CLUNY
SOUS SAINT ODON
Situer le deuxième abbé dans la perspective clunisienne pose aux historiens un redoutable problème, car il en constitue peut-être le cas le plus singulier.
Institué
presque par force, au prix d’une vive répugnance de sa nature
secrète et réservée, Odon de Touraine a peu résidé à Cluny, et
il ne semble pas qu’entre les tâches innombrables qui le dévorent,
il ait voué la part essentielle d’une activité au demeurant
débordante à gérer et faire fructifier le petit monastère qui lui
a été confié.
Dans
son œuvre intellectuelle, pourtant abondante et variée, le nom de
Cluny n’est pas une fois cité. A la différence de Bernon... Ce
n’est pas à Cluny qu’il veut mourir, mais loin de là, dans sa
Touraine natale, et sans léguer de messages à ceux qu’il laisse
orphelins. De tous les grands abbés, il n’est pas injuste
d’admettre qu’il est le moins clunisien.
Et
cependant, les clunisiens sont les premiers à le revendiquer comme
l’un des leurs. Non seulement parce que cette figure prestigieuse
leur fait honneur, et qu’à l’aube du destin où Dieu les engage,
ils ne peuvent trouver qu’avantage à se prévaloir, en toute bonne
foi, du renom dont ils sont les témoins et, finalement, les
bénéficiaires, mais, bien plus profondément encore, parce qu’ils
se retrouvent en lui... Son apparente indifférence à la marche de
la maison n’est évidemment que la rançon des multiples
responsabilités qui lui sont échues, et ses subordonnés sont les
premiers à percevoir intuitivement que la leçon spirituelle et
morale d’une telle vie, la qualité de ses engagements,
l’exploitation, en particulier, de ses dons intellectuels pour le
service de Dieu et l’intérêt général de la chrétienté,
surpassent d’assez haut l’obligation de résidence assignée par
la Règle aux abbés du monastère.
La
considération que son prestige retentit en fin de compte sur toute
l’institution contribuant certainement à entretenir entre eux le
legs de l’unanimité dont ils ont à manifester la preuve dans les
applications de la routine quotidienne, accroissant du même coup le
rayonnement sur lequel est en train de se construire le Cluny de
l’avenir...
Né
vers 879, le nouvel abbé n’est plus très jeune. Il va atteindre
bientôt cette cinquantaine qui est pour beaucoup l’âge du retour
sur soi, quand commencent de poindre le déclin, la fatigue, le
découragement, le désir et l’impatience de la retraite.
Originaire
du pays tourangeau, il semble qu’il ait perdu son père de bonne
heure. Protégé du comte d’Anjou, Foulque le Roux, qui l’a pris
en charge, il reçoit les rudiments convenant à un jeune noble,
envoyé à la cour du duc Guillaume le Pieux, et reçoit de lui la
mission de s’occuper… Des chasses, probablement en qualité
d’assistant du veneur principal.
Mais
déjà, la vie séculière lui pèse, et ses fonctions n’ont rien
qui puissent le passionner. Il est tourmenté de visions qui lui en
démontrent l’inanité. Il a confié plus tard qu’une année,
durant la nuit de Noël, c’est à la Vierge Marie qu’il a
recours, la suppliant d’intercéder pour lui en éclairant sa
route.
Pour
la première fois, il lui a décerné le vocable de « Mère de
miséricorde », par lequel, toute sa vie, il se plaît à la
désigner :
« O
très pieuse Vierge, murmure-t-il, je me réfugie près de Votre
glorieux et unique Enfant, inclinez à mes prières les oreilles de
votre amour. Je tremble que ma vie ne déplaise à Votre Fils. O
Dame, c’est par vous qu’il s’est manifesté au monde. Je vous
en conjure : sans retard, ayez pitié de moi. »
En
réponse à sa prière, une impulsion soudaine le saisit... Non loin
de là, les chanoines de Saint-Martin de Tours chantent l’office de
la Nativité. Odon court au milieu d’eux, et joint sa voix à leur
chœur, il comprend qu’il vient de sceller son engagement en cette
nuit de grâce. A 19 ans, le comte d’Anjou lui offre à
Saint-Martin une prébende canoniale qui, entre autres avantages, le
défraie de tout souci matériel. Il entreprend alors de parfaire ses
études. A Tours, il apprend la grammaire, puis part pour Paris, afin
d’y étudier la dialectique et la musique, qui composent avec elle
le cycle scolaire du trivium.
La
carrière paisible qui, partagée entre l’office et la culture,
l’attend à Saint-Martin peut satisfaire le lettré qu’il
s’apprête à devenir... Ses confrères lui proposent de résumer à
leur usage, en un unique traité, plus aisément consultable que
l’original, les « Moralia in Job » de Saint Grégoire
le Grand. Il se récrie d’abord, s’estimant indigne d’un tel
travail, et ne cède, paraît-il, qu’à une vision du Saint auteur
en personne... Mal à l’aise, cependant, parmi les chanoines
réguliers, trop sollicités par les distractions mondaines,
quelques-unes tout à fait dissolues, il rêve d’un engagement plus
total encore, et a même tenté de persuader le comte d’Anjou de
renoncer avec lui à la vie séculière !...
Il
a plus de succès avec l’un des fidèles de Foulque, Adhégrin, et
les deux jeunes gens se mettent en quête d’une communauté où
leur aspiration ascétique pourra mieux s’épanouir qu’à Tours.
Dans l’espoir d’être éclairé sur sa vocation, Adhégrin part
en pèlerinage à Rome, et c’est, selon le biographe d’Odon, Jean
de Salerne, le hasard de la route qui lui a fait découvrir cette
abbaye de Baume où fleurit la Règle bénédictine sous la houlette
vigoureuse de l’abbé Bernon.
Preuve
que ni l’accueil, ni la vie n’est aussi rebutants que certains
veulent bien le dire, il est séduit par ce qu’il y voit et entend,
décide d’y rester, et y convie Odon, qui le rejoint, avec dans son
bagage les 100 volumes manuscrits de sa bibliothèque personnelle.
L’histoire
est touchante, un peu enjolivée peut-être... Tandis qu’Adhégrin
cède finalement à l’appel de la solitude et se choisit pour
ermitage une petite grotte de la « reculée » de Baume,
où il vit plus de 30 ans, Odon, lui, fermant l’oreille sur les
ragots et récriminations des « mauvais sujets » de
l’abbaye, découvre avec soulagement ce foyer de vie bénédictine
authentique, et se plie sans mot dire aux exigences qu’impose la
discipline sévère du vieil abbé.
Parvenu
à la trentaine, et riche d’un considérable bagage intellectuel et
moral, il accepte avec le sourire les obligations souvent rudes du
noviciat. Il lui arrive même d’être soumis à d’injustes
vexations et brimades (tout n’est pas encore parfait à Baume), de
s’entendre dénoncer en chapitre pour des vétilles, voire
d’encourir une sanction imméritée. Jamais il ne s’insurge ni ne
réplique, allant même parfois au-devant des humiliations.
Appliquant à la lettre la Règle fixée par Saint Benoît, qui exige
de tout moine la vertu d’obéissance à son abbé comme à un
père...
Il
se rend compte, déjà, des responsabilités morales redoutables qui
pèsent sur les épaules de ces conducteurs d’hommes, et fait un
jour à Jean de Salerne, avec une humilité délicieuse, la
confidence qu’il rend grâce à Dieu d’avoir été, dès cette
terre, payé des fautes dont il a pu se rendre coupable envers la
Règle et envers son abbé, car il lui sera donné de souffrir par la
suite tout son soûl de celles que ses propres moines commettent
envers lui, et qui le laissent déchiré !
Il
professe, et son œuvre écrite le sous-entend à plusieurs
reprises : Chaque péricope de la Règle contient une exigence
ou une prescription qui ne peut être édulcorée sans que tout
l’édifice s’écroule, et l’obéissance impose cette autre
vertu, non moins difficile, qui est la patience... De tout son être,
il s’applique à la pratiquer, et c’est elle qu’inlassablement,
il va enseigner à ses fils. Grâce à elle, et prêchant d’exemple,
il parvient à supporter les blessures qu’infligent journellement à
une sensibilité aussi aiguë que la sienne les assauts du monde et
ceux, plus douloureux, qui proviennent de ses frères les moines de
Baume.
La
Règle de Saint Benoît fait obligation au moine d’observer en
chacun de ses gestes la réserve qui le garde des tentations
extérieures et du risque de distraction ou de dissipation. Le
maintien extérieur de Saint Odon témoigne de cette soumission
volontaire :
« En
quelque endroit qu’il soit, debout, marchant, assis, il va toujours
tête inclinée, regards fixés à terre ».
A
tel point qu’irrévérencieusement, on l’a surnommé « La
Pioche », mais ce comportement n’est chez lui que
l’expression d’une intériorité que d’autres signes
manifestent. Ainsi impressionne-t-il ceux qui l’approchent par une
gravité que trahissent jusqu’à ses conversations. « Rempli
d’un souffle saint, observe encore Jean de Salerne, il ne sait pas
parler pour ne rien dire ».
Cet
intellectuel, l’un des esprits les plus éclairés d’une période
à laquelle manquent davantage encore les penseurs, les écrivains,
les artistes et les civilisateurs que les gens d’action ou de
guerre, s’impose d’emblée comme un pédagogue de premier ordre,
un homme de communication sociale, dirait-on maintenant, et, ce qui
ne gâte rien, un orateur profond et convaincant. Cluny lui doit
plusieurs sermons de ton austère et de composition serrée, d’une
extrême densité, mais riches, toujours, d’applications
pratiques.Totalement moine, obsédé par le relâchement de la
discipline régulière dont il constate autour de lui les ravages
Odon n’hésite pas :
A
évoquer crûment la mort misérable de trop de religieux infidèles
à leur vœu, A inspirer une crainte salutaire des châtiments
éternels, seuls capable, à ses yeux, de « réprimer les
appétits juvéniles »
Agir
comme un aiguillon pour mériter les joies du paradis.
Il
est significatif que ce moraliste exigeant, qui professe la
mortification de la chair et une ascèse rigoureuse, ait choisi et
proposé comme modèle : d’édification, d’une part la
pénitente résolue du Christ, Sainte Marie-Madeleine, de l’autre
le législateur du monachisme d’Occident, Saint Benoît de Nursie.
Hanté
comme il l’est par le problème du mal et du péché, dans le monde
en général et dans chaque homme en particulier, il reconnaît que
le geste de Marie de Magdala oignant les pieds du Seigneur ne
représente d’abord que « le baume d’une pieuse
confession », et un acte de pénitence, que ses larmes
expriment. « Or, constate-t-il, l’Église qui croit au
Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai Homme, demande chaque
jour » comme elle, « dans les sanglots et les
larmes, le pardon de ses fautes. » Mais « l’onguent pur
de son nard » est aussi un geste de foi. Quand l’Église
contemple « la sublimité de la majesté divine » et y
« ordonne toutes les fibres de sa pensée, c’est le chef du
Maître qu’elle encense ».
S’inspirant
de Saint Grégoire, qui est le premier maître spirituel d’Odon de
Touraine, l’œuvre, en dépit de la forme parlée sous laquelle,
pour la première fois, elle a été produite, et qui autorise
quelques libertés de composition et d’expression, apparaît d’une
fermeté d’argument et d’une logique extrêmes, émaillées de
temps à autre par de soudaines envolées lyriques, qui préfigurent
le style si personnel de Saint Odilon... On ignore si le prédicateur
désigne ici le tombeau primitif du saint, ou, plus probablement,
celui de l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, qui justifie la
qualité de sanctuaire de pèlerinage conférée à l’église
abbatiale.
Odon
est fort bien accueilli à Cluny. « Saisi entre les mains des
moines, il est, rapporte son biographe, forcé comme par violence »
à accepter l’élection qui leur a été quasiment imposée par le
choix de Bernon. A la mort du premier abbé, la construction du
monastère n’est pas achevée. Il faut d’abord terminer l’église
(Cluny I) puis procéder à sa consécration. Dans l’état
d’indigence où végète, le terme n’est pas trop fort, la jeune
communauté, ce n’est pas mince affaire... Les ressources
personnelles que l’abbé a apportées avec lui sont bientôt
épuisées. Par bonheur, Saint Martin, au patronage duquel il demeure
fidèle jusque dans la mort, veut bien s’en mêler en personne, lui
apparaissant, il lui enjoint de tenir bon, et lui promet assistance.
Quelques jours plus tard, les moines reçoivent un secours financier
inespéré...
On
invite l’évêque de Mâcon, sur le district duquel a été fondé
le monastère, à procéder à la dédicace solennelle... Le prélat
se présente en si grand apparat que les pauvres religieux s’affolent
: Comment le recevoir et l’héberger décemment, lui et sa suite, à
peine ont-ils suffisamment pour eux-mêmes ! Mais Saint Martin, de
nouveau, intervient.
[On
raconte qu’un énorme sanglier déboule de la forêt toute proche,
et, trottinant jusqu’à la porte de l’abbaye, s’offre de
lui-même à l’abattoir, et l’illustre visiteur peut se régaler
de bonne chair de gros gibier]... !
Pareille
aubaine ne se renouvelle pas tous les jours, et l’abbé Odon ne
fait rien pour en susciter la récidive. Au désespoir de ses
intendants et cellériers, toujours en quête d’expédients de
couvert ou de gîte. Sur son lit de mort de Saint-Julien de Tours,
aux clunisiens éplorés qui sont venus s’enquérir auprès de lui
de leurs lendemains, et lui demandent quelles dispositions il leur
convient de prendre, il a répondu avec une parfaite sérénité :
« Dieu a réservé Cluny à Sa grâce, ce lieu n’est pas
subordonné à la nôtre. Que l'on se contente d’envoyer là-bas ce
qui est nécessaire à la messe qu’on célébrera pour le repos de
mon âme. »... Même apocryphe, le propos traduit bien le
mépris que le saint abbé voue à toute espèce de prévoyance,
fût-ce post mortem...
A
l’exemple des Pères de l’Église, cet homme de paix et de
tendresse profère contre l’avidité des riches les apostrophes les
plus dures. Avec une véhémence passionnée, il convie les laïcs à
l’imitation de l’un d’entre eux, ce comte Géraud d’Aurillac
qui, sans renoncer aux lourds devoirs de sa charge séculière,
accède aux degrés les plus élevés du désintéressement et
démontre, longtemps avant l’Introduction à la vie dévote, qu’il
est possible de vivre en saint dans le monde...
Il
est de fait que l’abbatiat d’Odon de Touraine s’inscrit dans
l’une des périodes les plus sombres qu’ait connues l’Occident
depuis l’effondrement de l’empire Romain :
A
une anarchie quasi générale, que la débilité des pouvoirs
centraux ne permet pas d’enrayer, et contre laquelle la
supplication des litanies elles-mêmes (A peste, fame et bello,
libera nos, Domine) semble impuissante, s’ajoutent les invasions
qui, de 3 côtés, la prennent en tenaille :
La
jeunesse Tourangelle d’Odon s’est écoulée sous la menace des
incursions Normandes, imprévisibles et dévastatrices.
Après
une rude alerte survenue en 886, elle a connu le terrible sac de 903,
où les Normands brûlent la ville de Tours et la basilique de
Saint-Martin elle-même.
Au
moment où il s’établit à Baume, les « algarades »
Sarrasines, rayonnant, à partir du massif des Maures, sur la
Provence intérieure et les régions Rhodaniennes, entretiennent une
insécurité dont témoigne, l’interruption, des successions
épiscopales.
Les
vallées Alpines sont livrées aux exploits de « bandes
incontrôlées » dont la provenance reste un mystère.
Pèlerins, voyageurs et marchands sont astreints à de longs détours,
voire à rebrousser chemin avant même d’avoir atteint les cols où
les attend l’embuscade.
A
deux reprises au moins, en Maurienne, semble-t-il, puis à Agaune,
l’abbé Odon traverse des zones entières que ces raids ont
réduites en désert...
Et
ce sont enfin les Hongrois déferlant par l’Est et le Nord : On se
croit revenu au temps d’Attila... 2 ans à peine après que les
Normands soient fixés en Basse-Seine à l’ingénieuse initiative
du roi Charles le Simple, les cavaliers Magyars débouchent en Alsace
et en Bourgogne...
La
conscience de la responsabilité conférée à Cluny par la charte de
fondation, de celle qui lui incombe en propre par le choix de l’abbé
Bernon, et son prestige acquis, lui fait un devoir de se jeter sur
les routes, afin de ranimer à travers la chrétienté meurtrie et
souillée le flambeau de l’espérance chrétienne... de rassembler
et galvaniser ... d’imposer la réforme des âmes et des cœurs.
Les moines réfractaires à la réforme saisissent des épées. Les
uns grimpent sur les toits pour y jeter pierres et traits sur les
arrivants, d’autres s’embusquent aux abords, et proclament qu’ils
préfèrent mourir que de laisser pénétrer l’intrus.
Finalement,
Odon n’y tient plus. Sourd aux adjurations de son entourage, il
s’avance, seul... Dans l’autre camp, on l’observe avec
stupeur... Un moment chargé d’angoisse... Puis d’un seul coup,
et de la façon la plus inattendue, la situation se dénoue,
déconcertés par l’audace du visiteur intrépide, les rebelles
dégringolent des toits, abandonnent leurs postes d’affût pour se
jeter à ses pieds. A tous, l’abbé pardonne...
Odon
réforme plusieurs autres monastères, à moindre prix heureusement.
La procédure varie peu. En Italie, où il ne se rend pas moins de 3
fois, indifférent aux dangers et incommodités des chemins, il
reçoit en 939, lors de son deuxième séjour, le monastère de
Saint-Pierre-au-Ciel-d’Or, à Pavie, puis, à Rome, celui de
Saint-Paul-hors-les-Murs, encore sous le coup du saccage perpétré
par les Sarrasins de Sicile. Sa sensibilité suraiguë d’écrivain,
d’artiste et de musicien se repaît de ces horizons larges et
paisibles (la « douce France » des Chansons de geste) où
se sont forgé son rêve de perfection. Ensemble, l’archevêque et
l’abbé osent s’attaquer à plus gros morceau encore,
cette
abbaye des chanoines réguliers de Saint-Martin de Tours, dépositaire
du corps de l’évangélisateur des Gaules, et qui, a accueilli le
jeune clerc au premier temps de sa vocation... 30 ans plus tard, la
situation ne s’est pas améliorée...
Vers
940, un incendie ravage l’église du monastère. C’est bien en
vain qu’après un premier sinistre allumé par les Normands en 903,
l’on a ceint l’abbaye d’une fortification épaisse et solide !
Le ver est dans le fruit...
En
attendant, Odon obtient du pape Léon VII une lettre qui enjoint à
l’abbé laïc de Saint-Martin de Tours, le duc Hugues de Francie,
de mettre un terme au désordre, et de veiller en particulier à la
cessation du scandale le plus inadmissible :
Les
femmes, qui ont pratiquement libre accès au monastère, doivent en
être à l’avenir rigoureusement proscrites. Tout prêtre, tout
évêque qui enfreindrait cette défense encourrait l’interdit...
En
ce sens, Pierre le Vénérable proclame, dans l’une de ses lettres,
qu’Odon « a posé les premiers fondements de Cluny ».
« Transfigurant
les multiples épreuves traversées et son penchant natif à
l’amertume, il a, avec la maturité, atteint cette joie des
Béatitudes évangéliques qui triomphe de tous les aléas de la
terre ».
Jean
de Salerne, toujours lui, raconte que les misérables saisissent les
franges de la casaque rousse dont il se revêt, et la baisent.
« Comme un soldat ceint pour la guerre, il marche entouré des
bataillons des pauvres ». « Il dit que les aveugles et
les boiteux sont les portiers du Paradis, et qu’on ne doit pas les
repousser de chez soi, sous peine de se voir fermer un jour la porte
de celui-ci »
A
l’un de ces miséreux, renouvelant le geste célèbre de Saint
Martin, son modèle, il donne sa tunique par un jour de grande
froidure. Jean de Salerne raconte encore l’histoire touchante de ce
pauvre hère qui s’est joint à la caravane pour la traversée des
Alpes, et dont le sac chargé de pain, d’oignons, de poireaux, de
déchets de toute espèce, empeste. Le bon moine en avait le cœur
soulevé.
L’abbé,
cependant, convie le chemineau à grimper sur son cheval, et se
charge lui-même du sac malodorant. « Quant à moi, relate
Jean, incapable de supporter ces relents, je ralentis le pas, et je
marche en arrière, à bonne distance de celui qui nous
accompagnait. »
Odon,
non sans malice, le héla.
« —
Viens plus près, il nous reste des psaumes à chanter.
Jean
:
— Impossible,
ce sac sent trop mauvais.
L’abbé
:
Hé
! le pauvre homme mange ces croûtes dont la senteur te répugne, et
toi, tu n’en peux même pas supporter l’odeur ? Lui peut porter
ce sac, et toi, tu déclares que tu n’en supportes même pas la
vue… »
Et
doucement, Odon fait la leçon à son compagnon, lui parlant d’âme
à âme, « en vrai pauvre du Christ qu’il est ».
Et,
conclut avec une humilité sincère le bon moine Jean, « il
soigne si bien mon odorat qu’à la fin du compte, je ne sentais
plus rien ».
Il
se dit que la Vierge Marie lui est apparue sur son lit de mort,
« pleine de gloire et de puissance ». Se faisant
connaître comme « la Mère de Miséricorde », elle
l’invite en paradis. « D’où, relate Jean de Salerne, notre
Saint père tient son habitude d’appeler Sainte Marie « la
Mère de Miséricorde », titre sous lequel naguère, en une
nuit d’épreuve et de doute, il l’avait lui-même invoquée.
L’une
des plus belles heures de la légende dorée de Cluny est peut-être
celle où, devant son disciple aimé, le vieil abbé, recru de
fatigue et sentant de jour en jour ses forces décliner, s’abandonne
soudain, et cédant à une effusion inhabituelle de son âme pudique,
pleure sur la séparation prochaine, récapitulant toute sa vie,
comme font souvent les vieillards parvenus au terme de la course, il
rend grâces à Dieu de ne l’avoir pas ménagé ici-bas : « J’ai
reçu, reconnut-il, pénitence des péchés que j’ai perpétrés
depuis ma jeunesse. » Puis, au fils spirituel penché sur sa
poitrine et incapable de proférer un mot, il adresse une
recommandation, où se résume la leçon de toute une vie :
« Sois
fort. Sois patient. » Force et patience : « Puis il
m’embrasse, dit Jean de Salerne, et me recommande à Dieu. »
Il est, ajoute encore le biographe, empruntant avant la lettre le
langage des bâtisseurs romans, comme une pierre d’angle bien
appareillée : angélique et humaine.
ODON DE TOURAINE |
décembre
2012 : Tous les messages - lieux sacrés
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31
déc. 2012 - En 870, des bénédictins venus de Touraine créèrent
la première ... Vers 940, sous l'abbatiat d'Odon de Cluny, elle fut
agrandie de deux .... Adossé à l'abbatiale, il fut reconstruit dans
les années 1460-1470. ..... L'église fut ravagée par les Normands
en 885 puis reconstruite en 944 à la suite d'un ouragan.
Histoire
du Berry LE BERRY : Histoires des lieux et des ...
www.my-microsite.com/santjohan/Histoire-du-Berry/43303/
30
déc. 2012 - Sous l'autorité de l'abbé Odon son successeur, la
renommée de l'abbaye grandit encore. .... En cette année de grâce
1187, le roi de France Philippe Auguste .... la Touraine du sud, le
Berry, le nord du Périgord, l'Auvergne et le Velay. ... chancelier
de Louis IV entre le 4 mars 944 et le 29 septembre 948.
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