dimanche 19 octobre 2014

LA GRANDE GUERRE AU JOUR LE JOUR 10 OCTOBRE 1914

10 OCTOBRE 1914


I)
La situation a peu changé sur le front jalonné par Lens, Arras, Bray-sur-Somme, Chaulnes, Roye et Lassigny. A Roye nos troupes ont fait 1 600 prisonniers.

Les Russes pressant l'armée Allemande qui résiste sur la frontière, l'ont ramenée du côté de Wirballen et se sont emparés de Lyck, en territoire Prussien.

Le bombardement d'Anvers a commencé après que le général de Guise, commandant de la place, ait fait une fière réponse au chef des assiégeants Allemands, le général von Besseler. Des obus sont tombés sur diverses parties de la ville. Le roi est parti pour la Flandre. Des milliers d'Anversois se sont réfugiés en Hollande.

Les Monténégrins ont pris Ipek dans l'Herzégovine.

Notre escadre de l'Adriatique a fait son apparition devant Raguse et Gravosa.

Les hangars des Zeppelins ont été bombardés à Cologne et à Dusseldorf par des aéroplanes Anglais.

Essad Pacha, qui a pris le gouvernement provisoire, et qui, dit-on, est patronné par l'Italie, a adopté une attitude extrêmement provocante vis-à-vis de l'Autriche... Il a décidé de marcher sur Scutari.

Burhaneddin Effendi, septième fils de l'ex-sultan Abdul Hamid, qui a été élu prince d'Albanie il y a quelques jours, par les notables musulmans, ne donne plus signe de vie.

Les journaux Italiens continuent à parler d'une occupation possible de Valona Pout le cas ou les choses empirent de ce côté.

Les colonies Anglaises continuent à marquer, comme d'ailleurs les nôtres, un admirable attachement à la métropole.

Les Canadiens déclarent maintenant qu'ils peuvent fournir jusqu'à 500.000 hommes pour la guerre Européenne si elle se prolonge. Ainsi tombent toutes les insinuations Allemandes qui parlaient de dissidences entre le cabinet de Londres et les diverses communautés Anglo-Saxonnes.

La presse de Rome se préoccupe grandement du conflit qui a surgi au ministère de la Guerre, entre le sous-secrétaire d’État démissionnaire Tassoni et l'état-major. Il est admis maintenant que le ministre de la Guerre, le général Grandi, démissionnera à son tour. II sera, selon toute apparence, remplacé par un des directeurs du ministère.

Les Japonais ont occupé la principale des îles Carolines (possession Allemande du Pacifique), mais ils ont fourni aux États-Unis des assurances à cet égard - pour ne pas porter ombrage au cabinet de Washington.
II)
Tous les jours, La Dépêche de Toulouse insère en tête de ses colonnes un article intitulé « La situation ».
On pourrait croire qu'il s'agit de la situation de nos armées, de l'effort gigantesque soutenu contre l'envahisseur... Pas du tout !
La situation qui intéresse La Dépêche, c'est celle des partis à l'intérieur.

Sur les bords de l'Aisne, de l'Oise, de la Somme, de la Scarpe, généraux, officiers, sous-officiers, soldats mènent une campagne héroïque contre l’Étranger.

La Dépêche elle aussi, mais sur les bords de la Garonne, elle mène une campagne acharnée contre la France catholique...
Une habile stratégie a choisi pour point d'appui du quartier général les paroles d'un petit curé de campagne, ou leur écho travesti, sous lequel il est facile de reconnaître une doctrine de réversibilité et d'expiation qui fait l'âme non seulement du catholicisme et du christianisme mais d'à peu près toutes les hautes philosophies du monde connu, moyennant quelques jeux de mots dont la qualité seule laisse à désirer,

La Dépêche pousse des attaques brillantes auprès desquelles les charges de notre infanterie dans la région de Roye ne seront que des feux de la Saint Jean s'il est permis de s'exprimer d'une façon aussi cléricale.
Les catholiques Français sont au front et tirent sur les Allemands... À l'arrière, La Dépêche n'est pas moins occupée :

De Toulouse, elle tire sur les catholiques Français.
Disons-le à notre confrère de Toulouse comme à la France de Bordeaux, leurs brillants faits d'armes ne sont guère supportés de ce côté-ci de la France. Ici, et je l'espère dans quelques autres bonnes villes de nos provinces du Nord, de l'Ouest, du Centre et du Midi, on a le sentiment de l'Étranger tout proche, et l'on aperçoit la situation d'une autre manière :
Il faut être bien éloigné ou bien distrait du théâtre de la guerre.
Il faut être par sa pensée ou par son corps un habitant des antipodes ou de la Lune pour se permettre une diversion aussi offensante pour la conscience de la Nation.
À Paris, la feuille qui se permettrait avec tant de clarté et de continuité ces passe-temps d'une autre époque succomberait sous le mépris universel.

III)
Le siège d'Anvers est un des épisodes de la Première Guerre Mondiale. Il oppose les troupes Belges aux troupes Allemandes autour d'Anvers dont l'agglomération et les installations portuaires sont défendues par 3 ceintures de défense composées de forts. Tout d'abord, les Belges lancent 3 attaques d'infanterie à partir du 28 août dans le but de tenir l'armée Allemande le plus possible à distance de la ville et du port.
Utilisant une importante artillerie, les Allemands parviennent en vue de la dernière enceinte fortifiée le 28 septembre et prennent la ville le 10 octobre 1914.

L'armée Allemande commence l'invasion de la Belgique dans la matinée du 4 août 1914, deux jours après la décision du gouvernement Belge d'interdire le passage des troupes Allemandes vers la France et alors que l'ambassadeur d'Allemagne à Bruxelles n'a pas encore signifié la déclaration de guerre.

L'armée Belge de campagne résiste en s'appuyant sur les forts de Liège. Mal préparés et dépassés numériquement par des troupes Allemandes entraînées de longue date dans la perspective précise de combattre dans cette zone de la Belgique en vertu du plan Schlieffen, les Belges parviennent cependant à ne pas se laisser encercler. Au bout de 15 jours, ils abandonnent Liège (16 août).
Tout en faisant retraite, ils agissent sur les flancs Allemands en accord avec le général Joffre et en application de la doctrine militaire classique dite de l'avant-garde générale.... Au nord du front, ils remportent une bataille de cavalerie gagnée sur les Uhlans à Haelen avec l'appui d'une infanterie équipée de mitrailleuses montées sur des charrettes tirées par des chiens.

Au sud du front Belge, la bataille se concentre autour de la place forte de Namur, ensuite, la place étant tombée le 24 août, l'état-major Belge regroupe son aile droite avec la gauche pour se positionner dans la place forte d'Anvers.

Les batailles d'arrêt menées sur les positions successives des forteresses de Liège, de Namur et d'Anvers contribuent à retenir 150 000 soldats Allemands et une forte artillerie lourde qui manquent lors de la tentative Allemande de battre les Français à la bataille de la Marne.

Forces Belges à Anvers, 1914.
Albert Ier, Roi des Belges ordonne, le 20 août, à ce qui reste de l'armée Belge après les batailles d'arrêt de Liège et l'éphémère victoire contre la cavalerie Allemande à Haelen, de battre en retraite vers la forteresse d'Anvers, dénomination officielle d'un réseau de fortifications et de positions défensives autour de la ville d'Anvers qui est considéré comme étant le « réduit national », imprenable... Ce réduit est composé de 2 lignes de fortifications autour de la ville, ces deux lignes étant composées de forts datant du XIXe siècle, en cours de modernisation en 1914 et des places fortes, éloignées de quelques kilomètres les unes des autres, permettant à l'armée de campagne de s'y retrancher dans le but de bénéficier des réserves de la place. Une troisième position, la plus ancienne, enserre la zone urbanisée. La stratégie Belge a été conçue pour défendre le port d'Anvers, vital pour le pays. Des restes des fortifications Anversoises peuvent encore être visités un siècle plus tard...

La plupart des forts et positions défensives autour d'Anvers manquent de puissance de feu. Pour cette raison, l'armée de campagne fait 3 « sorties » de la forteresse, dans le style des guerres du XIXe siècle. Cette tactique immobilise plus de 150 000 ennemis et a retardé l'assaut contre la ville...

Une innovation Belge : Des autos mitrailleuses construites sur la base de voitures civiles et montées par des volontaires infligent une succession de défaites locales à la cavalerie Allemande dans des combats isolés.

Dès le mois d'août, l'armée de campagne exécute 3 sorties jusqu'à 20 kilomètres au sud. Selon la doctrine militaire de l'époque, les sorties exécutées à partir d'une position fortifiée font partie intégrante du siège, étant destinées à tenir l'ennemi le plus éloigné possible du cœur de la position. Aussi, l'organisation de ces 3 attaques est-elle du ressort de l'état-major de la place qui dispose des réserves de l'armée entreposées de longue date à Anvers, l'état-major général de l'armée reprenant la main pour la direction des combats tout en se chargeant des quelques troupes positionnées au sud-est et à l'ouest d'Anvers dans le but de maintenir une liaison avec les alliés.
Les sorties de l'armée de campagne ont eu pour but de tenir l'armée Allemande aussi éloignée que possible de la dernière ceinture de forts, immédiatement proche de la ville. Les sorties sont considérées par les historiens militaires comme faisant partie du siège, les troupes Belges se retirant, après chaque sortie, derrière les lignes fortifiées où elles sont sous le commandement de l'état-major de la place et non plus de l'état-major de campagne.
Ce transfert d'autorité est de tradition depuis des siècles dans toutes les armées Européennes, lors du siège des places fortes... Mais, le 28 septembre, l'armée Allemande a récupéré sa capacité offensive entamée par les sorties Belges et elle commence le pilonnage des forts proprement dits.

Le 5 octobre, date cruciale, l'armée Allemande parvient à briser les défenses Belges dans la ville de Lierre, à 20 kilomètres au sud-est d'Anvers, et fait mouvement vers Termonde (sud d'Anvers) où elle essaie de traverser l'Escaut. Ce « mouvement en tenaille » de l'armée Allemande menace la route de retraite vers l'ouest qu'a l'armée Belge, seule possible dans l'éventualité où il faudrait abandonner Anvers, les routes au sud et à l'est ayant déjà été prises par les Allemands et la route au nord menant vers la frontière Belgo-Néerlandaise ayant été fermée depuis le début de la guerre, les Pays-Bas, restés neutres, n'offrant aucune assistance à la Belgique.

L'armée Belge finit par se retirer d'Anvers le 10 octobre avant d'être prise au piège, laissant la ville sous la protection des forts de la rive gauche... Les troupes Belges se dirigent à l'ouest, vers la côte, le 6 octobre, parvenant à mettre un terme à l'avance Allemande sur les rives de l'Yser.
À Anvers, les derniers militaires Belges, ceux laissés en arrière garde dans les forts de la rive gauche, détruisent leurs armes et leurs munitions pour empêcher les Allemands de les récupérer et tentent leur chance en se dirigeant, seuls ou par petits groupes, soit vers les Pays-Bas où ils deviennent prisonniers de guerre (au nom de la neutralité Néerlandaise), soit dans la direction de la mer où beaucoup parviennent à rallier l'armée Belge reformée en front continu le long de l'Yser avec les forces Anglaises et Françaises.

IV)
Le bourgmestre d'Anvers, Jan De Vos, offre la capitulation le 10 octobre au grand dépit du général Allemand des troupes de siège qui avait espéré recevoir une reddition en bonne et due forme d'un général Belge. La ville d'Anvers va rester occupée par les troupes Allemandes jusqu'en 1918...

Un tiers de ce qui reste de l'armée Belge, soit environ 40 000 soldats, en comptant les jeunes conscrits que l'on n'avait pas eu le temps de former, s'enfuient vers le nord, aux Pays-Bas, espérant échapper à la captivité en Allemagne... Mais les Pays-Bas les internent.
Des centaines de milliers de réfugiés civils qui ont suivi les militaires sont, eux aussi, internés dans des camps, le plus loin possible de la frontière Belge, les Pays-Bas craignant que la moindre complaisance envers les Belges entraîne des représailles Allemandes. Nombre de ces réfugiés décident de se fixer aux Pays-Bas après 1918.

V)
 Le mouvement offensif exécuté par les troupes disponibles du 10e Corps d'Armée, dans la soirée d'hier, a dû, en raison des violentes contre-attaques ennemis, et dans le but de se maintenir sur le front défensif précédemment fixé, être momentanément suspendu. Néanmoins, l'armée doit, aujourd'hui, continuer son effort en vue de rompre la droite l'ennemi. Le 10e C.A. contribue à cette action en fixant celui-ci sur son front. A cet effet, il est prescrit à la 20e Division d'Infanterie de se maintenir sur les positions réoccupées cette nuit et de s'y fortifier aussi solidement que possible.
La journée se passe en travaux de défense, sans incident notable.

VI) 
Pendant la période du 3 au 10 Octobre 1914, le régiment a fait les pertes suivantes :
Tués : 44 dont 1 officier.
Blessés : 531 dont 10 officiers .
Capitaines, Lieutenants, Sous-lieutenants.
Disparus : 484 dont 3 officiers.
Soit : 1 059 hommes hors de combat.

VII)
Dans les journaux nationaux, on ne signale que des actions de détail entre l'Oise et la Meuse. La lutte se poursuit avec violence seulement, selon eux, dans la région de Roye.

En Belgique, le bourgmestre d'Anvers, Jan De Vos, remet la capitulation de sa ville aux troupes Allemandes.

Dans la région de la Vistule, une colonne Allemande, concentrée à Olkusz, s'appuie sur l'aile droite Autrichienne s’avance sur la Vistule entre Ivangorod et Sandomir.

En Galicie, le siège de Przemysl continue avec une extrême violence, plusieurs nouveaux forts sont emportés. L'artillerie Russe réussit à faire sauter la poudrière.

L'arrivée des troupes Russes victorieuses provoque, dans le nord de la Hongrie, une panique terrible, un détachement Russe a fait son apparition au sud de Szixetb.

Une patrouille de cavalerie Allemande s’aventure sur la Grand-Place. Un détachement arrive en fin de journée et prend le maire et ses conseillers en otage, avant de s’enfuir, lorsqu’une partie des troupes Françaises qui a quitté Lille le 9 octobre, y revient au soir du 10.
Près de 50 000 soldats Allemands encerclent la ville, défendue par 2 800 soldats Français. La ville est bombardée...

Selon le journal, Le Temps, « au nord de Lens, les deux cavaleries adverses échangent des coups de sabre. »

Hazebrouck et Estaires sont capturées par les Anglais.

Les cavaliers Français se heurtent à l’infanterie Allemande à Neuve-Chapelle.
Des uhlans sont signalés à Richebourg-l’Avoué, les Français rejoints par des troupes Britanniques, leur font face et barrent la route de Béthune.

Ce jour, les cavaliers Français et les fantassins reculent de 10 km sous la poussée Allemande, sur une ligne qui va de Vermelles à Richebourg-l’Avoué.
Le journal Le réveil du Nord, ne paraît pas.

En temps de guerre, la débrouillardise et l’entre-aide sont de mise, voici une petite annonce parue dans le Journal de Roubaix : « Les personnes qui auraient des lettres ou des petits colis à faire parvenir à Paris ou à Tournai, peuvent s’adresser à M E. Delgrange, cabaretier à Roubaix. Les personnes de Tournai peuvent s’adresser à notre correspondant de cette ville pour les lettres à faire porter à Roubaix. »

VIII)
Dès la première heure, c’est un nouveau flux d’hommes qui monte dans la direction de Lille, des retardataires ou des éloignés, il se trouve parmi eux des habitants d’Halluin. Tout à coup, un mouvement en sens inverse se produit :

Un reflux d’une certaine quantité des partis d’hier rencontre les partants et les informe que toute tentative d’atteindre Lille est devenue inutile. Alors, c’est un méli-mélo de gens allant dans les 2 sens, une foule semblable à celle qui encombrait hier le boulevard de Paris, et que l’on comparait aux cohues des jours de l’Exposition 1911 à Barbieux.

Mon confrère Coliez se montre un peu inquiet sur le sort de son fils qui s’est mis en route hier, à peine convalescent d’une maladie. De son coté, Deregneaucourt a un gendre sans doute prisonnier à Maubeuge. En revenant de chez tante Aline où j’aurais voulu savoir quelque chose de Charles, mais dont j’ai trouvé la porte close, je rencontre André Renaux. Il est crotté jusqu’aux genoux et fulmine contre l’avis préfectoral qui a failli conduire tous ces pauvres mobilisables à une boucherie.

Arrivés ce matin à 9h30 à Escobecques, entre Haubourdin et Laventie, ils ont été surpris, en long cortège sans armes, par une violente attaque d’artillerie dissimulée.

Les obus pleuvent, mais 4 sur 5 tombés à peu de distance de Renaux n’ont pas explosé. Ils se sont jetés dans un fossé qui contenait un pied d’eau et sont restés là, leur musette sur la tête, jusqu’à ce que la tempête soit passée et que les troupes Françaises surviennent pour les dégager.

Le tramway F fonctionne momentanément cet après-midi pour rapatrier ceux qui n’ont pu passer de bonne heure les lignes de combat. Aussi, une foule énorme de parents et d’amis se tient-elle au rond-point de la Barque d’Or, avide de reconnaître quelqu’un des leurs parmi les voyageurs de retour. Ceux-ci disent qu’il a dû y avoir peu de blessés et fort peu de tués, mais tous sont furieux contre le préfet Trépont qui aurait pris l’initiative de cet exode à l’insu de l’autorité militaire ! Est-ce possible ?...

Une auto passe devant nous rue Neuve vers 4h, chargée de sacs en toile fermés avec des lanières de cuir. Jean-Paul croit reconnaître l’auto qui fait provisoirement le service de La Poste Roubaix-Lille. Je regrette de n’avoir pas déposé ma lettre à Lucien, mais une heure plus tard, on apprend que l’auto a été interceptée par les Allemands au Croisé-Laroche et qu’elle a dû regagner Roubaix, donc, pas de regrets.

IX)
Un taube a lancé une bombe hier sur l’hôtel de Bretagne rue d’Inkerman à Lille et jeudi 2 bombes sur Hazebrouck.
5h00, la canonnade semble se rapprocher, la bataille s’étend sur tout le sud-ouest de Roubaix... On reste prudemment chez soi...

Hier, jour fixé pour la rentrée des classes au collège et à Ségur, les élèves ont été licenciés à leur arrivée à 14h. C’est une bonne mesure car on s’attend à des événements proches et de plus en plus graves pour notre région. Des renforts Allemands se massent autour de Lille. D’autre part, les troupes Françaises arrivent aussi en nombre considérable.

X)
Journée de soleil bas.
Le colonel est triste et comme il est triste, il éprouve le besoin de me prendre par le bras et de me promener pendant 2 heures de la gendarmerie à la cristallerie, de la cristallerie à la gendarmerie. Quand le colonel peut me pincer au passage, il ne me manque jamais et c’est pendant des heures des diatribes contre ses chefs de bataillon qu’il traite de tous les noms d’animaux domestiques.
Moi j’écoute, je hoche la tête...ça m’est égal. J’aimerais bien mieux être dans les bois que j’aperçois là-bas tout dorés sous le ciel gris.

A un moment, le colonel part en exclamations contre je ne sais quel incident de la bataille du 24 septembre. Une auto arrive en trombe sur nous : Une tête s’encadre à la portière.

Dieu ! Quelle émotion : Maurice Barrès ! Je me précipite. Je me présente. Il me serre la main de ses deux mains. Je le questionne. Il se rend à Domptail. Il a traversé les ruines des villages incendiés. Je lui dis : « C’est maintenant l’immense pitié des Églises de France… »

Il me répond d’un geste barrésien en passant sa main brûlante sur la mèche de son front. Je lui raconte le tabernacle intact de Sainte-Barbe, la Jeanne d’Arc de Badonviller… Je lui raconte les gros-obus-qui-font-peur, la guerre dans les forêts des Vosges. Je lui raconte notre entrain, notre courage, notre air de victoire… Il écarquille les yeux. Il s’amuse de mes histoires. Il dit : « Mais comme c’est beau tout cela ! » Et je recueille précieusement les mots que le grand homme daigne laisser tomber à mes pieds du cadre de sa portière... Et je presse avec piété la main fiévreuse du grand homme quand l’auto (c’est toujours impatient les autos) reprend sa course vers les églises pitoyables.

Ça m’a fait du bien, cette rencontre !… Les militaires ont beaucoup de charme. Mais les hommes de nos lectures et de nos directions morales en ont quand même un peu plus.

XI)
Annecy : Jacques Weinberg
Les morceaux de verre tournoient en étincelant au milieu de la boutique, puis se brisent au sol en milliers d’éclats que Jacques ne voit qu’à peine, les yeux embués par les larmes.
« Arrêtez ! Arrêtez, je vous en prie ! » s’époumone Jacques, à genoux sur le sol de la bijouterie. Les débris de sa vitrine continuent à s’écraser autour de lui chaque fois qu’une pierre la traverse. De dehors, malgré ses supplications, les cris se poursuivent :
« Dehors, le Boche ! »
« Traître ! Espion ! »
« Retourne chez le Kaiser ! »

Jacques se redresse douloureusement pour faire face au petit groupe d’hommes et de femmes de tous âges qui se sont réunis devant sa boutique. Ils sont massés les uns contre les autres au point que, au travers de ses larmes, Jacques ne voit qu’une masse noire d’où parfois émerge un bras qui lance une nouvelle pierre. Le vieux bijoutier frotte ses yeux du coin de son tablier de cuir et s’avance en chancelant jusqu’à la porte, sans même remarquer qu’un éclat lui a ouvert la tempe.

« Je ne suis pas allemand ! répète Jacques. Je suis français !
— Weinberg ! Weinberg, c’est pas français, sale Fritz ! s’exclame une jeune femme face à lui.
— C’est un nom juif ! Juif ! »

La voix de Jacques est couverte par les cris des assaillants. Et les projectiles continuent à ricocher autour de lui. Jacques essaie de croiser le regard des passants pour que l’un d’entre eux aille chercher la police, mais ces derniers accélèrent le pas et contemplent leurs chaussures. Personne ne veut se mêler de ce qu’il se passe. Le bijoutier sent sa gorge se serrer alors qu’il est abandonné à son sort.

Au début de la guerre, Jacques avait craint pour son commerce en apprenant dans le journal les dégradations de magasins aux noms « pas assez français » qui ont eu lieu dans d’autres villes... Mais à Annecy, tout est resté calme.
Et puis, les premiers courriers annonçant la mort d’enfants du pays sont arrivés.

La tristesse des familles est devenue un vent de colère que seule la recherche et la punition de coupables auraient su apaiser. D’abord, c'est le magasin de Müller, le cordonnier. Sa famille est venue d’Allemagne il y a plus de 150 ans. À la fin du mois d’août, une foule prise d’une bouffée de rage l’a obligé à fermer son établissement.
Puis il y a eu M. Desmaret, un comptable dont la femme est Allemande : Elle qui était autrefois appréciée en ville est soudain devenue une espionne potentielle aux yeux de bien des gens.
À la mi-septembre, ils ont abandonné leur maison, officiellement pour aller « se reposer » chez le frère de l’époux, fonctionnaire à Nantes. Et à présent, c’est le nom de Weinberg que l’on montre du doigt.

Ils ne sont qu’une vingtaine devant la boutique. Parmi eux, plusieurs personnes que Jacques connaît bien :
Louise, la voisine du bout de la rue, toujours polie, qui est venue faire réparer un collier dans sa bijouterie au mois de mai.
Alain, un ouvrier âgé, connu dans tout le quartier pour son rire qu’aucune porte de café ne peut retenir.
Céline, une jeune fille que son fils David passait chercher sur le chemin de l’école quand ils étaient petits.
À présent, tous ces visages, autrefois amicaux, sont déformés par la colère. La rage et la tristesse qui les habitent les ont éloignés de la raison.

Jacques fouille dans sa poche, ignorant les jets incessants de pierre autour de lui. Il brandit d’une main tremblante une photographie.
« C’est mon fils ! C’est David ! Céline, tu te souviens ? Il est dans l’armée Française ! Il se bat pour vous ! Pour nous tous ! Il a été blessé à la tête en Belgique ! »
Le vieux bijoutier s’abrite derrière la photographie de son fils comme derrière un talisman. Les cris de colère paraissent s’apaiser un instant et puis reprennent de plus belle :
« Hé bien, à ton tour ! » crie quelqu’un avant de lancer une lourde pierre qui atteint Jacques en plein visage...
Le vieil homme perd connaissance.
« Lu dans Le Moniteur en date du samedi 10 octobre 1914 »

XII)
Marcel Favre- 1883 – 10 octobre 1914
 Début du règne de Ferdinand 1er de Roumanie (fin en 1927)
Né le 24 août 1865, Ferdinand 1er appartient à la lignée de Hohenzollern-Sigmaringen. Il est le fils de Léopold, prince de Hohenzollern-Sigmaringen et d’Antonia de Portugal. Il épouse Marie d’Edimbourg en 1893 avec qui il a 6 enfants.
Le 10 octobre 1914, il succède à Charles 1er au trône de Roumanie. Son fils aîné, Charles II, étant marié à une femme de rang inférieur, il l’oblige à renoncer à ses droits au trône.

XIII)
10 octobre 1914 : Anvers et Lille tombent aux mains de l’ennemi, la situation se dégrade fortement en Belgique et dans le nord de la France en ce 10 octobre 1914.
La grande ville portuaire d’Anvers est conquise par les Allemands mais la presse fait encore preuve d’optimisme alors que sur le terrain rien ne va plus :

C’est ainsi que « Le Temps » écrit :
« Il est certain que la situation d’Anvers est sérieuse mais elle n’est pas désespérée comme on semble le croire ça et là ».
Cela relève au mieux de la posture, plus sérieusement de la désinformation. L’édition suivante change de ton puisqu’il est cette fois écrit : « Dans la guerre moderne, les fortifications les plus puissantes ne résistent pas aux effets de l’artillerie lourde »...

Les Allemands entrent également victorieusement dans Lille qui est encore défendue par des compagnies de territoriaux tandis qu’on signale au nord de Lens de violentes charges entre les cavaleries Française et Allemande. Les prisonniers reçoivent toujours ce même jour le premier numéro du « Bulletin pour les prisonniers français ». C’est une vulgaire feuille de propagande qui fait reposer toute la responsabilité de la guerre sur la Grande-Bretagne...

Pour le généralissime Joffre il faut que la ligne de front se stabilise en Picardie et en Artois même si le Nord devient une zone redoutable de combats. Les Allemands ne désespèrent pas de toucher Paris et d’ailleurs un Taube survole la capitale et lâche quelques bombes qui ne provoquent que peu de dégâts.

XIV)
Arrêt Buffet à Troyes. A Sens, nous restons de 15h00, jusque 19h00.
Dîner en ville chez des amis : Je télégraphie à Fez (lieu-dit près de Selles-sur-Nahon dans l’Indre où résident ses beaux-parents, ndlr). Impossible de demander à Renée de venir... Et pourtant... Arrivée à Orléans à 1h00. Couché à la gare.

XV)
Décision du 10 octobre 1914.- Fontaine-lès-Dijon.
Comme suite à la décision du 9 courant relative aux hommes à passer aux dépôts de la 8e région, ceux-ci ne doivent pas emporter leur ½ couverture.

Détachement de renfort :
Les hommes du détachement venant d’Avignon, sont pourvus de 2 jours de vivres de réserve et de 2 jours de vivres de débarquement... Il est interdit, bien entendu, de toucher sans ordres, aux vivres de réserve. Les vivres de débarquement sont destinés à assurer la subsistance de ces hommes pour les journées du 10 et du 11 courant.
Le soldat brancardier Sauret de la CHR. passe à la 12e Cie. à la date d’aujourd’hui...

Conseil de guerre :
Le lieutenant-colonel décide de faire passer en conseil de guerre, sur la plainte de son capitaine, le soldat auxiliaire G......t qui s’est rendu coupable de désertion à l’intérieur.
Le commandant Gaillard est délégué comme officier de police judiciaire, il s’adjoint comme greffier l’adjudant Ravan du 1er bataillon qui fera les démarches voulues auprès du commandant de Parseval délégué à la justice militaire de la place de Dijon pour se procurer tous les imprimés nécessaires à cette instruction et demander à cet officier supérieur tous les renseignements désirés.
Le dossier complet ( interrogatoires de l’inculpé et des témoins ) devra parvenir au lieutenant-colonel le 15 courant au plus tard.

Félicitations :
Le lieutenant-colonel en recevant ce matin le renfort de 600 hommes qui lui a été envoyé d’Avignon a pu constater la bonne tenue, la discipline des hommes du détachement, ainsi qu’il le leur a dit, il est persuadé qu’ils tiendront à honneur de maintenir la réputation de bonne troupe que le 118e a laissée partout ou il est passé.
L’instruction de ces hommes sera poussée très activement dans chaque compagnie avec un cadre spécial, toujours le même, jusqu’à nouvel ordre aucun de ces hommes ne devra être employé, ni distrait des exercices, ils ne devront par conséquent assister à aucun travail de terrassement pour le génie.

Dès que le détachement des 600 hommes partants aura quitté le 118e, chaque commandant de Cie. adressera au bureau du lieutenant-colonel l’état des vacances des gradés de sa Cie. Ces états devront parvenir le 15 courant au plus tard.

Hommes aux hôpitaux :
Les compagnies feront connaître demain la situation, et les noms de tous les hommes, sans exception aucune, qu’elles ont laissés aux hôpitaux de Beaulieu ou de Nice, même si ces hommes sont passés depuis au dépôt

Tuniques :
Les adjudants et sergents-majors qui doivent toucher des tuniques au 26e Dragons, ne s’étant pas tous présentés, ne seront pas pourvus de cet effet, dans le courant de la semaine prochaine, probablement mercredi sur le terrain, les tuniques qui restent au magasin seront distribuées aux sous-officiers suivant leur pointure.

La 7e Cie. fera parvenir demain matin au bureau d’un lieutenant-colonel le livret matricule du capitaine Jas.

Le soldat Chauvet de la 2e Cie. passe à la CHR. à la date de ce jour.
Les clairons Rougère Romain ( 15e de dépôt ), Paul Louis ( 14e de dépôt ), Ailloud Louis ( 13e de dépôt ) arrivés ce matin avec le détachement seront pris en subsistance à la date du 12 courant par la CHR.
Les Cies. de Dijon auxquelles appartiennent ces hommes porteront la mutation à cette date.
Le lieutenant-colonel commandant le 118e territorial. Signé : Nanta.



Siège d'Anvers (1914) — Wikipédia
fr.wikipedia.org/wiki/Siège_d'Anvers_(1914)
Utilisant une importante artillerie, les Allemands parviennent en vue de la dernière enceinte fortifiée le 28 septembre et prennent la ville le 10 octobre 1914.
Voir les détails des opérations du 04 au 10/10/1914 (JMO)
chtimiste.com/batailles1418/divers/JMO47.htm
cote 26N638-6 JMO du 2 Août au 15 mai 1914. Relevé par HERRIAU Jean-Pierre pour le parcours de son grand-père décédé le entre le 4 et le 10 octobre 1914 ...
Samedi 10 octobre 1914 : Anvers capitule, 50 000 ...
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10 oct. 2014 - Samedi 10 octobre 1914 : Anvers capitule, 50 000 Allemands encerclent Lille ... françaises qui a quitté Lille le 9 octobre, y revient au soir du 10.









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