mardi 21 octobre 2014

944... EN REMONTANT LE TEMPS


Cette page concerne l'année 944 du calendrier julien. Ceci est une évocation ponctuelle de l'année considérée il ne peut s'agir que d'un survol !

CLUNY SOUS SAINT ODON

Situer le deuxième abbé dans la perspective clunisienne pose aux historiens un redoutable problème, car il en constitue peut-être le cas le plus singulier.
Institué presque par force, au prix d’une vive répugnance de sa nature secrète et réservée, Odon de Touraine a peu résidé à Cluny, et il ne semble pas qu’entre les tâches innombrables qui le dévorent, il ait voué la part essentielle d’une activité au demeurant débordante à gérer et faire fructifier le petit monastère qui lui a été confié.

Dans son œuvre intellectuelle, pourtant abondante et variée, le nom de Cluny n’est pas une fois cité. A la différence de Bernon... Ce n’est pas à Cluny qu’il veut mourir, mais loin de là, dans sa Touraine natale, et sans léguer de messages à ceux qu’il laisse orphelins. De tous les grands abbés, il n’est pas injuste d’admettre qu’il est le moins clunisien.

Et cependant, les clunisiens sont les premiers à le revendiquer comme l’un des leurs. Non seulement parce que cette figure prestigieuse leur fait honneur, et qu’à l’aube du destin où Dieu les engage, ils ne peuvent trouver qu’avantage à se prévaloir, en toute bonne foi, du renom dont ils sont les témoins et, finalement, les bénéficiaires, mais, bien plus profondément encore, parce qu’ils se retrouvent en lui... Son apparente indifférence à la marche de la maison n’est évidemment que la rançon des multiples responsabilités qui lui sont échues, et ses subordonnés sont les premiers à percevoir intuitivement que la leçon spirituelle et morale d’une telle vie, la qualité de ses engagements, l’exploitation, en particulier, de ses dons intellectuels pour le service de Dieu et l’intérêt général de la chrétienté, surpassent d’assez haut l’obligation de résidence assignée par la Règle aux abbés du monastère.

La considération que son prestige retentit en fin de compte sur toute l’institution contribuant certainement à entretenir entre eux le legs de l’unanimité dont ils ont à manifester la preuve dans les applications de la routine quotidienne, accroissant du même coup le rayonnement sur lequel est en train de se construire le Cluny de l’avenir...

Né vers 879, le nouvel abbé n’est plus très jeune. Il va atteindre bientôt cette cinquantaine qui est pour beaucoup l’âge du retour sur soi, quand commencent de poindre le déclin, la fatigue, le découragement, le désir et l’impatience de la retraite.
Originaire du pays tourangeau, il semble qu’il ait perdu son père de bonne heure. Protégé du comte d’Anjou, Foulque le Roux, qui l’a pris en charge, il reçoit les rudiments convenant à un jeune noble, envoyé à la cour du duc Guillaume le Pieux, et reçoit de lui la mission de s’occuper… Des chasses, probablement en qualité d’assistant du veneur principal.

Mais déjà, la vie séculière lui pèse, et ses fonctions n’ont rien qui puissent le passionner. Il est tourmenté de visions qui lui en démontrent l’inanité. Il a confié plus tard qu’une année, durant la nuit de Noël, c’est à la Vierge Marie qu’il a recours, la suppliant d’intercéder pour lui en éclairant sa route.

Pour la première fois, il lui a décerné le vocable de « Mère de miséricorde », par lequel, toute sa vie, il se plaît à la désigner :
« O très pieuse Vierge, murmure-t-il, je me réfugie près de Votre glorieux et unique Enfant, inclinez à mes prières les oreilles de votre amour. Je tremble que ma vie ne déplaise à Votre Fils. O Dame, c’est par vous qu’il s’est manifesté au monde. Je vous en conjure : sans retard, ayez pitié de moi. »

En réponse à sa prière, une impulsion soudaine le saisit... Non loin de là, les chanoines de Saint-Martin de Tours chantent l’office de la Nativité. Odon court au milieu d’eux, et joint sa voix à leur chœur, il comprend qu’il vient de sceller son engagement en cette nuit de grâce. A 19 ans, le comte d’Anjou lui offre à Saint-Martin une prébende canoniale qui, entre autres avantages, le défraie de tout souci matériel. Il entreprend alors de parfaire ses études. A Tours, il apprend la grammaire, puis part pour Paris, afin d’y étudier la dialectique et la musique, qui composent avec elle le cycle scolaire du trivium.

La carrière paisible qui, partagée entre l’office et la culture, l’attend à Saint-Martin peut satisfaire le lettré qu’il s’apprête à devenir... Ses confrères lui proposent de résumer à leur usage, en un unique traité, plus aisément consultable que l’original, les « Moralia in Job » de Saint Grégoire le Grand. Il se récrie d’abord, s’estimant indigne d’un tel travail, et ne cède, paraît-il, qu’à une vision du Saint auteur en personne... Mal à l’aise, cependant, parmi les chanoines réguliers, trop sollicités par les distractions mondaines, quelques-unes tout à fait dissolues, il rêve d’un engagement plus total encore, et a même tenté de persuader le comte d’Anjou de renoncer avec lui à la vie séculière !...

Il a plus de succès avec l’un des fidèles de Foulque, Adhégrin, et les deux jeunes gens se mettent en quête d’une communauté où leur aspiration ascétique pourra mieux s’épanouir qu’à Tours. Dans l’espoir d’être éclairé sur sa vocation, Adhégrin part en pèlerinage à Rome, et c’est, selon le biographe d’Odon, Jean de Salerne, le hasard de la route qui lui a fait découvrir cette abbaye de Baume où fleurit la Règle bénédictine sous la houlette vigoureuse de l’abbé Bernon.

Preuve que ni l’accueil, ni la vie n’est aussi rebutants que certains veulent bien le dire, il est séduit par ce qu’il y voit et entend, décide d’y rester, et y convie Odon, qui le rejoint, avec dans son bagage les 100 volumes manuscrits de sa bibliothèque personnelle.

L’histoire est touchante, un peu enjolivée peut-être... Tandis qu’Adhégrin cède finalement à l’appel de la solitude et se choisit pour ermitage une petite grotte de la « reculée » de Baume, où il vit plus de 30 ans, Odon, lui, fermant l’oreille sur les ragots et récriminations des « mauvais sujets » de l’abbaye, découvre avec soulagement ce foyer de vie bénédictine authentique, et se plie sans mot dire aux exigences qu’impose la discipline sévère du vieil abbé.

Parvenu à la trentaine, et riche d’un considérable bagage intellectuel et moral, il accepte avec le sourire les obligations souvent rudes du noviciat. Il lui arrive même d’être soumis à d’injustes vexations et brimades (tout n’est pas encore parfait à Baume), de s’entendre dénoncer en chapitre pour des vétilles, voire d’encourir une sanction imméritée. Jamais il ne s’insurge ni ne réplique, allant même parfois au-devant des humiliations. Appliquant à la lettre la Règle fixée par Saint Benoît, qui exige de tout moine la vertu d’obéissance à son abbé comme à un père...

Il se rend compte, déjà, des responsabilités morales redoutables qui pèsent sur les épaules de ces conducteurs d’hommes, et fait un jour à Jean de Salerne, avec une humilité délicieuse, la confidence qu’il rend grâce à Dieu d’avoir été, dès cette terre, payé des fautes dont il a pu se rendre coupable envers la Règle et envers son abbé, car il lui sera donné de souffrir par la suite tout son soûl de celles que ses propres moines commettent envers lui, et qui le laissent déchiré !

Il professe, et son œuvre écrite le sous-entend à plusieurs reprises : Chaque péricope de la Règle contient une exigence ou une prescription qui ne peut être édulcorée sans que tout l’édifice s’écroule, et l’obéissance impose cette autre vertu, non moins difficile, qui est la patience... De tout son être, il s’applique à la pratiquer, et c’est elle qu’inlassablement, il va enseigner à ses fils. Grâce à elle, et prêchant d’exemple, il parvient à supporter les blessures qu’infligent journellement à une sensibilité aussi aiguë que la sienne les assauts du monde et ceux, plus douloureux, qui proviennent de ses frères les moines de Baume.

La Règle de Saint Benoît fait obligation au moine d’observer en chacun de ses gestes la réserve qui le garde des tentations extérieures et du risque de distraction ou de dissipation. Le maintien extérieur de Saint Odon témoigne de cette soumission volontaire :
« En quelque endroit qu’il soit, debout, marchant, assis, il va toujours tête inclinée, regards fixés à terre ».

A tel point qu’irrévérencieusement, on l’a surnommé « La Pioche », mais ce comportement n’est chez lui que l’expression d’une intériorité que d’autres signes manifestent. Ainsi impressionne-t-il ceux qui l’approchent par une gravité que trahissent jusqu’à ses conversations. « Rempli d’un souffle saint, observe encore Jean de Salerne, il ne sait pas parler pour ne rien dire ».

Cet intellectuel, l’un des esprits les plus éclairés d’une période à laquelle manquent davantage encore les penseurs, les écrivains, les artistes et les civilisateurs que les gens d’action ou de guerre, s’impose d’emblée comme un pédagogue de premier ordre, un homme de communication sociale, dirait-on maintenant, et, ce qui ne gâte rien, un orateur profond et convaincant. Cluny lui doit plusieurs sermons de ton austère et de composition serrée, d’une extrême densité, mais riches, toujours, d’applications pratiques.Totalement moine, obsédé par le relâchement de la discipline régulière dont il constate autour de lui les ravages Odon n’hésite pas :
A évoquer crûment la mort misérable de trop de religieux infidèles à leur vœu, A inspirer une crainte salutaire des châtiments éternels, seuls capable, à ses yeux, de « réprimer les appétits juvéniles »
Agir comme un aiguillon pour mériter les joies du paradis.
Il est significatif que ce moraliste exigeant, qui professe la mortification de la chair et une ascèse rigoureuse, ait choisi et proposé comme modèle : d’édification, d’une part la pénitente résolue du Christ, Sainte Marie-Madeleine, de l’autre le législateur du monachisme d’Occident, Saint Benoît de Nursie.

Hanté comme il l’est par le problème du mal et du péché, dans le monde en général et dans chaque homme en particulier, il reconnaît que le geste de Marie de Magdala oignant les pieds du Seigneur ne représente d’abord que « le baume d’une pieuse confession », et un acte de pénitence, que ses larmes expriment. « Or, constate-t-il, l’Église qui croit au Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai Homme, demande chaque jour » comme elle,  « dans les sanglots et les larmes, le pardon de ses fautes. » Mais « l’onguent pur de son nard » est aussi un geste de foi. Quand l’Église contemple « la sublimité de la majesté divine » et y « ordonne toutes les fibres de sa pensée, c’est le chef du Maître qu’elle encense ».

S’inspirant de Saint Grégoire, qui est le premier maître spirituel d’Odon de Touraine, l’œuvre, en dépit de la forme parlée sous laquelle, pour la première fois, elle a été produite, et qui autorise quelques libertés de composition et d’expression, apparaît d’une fermeté d’argument et d’une logique extrêmes, émaillées de temps à autre par de soudaines envolées lyriques, qui préfigurent le style si personnel de Saint Odilon... On ignore si le prédicateur désigne ici le tombeau primitif du saint, ou, plus probablement, celui de l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, qui justifie la qualité de sanctuaire de pèlerinage conférée à l’église abbatiale.

Odon est fort bien accueilli à Cluny. « Saisi entre les mains des moines, il est, rapporte son biographe, forcé comme par violence » à accepter l’élection qui leur a été quasiment imposée par le choix de Bernon. A la mort du premier abbé, la construction du monastère n’est pas achevée. Il faut d’abord terminer l’église (Cluny I) puis procéder à sa consécration. Dans l’état d’indigence où végète, le terme n’est pas trop fort, la jeune communauté, ce n’est pas mince affaire... Les ressources personnelles que l’abbé a apportées avec lui sont bientôt épuisées. Par bonheur, Saint Martin, au patronage duquel il demeure fidèle jusque dans la mort, veut bien s’en mêler en personne, lui apparaissant, il lui enjoint de tenir bon, et lui promet assistance. Quelques jours plus tard, les moines reçoivent un secours financier inespéré...

On invite l’évêque de Mâcon, sur le district duquel a été fondé le monastère, à procéder à la dédicace solennelle... Le prélat se présente en si grand apparat que les pauvres religieux s’affolent : Comment le recevoir et l’héberger décemment, lui et sa suite, à peine ont-ils suffisamment pour eux-mêmes ! Mais Saint Martin, de nouveau, intervient.

[On raconte qu’un énorme sanglier déboule de la forêt toute proche, et, trottinant jusqu’à la porte de l’abbaye, s’offre de lui-même à l’abattoir, et l’illustre visiteur peut se régaler de bonne chair de gros gibier]... !
Pareille aubaine ne se renouvelle pas tous les jours, et l’abbé Odon ne fait rien pour en susciter la récidive. Au désespoir de ses intendants et cellériers, toujours en quête d’expédients de couvert ou de gîte. Sur son lit de mort de Saint-Julien de Tours, aux clunisiens éplorés qui sont venus s’enquérir auprès de lui de leurs lendemains, et lui demandent quelles dispositions il leur convient de prendre, il a répondu avec une parfaite sérénité : « Dieu a réservé Cluny à Sa grâce, ce lieu n’est pas subordonné à la nôtre. Que l'on se contente d’envoyer là-bas ce qui est nécessaire à la messe qu’on célébrera pour le repos de mon âme. »... Même apocryphe, le propos traduit bien le mépris que le saint abbé voue à toute espèce de prévoyance, fût-ce post mortem...

A l’exemple des Pères de l’Église, cet homme de paix et de tendresse profère contre l’avidité des riches les apostrophes les plus dures. Avec une véhémence passionnée, il convie les laïcs à l’imitation de l’un d’entre eux, ce comte Géraud d’Aurillac qui, sans renoncer aux lourds devoirs de sa charge séculière, accède aux degrés les plus élevés du désintéressement et démontre, longtemps avant l’Introduction à la vie dévote, qu’il est possible de vivre en saint dans le monde...

Il est de fait que l’abbatiat d’Odon de Touraine s’inscrit dans l’une des périodes les plus sombres qu’ait connues l’Occident depuis l’effondrement de l’empire Romain :
A une anarchie quasi générale, que la débilité des pouvoirs centraux ne permet pas d’enrayer, et contre laquelle la supplication des litanies elles-mêmes (A peste, fame et bello, libera nos, Domine) semble impuissante, s’ajoutent les invasions qui, de 3 côtés, la prennent en tenaille :
La jeunesse Tourangelle d’Odon s’est écoulée sous la menace des incursions Normandes, imprévisibles et dévastatrices.
Après une rude alerte survenue en 886, elle a connu le terrible sac de 903, où les Normands brûlent la ville de Tours et la basilique de Saint-Martin elle-même.
Au moment où il s’établit à Baume, les « algarades » Sarrasines, rayonnant, à partir du massif des Maures, sur la Provence intérieure et les régions Rhodaniennes, entretiennent une insécurité dont témoigne, l’interruption, des successions épiscopales.
Les vallées Alpines sont livrées aux exploits de « bandes incontrôlées » dont la provenance reste un mystère. Pèlerins, voyageurs et marchands sont astreints à de longs détours, voire à rebrousser chemin avant même d’avoir atteint les cols où les attend l’embuscade.
A deux reprises au moins, en Maurienne, semble-t-il, puis à Agaune, l’abbé Odon traverse des zones entières que ces raids ont réduites en désert...
Et ce sont enfin les Hongrois déferlant par l’Est et le Nord : On se croit revenu au temps d’Attila... 2 ans à peine après que les Normands soient fixés en Basse-Seine à l’ingénieuse initiative du roi Charles le Simple, les cavaliers Magyars débouchent en Alsace et en Bourgogne...

La conscience de la responsabilité conférée à Cluny par la charte de fondation, de celle qui lui incombe en propre par le choix de l’abbé Bernon, et son prestige acquis, lui fait un devoir de se jeter sur les routes, afin de ranimer à travers la chrétienté meurtrie et souillée le flambeau de l’espérance chrétienne... de rassembler et galvaniser ... d’imposer la réforme des âmes et des cœurs. Les moines réfractaires à la réforme saisissent des épées. Les uns grimpent sur les toits pour y jeter pierres et traits sur les arrivants, d’autres s’embusquent aux abords, et proclament qu’ils préfèrent mourir que de laisser pénétrer l’intrus.

Finalement, Odon n’y tient plus. Sourd aux adjurations de son entourage, il s’avance, seul... Dans l’autre camp, on l’observe avec stupeur... Un moment chargé d’angoisse... Puis d’un seul coup, et de la façon la plus inattendue, la situation se dénoue, déconcertés par l’audace du visiteur intrépide, les rebelles dégringolent des toits, abandonnent leurs postes d’affût pour se jeter à ses pieds. A tous, l’abbé pardonne...

Odon réforme plusieurs autres monastères, à moindre prix heureusement. La procédure varie peu. En Italie, où il ne se rend pas moins de 3 fois, indifférent aux dangers et incommodités des chemins, il reçoit en 939, lors de son deuxième séjour, le monastère de Saint-Pierre-au-Ciel-d’Or, à Pavie, puis, à Rome, celui de Saint-Paul-hors-les-Murs, encore sous le coup du saccage perpétré par les Sarrasins de Sicile. Sa sensibilité suraiguë d’écrivain, d’artiste et de musicien se repaît de ces horizons larges et paisibles (la « douce France » des Chansons de geste) où se sont forgé son rêve de perfection. Ensemble, l’archevêque et l’abbé osent s’attaquer à plus gros morceau encore,
cette abbaye des chanoines réguliers de Saint-Martin de Tours, dépositaire du corps de l’évangélisateur des Gaules, et qui, a accueilli le jeune clerc au premier temps de sa vocation... 30 ans plus tard, la situation ne s’est pas améliorée...
Vers 940, un incendie ravage l’église du monastère. C’est bien en vain qu’après un premier sinistre allumé par les Normands en 903, l’on a ceint l’abbaye d’une fortification épaisse et solide ! Le ver est dans le fruit...
En attendant, Odon obtient du pape Léon VII une lettre qui enjoint à l’abbé laïc de Saint-Martin de Tours, le duc Hugues de Francie, de mettre un terme au désordre, et de veiller en particulier à la cessation du scandale le plus inadmissible :
Les femmes, qui ont pratiquement libre accès au monastère, doivent en être à l’avenir rigoureusement proscrites. Tout prêtre, tout évêque qui enfreindrait cette défense encourrait l’interdit...

En ce sens, Pierre le Vénérable proclame, dans l’une de ses lettres, qu’Odon « a posé les premiers fondements de Cluny ».
« Transfigurant les multiples épreuves traversées et son penchant natif à l’amertume, il a, avec la maturité, atteint cette joie des Béatitudes évangéliques qui triomphe de tous les aléas de la terre ».

Jean de Salerne, toujours lui, raconte que les misérables saisissent les franges de la casaque rousse dont il se revêt, et la baisent. « Comme un soldat ceint pour la guerre, il marche entouré des bataillons des pauvres ». « Il dit que les aveugles et les boiteux sont les portiers du Paradis, et qu’on ne doit pas les repousser de chez soi, sous peine de se voir fermer un jour la porte de celui-ci »

A l’un de ces miséreux, renouvelant le geste célèbre de Saint Martin, son modèle, il donne sa tunique par un jour de grande froidure. Jean de Salerne raconte encore l’histoire touchante de ce pauvre hère qui s’est joint à la caravane pour la traversée des Alpes, et dont le sac chargé de pain, d’oignons, de poireaux, de déchets de toute espèce, empeste. Le bon moine en avait le cœur soulevé.

L’abbé, cependant, convie le chemineau à grimper sur son cheval, et se charge lui-même du sac malodorant. « Quant à moi, relate Jean, incapable de supporter ces relents, je ralentis le pas, et je marche en arrière, à bonne distance de celui qui nous accompagnait. »
Odon, non sans malice, le héla.
« — Viens plus près, il nous reste des psaumes à chanter.
Jean :
Impossible, ce sac sent trop mauvais.
L’abbé :
Hé ! le pauvre homme mange ces croûtes dont la senteur te répugne, et toi, tu n’en peux même pas supporter l’odeur ? Lui peut porter ce sac, et toi, tu déclares que tu n’en supportes même pas la vue… »
Et doucement, Odon fait la leçon à son compagnon, lui parlant d’âme à âme, « en vrai pauvre du Christ qu’il est ».
Et, conclut avec une humilité sincère le bon moine Jean, « il soigne si bien mon odorat qu’à la fin du compte, je ne sentais plus rien ».

Il se dit que la Vierge Marie lui est apparue sur son lit de mort, « pleine de gloire et de puissance ». Se faisant connaître comme « la Mère de Miséricorde », elle l’invite en paradis. « D’où, relate Jean de Salerne, notre Saint père tient son habitude d’appeler Sainte Marie « la Mère de Miséricorde », titre sous lequel naguère, en une nuit d’épreuve et de doute, il l’avait lui-même invoquée.
L’une des plus belles heures de la légende dorée de Cluny est peut-être celle où, devant son disciple aimé, le vieil abbé, recru de fatigue et sentant de jour en jour ses forces décliner, s’abandonne soudain, et cédant à une effusion inhabituelle de son âme pudique, pleure sur la séparation prochaine, récapitulant toute sa vie, comme font souvent les vieillards parvenus au terme de la course, il rend grâces à Dieu de ne l’avoir pas ménagé ici-bas : « J’ai reçu, reconnut-il, pénitence des péchés que j’ai perpétrés depuis ma jeunesse. » Puis, au fils spirituel penché sur sa poitrine et incapable de proférer un mot, il adresse une recommandation, où se résume la leçon de toute une vie :

« Sois fort. Sois patient. » Force et patience : « Puis il m’embrasse, dit Jean de Salerne, et me recommande à Dieu. » Il est, ajoute encore le biographe, empruntant avant la lettre le langage des bâtisseurs romans, comme une pierre d’angle bien appareillée : angélique et humaine.

ODON DE TOURAINE
Dès le mois de juillet 941, de toute manière, le nom de l’abbé Odon disparaît à peu près des chartes clunisiennes, remplacé par celui d’Aimard, et cette substitution sans préavis ne va pas elle-même sans une dernière énigme, déconcertante et difficile à résoudre. Odon aurait-il, sans que les chartes en fassent état, et peut-être même avant de partir pour l’Italie, résigné sa charge entre les mains de son successeur, en le désignant à l’élection des moines, comme avait fait Bernon? L’abandonna-t-il purement et simplement, en estimant qu’il avait accompli toute sa tâche, ainsi que Jean de Salerne le donne implicitement à entendre, et préféra-t-il s’en remettre ainsi à la Règle de saint Benoît, qui confie aux moines, hors de toute pression, le soin d’élire librement leur abbé ?


décembre 2012 : Tous les messages - lieux sacrés
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31 déc. 2012 - En 870, des bénédictins venus de Touraine créèrent la première ... Vers 940, sous l'abbatiat d'Odon de Cluny, elle fut agrandie de deux .... Adossé à l'abbatiale, il fut reconstruit dans les années 1460-1470. ..... L'église fut ravagée par les Normands en 885 puis reconstruite en 944 à la suite d'un ouragan.
Histoire du Berry LE BERRY : Histoires des lieux et des ...
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30 déc. 2012 - Sous l'autorité de l'abbé Odon son successeur, la renommée de l'abbaye grandit encore. .... En cette année de grâce 1187, le roi de France Philippe Auguste .... la Touraine du sud, le Berry, le nord du Périgord, l'Auvergne et le Velay. ... chancelier de Louis IV entre le 4 mars 944 et le 29 septembre 948.

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