29
SEPTEMBRE 1914
I)
Les
indications qui viennent de la ligne de feu continuent à être
favorables : celles qui viennent de notre aile gauche comme celles
qui arrivent de notre centre ou des Hauts-de-Meuse.
Les Russes ont forcé les détachements Austro-Hongrois débandés à franchir les cols des Carpathes. C'est-à-dire que la route est libre pour eux vers Cracovie : la chute de cette place devant avoir une importance considérable pour la suite des opérations.
L'Allemagne a concentré 22 corps d'armée à la frontière Russe, en Prusse Orientale, en Posnanie et en Silésie. L'empereur Guillaume II, qui est d'ailleurs indisposé, a quitté le front occidental de son empire pour se rendre sur le front de l'Est. On dit qu'il a eu de vives discussions avec son fils aîné, auquel il a reproché l'insuccès, avoué par des journaux Berlinois d'ordinaire officieux, de la campagne de France.
La garde Prussienne, le meilleur corps de l'armée Allemande, a perdu depuis le début de la guerre, un nombre énorme d'officiers. Ceux-ci ont déjà été plusieurs fois renouvelés.
On annonce que la Turquie ferait des efforts pour que Burhan Eddine, un prince Ottoman, soit nommé prince d Albanie, en remplacement du prince de Wied, qui s'est retiré... Il y aurait là, la source d'une complication internationale de plus, puisque l'Europe ou, du moins, la Triple Entente et l'Italie ne peuvent permettre aux Turcs de reprendre pied en Albanie...
Le gouvernement Français décide que les auxiliaires, comme les exemptés et réformés, devront subir une nouvelle visite médicale.
II)
Le
gouvernement militaire de Paris a approuvé le contenu du sac du
soldat du neuvième arrondissement :
«
Le gouvernement militaire de Paris, vient d'accepter l'offre que lui
a soumis la municipalité du neuvième arrondissement de préparer
pour nos soldats.
3.000
sacs qui comprendraient :
1°
Une chemise de flanelle.
2°
Un caleçon chaud.
3°
Un tricot ou plastron.
4°
Une ceinture de flanelle.
5°
Deux paires de chaussettes.
Ce
sac portera le nom de : Sac du neuvième arrondissement de Paris. »
Le Figaro du 29 septembre 1914.
III)
Les
arrivages ont repris au marché aux bestiaux de la Villette. L'effet
est immédiat : les prix baissent, Le Figaro du 29 septembre 1914 .
«
Le marché aux bestiaux de la Villette est redevenu à peu près
normal. En effet, le nombre des arrivages se rapproche très
sensiblement de celui que l'on enregistrait avant les hostilités...
Aussi la vente se fait elle facilement et les cours sont-ils en
nouvelle baisse sur le précédent marché. On compt 1 355 bœufs
amenés, 1 257 vaches, 137 taureaux, 1 208 veaux, 6 589 moutons, et
4 130 porcs. En raison du nombre assez élevé des arrivages, on
enregistre, suivant la qualité et par kilo, une baisse de 5 à 15
centimes pour le gros bétail et de 30 à 40 centimes pour les veaux.
»
IV)
« L’homme
libre » suspendu une semaine :
Le
journal de Georges Clemenceau, l’ancien ministre et président du
Conseil qui a refusé la censure d’un article est saisi et suspendu
pendant 8 jours en application d’une législation particulière
mise en place depuis le 5 août 1914 à Paris.
V
« Le
Figaro » sous la plume de l’Académicien Alfred Capus publie
un portrait du Kronprinz particulièrement soigné :
« Ce
nom évoque soudain la grossièreté, la morgue épaisse, le rictus
de la haine, tout ce qui trahit dans un type humain la bassesse et la
déchéance ».
VI)
« Le
conseil des ministres décide aussi au cours de sa réunion du 29
septembre 1914 que tous les contrats passés entre des Français et
des membres des pays belligérants depuis le 4 août pour l’Allemagne
et le 13 août pour l’Autriche-Hongrie sont considérés comme
contraire à l’ordre public et déclarés nuls ».
Le
ministre des Colonies, Gaston Doumergues, fait une communication au
cours de laquelle il annonce l’installation d’une commission
consultative coloniale, placée sous la présidence du sénateur
Beranger, chargée de l’étude des questions de ravitaillement, de
transport, de crédit et de concurrence économique.
VII)
Le
Figaro du 29 septembre 1914 nous informe qu'à Paris il n'est plus
obligatoire de circuler muni de sauf-conduit.
« À
dater de ce jour, 28 septembre 1914, le service de la circulation et
des transports de la préfecture de police ne délivrera plus de
sauf-conduits aux automobiles pour le camp retranché de Paris. Cette
délivrance sera strictement limitée aux départements de Seine et
Seine-et-Oise. »
VIII)
-
Ce jour-là, le Petit Journal, sous la plume de Jean Lecoq,
s'offusque de cet impitoyable fisc qui réclame son dû aux femmes
dont le mari est à la guerre.
-
Les attaques Allemandes se brisent contre l'héroïsme de nos
troupes.
-
Les armées Russes « auraient occupé en partie »
Prezmysl en Galicie.
-
Ernest Vauquelin déplore le mauvais fonctionnement de la poste dû,
selon les autorités, au fait que les familles « écrivent
trop » aux combattants.
-
Comment Avricourt a été pris.
-
La Suisse se prépare à instituer le monopole du tabac.
-
Surprises par les Belges les forces Allemandes se retirent en
désordre.
-
Les hommes des services auxiliaires versés dans le service armé.
-
Des troupes Franco-Britanniques ont débarqué au Cameroun Allemand.
IX)
256e
RI de Chalon :
La
21e compagnie fait parvenir dans la matinée les renseignements
suivants :
-
Les fermes autour de Près-du-Bois ne sont plus occupées par les
Allemands.
-
Le poste situé auprès de la Tête-des-Faux est abandonné.
-
Les habitants questionnés prétendent ne pas avoir vu d’Allemands
depuis le samedi 26 septembre.
-
Les troupes ennemies face à nous sont des Bavarois (2e bataillon
d’infanterie, 28e division, 4e corps d’armée).
-
D’autre part, il n’y a plus que quelques Allemands dans Orbey.
-
Ils se sont retirés en partie à l’Est du village.
-
Les 22e , 23e et 24e compagnies ne signalent rien.
-
Un message téléphoné de la Schlucht signale des forces ennemies
dans la vallée de Munster.
-
L’attaque que l’on supposait avoir lieu dans la région de
Ranis-des-Chênes – Combkoff n’a pas eu lieu. Extrait du
« Journal de marches et opérations »
X)
Les
oeufs sont toujours aussi rares, j’en découvre 2 chez une vieille
femme.
Le
père Bacart envoie sa fille dans la vigne pour faire la chasse aux
maraudeurs qui mangent son raisin...
Je
l’accompagne... Personne dans les vignes mais en revanche je trouve
deux sous-officiers du 32e en train d’abattre des pommiers, et leur
passe un fameux savon.
« Personne
ne nous a vu » me dit l’un d’entre eux pour sa défense.
Jolie
morale !…
Belleville
Brigadier Édouard Bachimont
XI)
L’estaminet
a des airs de fête : Par la porte grande ouverte sortent les
notes grésillantes d’un phonographe qui s’emploie à inonder
tout le quartier d’airs populaires. Devant les vitres, on a dressé
un escabeau. Un homme y est perché, la cigarette aux lèvres. Il
s’emploie à repeindre l’enseigne qu’il a déjà maladroitement
barbouillée d’un jaune pétard. Il inscrit désormais en lettres
noires le nouveau nom de l’établissement...
De
passage dans la rue, Édouard déchiffre machinalement les premières
syllabes.
Il
remonte ses binocles sur son nez comme pour accepter ce qu’il vient
de lire. Il traverse la rue d’un pas énergique et se poste au pied
de l’escabeau.
Il
accoste immédiatement le peintre d’un « Bonjour ! »
qu’il essaie de faire paraître paisible alors qu’il n’en est
rien.
Il
doit s’y prendre à deux fois avant qu’enfin, par-dessus la
musique, l’homme l’entende et lui sourie depuis son perchoir...
« Ah !
Bonjour, brigadier, je pas entendre vous ! »
Le
peintre aux gestes hésitants a un accent tchèque à couper au
couteau qu’Édouard connaît bien : C’est Viktor, l’un des
membres de la bande d’Hugues de Brie. Avant la guerre, c’était
l’un des rares étrangers à déjà faire partie du gang. À
présent que les Français ont été mobilisés et dispersés aux
quatre coins du pays, Édouard le soupçonne d’être le chef du
nouveau groupe que de Brie a réussi à créer en recrutant des
étrangers non-mobilisables.
« Descendez
donc de là que l’on discute ! » commande Édouard
énergiquement.
Viktor s’essuie les mains dans un chiffon taché et descend prudemment de son escabeau.
« Que peux moi faire pour brigadier ? demande-t-il innocemment dans son français approximatif.
Viktor s’essuie les mains dans un chiffon taché et descend prudemment de son escabeau.
« Que peux moi faire pour brigadier ? demande-t-il innocemment dans son français approximatif.
— Je peux savoir ce que vous faites ?
Édouard indique de sa main droite l’enseigne jaune et noir au-dessus d’eux, et Viktor la contemple comme s’il venait à peine de la remarquer.
« Ça ? Patron dit que ça plaire à vous ! dit-il, un sourire en coin...
— Le patron ? Mais il est au front, le patron ! »
Viktor
part d’un grand rire et son visage disparaît derrière l’épaisse
fumée de cigarette qui s’échappe de sa bouche. Édouard ne peut
ou plutôt ne veut pas comprendre : Comment diable de Brie
peut-il encore commander quoi que ce soit ? Il est au front,
peut-être même mort ! Mais déjà, le Tchèque a une main dans
la poche de son pantalon et en sort un télégramme chiffonné qu’il
agite sous le nez du brigadier.
« Ça
message du patron ! Lui dire de changer nom établissement. Et
lui ajouter « Merci au Brigadier Bachimont pour l’idée,
stop ! » déchiffre-t-il fièrement sur le message... Édouard
reste un instant interdit, puis voyant le sourire insolent du
Tchèque, il tente de maintenir un semblant d’autorité en
déclarant :
« Je vous ai à l’œil, mes gaillards ! »
Puis
il s’en va reprendre sa patrouille, l’esprit tourné tout entier
vers les moyens par lesquels de Brie a pu envoyer un télégramme
depuis le front. Et il n’ose encore s’interroger sur le sens de
cette nouvelle enseigne. Viktor regarde le brigadier disparaître au
coin de la rue, puis fourre le télégramme dans sa poche. Il remonte
tranquillement sur l’escabeau et reprend sa peinture. À grands
coups de pinceau qu’il applique au rythme de la musique du
phonographe, il achève d’écrire le nouveau nom du café :
« Babylone ».
XII)
« La
71e Division doit étendre son front, à sa droite, jusqu’au
contact de la 41e Division, mouvements terminés pour midi.
Les
bataillons (217e et 221e) du Lt-Colonel Mathieu, actuellement dans la
région de Badonvillers doivent renter à leur brigade après avoir
été relevés par le 170e Régiment.
En
conséquence, le bataillon du 217e reçoit l’ordre vers 5h00 de
prendre ses dispositions pour se retire sur Baccarat, en simulant un
exercice de combat, dès que le 177e a occupé ses emplacements
d’avant-postes.
Le
bataillon arrive à son cantonnement de Baccarat (caserne du 17e
bataillon de chasseurs) à 15h00, en envoyant toujours une compagnie
à Gélacourt.
Le
6e bataillon poursuivait l’organisation de sa défense et ses
exervcies de combat dans la journée.
La
nuit, le 217e Régiment conserve ses mêmes emplacements
d’avant-postes et mêmes cantonnements que précédemment : 6e
bataillon à Brouville, 5e bataillon : 1 Cie à Gélacourt, 3
Cies au quartier du 17e bataillon de chasseurs avec la CHR et
l’Etat-major. »
XIII)
Communiqué
officiel de l’armée Française sur la situation :
«
Notre ligne est jalonnée de l'est à l'ouest par le front : la
région de Pont-à-Mousson - Apremont, la Meuse, dans la région de
Saint-Mihiel, les hauteurs, au nord de Spada et la partie des
Hauts-de-Meuse au sud-est de Verdun... Entre Verdun et Reims, le
front général est jalonné par une ligne passant par la région de
Varennes, par le nord de Souain et la Chaussée romaine qui aboutit à
Reims... Les avancées de Reims, la route de Reims à Berry-au-Bac et
les hauteurs dites du Chemin des Dames, sur la rive droite de
l'Aisne... Cette ligne se rapproche ensuite de l'Aisne jusque dans la
région de Soissons.
Entre
Soissons et la forêt de L'Aigle, elle comprend les premiers plateaux
de la rive droite de l'Aisne.
Entre
l'Oise et la Somme, cette ligne correspond au front de :
Ribécourt
(qui est à nous),
Lassigny
(occupé par l'ennemi),
Roye
(qui est à nous),
Chaulnes
(à l'ennemi).
Au
nord de la Somme, elle se prolonge sur les plateaux entre Albert et
Combles. »
XIV)
Ce
jour les journaux regorgent de dépêches rassurantes sur le sort des
troupes alliées sur les autres fronts, les Autrichiens et les
Allemands sont sous pression de toutes parts :
-
Les Monténégrins et les Serbes ont commencé l’attaque de
Sarajevo.
BLERIOT DE L’ARMÉE SERBE |
-
Les engagements autour du vaste camp retranché d'Anvers se
poursuivent sans interruption, les troupes Belges harcèlent les
Allemands en permanence.
-
En Galicie, les Russes commencent à s’enfoncer dans les cols des
Carpates
-
En Prusse Orientale, un combat acharné pour la possession des
débouchés septentrionaux des forêts d'Augustof, tourne à
l’avantage des Russes. Cette ville est réoccupée par les troupes
du Tsar.
L’Allemagne
perd ses colonies au Cameroun selon une dépêche publiée dans le
Journal de Roubaix,
«
À la suite des opérations, conduites sous les ordres du
brigadier-général C-M Dobell, des troupes Anglo-Françaises ont
obtenu la capitulation sans condition de Duala, la capital du
Cameroun et de la ville de Bonabéri »
XV)
« Le
Réveil du Nord » est à son deuxième jour de non parution.
Tandis que dans le Journal de Roubaix plus aucun article concernant
les batailles et les mouvements de troupes dans la région n’est à
la disposition des lecteurs... C’est le « black-out » total,
voulue par les autorités militaires... Les seules allusions aux
conséquences du conflit dans le journal est la liste des soldats de
la région, « Tombés aux champs d’honneur », « Nos blessés »
et « les braves » (les soldats promus)...
XVI)
Nous
pouvons lire dans le Journal de Roubaix, un article concernant à
Wattrelos un crime mystérieux, deux jambes sont retirées du canal.
« Une lugubre trouvaille est faite par des ouvriers dans le canal
près de la passerelle Sainte-Marguerite. Ceux-ci ont retiré de
l’eau une jambe humaine qui surnageait. » « Cette découverte est
l’indice certains d’un crime mystérieux dont la victime d’après
les constatations médicales, est une femme » précise le
journaliste. » (…)
Immédiatement
M Bouladoux commissaire se rend sur les lieux et y découvre une
seconde jambe. « Au cours de l’enquête habilement mené M
Bouladoux, apprend qu’il y a 4 ou 5 jours, un sac fortement gonflé
surnageait dans le canal. Il s’en échappait des filaments
noirâtres... Les passants ont cru qu’il contenait un chien noyé
et n’y ont pas pris garde. »
XVII)
L'effet
de la guerre et du renversement total de toutes les habitudes, c'est
que la faculté d'étonnement s'abolit.
On
lit sans surprise dans les journaux la proclamation et les ordres de
réquisition d'un général Prussien aux habitants de Valenciennes.
Aujourd'hui,
sur la ligne de Tours, un train passe rempli de soldats Anglais
en tête (des soldats Anglais qui semblent tout droit sortis de
Rudyard Kipling), et, en queue, formé de voitures, voiturettes
et charrettes diverses de commerçants Anglais réquisitionnées
pour les besoins de la guerre. Les voitures de livraison des
marchands de pickles se promènent sur nos chemins de fer et s'en
vont sur les champs de bataille de l'Aisne, mais on ne s'étonne
plus de rien...
XIV)
Monsieur
Denys Cochin vient d'écrire que cette guerre est une « guerre
d'idées ».
Je
pense que M. Denys Cochin ne va pas dans les ambulances. Il y verrait
les « idées » de cette guerre sous la forme de
shrapnells dans la chair de nos soldats. Il verrait même des
« idées » dum-dum...
XV)
ALBERT LONDRES |
Après
le bombardement de la cathédrale de Reims, le 19 septembre 1914, le
grand reporter Albert Londres raconte, dans « Le Matin » du 29
septembre, cet événement traumatique, car touchant un symbole du
patriotisme de l’époque.
« Elle
est debout, mais pantelante... Nous suivons la même route que le
jour où nous la vîmes entière. Nous comptions la distance,
guettant le talus d’où elle se montre au voyageur, nous avancions,
la tête tendue comme à la portière d’un wagon lorsqu’en marche
on cherche à reconnaître un visage. Avait-elle conservé le sien ?
Nous
touchons le talus... On ne la distingue pas... C’est pourtant là
que nous étions l’autre fois... Rien... C’est que le temps moins
clair ne permet pas au regard de porter aussi loin... Nous la
cherchons en avançant...
Les
premières maisons de Reims nous la cachent. Nous arrivons au
parvis.
Ce n’est plus elle, ce n’est que son apparence.
Ce n’est plus elle, ce n’est que son apparence.
C’est un soldat que l’on aurait jugé de loin sur sa silhouette toujours haute, mais qui, une fois approché, ouvrant sa capote, vous montrerait sa poitrine déchirée.
Les pierres se détachent d’elle. Une maladie la désagrège. Une horrible main l’a écorchée vive.
Les
photographies ne vous diront pas son état. Les photographies ne
donnent pas le teint du mort. Vous ne pourrez réellement pleurer que
devant elle, quand vous y viendrez en pèlerinage.
Elle est ouverte... Il n’y a plus de portes... Nous sommes déjà au milieu de la grande nef quand nous nous apercevons avoir le chapeau sur la tête... L’instinct qui fait qu’on se découvre au seuil de toute église n’a pas parlé... Nous ne rentrions plus dans une église... Il y a bien encore les voûtes, les piliers, la carcasse mais les voûtes n’ont plus de toiture et laissent passer le jour par de nombreux petits trous, les piliers, à cause de la paille salie et brûlée dans laquelle ils finissent, semblent plutôt les poutres d’un relais, la carcasse, où coula le réseau de plomb des vitraux n’est plus qu’une muraille souillée où l’on ne s’appuie pas.
Deux
lustres de bronze se sont écrasés sur les dalles. Nous entendons
encore le bruit qu’ils ont dû faire. Des manches d’uniformes
allemands, des linges ayant étanché du sang, de gros souliers
empâtés de boue, c’est tout le sol. Comment l’homme le plus
catholique pourrait-il se croire dans un sanctuaire !…
Nous
prenons l’escalier d’une tour... Les deux premières marches ont
sauté. Tout en le montant, notre esprit revoit les blessures
extérieures. Nous devons être au niveau de ce fronton où Jésus
mourait avec un regard si magnanime. Le fronton se détache,
maintenant, telle une pâte feuilletée, et Jésus n’a plus qu’une
partie sur sa joue gauche. Plus haut est cette balustrade que, dans
leur imagination, les artisans du moyen âge ont dû destiner aux
anges les plus roses... la balustrade s’en va par colonne, les
anges n’oseront plus s’y accouder.
La cathédrale n’est plus qu’une plaie »
La cathédrale n’est plus qu’une plaie »
Puis c’est chaque niche, que l’on n’a plus, maintenant qu’à poser horizontalement, à la façon d’un tombeau, puisque les saints qu’elles abritaient sont pour toujours défaits, c’est chaque clocheton, dont les lignes arrachées se désespèrent de ne plus former un sommet, c’est chaque motif qui a perdu son âme de sculpteur... Et nous montons sans pouvoir chasser de nous cette impression que nous tournons dans quelque chose qui se fond autour.
Nous
arrivons à la lumière... Sommes-nous chez un plombier ?
Du plomb, du plomb en lingots biscornus. La toiture disparue laisse les voûtes à nu. La cathédrale est un corps ouvert par le chirurgien et dont on surprendrait les secrets.
Du plomb, du plomb en lingots biscornus. La toiture disparue laisse les voûtes à nu. La cathédrale est un corps ouvert par le chirurgien et dont on surprendrait les secrets.
Nous ne sommes plus sur un monument. Nous marchons dans une ville retournée par le volcan... Sénèque, à Pompéi, n’eut pas plus de difficultés à placer le pied. Les chimères, les arcs-boutants, les gargouilles, les colonnades, tout est l’un sur l’autre, mêlé, haché, désespérant.
Artistes
défunts qui aviez infusé votre foi à ces pierres, vous voilà
disparus.
Le canon, qui tonnait comme de coutume, ne nous émotionnait plus. L’édifice nous parlait plus fort. Le canon se taira. Son bruit, un jour ne sera même plus un écho dans l’oreille,tandis qu’au long des temps, en pleine paix et en pleine reconnaissance, la cathédrale criera toujours le crime du haut de ses tours décharnées.
Le canon, qui tonnait comme de coutume, ne nous émotionnait plus. L’édifice nous parlait plus fort. Le canon se taira. Son bruit, un jour ne sera même plus un écho dans l’oreille,tandis qu’au long des temps, en pleine paix et en pleine reconnaissance, la cathédrale criera toujours le crime du haut de ses tours décharnées.
Nous
redescendons... Nous sommes près du Chœur, de là, nous regardons
la rosace... l’ancienne rosace. Il ne lui reste plus qu’un tiers
de ses feux profonds et chauds. Elle créait dans la grande nef une
atmosphère de prière et de contrition. Et le secret des verriers
est perdu !
En
regardant ainsi, nous vîmes tomber des gouttes d’eau de la voûte
trouée... Il ne pleuvait pas... Nous nous frottons les yeux... Il
tombait des gouttes d’eau... C’était probablement d’une pluie
récente, mais pour nous, ainsi que pour tous ceux qui se seraient
trouvés à notre côté, ce n’était pas la pluie : c’était la
cathédrale pleurant sur elle-même.
Il
nous fallut bien sortir.
Les maisons qui l’entourent sont en ruines. Elles avaient profité de sa gloire. Elles n’ont pas voulu lui survivre. On dirait qu’elles ont demandé leur destruction pour mieux prouver qu’elles compatissent. En proches parents, elles portent le deuil.
Le canon continue de jeter sa foudre dans la ville. Les coups se déchirent plus violemment qu’au début. Que cela peut-il faire maintenant ? La cathédrale de Reims n’est plus qu’une plaie.» Albert Londres
Les maisons qui l’entourent sont en ruines. Elles avaient profité de sa gloire. Elles n’ont pas voulu lui survivre. On dirait qu’elles ont demandé leur destruction pour mieux prouver qu’elles compatissent. En proches parents, elles portent le deuil.
Le canon continue de jeter sa foudre dans la ville. Les coups se déchirent plus violemment qu’au début. Que cela peut-il faire maintenant ? La cathédrale de Reims n’est plus qu’une plaie.» Albert Londres
XVI)
-
La soute aux munitions du fort de Waelhem explose.
- Le croiseur Allemand « Emden » coule 4 navires Anglais et un bateau charbonnier.
- Le croiseur Allemand « Emden » coule 4 navires Anglais et un bateau charbonnier.
.
XVII)
Nous
avons reçu une carte de Georges hier datée du 22, il était à
Chalons. Pour que nous puissions savoir où il se trouve sans donner
l’éveil, il nous inscrit le nom en commençant par la dernière
lettre dans un petit coin de la carte nous sommes plus contentes de
savoir au moins dans quelle partie de la bataille il se trouve. Il va
toujours bien malgré la pluie et le grand vent qui rendent les
bivouacs pénibles. Il semble d’après les dépêches officielles
que ce soit dur de les faire déloger de France, ces diables
d’Allemands.
Sais-tu
le nom du docteur qui a soigné Alice M. à Besançon ? Si tu le
sais, tu devrais bien, un jour où tu auras le temps, aller le
trouver et lui demander s’il pourrait enlever les végétations à
André. Informe-toi comment on pourrait faire, si on doit aller dans
une clinique ou hôpital ou, si on peut rester à l’hôtel, combien
de temps il faudrait rester ?
Le
docteur d’Épinal avait dit 2 jours. Il avait l’air de très bien
s’y connaître, c’est bien dommage qu’on n’ait pas pu le
faire avant la guerre. Cela n’a rien de pressant d’ailleurs,
André va très bien, mais je préférerais néanmoins le faire
opérer avant l’hiver, de crainte que cela ne lui amène des rhumes
et maux d’oreilles. De plus cela me donnera l’occasion de te
revoir, je suis si en mal de toi mon trésor, j’ai rêvé de toi
toute cette nuit. Je ne devrais pourtant pas me plaindre, je suis une
privilégiée puisque je te sens en sécurité, et il y en a déjà
tant de disparus. Si je vois Pierre Mangin à Cornimont, je lui
demanderai le nom du docteur pour le cas où tu ne le saurais pas et
te l’écrirai. Mais je me demande si je le retrouverai, s’il ne
sera pas parti en Suisse, il m’avait si bien dit que les réformés
allaient être rappelés, mais ce ne sont que ceux de la réserve
jusque 35 ans, pas ceux de la territoriale, donc je ne pense pas
qu’on l’appelle. Il est vrai qu’il est officier, ce sont
peut-être d’autres conditions.
On
dit tous les soirs depuis le début de la guerre le chapelet à
l’église à 6 heures du soir et on donne la bénédiction pour
implorer la Providence en faveur de nos armées. C’est une grande
récompense pour les enfants quand je les y emmène. Hier Robert
était très intrigué par l’encensoir, il a fallu que le lui
explique ce que c’était. C’est quelquefois très embarrassant de
répondre à leurs questions, les enfants sont si logiques et
poussent à fond ce qu’ils veulent savoir. Comme je lui disais que
la fumée de l’encens était un signe de ferveur et d’adoration,
qu’elle montait au ciel pour montrer à Dieu qu’on l’adore et
qu’on le prie :
« Mais
elle ne peut pas monter au ciel puisque le toit de l’église
l’empêche de passer et qu’il n’y a pas de cheminée ».
C’est
comme pour sa prière, à l’église il veut la dire tout haut
« parce que le bon Dieu ne peut pas entendre quand on dit tout
bas ». Après la grand-messe du dimanche on chante le libera
pour les soldats défunts, et cela intrigue beaucoup les enfants de
penser qu’il y a un catafalque et que le « mort » n’est
pas dessous. Ils se demandent pourquoi Mr le Curé l’encense et le
bénit. Enfin on fait toujours beaucoup de pourquoi et je serai bien
contente quand tu seras là pour leur répondre, tu sauras mieux leur
expliquer que moi toutes choses.
Georges
nous répète dans toutes ses cartes que, quoi qu’il arrive, nous
ne devrions pas partir si les Allemands venaient, il dit qu’il a
traversé et retraversé des pays occupés par l’ennemi et qu’il
n’a été fait aucun mal aux habitants qui étaient restés et
qu’on n’a brûlé et pillé que les maisons inoccupées.
A
Raon, ils n’ont fait non plus aucune violence à la population mais
ils ont brûlé des maisons habitées. Ils ont simplement prévenu
les habitants qu’ils voulaient incendier d’avoir à sortir de
leur demeure avant 2 heures. J’espère bien d’ailleurs que nous
n’aurons plus à prendre de décision semblable, Maman et moi, cela
nous aurait toujours beaucoup ennuyées de partir, aussi nous sommes
bien tentées de croire Georges, mais Thérèse a une frousse
intense.
XVIII)
«
Chers parents,
Les
obus continuent à pleuvoir et mon caporal Roussel a été
malheureusement tué par un éclat d’obus en allant au village.
Ce
sont maintenant de vrais duels d’artillerie, on tire avec des
grosses pièces qui font rudement de dégâts.
Le
dépôt est arrivé, les plus vieux sont de la classe 1898, c’est
déjà vieux…
On
ne sort de la tranchée que le soir dans le plus grand silence.
Nous
touchons un demi pain par homme mais voilà 12 jours que nous n’avons
pas mangé de légumes.
Des
aéroplanes sillonnent la campagne.
Si
Dieu veut bien me conserver en vie, nous pourrons, j’espère, nous
rejoindre bientôt à continuer la bonne vie d’auparavant car ici
on voit la différence… ».
XIX)
Combat
dans la nuit sur la route de Chalons : Dans la matinée, des
bombes tombent sur le quartier Cérès et Saint-Remi... En ville, on
circule encore assez librement et j’en profite pour aller examiner
les ruines... A la cathédrale, les statues du portail s’effritent
de plus en plus... M. L. Margotin qui vient me rejoindre, a reçu ces
jours derniers la visite de M. Dalimier, sous-secrétaire d’État
aux Beaux-Arts, et de M. Paul Léon, directeur des services
d’architecture, qui ont visité l’édifice et approuvé les
travaux de préservation juchés nécessaires. M. le maire a autorisé
M. Bienaimé à photographier les rues de Reims, le visa militaire
étant inutile.
XX)
11h30,
départ pour La Haubette; M.Gobert installe sur les presses de M.
Bienaimé une équipe de typographes pour publier le lendemain « Le
Courrier de la Champagne », que l’absence du gaz et de
l’électricité a forcé de suspendre la distributions en ville.
Nous allons à Bezannes en suivant le ruisseau de la Muire, qui coule
aussi doucement que si tout était calme. Le canon tire violemment
par intervalles.
On
revient par la route qui passe dans le cimetière de Mme Roederer, où
la foule stationne le plus souvent.
Ce
matin des obus sont tombés près du pont Huet, une attaque sur tout
le front est prévue par l’état-major.
XXI)
Le
29/09, malgré le courage de l'infanterie Française, les positions
ne sont plus tenables. « Le village est réduit de fond en
comble... C'est un monceau de ruines fumantes... Des incendies
partout... Les cadavres jonchent le sol... Des obus de 150 tombés
sur des paquets d'hommes [...] refluant dans les rues [...] tuent de
20 à 30 hommes » (JMO du 101ème RI. A partir de 16h45/17h00,
les fantassins Allemands s'infiltrent dans Champien depuis Balâtre,
Solente, le bois de Champien.
Les
survivants se replient sur Laucourt, Beuvraignes et Roiglise où les
attendent des positions de repli préalablement préparées. Les
combats de Champien sont terminés, ils préfigurent ce que sera la
guerre de position et d'usure. Une guerre défensive, où chacun va
s'enterrer et compter sur l'artillerie lourde pour briser les
défenses adverses. La lecture des JMO des 101e et 102e RI pointe le
manque d'artillerie lourde française, celle-ci n'est jamais
mentionnée ou juste pour signaler l'évacuation d'une batterie de 75
ou encore le manque de tir de contre-batterie ou de couverture y
compris pendant la retraite de Champien menée sous le feu ennemi.
XXII)
Le
principe de neutralité actée de la Suisse est né pendant les
guerres Napoléoniennes du 1er Empire, quand des contingents Suisses
ont dû, aux côtés de la Grande Armée de Napoléon, participer à
la campagne de Russie et à la bataille de Leipzig en 1813, qui fut
un désastre pour l'armée Française. Ici commence le début de la
fin de l'Empire. Car la Suisse, après avoir subi la soumission aux
troupes Françaises de la vague révolutionnaire dès 1798, s'en est
suivi l'occupation sur leur sol par des vainqueurs alliés de
Napoléon, en 1814.
De
fait, les cantons Suisses ont décidé ensemble, de ne plus accepter
de se laisser entraîner dans des guerres qui ne sont pas les leurs.
La neutralité perpétuelle de la Suisse a été conclue le 20 mars
1815 au Congrès de Vienne, par les puissances signataires du traité
de Paris, c'est-à-dire des vainqueurs de Napoléon Ier... En
conséquence, la Suisse, état redevenu souverain, bénéficie du
statut de pays neutre, à partir du 20 novembre 1815, qui garantit
l'intégrité et l'inviolabilité de son territoire.
Mais
on a bien vu que les traités, ce ne sont pas les 10 Commandements
gravés dans le marbre ! La malheureuse Belgique ou le Luxembourg en
ont fait l'expérience douloureuse... Alors les Suisses, pragmatiques
et conscients qu'un bout de papier ne les protégeront pas toujours
d'une invasion délibérée, ou d'une trahison, prennent les choses
en main. Car en effet, dans le pays même, les sensibilités sont
partagées, les germanophones sont plutôt favorables aux Empires
centraux, et la Suisse romande francophone et francophile penche
naturellement pour la France et ses alliés. Fédérés, oui, mais
pas toujours d'accord sur tout.
La
Suisse prend donc des mesures exceptionnelles dès le début de la
guerre pour protéger son territoire, ce qui se traduit surtout par
la garde des frontières renforcée. Et le peuple suisse est
redoutable quand il s'agit de défendre son sol, de nombreux
adversaires l'ont payé cher par le passé...
Cette
opération s'appelle « Occupation des Frontières » ou
« Grenzbesetzung » en langue de la Suisse alémanique.
La
Suisse neutre, n'est pas inactive pour autant et utilise largement
elle aussi les outils de la propagande. On parle parfois de « paix
armée ».
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correspondant à 29 septembre 1914
- 29 septembre 1914: de la flanelle dans le paquetage du ...Le Figaro - il y a 1 jour
29
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Brigadier Édouard Bachimont. L'estaminet a des airs de fête : par
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29 septembre 1914 : «des nouvelles rassurantes ...
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Il
y a 2 jours - Mardi 29 septembre 1914 : «des nouvelles
rassurantes viennent de partout». Par la rédaction pour Il y a 100
ans - La Grande Guerre, Publié le ...
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