jeudi 2 mars 2017

EN REMONTANT LE TEMPS... 125

28 DÉCEMBRE 2016...

Cette page concerne l'année 125 du calendrier julien. Ceci est une évocation ponctuelle de l'année considérée il ne peut s'agir que d'un survol !

PLUTARQUE SES DISCIPLES ET SES CRITIQUES.

Plutarque (en grec ancien Πλούταρχος / Ploútarkhos), né à Chéronée en Béotie vers 46 et mort vers 125, est un philosophe, biographe, moraliste, et penseur majeur de la Rome antique. Grec d'origine, un des précurseurs du courant philosophique nommé le néoplatonisme lequel s'oppose dans ses traités de morale aux courants stoïciens et épicuriens.

« De tous les autheurs que je cognoisse, celuy qui a mieux meslé l'art à la nature, et le jugement à la science »
Montaigne.

Cet auteur, Plutarque appartient à une famille honorable, aisée, dont plusieurs membres sont connus par leur nom, l'arrière-grand-père Nicarque (Antoine,), le grand-père Lamprias (Antoine,). le père de Plutarque s'appelle probablement Autobule.
Notre auteur mentionne aussi l'existence de 2 frères, Lamprias et Timon (Sur la disparition des oracles, 413 D - 438 D, De l'amour fraternel, 487 D-E).

Plutarque a fait de solides études. A Athènes, il suit les leçons du philosophe platonicien Ammonios qui devient son ami et apparaît souvent dans les Œuvres Morales, il s'adonne aussi aux mathématiques, avec passion, selon ses propres dires.
Dans sa jeunesse, Plutarque a également séjourné à Alexandrie où il s'est peut-être intéressé à la médecine, et sûrement à la religion égyptienne. Puis il rentre à Chéronée où, malgré sa jeunesse, il est chargé d'une mission importante, aller voir le proconsul Romain à Corinthe pour lui soumettre on ne sait quelle affaire locale (Préceptes politiques, 816 D).

Vers la fin du règne de Vespasien, Plutarque séjourne à Rome où il donne des cours de philosophie. Il a parmi ses auditeurs un personnage important, J. Arulenus Rusticus, philosophe stoïcien, consul en 92, condamné à mort par Domitien (De la curiosité, 522 D-E).
Il a aussi des occupations d'ordre politique qui, ajoutées à ses leçons publiques, l'empêchent de consacrer un temps suffisant à l'apprentissage du latin (T 18). Il revient à Rome sous le règne de Domitien : C'est peut-être à ce moment qu'il voyage en Italie du nord avec son ami L. Mestrius Florus et qu'il visite le champ de bataille de Bédriac (Othon, 14, 2).
Mestrius Florus, consul dans les années 70-75, proconsul d'Asie, fait accorder la citoyenneté Romaine à Plutarque, lequel prend le nom de son protecteur : Une inscription de Delphes nous apprend qu'une statue d'Hadrien a été érigée par les amphictyons « alors que leur épimélète est le prêtre Mestrius Plutarchus » (Syll., 3e éd., 829 A).
Mais, s'il est citoyen d'Athènes, de Rome et de Delphes, Plutarque est aussi resté citoyen de Chéronée (T 18), il s'y est marié avec Timoxéna et a une nombreuse descendance : On connaît les noms de 4 fils et l'on sait que plusieurs enfants sont morts en bas âge... Exerçant la charge publique, d'archonte éponyme de Chéronée (Propos de table, 642 F) et peut-être béotarque (Si un vieillard doit s'occuper des affaires publiques, 785 C ; Préceptes politiques, 813 D).
Il voyage en Grèce, notamment à Sparte (T 11), mais fréquente surtout le sanctuaire de Delphes en tant que prêtre d'Apollon. Et il compose une œuvre énorme, les Vies parallèles et les Œuvres morales. Plutarque meurt sous le règne d'Hadrien, vers l'an 125...

Plutarque est un auteur très prolifique. Les Vies parallèles conservées comptent 24 couples et 4 vies isolées (Aratos, Artaxerxès, les empereurs Othon et Galba). Il faut y ajouter un certain nombre de biographies perdues (Épaminondas - Scipion, Néron, les poètes béotiens Pindare et Hésiode...). Quant aux Vies des 10 orateurs, rangées parmi les Œuvres morales, elles ne sont pas de Plutarque.
Le genre biographique est pratiqué en Grèce depuis des siècles. D'abord sous la forme d'éloges, comme celui du roi de Chypre Évagoras par Isocrate, ou celui d'Agésilas par Xénophon (T 21).
Puis sont venus les disciples d'Aristote qui se sont adonnés avec une certaine ferveur à ce genre littéraire :
Aristoxène de Tarente.
Hermippe de Smyrne, et d'autres encore.
Toutes ces biographies péripatéticiennes, consacrées à des hommes de lettres, des philosophes, des chefs politiques, ont malheureusement disparu, tout comme la vie de Philopoemen par Polybe. Il n'est donc pas facile de voir en quoi Plutarque se distingue ou se rapproche de ses prédécesseurs, si ce n'est que ses Vies sont « parallèles », qu'elles sont conçues pour la comparaison, d'un Grec et d'un Romain.
Il lui faut donc d'abord trouver des personnages présentant certaines ressemblances comme il le dit très bien au début de la vie de Thésée, en invoquant Eschyle (T 1).
Ayant tant bien que mal constitué ces couples, Plutarque rédige les deux vies (quatre dans l'assemblage Agis-Cléomène / T. et C. Gracchus) puis, normalement, conclut en comparant les comportements des deux protagonistes, leurs qualités et leurs défauts. Et cela, dans un but pédagogique, moralisateur : Plutarque veut lui-même imiter les vertus de ces grands hommes et les proposer comme modèles à ses lecteurs (T 4), inversement, la conduite détestable de Démétrius Poliorcète et d'Antoine doit dissuader d'éventuels imitateurs (T 20).
La date de rédaction des Vies parallèles est impossible à fixer d'une manière satisfaisante. On admet qu'elles ont été écrites lorsque l'auteur est dans son âge mûr et qu'il est revenu à Chéronée.
Commençant par les personnages « historiques », avant d'aborder ceux de la haute antiquité, comme il le dit au destinataire de l'œuvre, son ami Sossius Sénécion, plusieurs fois consul et familier de Trajan (T 1)... Pour le reste, il faut se contenter d'indications sans grande portée :
La vie de Lysandre précède celle de Nicias (Nicias, 28, 4).
La vie de Marcellus est antérieure à celle de Crassus (Crassus, 11, 11)
Celle de Caton le Jeune est postérieure à celle de Caton l'Ancien (Caton le Jeune, 1, 1).
On apprend aussi que le couple Démosthène/Cicéron constitue le 5e tome des Vies parallèles (Démosthène, 3, 1). Une chronologie relative précise de la cinquantaine de Vies qui nous restent ne peut pas être établie sur des bases aussi maigres...

Les autres textes de Plutarque constituent ce qu'on appelle traditionnellement les Œuvres morales, environ 80 traités, de longueur variable et touchant les sujets les plus variés : Philosophie, pédagogie, politique, théologie, littérature, sciences naturelles. Cette masse d'écrits occupe 16 volumes dans la collection Loeb, le 16e et dernier volume, un index général, a paru en 2004.
L'histoire comme telle est peu représentée dans cet ensemble. Il n'y a guère que la diatribe « De la malignité d'Hérodote » qui mérite ici de retenir l'attention. Plutarque s'en prend au Père de l'histoire, méchanceté ou volonté de dénigrement qui l'amène à parsemer son récit de contrevérités, à salir la réputation de certains peuples Grecs, Corinthiens et Béotiens en particulier.
Et Plutarque de décrire les procédés mis en œuvre pour atteindre ce but (§ 2-9). Le premier relève de la forme : Hérodote choisit généralement  le terme le plus désobligeant pour désigner les choses, le goût exagéré de Nicias pour la divination, par exemple, devient de la superstition.
Mais la malignité de l'auteur se manifeste surtout dans le fond : Il ajoute des digressions inutiles, mais défavorables à ses personnages, omet en revanche de belles actions dont ils sont les auteurs, choisit, quand plusieurs versions coexistant, la moins louable. Sa méchanceté apparaît enfin dans l'interprétation des événements, dans l'analyse des causes.
S'il reconnaît l'existence de certains exploits, Hérodote leur trouve des motifs qui les rabaissent : Le héros a agi par appât du gain plutôt que par vertu, il doit son succès à la chance plutôt qu'à son intelligence.
Et, comble de malignité aux yeux de Plutarque, Hérodote fait mine de ne pas croire à ces calomnies, ou les accompagne, d'éloges, pour paraître plus digne de foi. On voit que c'est surtout le caractère d'Hérodote qui est visé dans ce pamphlet, plus que sa méthode, celle-ci n'étant que le reflet de sa malignité fondamentale. Il est donc difficile de dégager de ces pages les règles de critique historique que Plutarque veut voir respectées, si ce n'est qu'il convient de se montrer honnête et bienveillant quand on se présente comme disciple de Clio...

Plutarque se défend d'avoir voulu écrire des histoires, son objectif est de composer des biographies et, à ses yeux, les 2 genres sont bien distincts, quant à leur contenu et à leur but (T 12).
L'historien, estime-t-il, doit relater les actions d'éclat de ses personnages, et de manière détaillée. Dans quel but ? Plutarque ne le dit pas mais il précise ce qu'il vise en se faisant biographe : Analyser le caractère de ses héros, montrer leurs vices et leurs vertus, ce qu'il faut imiter et ce qu'il convient d'éviter (voir aussi T 4).
D'où cette différence de contenu : Le biographe peut passer rapidement sur les exploits, peu révélateurs, et s'attacher à des détails, des bons mots, des anecdotes qui dévoilent l'âme des personnages.

Cette distinction histoire - biographie n'est pas neuve. Elle apparaît déjà chez Polybe qui a commencé sa carrière d'écrivain en publiant une vie de Philopoemen en 3 livres, qui ne nous est pas parvenue. Arrivé dans ses Histoires au chapitre où il doit traiter des affaires de la Grèce à la fin du IIIe siècle, l'auteur rappelle l'existence de cette biographie et indique comment il va maintenant parler de Philopoemen, « de façon à respecter ici comme là les règles du genre » (X, 21, 7 ; trad. D. Roussel).
L'explication est d'abord assez embarrassée. Dans sa biographie, Polybe a parlé des parents de Philopoemen, de sa formation, de ses actions les plus mémorables. Il n'a pas l'intention, dit-il, de revenir là-dessus de façon détaillée (κατὰ μέρος) mais c'est de cette manière ‒ détaillée ‒ qu'il va rapporter les actes du héros à l'âge adulte, que la Vie a présentés sommairement (κεφαλαιωδῶς).
Pour Polybe, il y a bien une distinction à faire entre histoire et biographie, mais on avoue qu'elle n'est pas très claire, surtout si on se souvient de ce qu'il a affirmé un peu plus haut (T 11), que l'histoire ne doit pas se désintéresser des hommes, de leur formation, de leurs ambitions car c'est ce qu'il y a de plus instructif pour le lecteur.
Histoire et biographie paraissent bien proches l'une de l'autre. La fin du chapitre (XI, 21, 8) apporte heureusement un éclaircissement d'importance.
La vie de Philopoemen est un éloge du personnage : Les faits peuvent être présentés sommairement, mais avec amplification (μετ'αὐξήσεως). L'histoire, elle, mêle éloge et blâme, dans le respect de la vérité.

Le problème qui nous occupe est abordé également par Cornelius Nepos, au début de la vie de Pélopidas (T 8). Comment parler des hauts faits (de virtutibus) du personnage ? Les exposer en détail (explicare) ? Cela risque d'être pris pour de l'histoire, non pour de la biographie. Mais si l'auteur se montre plus concis, ceux qui ne connaissent guère la littérature grecque apprécieront mal la grandeur du héros Thébain.

La survie de l'œuvre de Plutarque ne peut pas être correctement présentée en quelque dizaines de lignes. Cet auteur a si profondément imprégné la culture européenne qu'il faut sans doute plusieurs livres pour dresser la liste de tout ce qu'on lui doit.
Il semble donc préférable de renvoyer le lecteur à un ouvrage qui, quoiqu'ancien, reste d'un grand intérêt sur cette question, le Plutarque de R. Hirzel (1912), ouvrage dont l'essentiel se retrouve dans l'article de la R.E. (XXI, 1) Plutarch von Chaironeia par K. Ziegler : VIII. Nachleben und Textegeschichte P.s, col. 947 et sv. On se bornera ici à quelques informations qui devraient au moins donner une idée de l'ampleur du sujet...

L'œuvre de Plutarque a connu une diffusion très rapide, même dans le monde Romain. On voit déjà apparaître son nom dans les Nuits attiques d'Aulu-Gelle (c. 130-180), dès les premières lignes de l'ouvrage, à propos du calcul de la taille d'Hercule par Pythagore.
Un peu plus loin (I, 26, 4-9), le philosophe Taurus, interrogé sur la colère, ne se contente pas de donner son avis, il y ajoute celui de « notre Plutarque, homme très savant et très sage » (Plutarchus noster, vir doctissimus ac prudentissimus).
Au livre IV (11, 11), de nouveau à propos de Pythagore, Aulu-Gelle cite encore Plutarque « homme d'une grande autorité dans les sciences » (homo in disciplinis gravi auctoritate).
Environ 2 siècles plus tard, dans les Saturnales de Macrobe, le nom de Plutarque n'apparaît peut-être pas mais une dizaine de questions traitées dans le livre VII proviennent manifestement des Propos de table du philosophe de Chéronée... Du côté grec, on a cru percevoir l'influence de Plutarque chez Arrien qui a lu la Vie d'Alexandre, chez Pausanias, Aelius Aristide, de même que chez l'empereur Julien (Les Césars, 320 Misopogon, 359. Contre les cyniques ignorants, 200b).

Les auteurs chrétiens n'ont pas tardé non plus à exploiter Plutarque, qu'Origène range parmi les « vrais philosophes, amoureux de la vérité » (Contre Celse, V, 57).
Eusèbe de Césarée le cite à plusieurs reprises dans sa Préparation évangélique, soit que Plutarque lui fournisse des arguments contre le polythéisme et sa mythologie (III, 1 ; V, 16), soit au contraire qu'il développe des idées paraissant s'accorder avec la doctrine chrétienne (XI, 11).

Au Ve siècle, l'évêque de Cyr (près d'Antioche), Théodoret va plus loin encore dans cette seconde direction : Il croit que Plutarque et Plotin, « ont entendu la voix des divins Évangiles » (Thérapeutique des maladies helléniques, II, 87).

Au Moyen-âge, du moins en Occident, Plutarque tombe dans un oubli total. Ce n'est pas le cas à Constantinople où, au IXe siècle, Photius recopie dans sa Bibliothèque de vastes extraits d'une vingtaine de Vies parallèles. Quant à la survie des Moralia, c'est surtout aux travaux de Maxime Planude (XIIIe siècle) qu'on la doit.

Plutarque réapparaît en Occident à la fin du XIVe siècle. On retrouve ses traces en Avignon où Simon Atemanus traduit, dans un latin assez laborieux, le traité « Du contrôle de la colère », traduction qui sera revue un peu plus tard par le chancelier de Florence Coluccio Salutati (cf. M. Pade, Traduction de Plutarque, p. 53-54).
Celui-ci s'intéresse apparemment beaucoup à Plutarque. Dans une lettre de 1396, il  presse son correspondant J. da Scarperia, alors à Constantinople, de revenir au plus tôt, chargé de livres : « Voici maintenant ce qu'il faut que tu fasses... apporter autant de livres que tu peux... Je voudrais que tu apportes avec toi tout Platon... Achète-moi un Plutarque, tous les écrits possibles de Plutarque et un Homère... » (Ch.-M. de La Roncière e.a.,
L'Europe au Moyen âge. Documents expliqués, t. III : fin XIIIe siècle - fin XVe siècle, Paris, 1971, p. 360).

A partir des années 1400, les versions latines d'œuvres de Plutarque se multiplient, dues à des humanistes comme L. Bruni puis, plus tard, G. Budé, Érasme et bien d'autres. Et on se remet à apprendre le grec, comme Gargantua le dit dans une lettre à son fils : « Tant y a  qu'en l'âge où je suis, j'ai été contraint d'apprendre les lettres grecques, lesquelles je n'avais apprises comme Caton, mais je n'avais eu loisir de comprendre en mon jeune âge, et volontiers me délecte à lire les Moraux de Plutarque, les beaux Dialogues de Platon... » (Rabelais, II. Pantagruel, Ch. 8 Comment Pantagruel, étant à Paris, reçoit les lettres de son père Gargantua et la copie d'icelles).
Jodelle aussi, dont la Cléopâtre captive est entièrement tirée de la Vie d'Antoine, a peut-être lu Plutarque en grec. Il n'empêche que les traductions restent nécessaires.

En 1572, H. Estienne publie les œuvres complètes de Plutarque, avec une traduction latine et une longue épître dédicatoire où l'éditeur dit toute son admiration pour l'historien-philosophe de Chéronée (cf. J. Céard e.a., La France des Humanistes. Henri Estienne, éditeur et écrivain, Turnhout, 2003, p. 281-284).
La même année, Amyot achève sa traduction de Plutarque, mission que lui a confiée François Ier, en publiant les Œuvres morales, les Vies parallèles ont paru dès 1559.
Le succès est énorme, Amyot, immédiatement considéré comme un des meilleurs écrivains Français (cf. Montaigne, Essais, coll. La Pléiade, p. 382)...

Dès 1579, sa traduction des Vies est écrite en anglais par Sir Thomas North, version qui va devenir source d'inspiration pour plusieurs pièces de Shakespeare (Jules César, Antoine et Cléopâtre, Coriolan, Timon d'Athènes). On ne quittera cependant pas le XVIe siècle sans avoir signalé les pages très élogieuses de Bodin (La méthode de l'histoire, p. 49-50) et la vénération de Montaigne pour Plutarque, cité environ quatre cents fois dans les Essais.

Plutarque obtient même les suffrages d'un épicurien comme Saint-Évremond (Sur Sénèque, Plutarque et Pétrone, dans Œuvres en prose, éd. R. Ternois, t. I, Paris, 1962, p. 159-164).
Ce gentilhomme ne connaît pas le grec et goûte assez peu les Moralia, ce sont les Vies parallèles qui suscitent son admiration : « A dire vray, les Vies des Hommes illustres sont le Chef d'œuvre de Plutarque, et à mon jugement un des plus beaux ouvrages du monde » (p. 161).

Le succès de Plutarque est encore très vif à l'âge des Lumières. Un nouvel outil est mis à la disposition des « Philosophes », la traduction des Vies parallèles par Dacier (1721) qui, entre autres, séduit la future Madame Roland : « Je goûtai ce dernier ouvrage plus qu'aucune chose que j'eusse encore vue ». Et de poursuivre : « Plutarque semblait être la véritable pâture qui me convînt ; je n'oublierai jamais le carême de 1763 (j'avais alors neuf ans), où je l'emportais à l'église en guise de Semaine-sainte. C'est de ce moment que datent les impressions et les idées qui me rendaient républicaine sans que je songeasse à le devenir » (Mémoires de Madame Roland, éd. Cl. Perroud, t. II, Paris, 1905, p. 22 ; voir aussi p. 285).

Trente ans plus tard, arrêtée après la chute des Girondins, elle parle encore, du fond de sa prison, de son « bon Plutarque » dont elle amusait ses loisirs (Mémoires, p. 337). J.-J. Rousseau est lui aussi un fervent lecteur de Plutarque, dans la traduction d'Amyot. Il s'en est  nourri toute sa vie, comme il le dira dans les Rêveries du promeneur solitaire, son dernier ouvrage : « Dans le petit nombre de livres que je lis quelquefois encore, Plutarque est celui qui m'attache et me profite le plus. Ce fut la première lecture de mon enfance, ce sera la dernière de ma vieillesse ; c'est presque le seul auteur que je n'ai jamais lu sans en tirer quelque fruit » (Quatrième promenade, dans Œuvres complètes, t. I, éd. B. Gagnebin - M. Raymond, La Pléiade, p. 1024). Rousseau meurt en 1778, à la veille de la Révolution, événement où le rôle de Plutarque, parmi d'autres auteurs anciens, mérite d'être noté. Comme on sait, la plupart des acteurs de 1789, formés aux lettres classiques, voyaient dans la République romaine, dans les institutions d'Athènes, mais surtout de Sparte, des modèles à imiter.
Le patriotisme, l'amour de la liberté, le courage militaire leur paraissent être des valeurs à réintroduire dans une France transformée, régénérée. Or cette antiquité idéale, c'est par l'intermédiaire de Cicéron, de Tite-Live, d'autres encore et, du côté grec, de Plutarque surtout, et de ses Vies parallèles, qu'ils la connaissaient (cf. Cl. Mossé, L'Antiquité et la Révolution, Paris, 1989, p. 61-62). Ce sont les vies de Lycurgue de Solon, de Phocion, de Démosthène qui les inspirent.

Sans doute cette « anticomanie » ne touche-t-elle pas tout le monde, un Barnave, par exemple, y échappe et bientôt, une réaction plus vive se manifeste. « Aucun peuple ne nous a laissé des modèles que puisse adopter la République française », proclame Marie-Joseph Chénier à la Convention en l'an II, soit en 1793 (cf. Cl. Mossé, p. 114).
« Cessons d'admirer ces Anciens qui n'eurent pour constitution que des oligarchies, pour politique que des droits exclusifs de cité, pour morale que la loi du plus fort et la haine de tout étranger », enseigne Volney dans son cours d'histoire à l'École normale inaugurée en l'an III (cf. P. Vidal-Naquet, La démocratie grecque vue d'ailleurs, Paris, 1990, p. 231).

Quelques années plus tard, en 1819, B. Constant prononce cette conférence qui deviendra célèbre sur la liberté des Anciens comparée, et opposée, à la liberté des Modernes (Écrits politiques, éd. M. Gauchet, Paris, Folio-Essais, 1997, p. 589-627). Mais revenons à Plutarque...

Dans les années 1809-1810, P.-L. Courier, « vigneron, ancien canonnier à cheval », ainsi qu'il se définit lui-même, et helléniste distingué, le trouve bien mauvais historien : « son mérite est tout dans le style. Il se moque des faits, et n'en prend que ce qui lui plaît, n'ayant souci que de paraître habile écrivain. Il ferait gagner à Pompée la bataille de Pharsale, si cela pouvait arrondir tant soit peu sa phrase » (Œuvres complètes, éd. M. Allem, La Pléiade, 1951, p. 788-789).
Dans une autre lettre, il a cette expression, plus martiale : « Plutarque à présent me fait crever de rire. Je ne crois plus aux grands hommes » (p. 834)*. Un contemporain, Chateaubriand, était moins sévère. Si, dans le Génie du christianisme (1802), il avait traité Plutarque d'« agréable imposteur » (éd. M. Regard, La Pléiade, p. 845), il est nettement plus aimable à son égard dans l'Itinéraire de Paris à Jérusalem.
Naviguant dans le golfe de Damiette, l'ancienne Péluse, le voyageur remue des souvenirs : « je commençai par remonter en pensée jusqu'aux premiers Pharaons, et je finis pas ne pouvoir plus songer qu'à la mort de Pompée ; c'est selon moi le plus beau morceau de Plutarque et d'Amyot son traducteur » (Œuvres romanesques et voyages, t. II, éd. M. Regard, La Pléiade, p. 1133). Quelques années plus tard (1819), le jeune Michelet ‒ il va avoir 21 ans ‒ soutient ses thèses de doctorat en Sorbonne. Sa thèse principale, en français, est un Examen des Vies des hommes illustres de Plutarque (Œuvres complètes, éd. P. Viallaneix, t. I, 1971, p. 21-43), véritable catalogue des qualités du philosophe, de l'écrivain, de l'historien, même si, concède Michelet, certaines de ses digressions peuvent paraître ennuyeuses et si ses Vies contiennent quelques inexactitudes. « Il n'est point d'auteur aussi plein, aussi substantiel », affirme le récipiendaire (p. 34).


Plutarque — Wikipédia
https://fr.wikipedia.org/wiki/Plutarque
Gravure représentant Plutarque dans l'édition des Vies parallèles par Amyot (1565). Naissance. Vers 46 ap. J.-C. Chéronée. Décès. Vers 125 · Chéronée.

PLUTARQUE
bcs.fltr.ucl.ac.be/ENCYC-1/Plutarque.htm
Plutarque est né à Chéronée, en Béotie, aux alentours de l'année 45 de notre ère. Il appartient à une ... Plutarque meurt sous le règne d'Hadrien, vers l'an 125.

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