins de l’amiral Ronar’ch. Dans le domaine des œuvres sociales, on indique que la comtesse Murat prend en charge l’hébergement et le financement de l’association caritative destinée à faire parvenir aux combattants sur le front : « en moins de 24 heures par des camions et fourgons automobiles directement envoyés aux armées, tout ce qui est urgent pour les préserver du froid ».

XX)
Aujourd’hui part le 1er bataillon (formé à Blois) du 2e étranger : 1 200 hommes environ. Ils quittent Blois les braves légionnaires, laissant le sillage d’un bon souvenir.
Ils emportent les meilleurs souhaits des Blésois.
Je reçois la lettre suivante :
            « Versailles, le 22 octobre 1914
Monsieur Legendre
Je viens me rappeler à votre bon souvenir et en même temps vous demander un grand service. Depuis la mobilisation je suis toujours resté ici et je voudrais bien pouvoir aller à Marcilly, voir moi-même comment le travail marche, et passer quelques heures avec les miens.
Aussi si vous vouliez m’adresser une convocation pour le 1er novembre au sujet du travail du Dangeon je ferais voir votre lettre à mon capitaine, et lui demanderais une permission pour me rendre à votre appel.
Je crois que c’est la seule chance que je pourrais avoir pour m’en aller. J’espère M. Legendre que vous ne me refuserez pas ce service, et avec mes remerciements anticipés agréez l’assurance de mes sentiments dévoués.
                         Signé : Jules Tripault
Maitre-ouvrier, 5e génie, 28e compagnie
Versailles – Troupes mobilisées – Campagne 1914 » 
On fait comme on peut pour obtenir une permission et je ne demande pas mieux de rendre service à ce brave Tripault. Sa femme, ses bons parents seront bien heureux de le voir si je réussis, je lui écris ce soir même.

XXI)
Semailles héroïques
Aux vieux beaucerons
Il flotte un peu partout, durant ces jours d’automne
qu’octobre tristement ramène parmi nous,
un brouillard morne et las, où frissonne, à genoux,
le deuil farouche qui n’épargne plus personne…
C’est la mélancolie intense où tout est noir…
L’heure grise, qui ne connaît que la tristesse
pleurant tout bas la mort d’une immense jeunesse
impitoyablement fauchée en plein espoir !
Les champs sont tout à fait déserts… Point de voix mâle
excitant l’attelage en peine de labour.
Seul, un vieux dont le dos se courbe, cherche autour
de la charrue inerte un tracé qui s’étale…
Il lui faut maintenant se remettre à couvrir
les grands sillons si durs à creuser dans la terre ;
car le gars est tombé là-bas… au front de guerre
et ne reviendra plus jamais pour les finir !
Le vent souffle en rafale, on dirait qu’une plainte
en sort et crie au vieux : « Du courage, demain
les grands blés dresseront leurs tiges… il faut du pain
pour nourrir les petits… » d’une plus forte étreinte.
Le vieillard a saisi le manche, et fléchissant
sous le hâle, il conduit ses chevaux pleins d’haleine
entr’ouvrant le sillon, où bientôt la main pleine
du semeur jettera le grain tout frémissant…
Le grain, trésor sacré de la moisson nouvelle,
espoir suprême, cher à ses petits-enfants,
où vibre, comme aux plis des drapeaux triomphants,
la Liberté, l’Honneur que le travail rappelle…
Et tandis que le soir grandit à l’horizon
dans l’heure brune, où désormais plus rien ne bouge,
les yeux emplis du sang de la vision rouge,
l’aïeul dit : « Je ferai l’œuvre sans trahison ! »
                  Abbé Benjamin Oubré
      Maître ès jeux floraux du Languedoc.

XXII)
C’est la deuxième journée de comptabilité tranquille. J’ai laissé les cuisines rue de l’église, parce que je suis sûr de l’emplacement, et le bataillon sommeille sous les arbres des vergers de Bienvillers. L’ennemi, tout occupé à canonner Berles, en oublie Bienvillers qui ne se plaint pas.
Quelques habitants sont revenus : le maire, le maréchal qui devient aussitôt un bistro achalandé chez lequel on boit la « bistouille » picarde.

Pendant ces heureux moments de calme, se déroulent la 2e affaire de Monchy. L’état-major voulait à tout prix avoir ce village dont la prise a singulièrement facilité la tâche du 10e corps qui attaque Ransart et cherche à nous joindre vers la forêt d’Adinfer. Aussi, le soir du 24, une triple attaque qui doit se déclencher le 25 au petit jour se monte contre Monchy. On accède au plateau de Monchy par 3 routes : Hannescamps, Bienvillers, Berles.

La 39e division part d’Hannescamps et de Bienvillers aidée de la 22e brigade de la 11e division.
Le 69e (2e et 3e bataillons) part de Berles. L’attaque échoue avec de fortes pertes.
Le 1er bataillon du 79e y est complètement décimé, et j’en vois, le lendemain soir, les débris à Bienvillers qui occupent le cantonnement d’une compagnie.
De Hannescamps, l’attaque ne peut même pas déboucher.
Elle paraît mieux réussir de Berles : le 2ème bataillon arrive à Monchy, et deux compagnies (7e et 8e) y pénètrent.

Mais, par une contre-attaque immédiate sur les flancs de la route de Berles, l’ennemi coupe les retraites à ces compagnies qui, isolées du reste du régiment, se voient enfermées dans Monchy où elles tiennent deux jours et se rendent à bout de vivres et de munitions... Quelques hommes peuvent s’échapper et content que le village n’est que boyaux et tranchées, que l’ennemi en tient fortement les lisières et dédaigne le centre où notre artillerie tape, qu’enfin des boyaux profonds et dissimulés relient le village au bois d’Adinfer. C'est notre apprentissage de la guerre de siège. Les compagnies prisonnières sonnent le clairon à plusieurs reprises, et nous entendons cette tragique charge, dans la nuit, pendant deux soirées, de Bienvillers.

Tout est mis en œuvre pour communiquer avec elles. Le colonel de Marcilly, en se portant en tête d’une contre-attaque débouchant de Berles, est tué à la cote 161. Le régiment qu’il commande fait là une perte sensible. Je laisse dans Monchy deux figures sympathiques et amies : Le lieutenant, depuis capitaine Frelut, qui a commandé le bataillon à Bronfay et le sergent-major Bouiller, tous deux enterrés à Grafenwohn. Je n’entend de cette tragique affaire de Monchy que les clairons appelant au secours et le fifre aigu qui leur répond, et ces deux souvenirs sont une des plus profondes impressions de la campagne.

La légende des compagnies prisonnières dans Monchy se crée dans le pays, et, à l’hôpital, je retrouve un sergent qui nous a succédé dans ces parages et me raconte l’histoire déjà embellie et déformée qu’on se conte, dans les cagnas, pendant la campagne d’hiver.

Le 1er bataillon garde le souvenir du colonel de Marcilly qui, en refusant de le relever et en lui donnant la garde d’un secteur devant Bienvillers, lui épargne, dans sa clairvoyance de chef, l’échauffourée de Monchy.

 Peut-être le fifre allemand qui répondait à Monchy (delcampe.com)
Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :

XXIII)
Automne 1914 :
La journée de travail de Maurice vient de s’achever... Dehors, il fait déjà sombre. Et froid.

Maurice se dépêche de rentrer chez lui. Il vient à peine de pousser la porte, et déjà il comprend que quelque chose ne va pas.
Sa belle-sœur Alice est assise à la table de la cuisine, la tête entre les mains. Sa mère pose sur lui un regard désespéré. Elle se lève, s’approche de son fils et le serre dans ses bras.

Eugène… Qu’est-il arrivé à Eugène ? La question lui brûle les lèvres, mais il n’a pas le temps de la poser que sa mère lui a déjà fourni la réponse... Eugène a disparu.
Est-il mort ? Est-il vivant ? Nul ne le sait. On pense qu’il a été fait prisonnier. On se raccroche à cette idée comme à une bouée de sauvetage. Alors que, dans un sens, c’est presque pire.
Eugène… Oui, qu’est-il arrivé à Eugène ?

Selon sa fiche matricule, Eugène a été affecté au bataillon de chasseurs à pied de Brienne - Rambervillers. Après recherches, j’en ai conclu qu’il s’agissait du 17e BCP (stationné à Rambervillers, puis à Baccarat), par ailleurs mentionné dans la partie « Indication des corps où les jeunes gens sont affectés » comme son lieu d’affectation dans l’armée d’active, tandis que la réserve indique Brienne – Rambervillers.

Le 13 septembre 1914, le jour où Joffre annonce la victoire de la bataille de la Marne, Eugène a donc pris pied dans son enfer.
La guerre de position vient de commencer. En deux semaines, elle fait perdre au 17e BCP le tiers de son effectif.
Avec son bataillon, Eugène est ensuite parti pour Lille, puis pour l’Artois. Il a été fait prisonnier, le 24 octobre 1914, à Saint-Laurent.

Armée de ces informations, je me suis mise en quête du journal des marches et opérations militaires du 17e BCP. Et c’est là que tout se complique.
Car ce samedi 24 octobre 1914, le JMO mentionne… rien.

Il ne mentionne absolument rien, exceptées de violentes fusillades. Événements du jour : néant. Pertes : aucune. Pour couronner le tout, le JMO indique un lieu, Souchez, près d’Angres.
Or, le seul Saint-Laurent qui puisse correspondre, c’est Saint-Laurent-Blangy, près d’Arras. Ce n’est pas trop loin, certes. Mais pas la porte à côté non plus. 10 à 15 kilomètres, quand même. Bref, je suis perplexe.

La solution est venue de la mise en ligne des archives du Comité international de la Croix rouge. Je retrouve rapidement la trace d’Eugène, interné au camp de Münster III, à une centaine de kilomètres au nord de Düsseldorf. Les trois fiches qui le concernent vont donner un nouvel élan à mes recherches.

La première fiche concerne sans aucun doute possible « mon » Eugène Pernet : le bataillon (17e BCP), le lieu (environs d’Arras), le contact (Gaillard est le nom de famille de l’épouse d’Eugène), tout concorde. Sauf la date : 25 octobre (année non précisée), mais on ne va pas chipoter. Par acquis de conscience, j’avais déjà vérifié le 25 octobre 1914 dans le JMO : il est tout aussi « blanc » que le 24, et tout aussi éloigné d’Arras.

C’est la deuxième fiche qui va m’apporter l’élément déterminant. La personne dont émane la demande de recherche permet de m’assurer qu’il ne s’agit pas d’un homonyme : Mme Pernet Eug, Gurgy par Monéteau (Yonne). Pas de doute possible. Sauf que le bataillon indiqué n’est pas le 17e BCP (stationné à Rambervillers), mais le 57e (à Brienne-le-Château), bataillon qui, merci Wikipedia, a été formé à partir du 17e BCP. Brienne - Rambervillers, tout s’explique.

Il suffit d’aller consulter le JMO du 57e BCP pour confirmer. Nous ne sommes plus ni le 24 octobre, ni le 25, mais le 23, à… Saint-Laurent-Blangy. Le JMO contient la liste des pertes de la journée. Parmi les portés disparus un certain… Pernet.
Ne restait plus qu’à reprendre toute l’histoire…
XXIV
«Le Moulin-Rouge.
- La direction du Moulin-Rouge nous prie d'insérer cette note : par ordre supérieur, le Moulin-Rouge, étant considéré comme établissement de « plaisir », est fermé momentanément.
La direction du Moulin-Rouge s'incline devant cet ordre et porte simplement à la connaissance du public qu'elle a versé depuis l'ouverture du cinéma une somme de 6.000 francs, tant aux pauvres qu'à la Croix-Rouge. » écrit Le Figaro du 24 octobre 1914.


Le 24 octobre 1914 du 256e Régiment d'infanterie de Chalon
www.lejsl.com/.../24/le-24-octobre-1914-du-256e-regiment-d-infanterie-...
24 oct. 2014 - Le 24 octobre 1914 du 256e Régiment d'infanterie de Chalon. Le Régiment (photo) occupe toujours les mêmes positions dans le Nord ...
24 octobre 1914. Même journée que la précédente ...
www.nrblog.fr/.../24/24-octobre-1914-meme-journee-que-la-precedente/
24 oct. 2014 - 24 octobre 1914. Ménil-aux-Bois Même journée que la précédente. Encore une fois j'ai passé l'après-midi auprès des pièces de 155 qui, ...
81/Journal de la grande guerre: le 24 octobre 1914 | 1914 ...
https://reims1418.wordpress.com/.../24/81journal-de-la-grande-guerre-le...
24 oct. 2014 - 24 octobre 1914 Journal du rémois Paul Hess (extraits) Dans la nuit, les grosses pièces nous ont tous réveillés, avec leurs formidables ...

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