17
OCTOBRE 1914
I)
Et
l'on rit... Remiremont, 17 octobre. - Un groupe du régiment du
génie chemine sur la route qui conduit de Gérardmer à Vagney. Ce
qui me frappe tout d'abord, c'est la gaîté de tous ces braves
hommes et pourtant ils ont tous plus de 30 ans, sont pères de
famille et reviennent des Vosges où l'on s'est battu.
J' ai pu interroger un soldat qui me paraît assez grave :
J' ai pu interroger un soldat qui me paraît assez grave :
« Eh bien ! c'est dur là-haut ?
« - Un peu. Mais il y a du bon, on les a rejetés bien au delà de la frontière. Ils ont la vie dure, ces gens-là. Quand il n'y en a plus, il y en a encore. Au commencement, ça vous faisait quelque chose, on avait le son du canon continuellement dans l'oreille et la nuit, le moindre bruit nous faisait redouter leurs gros pruneaux... Mais on s'est vite habitué... Maintenant on n'a plus d'émotion. Quand il passe un de leurs projectiles, ont entend un « Oû-Oû ».
Ça,
c'est pas pour nous, qu'on se dit. Puis, lorsque de l'autre côté
vient vers nous un « zi.zi » : - Ça, c'est pour eux. Et l'on rit.
« Quelquefois, lorsque l'on est à découvert, un « Attention ! » bref nous fait nous jeter à plat ventre. Un « boum » formidable éclate à 10 mètres. On se relève, on se secoue un peu : « T'as pas de mal ? - Non ! - Ni moi non plus ! » Et l'on rit encore... Puis en avant !.
C'est
la charge à la baïonnette qui est horrible. lorsqu'on y réfléchit
après coup. Après être arrivé à peu de distance de leurs
tranchées, on se rue baïonnette en avant. Les Allemands prennent
peur, jettent leur fourniment et se sauvent. Ils vont si vite qu'on
ne peut pas toujours les piquer dans les reins, ils poussent des cris
terribles, comme des bêtes féroces. Ceux qui sont surpris se
mettent à genoux et lèvent les bras en criant : « Franzosen !
Franzosen ! »...
On
est comme fou et la mort vous prend dans un drôle de transport. Ils
n'aiment pas ces charges, les Boches. Eux-mêmes sont piteux dans
leurs contre-attaques à la baïonnette, quand ils en font, il y vont
sans entrain, il leur faut de la musique guerrière pour les
pousser... A nous, il ne faut rien.
Et
nos canons, ils font de l'ouvrage paraît-il ?
Ah
! monsieur, si vous voyiez comment nos « 75 » travaillent, c'est
merveilleux ! Tenez, voici un fait précis.
Ma
compagnie s'était retranchée dans un bois, une femme nous trahit :
3 bataillons Allemands viennent nous cerner... Nous en abattons, car
nous les voyons très bien. Eux ne peuvent régler leur tir puisque
nous sommes sous couvert.
Alors
notre poste de T.S.F. transmet notre situation. Nous sommes perdus Le
régiment vient nous délivrer. Les Allemands s'enfuient vers le col
de X. très étroit... Toute la nuit nous avons passer l'arme au
pied, le « 75 » tonne. On en reconnaît le son joyeux. « Y a du
bon ! », se dit-on.
Le
lendemain, lorsque nous sommes descendus en tirailleurs, il n'y a
plus D'Allemands, du moins vivants... Mais des morts, il y en a des
tas allant aux genoux... On a dû les déplacer pour retraverser le
col... On l'a échappé belle, mais on est content tout de même car
nous sommes la cause d'un beau travail.
Est-il
vrai que nos obus leur font tant de mal dans leurs tranchées ?
Ce
qui a été dit ou écrit là-dessus est vrai. Nous en avons tant vu
que notre capitaine nous fait compter le nombre des Boches abattus
dans une tranchée. Il y en avait 87... La plupart sont légèrement
inclinés sur le côté droit, ils sont été surpris en train de
tirer.
Combien
pensez-vous qu'il y a, proportionnellement, de morts des deux côtés?
A
mon avis, sur 100 tués, il y a environ 90 Allemands. Ils voulaient
absolument forcer nos lignes des Vosges.
Leurs
chefs ne tiennent aucun compte de la boucherie. Voilà pourquoi ils
en perdent tant. Mais ils n'ont pas pu passer, les cols sont
encombrés de leurs cadavres. »
Je quitte mon brave soldat, qui part « pour une destination inconnue ». J'ai pensé que sa conversation, si intéressante pour moi, serait utile à nos lecteurs pour leur confirmer une fois de plus la valeur morale de nos troupes et l'efficacité de notre fameux 75 qui, au dire d'un officier Allemand ayant été en traitement à l'hôpital de Remiremont, « devrait être interdit par la Conférence de la Haye. »
Je quitte mon brave soldat, qui part « pour une destination inconnue ». J'ai pensé que sa conversation, si intéressante pour moi, serait utile à nos lecteurs pour leur confirmer une fois de plus la valeur morale de nos troupes et l'efficacité de notre fameux 75 qui, au dire d'un officier Allemand ayant été en traitement à l'hôpital de Remiremont, « devrait être interdit par la Conférence de la Haye. »
II)
De
Metz à Nancy par l'Allemagne, le Danemark, et l'Angleterre :
Un départ précipité.
Un départ précipité.
Première
déception.
Les
effroyables nuits.
Nos
angoisses.
Sous
la menace du revolver.
Chanter
et déchanter.
Un
consul énergique.
La
Hollande accueillante et/enthousiaste.
En
Angleterre, Vive la France !
Un
Lorrain de nos amis. vient de subir avec quelques-uns de nos
compatriotes, les mauvais traitements Allemands.
Nous publions son récit détaillé, précis et émouvant qui est comme une page d'histoire à laquelle nous nous garderons d'ajouter le moindre commentaire :
Bruits de guerre et Avis :
Habitant, depuis plusieurs années, de la Lorraine annexée, où je possède quelques propriétés, mes occupations, mon jardin, ma basse-cour, et pêcheur à la ligne (ma propriété étant traversée par la Nied) de tout temps je suis resté en très bonnes relations avec les autorités Allemandes.
Nous publions son récit détaillé, précis et émouvant qui est comme une page d'histoire à laquelle nous nous garderons d'ajouter le moindre commentaire :
Bruits de guerre et Avis :
Habitant, depuis plusieurs années, de la Lorraine annexée, où je possède quelques propriétés, mes occupations, mon jardin, ma basse-cour, et pêcheur à la ligne (ma propriété étant traversée par la Nied) de tout temps je suis resté en très bonnes relations avec les autorités Allemandes.
Les bruits de guerre arrivent :
Étant
Français, je m'informe si je dois quitter le pays. On me répond que
n'étant pas considéré comme suspect, je peux rester.
Je ferai remarquer que nous ignorons tout de la guerre, même si réellement elle est déclarée. Nous logeons des soldats Allemands et des officiers, mais ils ne disent rien, quoique beaucoup d'entre eux parlent très bien le Français.
Je ferai remarquer que nous ignorons tout de la guerre, même si réellement elle est déclarée. Nous logeons des soldats Allemands et des officiers, mais ils ne disent rien, quoique beaucoup d'entre eux parlent très bien le Français.
Le
15 août dans la soirée, arrive une dépêche qui dit :
Avis
« Tous les Français, Russes, Anglais, Belges, Serbes, Monténégrins domiciliés dans l'arrondissement de Metz et dans les cantons de Boulay et de Faulquemont, ont à quitter le rayon de la forteresse de Metz et ses environs. Pour cela, il sera mis à leur disposition le train qui quitte, le 17 août, à 15h00 la grande gare de Metz allant dans la direction de Novéant.
Avis
« Tous les Français, Russes, Anglais, Belges, Serbes, Monténégrins domiciliés dans l'arrondissement de Metz et dans les cantons de Boulay et de Faulquemont, ont à quitter le rayon de la forteresse de Metz et ses environs. Pour cela, il sera mis à leur disposition le train qui quitte, le 17 août, à 15h00 la grande gare de Metz allant dans la direction de Novéant.
Les
intéressés devront se réunir dans le vestibule de l'entrée de la
gare, une heure avant le départ du train.
Celui
qui sera rencontré après le départ de ce train dans le rayon de la
forteresse, sera traité en prisonnier de guerre.
« Il est recommandé aux passagers du train d'agiter des mouchoirs blancs à l'approche des lignes Françaises, afin de se faire reconnaître comme non combattants.
Les personnes malades et infirmes, qui sont approvisionnées pour 6 mois, sont autorisées à rester ici.
« Metz, le 13 août 1914.
« Le chef de la police militaire :
Général major FREIHERR v. BODENHAUSEN.»
« Il est recommandé aux passagers du train d'agiter des mouchoirs blancs à l'approche des lignes Françaises, afin de se faire reconnaître comme non combattants.
Les personnes malades et infirmes, qui sont approvisionnées pour 6 mois, sont autorisées à rester ici.
« Metz, le 13 août 1914.
« Le chef de la police militaire :
Général major FREIHERR v. BODENHAUSEN.»
Nous faisons nos préparatifs de départ. Je ferme une partie de ma maison, où je mets ce que j'ai de plus précieux : meubles, effets, etc. J'ai ordre de laisser 3 chambres pour loger des officiers, avec linge de literie, etc., et je mets le tout sous la garde de quelqu'un.
Le Départ :
Nous partons, le 17 au matin, avec le plus nécessaire pour quelques jours. Pas de malle, le chemin de fer n'en prenant pas, seulement quelques colis à la main puisque nous allons à Nancy. On fait ses adieux, le cœur gros.
A 9h00, nous prenons le train pour Metz. Il y a foule à la gare de Kurzel. Arrivée à Metz vers midi : la foule grossit.
A
14h00 nous sommes réunis dans la grande salle de la gare. Puis un
ordre bref, nous montons sur le quai, on nous fait aligner devant un
train formé de wagons à bestiau :
Nous
montons et nous nous entassons... On est plus gai puisque nous allons
à Novéant... Ce n'est pas loin.
Aussitôt
que nous sommes dans le train, les soldats arrivent baïonnette au
canon et montent dans chaque wagon.
Le train part... mais dans la direction de Thionville... La gaîté tombe... Nous avons compris... Le train roule sur Trèves et nous perdons tout espoir... Nous sommes prisonniers.
La nuit est horrible. Il y a de tout parmi nous, des gens très bien, des propriétaires, des familles en vacances, des Parisiens venus dans leur famille, de pauvres diables venus de partout, des enfants de tous les âges, même de quelques jours.
Nous avons surtout avancé dans la Nord ainsi que dans la région de Saint-Mihiel...
III)
Paris,
17 octobre, 15h30
Calme relatif sur la majeure partie du front. A notre gauche, pas de modifications.
Calme relatif sur la majeure partie du front. A notre gauche, pas de modifications.
Dans la région d'Ypres, sur la rive droite de la Lys, les alliés ont occupé Fleurbaix et les abords immédiats d'Armentières.
Dans la région d'Arras et dans celle de Saint-Mihiel, nous avons continué à gagner quelque terrain.
Les troupes allemandes qui occupent la Belgique Occidentale, n'ont pas dépassé la ligne Ostende – Thourout – Roulers - Menin.
Paris, 18 octobre, 0h52.
Le communiqué officiel du 17 octobre, 23h00, dit :
Sur le front il y a eu une simple canonnade.
A l'aile gauche, nos progrès continuent. Les troupes Britanniques ont pris Fromelles, au sud-ouest de Lille.
Sur le canal, de Ypres à la mer, les fusiliers marins Français ont repoussé une attaque Allemande.
Les
forces Franco-Anglo-Belges, pour déjouer le mouvement
d'enveloppement que von Kluck a esquissé dans le nord de la France
et à la frontière Belge, du côté de Dunkerque et de Furnes, ont
occupé tout le territoire compris entre Ypres et la mer.
Plus bas, refoulant l'ennemi avec vigueur, nous avons occupé Laventie, à l'est d'Estaires (région de la Lys), dans la direction de Lille.
Enfin, les attaques des Allemands sur les Hauts-de-Meuse ont été une fois de plus brisées. Leur échec a été surtout significatif à Malancourt.
Plus bas, refoulant l'ennemi avec vigueur, nous avons occupé Laventie, à l'est d'Estaires (région de la Lys), dans la direction de Lille.
Enfin, les attaques des Allemands sur les Hauts-de-Meuse ont été une fois de plus brisées. Leur échec a été surtout significatif à Malancourt.
Les Russes ont infligé une première défaite aux troupes Allemandes, d'ailleurs très nombreuses qui se sont avancées sur la Vistule, vers Varsovie et Ivangorod.
Quant
au bombardement de Przemysl, il n'a pas cessé un seul instant, en
dépit des nouvelles fausses que les T. S. F. Marconi lancent chaque
soir des stations Allemandes.
Les Serbo-Monténégrins annoncent qu'ils ont mis en déroute 150.000 Autrichiens aux approches de Sarajevo.
Le croiseur Anglais Hawke, de 7.300 tonnes et de 420 hommes d'équipage (une unité lancée en 1889) a été coulé par le sous-marin allemand 49, dans la mer du Nord.
M.
di San Giuliano, ministre des Affaires étrangères d'Italie, est
mort des suites de la crise cardiaque qui l' a atteint depuis
plusieurs jours. M.Salandra, président du Conseil, a gardé
l'intérim de ce ministère qu'il a déjà pris depuis plusieurs
jours. On parle d'un remaniement dans le cabinet Italien.
Le Goeben et le Breslau, les croiseurs Allemands qui se sont réfugiés à Constantinople au début des hostilités, ont réellement pénétré dans la mer Noire. La flotte Russe s'est portée à leur rencontre. Il est possible que de ce côté des événements se produisent à bref délai.
Le nombre des réfugiés Belges en Angleterre est de plus en plus considérable. Il ne serait pas inférieur à 200.000.
M. de Jagow, ministre des Affaires étrangères d'Allemagne, a donné une interview au Giornale d'Italia. Il essaie de faire peser sur la Russie les responsabilités de la guerre. Mais la presse Italienne réfute ces arguments avec vigueur.
Selon
le journaliste du journal « Le Temps », la manœuvre
enveloppante des Allemands sur l’extrême gauche du front allié
est définitivement déjouée par le développement jusqu'à la mer
du Nord de notre ligne, qui s'y appuie sur les canons de la flotte
Anglaise. De même la tentative de capture de l'armée Belge sortie
d'Anvers par les forces Allemandes a échoué. Ces opérations sont
très différentes de la guerre de fortifications qui se poursuit sur
les fronts accidentés de l'Aisne et de l'Oise, de la Marne et de la
Meuse.
Sur
tout le front de l'Aisne à la Meuse, les deux armées sont
solidement retranchées ce qui explique l’échec de l'attaque
Allemande dans la région de Malancourt, au nord-ouest de Verdun.
À
l’extrême droite du front Français, des attaques Allemandes, dans
les cols des Vosges, sont repoussées.
En
Belgique, les troupes Allemandes occupent Ostende. La ville a été
complètement évacuée par les troupes Belges depuis le 15 et la
plus grande partie de la population civile l'a abandonnée.
Les
combats qui ont lieu dans les régions d'Ypres et de Courtrai, selon
un correspondant du « Daily telegraph », démontrent que,
les forces Allemandes en Belgique essayent d'opérer leur jonction
avec l'armée Allemande principale.
Une
dépêche d'Amsterdam, du 17 octobre, annonce que 8 000 soldats
Autrichiens, qui ont participé au siège d'Anvers, sont arrivés à
Aix-la-Chapelle.
Selon
le « Nieuwe Rotterdamsche », ils sont envoyés à
Cracovie.
Une
dépêche de Rome affirme, que dans la campagne Austro-Serbe, les
Serbes et les Monténégrins ont anéanti un bataillon Autrichien
dans un défilé des monts Romania, près de Sarajevo. Les autres
troupes Autrichiennes s'enfuient, abandonnant toute leur artillerie.
L'amirauté
Britannique annonce que le croiseur Undaunted, accompagné des 4
destroyers Lance, Lennox, Legion et Loyal, attaquent 4
contre-torpilleurs Allemands, dans les parages de la côte
Hollandaise, et les coulent tous les 4.
Les
troupes alliées avancent dans la direction de Lille en occupant
Laventie, à l'est d'Estaires. Les troupes Britanniques s’emparent
de Fromelles. Au sixième jour de la bataille d’Armentières, la
ville est reprise par les forces alliées. Les Alliés s’emparent
de Fleurbaix et La Bassée, les Britanniques ont donc repoussé la
VIe armée Allemande et franchi la Lys, mais ils doivent s’arrêter
face aux lignes de défense mises en place par les Allemands.
IV)
La
bataille de l'Yser : Dixmude
Les
maisons commencent à s'écrouler dans les flammes. La ville est
évacuée par ses habitants... Nos fusiliers marins, une poignée de
gardes les fantassins du colonel Meiser vont rivaliser de vaillance
et de ténacité pour empêcher l'envahisseur de rompre la ligne.
A
300 mètres des Allemands, les marins s'installent dans des tranchées
profondes de 1.7m et soigneusement recouvertes avec des mottes de
terre glaise... En ce terrible « mouillage » où leur amiral les a
« amarrés », ils vont continuer d'observer stoïquement la rigide
discipline du bord. Si leur âme est prête au sacrifice, rien
n'échappe à leur œil habitué à sonder les vastes horizons, et
ils commencent à faire abattre, à l'aide des petits canons Belges,
les moulins voisins dont chaque mouvement d'ailes apporte un signal à
l'ennemi.
Dans
les premiers jours, une visite vient encore exciter leur courage :
celle d'un officier en tunique noire sans galons, très grand et très
pâle : Le roi Albert 1er par la pression émue des rudes mains qu'il
serre, il comprend de suite que ce suprême coin de son royaume sera
défendu avec une magnifique opiniâtreté.
Ypres
Soldat Neville Bowers/
« Ça
devrait se calmer un peu. » Neville ouvre un œil en entendant
la voix de Robinson, et soupire longuement en braquant son regard
courroucé vers son camarade. Ce dernier n’y prête guère
attention.
Assis
sur une caisse de munitions installée devant les portes ouvertes de
la cathédrale d’Ypres, il est occupé à admirer les rayons du
soleil qui traversent la rosace étincelante pour éclater en mille
couleurs à l’intérieur de l’édifice religieux.
À
la vue de ce phénomène qui transforme chaque dalle et colonne en
immense mosaïque lumineuse, Neville pardonne presque à Robinson de
l’avoir réveillé. Il se redresse péniblement au milieu des
soldats qui font la sieste après avoir marché toute la nuit. Ils
profitent du calme des alentours de la cathédrale pour prendre un
peu de repos. Neville bâille puis prend une gorgée d’eau de sa
gourde pour rafraîchir sa bouche pâteuse.
« Robinson,
tu parles encore tout seul, dit Neville tout bas pour ne pas
réveiller les autres.
— Ah, tu es réveillé ? s’étonne le soldat en se tournant vers Neville.
— Forcément, tu penses tout haut, je t’ai dit, répète-t-il avec agacement. Je rêvais que j’étais dans un restaurant de Londres, avec tous les plats que je voulais, des boissons à n’en plus finir, et des serveurs qui ravitaillaient ma table comme si leur vie en dépendait…
— Ah, tu es réveillé ? s’étonne le soldat en se tournant vers Neville.
— Forcément, tu penses tout haut, je t’ai dit, répète-t-il avec agacement. Je rêvais que j’étais dans un restaurant de Londres, avec tous les plats que je voulais, des boissons à n’en plus finir, et des serveurs qui ravitaillaient ma table comme si leur vie en dépendait…
Et
à cause de toi, je me réveille les fesses sur des vieilles pierres
en Belgique avec à peine de quoi manger ! »
Robinson
hausse les épaules et regarde à nouveau à l’intérieur de la
cathédrale, où l’on aperçoit des militaires Britanniques
déambuler, les yeux levés vers les détails de l’architecture. Le
mitrailleur désigne du doigt un lieutenant replet qui contemple les
vitraux en se roulant une cigarette.
« Tu
vois ce type, là-bas ? C’est un officier de liaison.
— Et ? »
— Et ? »
Neville
regarde à peine le lieutenant, plus intéressé par le visage de ses
camarades assoupis autour de lui. Il se demande si eux aussi rêvent
de restaurants Londoniens. Robinson poursuit.
« Il
n’avait plus de tabac, alors comme j’étais réveillé pour aller
pisser, il est venu m’en demander.
— Quelle histoire passionnante. Allez, je me rendors. »
— Quelle histoire passionnante. Allez, je me rendors. »
D’une
main, Neville tape sur son sac comme sur un gros oreiller, puis y
repose sa tête en fermant les yeux. Avec un peu de chance, il pourra
reprendre son gargantuesque repas onirique. Il croit déjà sentir un
fumet délicieux s’échapper des cuisines Londoniennes lorsque la
voix de Robinson le tire à nouveau de son demi-sommeil.
« Il
m’a dit que les Allemands ne pouvaient plus essayer de nous prendre
de flanc. Alors je me disais que ça devrait se calmer un peu. »
Neville
redresse la tête et lâche rageusement :
« Robinson, ta gueule, on veut dormir ! »
« Robinson, ta gueule, on veut dormir ! »
Des
« Ouais, ta gueule Robinson ! », « Tu fais
chier, Robinson » et autres C’est pas bientôt fini ? »
viennent soutenir Neville : les soldats autour de lui, sans même
ouvrir les yeux, essaient de faire taire de leurs injures le
mitrailleur bavard. Ce dernier se lève et commence à brailler :
« Ah,
bravo ! Je vous rapporte des informations capitales et vous,
vous me remerciez comme ça, tas de pouilleux !
— Ta gueule, Robinson ! répète un Anglais.
— Et pourquoi les Allemands ne pourraient plus nous prendre de flanc ? »
— Ta gueule, Robinson ! répète un Anglais.
— Et pourquoi les Allemands ne pourraient plus nous prendre de flanc ? »
Robinson
attend visiblement la question : Neville reconnaît le sourire
plein de fierté qui naît sur les lèvres de son camarade...
Robinson
reste un instant silencieux, puis explique ce qu’il sait sur le ton
de la confidence :
« Ah,
mais, mes petits gars, c’est tout simplement parce qu’à force
d’essayer de nous contourner, et nous d’essayer de les
contourner, les Allemands ont tiré le front jusqu’à la mer du
Nord, comme nous ! Nos armées y sont arrivées cette semaine !
C’est ce que l’officier de liaison a dit ! On est donc face
à face ! Vous comprenez ce que ça veut dire ?
— Mais quel rapport avec le fait que ça se calme ? demande Neville en essayant de ne pas montrer combien le sourire de Robinson l’énerve.
— Si on est face à face, finis, les grands plans et les grandes stratégies ! Plus besoin de nous faire courir des semaines entières pour arriver les premiers dans je ne sais quel trou paumé ! Et puis avec tout ça, ça va vite s’ennuyer à l’état-major.
— Mais quel rapport avec le fait que ça se calme ? demande Neville en essayant de ne pas montrer combien le sourire de Robinson l’énerve.
— Si on est face à face, finis, les grands plans et les grandes stratégies ! Plus besoin de nous faire courir des semaines entières pour arriver les premiers dans je ne sais quel trou paumé ! Et puis avec tout ça, ça va vite s’ennuyer à l’état-major.
On
est plus au Moyen Âge, on va pas tous se mettre en ligne et se
foncer dessus. Du coup, ils vont commencer à réfléchir à une
solution diplomatique. Alors ouais, ça devrait se calmer un peu,
faites-moi confiance. D’ici quelques semaines, on est à la
maison. »
La
simple évocation d’un retour prochain au foyer suffit à faire
ouvrir les yeux à tous ceux qui cherchent encore le sommeil, et
rapidement, la section Anglaise qui est assoupie près de la
cathédrale d’Ypres se transforme en véritable cercle de débat...
Chacun se prend à parier sur la date d’un prochain retour. Neville
ne dit rien, et finalement, tente :
« Ou
alors, les Allemands vont essayer de nous passer droit dessus. »
Robinson
éclate d’un petit rire méprisant et, agitant son doigt comme un
professeur corrige un élève, il conclut :
« Bien
sûr que non ! Avec nous à l’ouest et les Russes à l’est,
ils devraient nous laisser tranquilles. »
Il
se laisse alors tomber, et ferme les yeux en posant sa tête contre
le bord de la caisse qui lui a servi de siège. Et sous le regard
médusé de ses camarades, Robinson lance :
« Maintenant,
vos gueules ! Votre ami Robinson aimerait dormir sur ces bonnes
nouvelles. »
Sa
dernière phrase tombe dans son soupir de dormeur :
« Profitez
du calme d’Ypres ! »
V)
0h30
Le
train stoppe à Sorcy. On entend le canon. On voit des trous d’obus
tout frais le long de la voie. Ça y est, nous voilà de nouveau dans
la guerre.
2h30
Nous
sommes encore à Sorcy. Nous faisons les cent pas devant le long
train où les hommes dorment entassés à 45 par wagon.
2h45
Commercy
Arrivée
à Commercy. Il pleut. Il fait froid. On m’indique une adresse où
une chambre m’a été retenue. J’y cours. Je frappe à la porte.
Un homme en bonnet de coton apparaît à une fenêtre et me dit qu’il
n’a pas de chambre, qu’il est commis dans la maison et que toutes
les pièces sont fermées à clef. Je lui demande l’adresse de son
patron. Un territorial me guide rue des Capucins, devant une belle
maison : Je sonne. Cette fois-ci c’est un gentleman en pyjama
qui m’apparaît à la fenêtre. Tout de suite il me prie d’accepter
une chambre chez lui, m’offre des gâteaux secs, du cordial
Marie-Brizard, on bassine mon lit.
4h00
Je me couche.
7h00
Je me lève. Commercy a de larges places, des marchands de madeleines
et un château. Commercy a également des magasins bien achalandés :
Un électricien a vendu depuis avant-hier 500 lampes électriques de
poche à 5francs l’une… La guerre ne ruine pas tout le monde…
Le
canon tonne vers Sampigny.
Sampigny,
c’est la petite patrie de notre grand Poincaré. Ai-je besoin de
dire que si, à Charmes, Barrès était roi, à Commercy Poincaré
est dieu ?
Midi
Après
un bon déjeuner à l’hôtel de la Cloche (un peu trop de
madeleines au dessert, tout de même) ordre de départ pour le front.
Nous devons cantonner à Ménil-aux-Bois, à 18 kilomètres d’ici.
19h00
Ménil-aux-bois
Nous avons marché 7 heures dans les bois. Les bois sont merveilleux,
tout dorés par l’automne, mais la marche est bien pénible. En
pleine nuit, descendre et gravir des chemins étroits, ravinés,
caillouteux, sous une petite pluie fine, qui devient bien vite une
grosse pluie, entendre durant cette marche le canon tout proche,
l’éclatement d’obus qui semblent par moment arriver vers nous,
la fusillade intense de l’infanterie qui crépite dans la direction
de Lérouville… et arriver dans un petit village boueux, pauvre,
envahi d’émigrés de Sampigny… ce n’est pas une partie de
plaisir...
Les
voitures n’ont pu nous suivre. A 8h nous n’avons rien à manger.
Dans la maison abandonnée où nous pénétrons, le commandant, les
officiers et moi, il reste quelques oignons et 2 bocaux de
cornichons. Je m’attable aussitôt devant un cornichon étalé sur
du pain, pendant que le commandant juché sur un buffet fouille le
petit garde-manger dans l’espoir d’y découvrir du lard, espoir
d’ailleurs vite déçu... La pièce que nous occupons est éclairée
par un petit vasistas recouvrant l’ouverture d’une énorme
cheminée qui tient lieu de plafond. C’est un système que nous
retrouvons dans plusieurs maisons du pays.
Dans
ce misérable village, il y a une maison assez confortable. Elle est
abandonnée. Le capitaine Lefolcalvez qui est un habile crocheteur de
portes a pu s’y introduire et m’y offre une chambre avec un lit.
Sur 15 officiers nous sommes 5 à être couchés. Les autres
passeront la nuit sur la paille. On chauffe son lit à l’aide d’une
bassinoire remplie de braises.
VI)
Insolite
: Mort du père d’Albert Camus
Blessé
lors de la bataille de la Marne le père d’Albert Camus, d’origine
Alsacienne, mobilisé en septembre 1914, blessé pendant la bataille
de la Marne meurt à Saint-Brieuc le 17 octobre 1914...
VII)
Ravitaillement.
C’est tout simplement honteux.
Avant-hier, on a touché un quart de boule complètement moisie par homme, de riz ou de haricots, quand par hasard on en reçoit, il y en a 7 ou 8 cuillerées au plus.
Avant-hier, on a touché un quart de boule complètement moisie par homme, de riz ou de haricots, quand par hasard on en reçoit, il y en a 7 ou 8 cuillerées au plus.
Il
y a quelques jours, nous sommes partis travailler pour le génie avec
une demi-sardine par tête. 2 ou 3 fois des patates.
VIII)
Un
décret crée à Paris, l’Office des produits chimiques et
pharmaceutiques qui reçoit comme mission de fabriquer des
médicaments au bénéfice de la population civile.
Le
procès des auteurs présumés de l’assassinat de l’archiduc
François-Ferdinand et de l’archiduchesse Sophie se poursuit à
Sarajevo... Les détenus admettent être des socialistes et des « bon
Slaves ».
En hommage aux Nations alliées qui sont en guerre, le conseil municipal de Montréal au Canada donne à plusieurs de ses artères urbaines le nom de dirigeants politiques et de généraux Français et Belges. Les marins de la Royal Navy réalise un coup de maître et attaquent 4 torpilleurs mouilleurs de mines dans l’embouchure de la Tamise. Les 4 navires sont envoyés par le fond alors que le sous-marin Allemand U 17 torpille le vapeur anglais « Gildra ». A l’Est, les Allemands échouent dans leur conquête de Varsovie alors que les Austro-Hongrois ne parviennent pas à franchir le San.
IX)
Avant
le jour, je pars à la recherche de mes territoriaux. Ils sont
couchés sur la route de Foncquevillers, un peu hébétés, mais on
leur a dit de rester là, et ils y ont passé la nuit. Ils n’ont
jamais vu le feu, demandent si l’ennemi est loin et n’ont pas un
seul gradé avec eux... Ce sont 120 grands enfants dociles et
complaisants, mais qui mettent des heures à se rassembler et à
former les faisceaux.
Je
les conduis d’abord dans Hannescamps, mais comme il est très
marmité pour l’instant et qu’ils courent partout, je prévois
qu’ils vont s’y faire massacrer. Le commandant me dit d’aller
avec eux à Bienvillers toucher les vivres du bataillon, me
mettre en cuisine et voir à porter à la nuit quelque chose aux
malheureuses compagnies qui n’ont rien eu à manger depuis 2
jours... Je pars avec le détachement, et, au lieu de marcher en file
indienne à 100 pas environ d’intervalle sur la route de
Bienvillers qui est vue de l’ennemi aux premiers obus, ils se
massent les uns sur les autres et attirent à la route un arrosage en
règle, ce qui nous vaut les imprécations d’artilleurs qui sont à
côté. Enfin, je les amène à Bienvillers sans casse.
Des
dragons gardent le village et ne peuvent me renseigner sur
l’endroit où l’on a déposé nos vivres depuis 2 jours, comme le
commandant me l’a fait espérer. Après une après-midi de
tâtonnements, je découvre les vivres avec l’équipe des
mitrailleurs dans la dernière maison du village sur la route de
Souastre. Je réquisitionne, c’est-à-dire que je m’empare de
« bagnoles » et j’emmène tout à Hannescamps où, dans
une cave, je me mets en cuisine. On peut, à la nuit tombante, porter
quelque chose aux compagnies.
Je
trouve Castille et Cayre au tournant de la route de Monchy,
terrés derrière un silo de betteraves, en face d’une oseraie où
les Boches fusillent à bout portant. Je redescends à la cave de la
maison blanche où est le commandant. Il me dit de me charger de la
cuisine du bataillon avec les caporaux d’ordinaire et les
territoriaux et surtout qu’il n’entende plus parler de
distribution et de cuisiniers. Je repars toucher les vivres à
Bienvillers, au carrefour de la route de Souastre. On se met en
cuisine dans les maisons abandonnées de la rue haute de Bienvillers
et, avant le jour, on porte des vivres chauds au bataillon. Jai été
vraiment Maître Jacques pendant cette période : Liaison, chef
de cuisine, commandant de détachement, j’ai goûté à tous les
métiers qu’apprend la guerre.
La
bataille des Flandres fin 1914, Dixmude, Ypres
chtimiste.com/batailles1418/course%20a%20la%20mer%20flandre.htm
Cette
fin d'octobre 1914 va amener là le plus formidable duel de
l'Histoire. Le marin .... Le 17 octobre, les maisons commencent à
s'écrouler dans les flammes.
Vous
avez consulté cette page le 16/10/14.
17
octobre 1914 | À la vie, à la guerre
www.alaviealaguerre.fr/17-octobre-1914/
Ypres.
Soldat Neville Bowers. « Ça devrait se calmer un peu. » Neville
ouvre un œil en entendant la voix de Robinson, et soupire longuement
en braquant son ...
17
octobre 1914. Le train stoppe à Sorcy. On entend le ...
www.nrblog.fr/.../17/17-octobre-1914-le-train-stoppe-a-sorcy-on-entend...
Il
y a 6 jours - 17 octobre 1914. 0h30- Le train stoppe à Sorcy.
On entend le canon. On voit des trous d'obus tout frais le long de la
voie. Ca y est, nous voilà ...
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