mercredi 1 octobre 2014

LA GRANDE GUERRE AU JOUR LE JOUR 29 SEPTEMBRE1914

29 SEPTEMBRE 1914

I)
Les indications qui viennent de la ligne de feu continuent à être favorables : celles qui viennent de notre aile gauche comme celles qui arrivent de notre centre ou des Hauts-de-Meuse.

Les Russes ont forcé les détachements Austro-Hongrois débandés à franchir les cols des Carpathes. C'est-à-dire que la route est libre pour eux vers Cracovie : la chute de cette place devant avoir une importance considérable pour la suite des opérations.

L'Allemagne a concentré 22 corps d'armée à la frontière Russe, en Prusse Orientale, en Posnanie et en Silésie. L'empereur Guillaume II, qui est d'ailleurs indisposé, a quitté le front occidental de son empire pour se rendre sur le front de l'Est. On dit qu'il a eu de vives discussions avec son fils aîné, auquel il a reproché l'insuccès, avoué par des journaux Berlinois d'ordinaire officieux, de la campagne de France.

La garde Prussienne, le meilleur corps de l'armée Allemande, a perdu depuis le début de la guerre, un nombre énorme d'officiers. Ceux-ci ont déjà été plusieurs fois renouvelés.

On annonce que la Turquie ferait des efforts pour que Burhan Eddine, un prince Ottoman, soit nommé prince d Albanie, en remplacement du prince de Wied, qui s'est retiré... Il y aurait là, la source d'une complication internationale de plus, puisque l'Europe ou, du moins, la Triple Entente et l'Italie ne peuvent permettre aux Turcs de reprendre pied en Albanie...

Le gouvernement Français décide que les auxiliaires, comme les exemptés et réformés, devront subir une nouvelle visite médicale.
II)
Le gouvernement militaire de Paris a approuvé le contenu du sac du soldat du neuvième arrondissement :

« Le gouvernement militaire de Paris, vient d'accepter l'offre que lui a soumis la municipalité du neuvième arrondissement de préparer pour nos soldats.
3.000 sacs qui comprendraient :
1° Une chemise de flanelle.
2° Un caleçon chaud.
3° Un tricot ou plastron.
4° Une ceinture de flanelle.
5° Deux paires de chaussettes.
Ce sac portera le nom de : Sac du neuvième arrondissement de Paris. » Le Figaro du 29 septembre 1914.

III)
Les arrivages ont repris au marché aux bestiaux de la Villette. L'effet est immédiat : les prix baissent, Le Figaro du 29 septembre 1914 .

« Le marché aux bestiaux de la Villette est redevenu à peu près normal. En effet, le nombre des arrivages se rapproche très sensiblement de celui que l'on enregistrait avant les hostilités... Aussi la vente se fait elle facilement et les cours sont-ils en nouvelle baisse sur le précédent marché. On compt 1 355 bœufs amenés, 1 257 vaches, 137 taureaux, 1 208 veaux, 6 589 moutons, et 4 130 porcs. En raison du nombre assez élevé des arrivages, on enregistre, suivant la qualité et par kilo, une baisse de 5 à 15 centimes pour le gros bétail et de 30 à 40 centimes pour les veaux. »

IV)
« L’homme libre » suspendu une semaine :
Le journal de Georges Clemenceau, l’ancien ministre et président du Conseil qui a refusé la censure d’un article est saisi et suspendu pendant 8 jours en application d’une législation particulière mise en place depuis le 5 août 1914 à Paris.

V
« Le Figaro » sous la plume de l’Académicien Alfred Capus publie un portrait du Kronprinz particulièrement soigné :
« Ce nom évoque soudain la grossièreté, la morgue épaisse, le rictus de la haine, tout ce qui trahit dans un type humain la bassesse et la déchéance ».

VI)
« Le conseil des ministres décide aussi au cours de sa réunion du 29 septembre 1914 que tous les contrats passés entre des Français et des membres des pays belligérants depuis le 4 août pour l’Allemagne et le 13 août pour l’Autriche-Hongrie sont considérés comme contraire à l’ordre public et déclarés nuls ».
Le ministre des Colonies, Gaston Doumergues, fait une communication au cours de laquelle il annonce l’installation d’une commission consultative coloniale, placée sous la présidence du sénateur Beranger, chargée de l’étude des questions de ravitaillement, de transport, de crédit et de concurrence économique.

VII)
Le Figaro du 29 septembre 1914 nous informe qu'à Paris il n'est plus obligatoire de circuler muni de sauf-conduit.

« À dater de ce jour, 28 septembre 1914, le service de la circulation et des transports de la préfecture de police ne délivrera plus de sauf-conduits aux automobiles pour le camp retranché de Paris. Cette délivrance sera strictement limitée aux départements de Seine et Seine-et-Oise. »

VIII)
- Ce jour-là, le Petit Journal, sous la plume de Jean Lecoq, s'offusque de cet impitoyable fisc qui réclame son dû aux femmes dont le mari est à la guerre.
- Jean Richepin sent que la pieuvre Germanique desserre ses tentacules.
- Les attaques Allemandes se brisent contre l'héroïsme de nos troupes.
- Les armées Russes « auraient occupé en partie » Prezmysl en Galicie.
- Ernest Vauquelin déplore le mauvais fonctionnement de la poste dû, selon les autorités, au fait que les familles « écrivent trop » aux combattants.
- Comment Avricourt a été pris.
- La Suisse se prépare à instituer le monopole du tabac.
- Surprises par les Belges les forces Allemandes se retirent en désordre.
- Les hommes des services auxiliaires versés dans le service armé.
- Des troupes Franco-Britanniques ont débarqué au Cameroun Allemand.

IX)
256e RI de Chalon :
La 21e compagnie fait parvenir dans la matinée les renseignements suivants :
- Les fermes autour de Près-du-Bois ne sont plus occupées par les Allemands.
- Le poste situé auprès de la Tête-des-Faux est abandonné.
- Les habitants questionnés prétendent ne pas avoir vu d’Allemands depuis le samedi 26 septembre.
- Les troupes ennemies face à nous sont des Bavarois (2e bataillon d’infanterie, 28e division, 4e corps d’armée).
- D’autre part, il n’y a plus que quelques Allemands dans Orbey.
- Ils se sont retirés en partie à l’Est du village.
- Les 22e , 23e et 24e compagnies ne signalent rien.
- Un message téléphoné de la Schlucht signale des forces ennemies dans la vallée de Munster.
- L’attaque que l’on supposait avoir lieu dans la région de Ranis-des-Chênes – Combkoff n’a pas eu lieu. Extrait du « Journal de marches et opérations »

X)
Les oeufs sont toujours aussi rares, j’en découvre 2 chez une vieille femme.
Le père Bacart envoie sa fille dans la vigne pour faire la chasse aux maraudeurs qui mangent son raisin...
Je l’accompagne... Personne dans les vignes mais en revanche je trouve deux sous-officiers du 32e en train d’abattre des pommiers, et leur passe un fameux savon.
« Personne ne nous a vu  » me dit l’un d’entre eux pour sa défense.
Jolie morale !…
Belleville Brigadier Édouard Bachimont

XI)
L’estaminet a des airs de fête : Par la porte grande ouverte sortent les notes grésillantes d’un phonographe qui s’emploie à inonder tout le quartier d’airs populaires. Devant les vitres, on a dressé un escabeau. Un homme y est perché, la cigarette aux lèvres. Il s’emploie à repeindre l’enseigne qu’il a déjà maladroitement barbouillée d’un jaune pétard. Il inscrit désormais en lettres noires le nouveau nom de l’établissement...

De passage dans la rue, Édouard déchiffre machinalement les premières syllabes.
Il remonte ses binocles sur son nez comme pour accepter ce qu’il vient de lire. Il traverse la rue d’un pas énergique et se poste au pied de l’escabeau.
Il accoste immédiatement le peintre d’un « Bonjour ! » qu’il essaie de faire paraître paisible alors qu’il n’en est rien.
Il doit s’y prendre à deux fois avant qu’enfin, par-dessus la musique, l’homme l’entende et lui sourie depuis son perchoir...

« Ah ! Bonjour, brigadier, je pas entendre vous ! »
Le peintre aux gestes hésitants a un accent tchèque à couper au couteau qu’Édouard connaît bien : C’est Viktor, l’un des membres de la bande d’Hugues de Brie. Avant la guerre, c’était l’un des rares étrangers à déjà faire partie du gang. À présent que les Français ont été mobilisés et dispersés aux quatre coins du pays, Édouard le soupçonne d’être le chef du nouveau groupe que de Brie a réussi à créer en recrutant des étrangers non-mobilisables.

« Descendez donc de là que l’on discute ! » commande Édouard énergiquement.
Viktor s’essuie les mains dans un chiffon taché et descend prudemment de son escabeau.
« Que peux moi faire pour brigadier ? demande-t-il innocemment dans son français approximatif.

— Je peux savoir ce que vous faites ?
Édouard indique de sa main droite l’enseigne jaune et noir au-dessus d’eux, et Viktor la contemple comme s’il venait à peine de la remarquer.
« Ça ? Patron dit que ça plaire à vous ! dit-il, un sourire en coin...

— Le patron ? Mais il est au front, le patron ! »
Viktor part d’un grand rire et son visage disparaît derrière l’épaisse fumée de cigarette qui s’échappe de sa bouche. Édouard ne peut ou plutôt ne veut pas comprendre : Comment diable de Brie peut-il encore commander quoi que ce soit ? Il est au front, peut-être même mort ! Mais déjà, le Tchèque a une main dans la poche de son pantalon et en sort un télégramme chiffonné qu’il agite sous le nez du brigadier.

« Ça message du patron ! Lui dire de changer nom établissement. Et lui ajouter « Merci au Brigadier Bachimont pour l’idée, stop ! » déchiffre-t-il fièrement sur le message... Édouard reste un instant interdit, puis voyant le sourire insolent du Tchèque, il tente de maintenir un semblant d’autorité en déclarant :

« Je vous ai à l’œil, mes gaillards ! »
Puis il s’en va reprendre sa patrouille, l’esprit tourné tout entier vers les moyens par lesquels de Brie a pu envoyer un télégramme depuis le front. Et il n’ose encore s’interroger sur le sens de cette nouvelle enseigne. Viktor regarde le brigadier disparaître au coin de la rue, puis fourre le télégramme dans sa poche. Il remonte tranquillement sur l’escabeau et reprend sa peinture. À grands coups de pinceau qu’il applique au rythme de la musique du phonographe, il achève d’écrire le nouveau nom du café :
« Babylone ».

XII)
« La 71e Division doit étendre son front, à sa droite, jusqu’au contact de la 41e Division, mouvements terminés pour midi.
Les bataillons (217e et 221e) du Lt-Colonel Mathieu, actuellement dans la région de Badonvillers doivent renter à leur brigade après avoir été relevés par le 170e Régiment.

En conséquence, le bataillon du 217e reçoit l’ordre vers 5h00 de prendre ses dispositions pour se retire sur Baccarat, en simulant un exercice de combat, dès que le 177e a occupé ses emplacements d’avant-postes.
Le bataillon arrive à son cantonnement de Baccarat (caserne du 17e bataillon de chasseurs) à 15h00, en envoyant toujours une compagnie à Gélacourt.
Le 6e bataillon poursuivait l’organisation de sa défense et ses exervcies de combat dans la journée.

La nuit, le 217e Régiment conserve ses mêmes emplacements d’avant-postes et mêmes cantonnements que précédemment : 6e bataillon à Brouville, 5e bataillon : 1 Cie à Gélacourt, 3 Cies au quartier du 17e bataillon de chasseurs avec la CHR et l’Etat-major. »

XIII)
Communiqué officiel de l’armée Française sur la situation :
« Notre ligne est jalonnée de l'est à l'ouest par le front : la région de Pont-à-Mousson - Apremont, la Meuse, dans la région de Saint-Mihiel, les hauteurs, au nord de Spada et la partie des Hauts-de-Meuse au sud-est de Verdun... Entre Verdun et Reims, le front général est jalonné par une ligne passant par la région de Varennes, par le nord de Souain et la Chaussée romaine qui aboutit à Reims... Les avancées de Reims, la route de Reims à Berry-au-Bac et les hauteurs dites du Chemin des Dames, sur la rive droite de l'Aisne... Cette ligne se rapproche ensuite de l'Aisne jusque dans la région de Soissons.
Entre Soissons et la forêt de L'Aigle, elle comprend les premiers plateaux de la rive droite de l'Aisne.
Entre l'Oise et la Somme, cette ligne correspond au front de :
Ribécourt (qui est à nous),
Lassigny (occupé par l'ennemi),
Roye (qui est à nous),
Chaulnes (à l'ennemi).

Au nord de la Somme, elle se prolonge sur les plateaux entre Albert et Combles. »

XIV)
Ce jour les journaux regorgent de dépêches rassurantes sur le sort des troupes alliées sur les autres fronts, les Autrichiens et les Allemands sont sous pression de toutes parts :
- Les Monténégrins et les Serbes ont commencé l’attaque de Sarajevo.
BLERIOT DE L’ARMÉE SERBE
- En Belgique les Allemands occupent Malines et Alost, ils bombardent les forts de Wavre-Sainte-Catherine et de Waelhem.
- Les engagements autour du vaste camp retranché d'Anvers se poursuivent sans interruption, les troupes Belges harcèlent les Allemands en permanence.
- En Galicie, les Russes commencent à s’enfoncer dans les cols des Carpates
- En Prusse Orientale, un combat acharné pour la possession des débouchés septentrionaux des forêts d'Augustof, tourne à l’avantage des Russes. Cette ville est réoccupée par les troupes du Tsar.

L’Allemagne perd ses colonies au Cameroun selon une dépêche publiée dans le Journal de Roubaix,
« À la suite des opérations, conduites sous les ordres du brigadier-général C-M Dobell, des troupes Anglo-Françaises ont obtenu la capitulation sans condition de Duala, la capital du Cameroun et de la ville de Bonabéri »

XV)
« Le Réveil du Nord » est à son deuxième jour de non parution. Tandis que dans le Journal de Roubaix plus aucun article concernant les batailles et les mouvements de troupes dans la région n’est à la disposition des lecteurs... C’est le « black-out » total, voulue par les autorités militaires... Les seules allusions aux conséquences du conflit dans le journal est la liste des soldats de la région, « Tombés aux champs d’honneur », « Nos blessés » et « les braves » (les soldats promus)...

XVI)
Nous pouvons lire dans le Journal de Roubaix, un article concernant à Wattrelos un crime mystérieux, deux jambes sont retirées du canal. « Une lugubre trouvaille est faite par des ouvriers dans le canal près de la passerelle Sainte-Marguerite. Ceux-ci ont retiré de l’eau une jambe humaine qui surnageait. » « Cette découverte est l’indice certains d’un crime mystérieux dont la victime d’après les constatations médicales, est une femme » précise le journaliste. » (…)
Immédiatement M Bouladoux commissaire se rend sur les lieux et y découvre une seconde jambe. « Au cours de l’enquête habilement mené M Bouladoux, apprend qu’il y a 4 ou 5 jours, un sac fortement gonflé surnageait dans le canal. Il s’en échappait des filaments noirâtres... Les passants ont cru qu’il contenait un chien noyé et n’y ont pas pris garde. »

XVII)
29 septembre 1914 ... Des soldats Anglais qui semblent tout droit sortis de Rudyard Kipling :
L'effet de la guerre et du renversement total de toutes les habitudes, c'est que la faculté d'étonnement s'abolit.
On lit sans surprise dans les journaux la proclamation et les ordres de réquisition d'un général Prussien aux habitants de Valenciennes.
Aujourd'hui, sur la ligne de Tours, un train passe rempli de soldats Anglais en tête (des soldats Anglais qui semblent tout droit sortis de Rudyard Kipling), et, en queue, formé de voitures, voiturettes et charrettes diverses de commerçants Anglais réquisitionnées pour les besoins de la guerre. Les voitures de livraison des marchands de pickles se promènent sur nos chemins de fer et s'en vont sur les champs de bataille de l'Aisne, mais on ne s'étonne plus de rien... 

XIV)
Monsieur Denys Cochin vient d'écrire que cette guerre est une « guerre d'idées ».
Je pense que M. Denys Cochin ne va pas dans les ambulances. Il y verrait les « idées » de cette guerre sous la forme de shrapnells dans la chair de nos soldats. Il verrait même des « idées » dum-dum...

XV)
ALBERT LONDRES
Le 29 septembre, le journaliste Albert Londres raconte dans « le Matin » sa vision de la cathédrale bombardée le 19 septembre 1914 :

Après le bombardement de la cathédrale de Reims, le 19 septembre 1914, le grand reporter Albert Londres raconte, dans « Le Matin » du 29 septembre, cet événement traumatique, car touchant un symbole du patriotisme de l’époque.

« Elle est debout, mais pantelante... Nous suivons la même route que le jour où nous la vîmes entière. Nous comptions la distance, guettant le talus d’où elle se montre au voyageur, nous avancions, la tête tendue comme à la portière d’un wagon lorsqu’en marche on cherche à reconnaître un visage. Avait-elle conservé le sien ?
Nous touchons le talus... On ne la distingue pas... C’est pourtant là que nous étions l’autre fois... Rien... C’est que le temps moins clair ne permet pas au regard de porter aussi loin... Nous la cherchons en avançant...

La voilà derrière une voilette de brume. Serait-elle donc encore ?
Les premières maisons de Reims nous la cachent. Nous arrivons au parvis.
Ce n’est plus elle, ce n’est que son apparence.

C’est un soldat que l’on aurait jugé de loin sur sa silhouette toujours haute, mais qui, une fois approché, ouvrant sa capote, vous montrerait sa poitrine déchirée.
Les pierres se détachent d’elle. Une maladie la désagrège. Une horrible main l’a écorchée vive.
Les photographies ne vous diront pas son état. Les photographies ne donnent pas le teint du mort. Vous ne pourrez réellement pleurer que devant elle, quand vous y viendrez en pèlerinage.

Elle est ouverte... Il n’y a plus de portes... Nous sommes déjà au milieu de la grande nef quand nous nous apercevons avoir le chapeau sur la tête... L’instinct qui fait qu’on se découvre au seuil de toute église n’a pas parlé... Nous ne rentrions plus dans une église... Il y a bien encore les voûtes, les piliers, la carcasse mais les voûtes n’ont plus de toiture et laissent passer le jour par de nombreux petits trous, les piliers, à cause de la paille salie et brûlée dans laquelle ils finissent, semblent plutôt les poutres d’un relais, la carcasse, où coula le réseau de plomb des vitraux n’est plus qu’une muraille souillée où l’on ne s’appuie pas.

Deux lustres de bronze se sont écrasés sur les dalles. Nous entendons encore le bruit qu’ils ont dû faire. Des manches d’uniformes allemands, des linges ayant étanché du sang, de gros souliers empâtés de boue, c’est tout le sol. Comment l’homme le plus catholique pourrait-il se croire dans un sanctuaire !…

Nous prenons l’escalier d’une tour... Les deux premières marches ont sauté. Tout en le montant, notre esprit revoit les blessures extérieures. Nous devons être au niveau de ce fronton où Jésus mourait avec un regard si magnanime. Le fronton se détache, maintenant, telle une pâte feuilletée, et Jésus n’a plus qu’une partie sur sa joue gauche. Plus haut est cette balustrade que, dans leur imagination, les artisans du moyen âge ont dû destiner aux anges les plus roses... la balustrade s’en va par colonne, les anges n’oseront plus s’y accouder.
 La cathédrale n’est plus qu’une plaie »

Puis c’est chaque niche, que l’on n’a plus, maintenant qu’à poser horizontalement, à la façon d’un tombeau, puisque les saints qu’elles abritaient sont pour toujours défaits, c’est chaque clocheton, dont les lignes arrachées se désespèrent de ne plus former un sommet, c’est chaque motif qui a perdu son âme de sculpteur... Et nous montons sans pouvoir chasser de nous cette impression que nous tournons dans quelque chose qui se fond autour.

Nous arrivons à la lumière... Sommes-nous chez un plombier ?
Du plomb, du plomb en lingots biscornus. La toiture disparue laisse les voûtes à nu. La cathédrale est un corps ouvert par le chirurgien et dont on surprendrait les secrets.

Nous ne sommes plus sur un monument. Nous marchons dans une ville retournée par le volcan... Sénèque, à Pompéi, n’eut pas plus de difficultés à placer le pied. Les chimères, les arcs-boutants, les gargouilles, les colonnades, tout est l’un sur l’autre, mêlé, haché, désespérant.

Artistes défunts qui aviez infusé votre foi à ces pierres, vous voilà disparus.
Le canon, qui tonnait comme de coutume, ne nous émotionnait plus. L’édifice nous parlait plus fort. Le canon se taira. Son bruit, un jour ne sera même plus un écho dans l’oreille,tandis qu’au long des temps, en pleine paix et en pleine reconnaissance, la cathédrale criera toujours le crime du haut de ses tours décharnées.

Nous redescendons... Nous sommes près du Chœur, de là, nous regardons la rosace... l’ancienne rosace. Il ne lui reste plus qu’un tiers de ses feux profonds et chauds. Elle créait dans la grande nef une atmosphère de prière et de contrition. Et le secret des verriers est perdu !

En regardant ainsi, nous vîmes tomber des gouttes d’eau de la voûte trouée... Il ne pleuvait pas... Nous nous frottons les yeux... Il tombait des gouttes d’eau... C’était probablement d’une pluie récente, mais pour nous, ainsi que pour tous ceux qui se seraient trouvés à notre côté, ce n’était pas la pluie : c’était la cathédrale pleurant sur elle-même.

Il nous fallut bien sortir.
Les maisons qui l’entourent sont en ruines. Elles avaient profité de sa gloire. Elles n’ont pas voulu lui survivre. On dirait qu’elles ont demandé leur destruction pour mieux prouver qu’elles compatissent. En proches parents, elles portent le deuil.
Le canon continue de jeter sa foudre dans la ville. Les coups se déchirent plus violemment qu’au début. Que cela peut-il faire maintenant ? La cathédrale de Reims n’est plus qu’une plaie.» Albert Londres

XVI)
- La soute aux munitions du fort de Waelhem explose.
- Le croiseur Allemand « Emden » coule 4 navires Anglais et un bateau charbonnier.
.

XVII)
Nous avons reçu une carte de Georges hier datée du 22, il était à Chalons. Pour que nous puissions savoir où il se trouve sans donner l’éveil, il nous inscrit le nom en commençant par la dernière lettre dans un petit coin de la carte nous sommes plus contentes de savoir au moins dans quelle partie de la bataille il se trouve. Il va toujours bien malgré la pluie et le grand vent qui rendent les bivouacs pénibles. Il semble d’après les dépêches officielles que ce soit dur de les faire déloger de France, ces diables d’Allemands.
Sais-tu le nom du docteur qui a soigné Alice M. à Besançon ? Si tu le sais, tu devrais bien, un jour où tu auras le temps, aller le trouver et lui demander s’il pourrait enlever les végétations à André. Informe-toi comment on pourrait faire, si on doit aller dans une clinique ou hôpital ou, si on peut rester à l’hôtel, combien de temps il faudrait rester ?
Le docteur d’Épinal avait dit 2 jours. Il avait l’air de très bien s’y connaître, c’est bien dommage qu’on n’ait pas pu le faire avant la guerre. Cela n’a rien de pressant d’ailleurs, André va très bien, mais je préférerais néanmoins le faire opérer avant l’hiver, de crainte que cela ne lui amène des rhumes et maux d’oreilles. De plus cela me donnera l’occasion de te revoir, je suis si en mal de toi mon trésor, j’ai rêvé de toi toute cette nuit. Je ne devrais pourtant pas me plaindre, je suis une privilégiée puisque je te sens en sécurité, et il y en a déjà tant de disparus. Si je vois Pierre Mangin à Cornimont, je lui demanderai le nom du docteur pour le cas où tu ne le saurais pas et te l’écrirai. Mais je me demande si je le retrouverai, s’il ne sera pas parti en Suisse, il m’avait si bien dit que les réformés allaient être rappelés, mais ce ne sont que ceux de la réserve jusque 35 ans, pas ceux de la territoriale, donc je ne pense pas qu’on l’appelle. Il est vrai qu’il est officier, ce sont peut-être d’autres conditions.
On dit tous les soirs depuis le début de la guerre le chapelet à l’église à 6 heures du soir et on donne la bénédiction pour implorer la Providence en faveur de nos armées. C’est une grande récompense pour les enfants quand je les y emmène. Hier Robert était très intrigué par l’encensoir, il a fallu que le lui explique ce que c’était. C’est quelquefois très embarrassant de répondre à leurs questions, les enfants sont si logiques et poussent à fond ce qu’ils veulent savoir. Comme je lui disais que la fumée de l’encens était un signe de ferveur et d’adoration, qu’elle montait au ciel pour montrer à Dieu qu’on l’adore et qu’on le prie :
« Mais elle ne peut pas monter au ciel puisque le toit de l’église l’empêche de passer et qu’il n’y a pas de cheminée ».
C’est comme pour sa prière, à l’église il veut la dire tout haut « parce que le bon Dieu ne peut pas entendre quand on dit tout bas ». Après la grand-messe du dimanche on chante le libera pour les soldats défunts, et cela intrigue beaucoup les enfants de penser qu’il y a un catafalque et que le « mort » n’est pas dessous. Ils se demandent pourquoi Mr le Curé l’encense et le bénit. Enfin on fait toujours beaucoup de pourquoi et je serai bien contente quand tu seras là pour leur répondre, tu sauras mieux leur expliquer que moi toutes choses.
Georges nous répète dans toutes ses cartes que, quoi qu’il arrive, nous ne devrions pas partir si les Allemands venaient, il dit qu’il a traversé et retraversé des pays occupés par l’ennemi et qu’il n’a été fait aucun mal aux habitants qui étaient restés et qu’on n’a brûlé et pillé que les maisons inoccupées.
A Raon, ils n’ont fait non plus aucune violence à la population mais ils ont brûlé des maisons habitées. Ils ont simplement prévenu les habitants qu’ils voulaient incendier d’avoir à sortir de leur demeure avant 2 heures. J’espère bien d’ailleurs que nous n’aurons plus à prendre de décision semblable, Maman et moi, cela nous aurait toujours beaucoup ennuyées de partir, aussi nous sommes bien tentées de croire Georges, mais Thérèse a une frousse intense.

XVIII)
« Chers parents,
Les obus continuent à pleuvoir et mon caporal Roussel a été malheureusement tué par un éclat d’obus en allant au village.
Ce sont maintenant de vrais duels d’artillerie, on tire avec des grosses pièces qui font rudement de dégâts.
Le dépôt est arrivé, les plus vieux sont de la classe 1898, c’est déjà vieux…
On ne sort de la tranchée que le soir dans le plus grand silence.
Nous touchons un demi pain par homme mais voilà 12 jours que nous n’avons pas mangé de légumes.
Des aéroplanes sillonnent la campagne.
Si Dieu veut bien me conserver en vie, nous pourrons, j’espère, nous rejoindre bientôt à continuer la bonne vie d’auparavant car ici on voit la différence… ».

XIX)
Combat dans la nuit sur la route de Chalons : Dans la matinée, des bombes tombent sur le quartier Cérès et Saint-Remi... En ville, on circule encore assez librement et j’en profite pour aller examiner les ruines... A la cathédrale, les statues du portail s’effritent de plus en plus... M. L. Margotin qui vient me rejoindre, a reçu ces jours derniers la visite de M. Dalimier, sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, et de M. Paul Léon, directeur des services d’architecture, qui ont visité l’édifice et approuvé les travaux de préservation juchés nécessaires. M. le maire a autorisé M. Bienaimé à photographier les rues de Reims, le visa militaire étant inutile.

XX)
11h30, départ pour La Haubette; M.Gobert installe sur les presses de M. Bienaimé une équipe de typographes pour publier le lendemain « Le Courrier de la Champagne », que l’absence du gaz et de l’électricité a forcé de suspendre la distributions en ville. Nous allons à Bezannes en suivant le ruisseau de la Muire, qui coule aussi doucement que si tout était calme. Le canon tire violemment par intervalles.
On revient par la route qui passe dans le cimetière de Mme Roederer, où la foule stationne le plus souvent.
Ce matin des obus sont tombés près du pont Huet, une attaque sur tout le front est prévue par l’état-major.

XXI)
Le 29/09, malgré le courage de l'infanterie Française, les positions ne sont plus tenables. « Le village est réduit de fond en comble... C'est un monceau de ruines fumantes... Des incendies partout... Les cadavres jonchent le sol... Des obus de 150 tombés sur des paquets d'hommes [...] refluant dans les rues [...] tuent de 20 à 30 hommes » (JMO du 101ème RI. A partir de 16h45/17h00, les fantassins Allemands s'infiltrent dans Champien depuis Balâtre, Solente, le bois de Champien.
  Les survivants se replient sur Laucourt, Beuvraignes et Roiglise où les attendent des positions de repli préalablement préparées. Les combats de Champien sont terminés, ils préfigurent ce que sera la guerre de position et d'usure. Une guerre défensive, où chacun va s'enterrer et compter sur l'artillerie lourde pour briser les défenses adverses. La lecture des JMO des 101e et 102e RI pointe le manque d'artillerie lourde française, celle-ci n'est jamais mentionnée ou juste pour signaler l'évacuation d'une batterie de 75 ou encore le manque de tir de contre-batterie ou de couverture y compris pendant la retraite de Champien menée sous le feu ennemi.

XXII)
Le principe de neutralité actée de la Suisse est né pendant les guerres Napoléoniennes du 1er Empire, quand des contingents Suisses ont dû, aux côtés de la Grande Armée de Napoléon, participer à la campagne de Russie et à la bataille de Leipzig en 1813, qui fut un désastre pour l'armée Française. Ici commence le début de la fin de l'Empire. Car la Suisse, après avoir subi la soumission aux troupes Françaises de la vague révolutionnaire dès 1798, s'en est suivi l'occupation sur leur sol  par des vainqueurs alliés de Napoléon, en 1814.
De fait, les cantons Suisses ont décidé ensemble, de ne plus accepter de se laisser entraîner dans des guerres qui ne sont pas les leurs. La neutralité perpétuelle de la Suisse a été conclue le 20 mars 1815 au Congrès de Vienne, par les puissances signataires du traité de Paris, c'est-à-dire des vainqueurs de Napoléon Ier... En conséquence, la Suisse, état redevenu souverain, bénéficie du statut de pays neutre, à partir du 20 novembre 1815, qui garantit l'intégrité et l'inviolabilité de son territoire.
Mais on a bien vu que les traités, ce ne sont pas les 10 Commandements gravés dans le marbre ! La malheureuse Belgique ou le Luxembourg en ont fait l'expérience douloureuse... Alors les Suisses, pragmatiques et conscients qu'un bout de papier ne les protégeront pas toujours d'une invasion délibérée, ou d'une trahison, prennent les choses en main. Car en effet, dans le pays même, les sensibilités sont partagées, les germanophones sont plutôt favorables aux Empires centraux, et la Suisse romande francophone et francophile penche naturellement pour la France et ses alliés. Fédérés, oui, mais pas toujours d'accord sur tout.
 La Suisse prend donc des mesures exceptionnelles dès le début de la guerre pour protéger son territoire, ce qui se traduit surtout par la garde des frontières renforcée. Et le peuple suisse est redoutable quand il s'agit de défendre son sol, de nombreux adversaires l'ont payé cher par le passé...
Cette opération s'appelle « Occupation des Frontières » ou « Grenzbesetzung » en langue de la Suisse alémanique.
La Suisse neutre, n'est pas inactive pour autant et utilise largement elle aussi les outils de la propagande. On parle parfois de « paix armée ».

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