vendredi 24 octobre 2014

LA GRAND GUERRE AU JOUR LE JOUR 17 OCTOBRE 1914

17 OCTOBRE 1914


I)
Et l'on rit... Remiremont, 17 octobre. - Un groupe du régiment du génie chemine sur la route qui conduit de Gérardmer à Vagney. Ce qui me frappe tout d'abord, c'est la gaîté de tous ces braves hommes et pourtant ils ont tous plus de 30 ans, sont pères de famille et reviennent des Vosges où l'on s'est battu.
J' ai pu interroger un soldat qui me paraît assez grave :

« Eh bien ! c'est dur là-haut ?

« - Un peu. Mais il y a du bon, on les a rejetés bien au delà de la frontière. Ils ont la vie dure, ces gens-là. Quand il n'y en a plus, il y en a encore. Au commencement, ça vous faisait quelque chose, on avait le son du canon continuellement dans l'oreille et la nuit, le moindre bruit nous faisait redouter leurs gros pruneaux... Mais on s'est vite habitué... Maintenant on n'a plus d'émotion. Quand il passe un de leurs projectiles, ont entend un « Oû-Oû ».
Ça, c'est pas pour nous, qu'on se dit. Puis, lorsque de l'autre côté vient vers nous un « zi.zi » : - Ça, c'est pour eux. Et l'on rit.

« Quelquefois, lorsque l'on est à découvert, un « Attention ! » bref nous fait nous jeter à plat ventre. Un « boum » formidable éclate à 10 mètres. On se relève, on se secoue un peu : « T'as pas de mal ? - Non ! - Ni moi non plus ! » Et l'on rit encore... Puis en avant !.

C'est la charge à la baïonnette qui est horrible. lorsqu'on y réfléchit après coup. Après être arrivé à peu de distance de leurs tranchées, on se rue baïonnette en avant. Les Allemands prennent peur, jettent leur fourniment et se sauvent. Ils vont si vite qu'on ne peut pas toujours les piquer dans les reins, ils poussent des cris terribles, comme des bêtes féroces. Ceux qui sont surpris se mettent à genoux et lèvent les bras en criant : « Franzosen ! Franzosen ! »...

On est comme fou et la mort vous prend dans un drôle de transport. Ils n'aiment pas ces charges, les Boches. Eux-mêmes sont piteux dans leurs contre-attaques à la baïonnette, quand ils en font, il y vont sans entrain, il leur faut de la musique guerrière pour les pousser... A nous, il ne faut rien.

Et nos canons, ils font de l'ouvrage paraît-il ?
Ah ! monsieur, si vous voyiez comment nos « 75 » travaillent, c'est merveilleux ! Tenez, voici un fait précis.
Ma compagnie s'était retranchée dans un bois, une femme nous trahit : 3 bataillons Allemands viennent nous cerner... Nous en abattons, car nous les voyons très bien. Eux ne peuvent régler leur tir puisque nous sommes sous couvert.
Alors notre poste de T.S.F. transmet notre situation. Nous sommes perdus Le régiment vient nous délivrer. Les Allemands s'enfuient vers le col de X. très étroit... Toute la nuit nous avons passer l'arme au pied, le « 75 » tonne. On en reconnaît le son joyeux. « Y a du bon ! », se dit-on.

Le lendemain, lorsque nous sommes descendus en tirailleurs, il n'y a plus D'Allemands, du moins vivants... Mais des morts, il y en a des tas allant aux genoux... On a dû les déplacer pour retraverser le col... On l'a échappé belle, mais on est content tout de même car nous sommes la cause d'un beau travail.

Est-il vrai que nos obus leur font tant de mal dans leurs tranchées ?

Ce qui a été dit ou écrit là-dessus est vrai. Nous en avons tant vu que notre capitaine nous fait compter le nombre des Boches abattus dans une tranchée. Il y en avait 87... La plupart sont légèrement inclinés sur le côté droit, ils sont été surpris en train de tirer.

Combien pensez-vous qu'il y a, proportionnellement, de morts des deux côtés?

A mon avis, sur 100 tués, il y a environ 90 Allemands. Ils voulaient absolument forcer nos lignes des Vosges.
Leurs chefs ne tiennent aucun compte de la boucherie. Voilà pourquoi ils en perdent tant. Mais ils n'ont pas pu passer, les cols sont encombrés de leurs cadavres. »
Je quitte mon brave soldat, qui part « pour une destination inconnue ». J'ai pensé que sa conversation, si intéressante pour moi, serait utile à nos lecteurs pour leur confirmer une fois de plus la valeur morale de nos troupes et l'efficacité de notre fameux 75 qui, au dire d'un officier Allemand ayant été en traitement à l'hôpital de Remiremont, « devrait être interdit par la Conférence de la Haye. »
II)
De Metz à Nancy par l'Allemagne, le Danemark, et l'Angleterre :
Un départ précipité.
Première déception.
Les effroyables nuits.
Nos angoisses.
Sous la menace du revolver.
Chanter et déchanter.
Un consul énergique.
La Hollande accueillante et/enthousiaste.
En Angleterre, Vive la France !
Un Lorrain de nos amis. vient de subir avec quelques-uns de nos compatriotes, les mauvais traitements Allemands.
Nous publions son récit détaillé, précis et émouvant qui est comme une page d'histoire à laquelle nous nous garderons d'ajouter le moindre commentaire :

Bruits de guerre et Avis :
Habitant, depuis plusieurs années, de la Lorraine annexée, où je possède quelques propriétés, mes occupations, mon jardin, ma basse-cour, et pêcheur à la ligne (ma propriété étant traversée par la Nied) de tout temps je suis resté en très bonnes relations avec les autorités Allemandes.

Les bruits de guerre arrivent :
Étant Français, je m'informe si je dois quitter le pays. On me répond que n'étant pas considéré comme suspect, je peux rester.
Je ferai remarquer que nous ignorons tout de la guerre, même si réellement elle est déclarée. Nous logeons des soldats Allemands et des officiers, mais ils ne disent rien, quoique beaucoup d'entre eux parlent très bien le Français.

Le 15 août dans la soirée, arrive une dépêche qui dit :
Avis
« Tous les Français, Russes, Anglais, Belges, Serbes, Monténégrins domiciliés dans l'arrondissement de Metz et dans les cantons de Boulay et de Faulquemont, ont à quitter le rayon de la forteresse de Metz et ses environs. Pour cela, il sera mis à leur disposition le train qui quitte, le 17 août, à 15h00 la grande gare de Metz allant dans la direction de Novéant.
Les intéressés devront se réunir dans le vestibule de l'entrée de la gare, une heure avant le départ du train.
Celui qui sera rencontré après le départ de ce train dans le rayon de la forteresse, sera traité en prisonnier de guerre.
« Il est recommandé aux passagers du train d'agiter des mouchoirs blancs à l'approche des lignes Françaises, afin de se faire reconnaître comme non combattants.
Les personnes malades et infirmes, qui sont approvisionnées pour 6 mois, sont autorisées à rester ici.
« Metz, le 13 août 1914.
« Le chef de la police militaire :
Général major FREIHERR v. BODENHAUSEN.»

Nous faisons nos préparatifs de départ. Je ferme une partie de ma maison, où je mets ce que j'ai de plus précieux : meubles, effets, etc. J'ai ordre de laisser 3 chambres pour loger des officiers, avec linge de literie, etc., et je mets le tout sous la garde de quelqu'un.

Le Départ :
Nous partons, le 17 au matin, avec le plus nécessaire pour quelques jours. Pas de malle, le chemin de fer n'en prenant pas, seulement quelques colis à la main puisque nous allons à Nancy. On fait ses adieux, le cœur gros.

A 9h00, nous prenons le train pour Metz. Il y a foule à la gare de Kurzel. Arrivée à Metz vers midi : la foule grossit.
A 14h00 nous sommes réunis dans la grande salle de la gare. Puis un ordre bref, nous montons sur le quai, on nous fait aligner devant un train formé de wagons à bestiau :
Nous montons et nous nous entassons... On est plus gai puisque nous allons à Novéant... Ce n'est pas loin.
Aussitôt que nous sommes dans le train, les soldats arrivent baïonnette au canon et montent dans chaque wagon.

Le train part... mais dans la direction de Thionville... La gaîté tombe... Nous avons compris... Le train roule sur Trèves et nous perdons tout espoir... Nous sommes prisonniers.

La nuit est horrible. Il y a de tout parmi nous, des gens très bien, des propriétaires, des familles en vacances, des Parisiens venus dans leur famille, de pauvres diables venus de partout, des enfants de tous les âges, même de quelques jours.

Nous avons surtout avancé dans la Nord ainsi que dans la région de Saint-Mihiel...

III)
Paris, 17 octobre, 15h30
Calme relatif sur la majeure partie du front. A notre gauche, pas de modifications.

Dans la région d'Ypres, sur la rive droite de la Lys, les alliés ont occupé Fleurbaix et les abords immédiats d'Armentières.
Dans la région d'Arras et dans celle de Saint-Mihiel, nous avons continué à gagner quelque terrain.
Les troupes allemandes qui occupent la Belgique Occidentale, n'ont pas dépassé la ligne Ostende – Thourout – Roulers - Menin.

Paris, 18 octobre, 0h52.
Le communiqué officiel du 17 octobre, 23h00, dit :
Sur le front il y a eu une simple canonnade.
A l'aile gauche, nos progrès continuent. Les troupes Britanniques ont pris Fromelles, au sud-ouest de Lille.
Sur le canal, de Ypres à la mer, les fusiliers marins Français ont repoussé une attaque Allemande.
Les forces Franco-Anglo-Belges, pour déjouer le mouvement d'enveloppement que von Kluck a esquissé dans le nord de la France et à la frontière Belge, du côté de Dunkerque et de Furnes, ont occupé tout le territoire compris entre Ypres et la mer.
Plus bas, refoulant l'ennemi avec vigueur, nous avons occupé Laventie, à l'est d'Estaires (région de la Lys), dans la direction de Lille.
Enfin, les attaques des Allemands sur les Hauts-de-Meuse ont été une fois de plus brisées. Leur échec a été surtout significatif à Malancourt.

Les Russes ont infligé une première défaite aux troupes Allemandes, d'ailleurs très nombreuses qui se sont avancées sur la Vistule, vers Varsovie et Ivangorod.

Quant au bombardement de Przemysl, il n'a pas cessé un seul instant, en dépit des nouvelles fausses que les T. S. F. Marconi lancent chaque soir des stations Allemandes.

Les Serbo-Monténégrins annoncent qu'ils ont mis en déroute 150.000 Autrichiens aux approches de Sarajevo.

Le croiseur Anglais Hawke, de 7.300 tonnes et de 420 hommes d'équipage (une unité lancée en 1889) a été coulé par le sous-marin allemand 49, dans la mer du Nord.
M. di San Giuliano, ministre des Affaires étrangères d'Italie, est mort des suites de la crise cardiaque qui l' a atteint depuis plusieurs jours. M.Salandra, président du Conseil, a gardé l'intérim de ce ministère qu'il a déjà pris depuis plusieurs jours. On parle d'un remaniement dans le cabinet Italien.

Le Goeben et le Breslau, les croiseurs Allemands qui se sont réfugiés à Constantinople au début des hostilités, ont réellement pénétré dans la mer Noire. La flotte Russe s'est portée à leur rencontre. Il est possible que de ce côté des événements se produisent à bref délai.

Le nombre des réfugiés Belges en Angleterre est de plus en plus considérable. Il ne serait pas inférieur à 200.000.

M. de Jagow, ministre des Affaires étrangères d'Allemagne, a donné une interview au Giornale d'Italia. Il essaie de faire peser sur la Russie les responsabilités de la guerre. Mais la presse Italienne réfute ces arguments avec vigueur.

Selon le journaliste du journal « Le Temps », la manœuvre enveloppante des Allemands sur l’extrême gauche du front allié est définitivement déjouée par le développement jusqu'à la mer du Nord de notre ligne, qui s'y appuie sur les canons de la flotte Anglaise. De même la tentative de capture de l'armée Belge sortie d'Anvers par les forces Allemandes a échoué. Ces opérations sont très différentes de la guerre de fortifications qui se poursuit sur les fronts accidentés de l'Aisne et de l'Oise, de la Marne et de la Meuse.

Sur tout le front de l'Aisne à la Meuse, les deux armées sont solidement retranchées ce qui explique l’échec de l'attaque Allemande dans la région de Malancourt, au nord-ouest de Verdun.

À l’extrême droite du front Français, des attaques Allemandes, dans les cols des Vosges, sont repoussées.

En Belgique, les troupes Allemandes occupent Ostende. La ville a été complètement évacuée par les troupes Belges depuis le 15 et la plus grande partie de la population civile l'a abandonnée.

Les combats qui ont lieu dans les régions d'Ypres et de Courtrai, selon un correspondant du « Daily telegraph », démontrent que, les forces Allemandes en Belgique essayent d'opérer leur jonction avec l'armée Allemande principale.
Une dépêche d'Amsterdam, du 17 octobre, annonce que 8 000 soldats Autrichiens, qui ont participé au siège d'Anvers, sont arrivés à Aix-la-Chapelle.
Selon le « Nieuwe Rotterdamsche », ils sont envoyés à Cracovie.

Une dépêche de Rome affirme, que dans la campagne Austro-Serbe, les Serbes et les Monténégrins ont anéanti un bataillon Autrichien dans un défilé des monts Romania, près de Sarajevo. Les autres troupes Autrichiennes s'enfuient, abandonnant toute leur artillerie.

L'amirauté Britannique annonce que le croiseur Undaunted, accompagné des 4 destroyers Lance, Lennox, Legion et Loyal, attaquent 4 contre-torpilleurs Allemands, dans les parages de la côte Hollandaise, et les coulent tous les 4.

Les troupes alliées avancent dans la direction de Lille en occupant Laventie, à l'est d'Estaires. Les troupes Britanniques s’emparent de Fromelles. Au sixième jour de la bataille d’Armentières, la ville est reprise par les forces alliées. Les Alliés s’emparent de Fleurbaix et La Bassée, les Britanniques ont donc repoussé la VIe armée Allemande et franchi la Lys, mais ils doivent s’arrêter face aux lignes de défense mises en place par les Allemands.

IV)
La bataille de l'Yser : Dixmude
Les maisons commencent à s'écrouler dans les flammes. La ville est évacuée par ses habitants... Nos fusiliers marins, une poignée de gardes les fantassins du colonel Meiser vont rivaliser de vaillance et de ténacité pour empêcher l'envahisseur de rompre la ligne.

A 300 mètres des Allemands, les marins s'installent dans des tranchées profondes de 1.7m et soigneusement recouvertes avec des mottes de terre glaise... En ce terrible « mouillage » où leur amiral les a « amarrés », ils vont continuer d'observer stoïquement la rigide discipline du bord. Si leur âme est prête au sacrifice, rien n'échappe à leur œil habitué à sonder les vastes horizons, et ils commencent à faire abattre, à l'aide des petits canons Belges, les moulins voisins dont chaque mouvement d'ailes apporte un signal à l'ennemi.
Dans les premiers jours, une visite vient encore exciter leur courage : celle d'un officier en tunique noire sans galons, très grand et très pâle : Le roi Albert 1er par la pression émue des rudes mains qu'il serre, il comprend de suite que ce suprême coin de son royaume sera défendu avec une magnifique opiniâtreté.

Ypres Soldat Neville Bowers/

« Ça devrait se calmer un peu. » Neville ouvre un œil en entendant la voix de Robinson, et soupire longuement en braquant son regard courroucé vers son camarade. Ce dernier n’y prête guère attention.
Assis sur une caisse de munitions installée devant les portes ouvertes de la cathédrale d’Ypres, il est occupé à admirer les rayons du soleil qui traversent la rosace étincelante pour éclater en mille couleurs à l’intérieur de l’édifice religieux.
À la vue de ce phénomène qui transforme chaque dalle et colonne en immense mosaïque lumineuse, Neville pardonne presque à Robinson de l’avoir réveillé. Il se redresse péniblement au milieu des soldats qui font la sieste après avoir marché toute la nuit. Ils profitent du calme des alentours de la cathédrale pour prendre un peu de repos. Neville bâille puis prend une gorgée d’eau de sa gourde pour rafraîchir sa bouche pâteuse.

« Robinson, tu parles encore tout seul, dit Neville tout bas pour ne pas réveiller les autres.
— Ah, tu es réveillé ? s’étonne le soldat en se tournant vers Neville.
— Forcément, tu penses tout haut, je t’ai dit, répète-t-il avec agacement. Je rêvais que j’étais dans un restaurant de Londres, avec tous les plats que je voulais, des boissons à n’en plus finir, et des serveurs qui ravitaillaient ma table comme si leur vie en dépendait…
Et à cause de toi, je me réveille les fesses sur des vieilles pierres en Belgique avec à peine de quoi manger ! »
Robinson hausse les épaules et regarde à nouveau à l’intérieur de la cathédrale, où l’on aperçoit des militaires Britanniques déambuler, les yeux levés vers les détails de l’architecture. Le mitrailleur désigne du doigt un lieutenant replet qui contemple les vitraux en se roulant une cigarette.

« Tu vois ce type, là-bas ? C’est un officier de liaison.
— Et ? »
Neville regarde à peine le lieutenant, plus intéressé par le visage de ses camarades assoupis autour de lui. Il se demande si eux aussi rêvent de restaurants Londoniens. Robinson poursuit.
« Il n’avait plus de tabac, alors comme j’étais réveillé pour aller pisser, il est venu m’en demander.
— Quelle histoire passionnante. Allez, je me rendors. »
D’une main, Neville tape sur son sac comme sur un gros oreiller, puis y repose sa tête en fermant les yeux. Avec un peu de chance, il pourra reprendre son gargantuesque repas onirique. Il croit déjà sentir un fumet délicieux s’échapper des cuisines Londoniennes lorsque la voix de Robinson le tire à nouveau de son demi-sommeil.

« Il m’a dit que les Allemands ne pouvaient plus essayer de nous prendre de flanc. Alors je me disais que ça devrait se calmer un peu. »
Neville redresse la tête et lâche rageusement :
« Robinson, ta gueule, on veut dormir ! »
Des « Ouais, ta gueule Robinson ! », « Tu fais chier, Robinson » et autres C’est pas bientôt fini ? » viennent soutenir Neville : les soldats autour de lui, sans même ouvrir les yeux, essaient de faire taire de leurs injures le mitrailleur bavard. Ce dernier se lève et commence à brailler :

« Ah, bravo ! Je vous rapporte des informations capitales et vous, vous me remerciez comme ça, tas de pouilleux !
— Ta gueule, Robinson ! répète un Anglais.
— Et pourquoi les Allemands ne pourraient plus nous prendre de flanc ? »
Robinson attend visiblement la question : Neville reconnaît le sourire plein de fierté qui naît sur les lèvres de son camarade...

Robinson reste un instant silencieux, puis explique ce qu’il sait sur le ton de la confidence :
« Ah, mais, mes petits gars, c’est tout simplement parce qu’à force d’essayer de nous contourner, et nous d’essayer de les contourner, les Allemands ont tiré le front jusqu’à la mer du Nord, comme nous ! Nos armées y sont arrivées cette semaine ! C’est ce que l’officier de liaison a dit ! On est donc face à face ! Vous comprenez ce que ça veut dire ?
— Mais quel rapport avec le fait que ça se calme ? demande Neville en essayant de ne pas montrer combien le sourire de Robinson l’énerve.
— Si on est face à face, finis, les grands plans et les grandes stratégies ! Plus besoin de nous faire courir des semaines entières pour arriver les premiers dans je ne sais quel trou paumé ! Et puis avec tout ça, ça va vite s’ennuyer à l’état-major.

On est plus au Moyen Âge, on va pas tous se mettre en ligne et se foncer dessus. Du coup, ils vont commencer à réfléchir à une solution diplomatique. Alors ouais, ça devrait se calmer un peu, faites-moi confiance. D’ici quelques semaines, on est à la maison. »
La simple évocation d’un retour prochain au foyer suffit à faire ouvrir les yeux à tous ceux qui cherchent encore le sommeil, et rapidement, la section Anglaise qui est assoupie près de la cathédrale d’Ypres se transforme en véritable cercle de débat... Chacun se prend à parier sur la date d’un prochain retour. Neville ne dit rien, et finalement, tente :
« Ou alors, les Allemands vont essayer de nous passer droit dessus. »
Robinson éclate d’un petit rire méprisant et, agitant son doigt comme un professeur corrige un élève, il conclut :
« Bien sûr que non ! Avec nous à l’ouest et les Russes à l’est, ils devraient nous laisser tranquilles. »
Il se laisse alors tomber, et ferme les yeux en posant sa tête contre le bord de la caisse qui lui a servi de siège. Et sous le regard médusé de ses camarades, Robinson lance :
« Maintenant, vos gueules ! Votre ami Robinson aimerait dormir sur ces bonnes nouvelles. »
Sa dernière phrase tombe dans son soupir de dormeur :
« Profitez du calme d’Ypres ! »

V)
0h30
Le train stoppe à Sorcy. On entend le canon. On voit des trous d’obus tout frais le long de la voie. Ça y est, nous voilà de nouveau dans la guerre.

2h30
Nous sommes encore à Sorcy. Nous faisons les cent pas devant le long train où les hommes dorment entassés à 45 par wagon.

2h45 Commercy
Arrivée à Commercy. Il pleut. Il fait froid. On m’indique une adresse où une chambre m’a été retenue. J’y cours. Je frappe à la porte. Un homme en bonnet de coton apparaît à une fenêtre et me dit qu’il n’a pas de chambre, qu’il est commis dans la maison et que toutes les pièces sont fermées à clef. Je lui demande l’adresse de son patron. Un territorial me guide rue des Capucins, devant une belle maison : Je sonne. Cette fois-ci c’est un gentleman en pyjama qui m’apparaît à la fenêtre. Tout de suite il me prie d’accepter une chambre chez lui, m’offre des gâteaux secs, du cordial Marie-Brizard, on bassine mon lit.
4h00 Je me couche.
7h00 Je me lève. Commercy a de larges places, des marchands de madeleines et un château. Commercy a également des magasins bien achalandés : Un électricien a vendu depuis avant-hier 500 lampes électriques de poche à 5francs l’une… La guerre ne ruine pas tout le monde…

Le canon tonne vers Sampigny.
Sampigny, c’est la petite patrie de notre grand Poincaré. Ai-je besoin de dire que si, à Charmes, Barrès était roi, à Commercy Poincaré est dieu ?

Midi
Après un bon déjeuner à l’hôtel de la Cloche (un peu trop de madeleines au dessert, tout de même) ordre de départ pour le front. Nous devons cantonner à Ménil-aux-Bois, à 18 kilomètres d’ici.

19h00
Ménil-aux-bois Nous avons marché 7 heures dans les bois. Les bois sont merveilleux, tout dorés par l’automne, mais la marche est bien pénible. En pleine nuit, descendre et gravir des chemins étroits, ravinés, caillouteux, sous une petite pluie fine, qui devient bien vite une grosse pluie, entendre durant cette marche le canon tout proche, l’éclatement d’obus qui semblent par moment arriver vers nous, la fusillade intense de l’infanterie qui crépite dans la direction de Lérouville… et arriver dans un petit village boueux, pauvre, envahi d’émigrés de Sampigny… ce n’est pas une partie de plaisir...

Les voitures n’ont pu nous suivre. A 8h nous n’avons rien à manger. Dans la maison abandonnée où nous pénétrons, le commandant, les officiers et moi, il reste quelques oignons et 2 bocaux de cornichons. Je m’attable aussitôt devant un cornichon étalé sur du pain, pendant que le commandant juché sur un buffet fouille le petit garde-manger dans l’espoir d’y découvrir du lard, espoir d’ailleurs vite déçu... La pièce que nous occupons est éclairée par un petit vasistas recouvrant l’ouverture d’une énorme cheminée qui tient lieu de plafond. C’est un système que nous retrouvons dans plusieurs maisons du pays.
Dans ce misérable village, il y a une maison assez confortable. Elle est abandonnée. Le capitaine Lefolcalvez qui est un habile crocheteur de portes a pu s’y introduire et m’y offre une chambre avec un lit. Sur 15 officiers nous sommes 5 à être couchés. Les autres passeront la nuit sur la paille. On chauffe son lit à l’aide d’une bassinoire remplie de braises.

VI)
Insolite : Mort du père d’Albert Camus
Blessé lors de la bataille de la Marne le père d’Albert Camus, d’origine Alsacienne, mobilisé en septembre 1914, blessé pendant la bataille de la Marne meurt à Saint-Brieuc le 17 octobre 1914...

VII)
Ravitaillement. C’est tout simplement honteux.
Avant-hier, on a touché un quart de boule complètement moisie par homme, de riz ou de haricots, quand par hasard on en reçoit, il y en a 7 ou 8 cuillerées au plus.
Il y a quelques jours, nous sommes partis travailler pour le génie avec une demi-sardine par tête. 2 ou 3 fois des patates.

VIII)
Un décret crée à Paris, l’Office des produits chimiques et pharmaceutiques qui reçoit comme mission de fabriquer des médicaments au bénéfice de la population civile.

Le procès des auteurs présumés de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand et de l’archiduchesse Sophie se poursuit à Sarajevo... Les détenus admettent être des socialistes et des « bon Slaves ».

En hommage aux Nations alliées qui sont en guerre, le conseil municipal de Montréal au Canada donne à plusieurs de ses artères urbaines le nom de dirigeants politiques et de généraux Français et Belges. Les marins de la Royal Navy réalise un coup de maître et attaquent 4 torpilleurs mouilleurs de mines dans l’embouchure de la Tamise. Les 4 navires sont envoyés par le fond alors que le sous-marin Allemand U 17 torpille le vapeur anglais « Gildra ». A l’Est, les Allemands échouent dans leur conquête de Varsovie alors que les Austro-Hongrois ne parviennent pas à franchir le San.

IX)
Avant le jour, je pars à la recherche de mes territoriaux. Ils sont couchés sur la route de Foncquevillers, un peu hébétés, mais on leur a dit de rester là, et ils y ont passé la nuit. Ils n’ont jamais vu le feu, demandent si l’ennemi est loin et n’ont pas un seul gradé avec eux... Ce sont 120 grands enfants dociles et complaisants, mais qui mettent des heures à se rassembler et à former les faisceaux.
Je les conduis d’abord dans Hannescamps, mais comme il est très marmité pour l’instant et qu’ils courent partout, je prévois qu’ils vont s’y faire massacrer. Le commandant me dit d’aller avec eux à Bienvillers toucher les vivres du bataillon, me mettre en cuisine et voir à porter à la nuit quelque chose aux malheureuses compagnies qui n’ont rien eu à manger depuis 2 jours... Je pars avec le détachement, et, au lieu de marcher en file indienne à 100 pas environ d’intervalle sur la route de Bienvillers qui est vue de l’ennemi aux premiers obus, ils se massent les uns sur les autres et attirent à la route un arrosage en règle, ce qui nous vaut les imprécations d’artilleurs qui sont à côté. Enfin, je les amène à Bienvillers sans casse.

Des dragons gardent le village et ne peuvent me renseigner sur l’endroit où l’on a déposé nos vivres depuis 2 jours, comme le commandant me l’a fait espérer. Après une après-midi de tâtonnements, je découvre les vivres avec l’équipe des mitrailleurs dans la dernière maison du village sur la route de Souastre. Je réquisitionne, c’est-à-dire que je m’empare de « bagnoles » et j’emmène tout à Hannescamps où, dans une cave, je me mets en cuisine. On peut, à la nuit tombante, porter quelque chose aux compagnies.

Je trouve Castille et Cayre au tournant de la route de Monchy, terrés derrière un silo de betteraves, en face d’une oseraie où les Boches fusillent à bout portant. Je redescends à la cave de la maison blanche où est le commandant. Il me dit de me charger de la cuisine du bataillon avec les caporaux d’ordinaire et les territoriaux et surtout qu’il n’entende plus parler de distribution et de cuisiniers. Je repars toucher les vivres à Bienvillers, au carrefour de la route de Souastre. On se met en cuisine dans les maisons abandonnées de la rue haute de Bienvillers et, avant le jour, on porte des vivres chauds au bataillon. Jai été vraiment Maître Jacques pendant cette période : Liaison, chef de cuisine, commandant de détachement, j’ai goûté à tous les métiers qu’apprend la guerre.

La bataille des Flandres fin 1914, Dixmude, Ypres
chtimiste.com/batailles1418/course%20a%20la%20mer%20flandre.htm
Cette fin d'octobre 1914 va amener là le plus formidable duel de l'Histoire. Le marin .... Le 17 octobre, les maisons commencent à s'écrouler dans les flammes.
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17 octobre 1914 | À la vie, à la guerre
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Ypres. Soldat Neville Bowers. « Ça devrait se calmer un peu. » Neville ouvre un œil en entendant la voix de Robinson, et soupire longuement en braquant son ...
17 octobre 1914. Le train stoppe à Sorcy. On entend le ...
www.nrblog.fr/.../17/17-octobre-1914-le-train-stoppe-a-sorcy-on-entend...
Il y a 6 jours - 17 octobre 1914. 0h30- Le train stoppe à Sorcy. On entend le canon. On voit des trous d'obus tout frais le long de la voie. Ca y est, nous voilà ...








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