Cette
page concerne l'année 842 du calendrier julien. Ceci est une
évocation ponctuelle de l'année considérée il ne peut s'agir que
d'un survol
OU
DEUX FRÈRES TENTENT DE RÉSISTER AU TROISIÈME
En
843, le traité de Verdun va mettre fin aux hostilités entre les
trois frères et dessinera la carte de l'Europe pour les siècles
suivants.
Les
serments de Strasbourg n'ont pas été conservés dans leur version
originale mais sont retranscrits dans l'œuvre de Nithard,
« L'Histoire des fils de Louis le Pieux ». Même s'ils
sont de moindre importance que le traité de Verdun qui les suit de
peu, les Serments de Strasbourg sont primordiaux du point de vue de
l'histoire linguistique, car ils sont une des premières attestations
écrites de l'existence d'une langue romane en Francie Occidentale
(ici l'ancêtre de la langue d'oïl) et d'une langue tudesque. Le
médiéviste Philippe Walter écrit:
« Ils
constituent le plus ancien texte français conservé. Ce n'est
évidemment pas de la littérature mais un document politique de
premier ordre pour comprendre l'accession à l'écriture de la langue
dite « vulgaire »
Le
texte de Nithard n’est aujourd’hui connu que par deux manuscrits.
Ils se trouvent aujourd'hui tous deux à la Bibliothèque nationale
de France.
Le
plus ancien manuscrit a été copié vers l’an 1000, sans doute
pour l’abbaye de Saint-Médard de Soissons ou celle de
Saint-Riquier, toutes deux sises en Picardie.
Au
XVe siècle, il est en possession de l’abbaye Saint-Magloire à
Paris. Vers 1650 il est acheté pour le compte de la reine Christine
de Suède et transféré à Rome, il est acquis après la mort de la
reine par la bibliothèque du Vatican. À la suite de la prise de
Rome par les Français en 1798, il est transporté à Paris avec tout
un lot de manuscrits saisis.
Déposé
enfin à la Bibliothèque nationale de France, il y porte la cote
Latine 9768. Le texte des Serments se trouve au folio 136...
L’autre
manuscrit, également conservé à la Bibliothèque nationale de
France (Latine 14663) est une copie du précédent, réalisée au
XVe siècle.
La
langue romane ici retranscrite est encore à peine séparée du latin
vulgaire. C'est un des premiers passages écrits dans une langue
romane à être attesté.
Le
texte prononcé par Louis le Germanique est :
« Pro
Deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, d'ist di
en avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist
meon fradre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per
dreit son fradra salvar dift, in o quid il mi altresi fazet, et ab
Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui meon vol cist meon fradre
Karle in damno sit. »
Donc,
en français : « Pour l'amour de Dieu et pour le peuple
chrétien et notre salut commun, à partir d'aujourd'hui, en tant que
Dieu me donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère
Charles par mon aide et en toute chose, comme on doit secourir son
frère, selon l'équité, à condition qu'il fasse de même pour moi,
et je ne tiendrai jamais avec Lothaire aucun plaid qui, de ma
volonté, puisse être dommageable à mon frère Charles. »
Les
troupes de Charles le Chauve promettent :
« Si
Lodhuvigs sagrament, que son fradre Karlo iurat, conservat, et Karlus
meos sendra de suo part non lo tanit, si io returnar non l'int pois :
ne io ne neuls, cui eo returnar int pois, in nulla aiudha contra
Lodhuvig nun li iv er. »
Un
extrait des serments de Strasbourg :
En
français : « Si Louis observe le serment qu'il jure à
son frère Charles et que Charles, mon seigneur, de son côté, ne le
maintient pas, si je ne puis l'en détourner, ni moi ni aucun de ceux
que j'en pourrai détourner, nous ne lui serons d'aucune aide contre
Louis. (litt.: ni je ni nul que je puis en détourner,
Cette
langue germanique est une forme évoluée de francique parlée dans
la région Rhénane, dans laquelle Charles le Chauve promet :
« In
Godes minna ind in thes christianes folches ind unser bedhero
gealtnissi, fon thesemo dage frammordes, so fram so mir Got geuuizci
indi mahd furgibit, so haldih tesan minan bruodher, soso man mit
rehtu sinan bruodher scal, in thiu, thaz er mig sosoma duo ;
indi mit Ludheren in nohheiniu thing ne gegango, zhe minan uuillon
imo ce scadhen uuerhen. »
(NB:
nohheiniu thing + uuerdhen = pluriel).
Soit,
en français : « Pour l'amour de Dieu et pour le salut du
peuple chrétien et notre salut à tous deux, à partir de ce jour
dorénavant, autant que Dieu m'en donnera savoir et pouvoir, je
secourrai ce mien frère, comme on doit selon l'équité secourir son
frère, à condition qu'il en fasse autant pour moi, et je n'entrerai
avec Lothaire en aucun arrangement qui, de ma volonté, puisse lui
être dommageable. »
Les
troupes de Louis le Germanique jurent
« Oba
Karl then eid, then er sinemo bruodher Ludhuuuige gesuor, geleistit,
indi Ludhuuuig min herro, then er imo gesuor, forbrihchit, ob ih inan
es iruuenden ne mag, noh ih noh thero nohhein, then ih es iruuenden
mag, uuidhar Karle imo ce follusti ne uuirdit. »
Soit,
en français : « Si Charles observe le serment qu'il a
juré à son frère Louis et que Louis, mon seigneur, rompt celui
qu'il lui a juré, si je ne puis l'en détourner, ni moi ni aucun de
ceux que j'en pourrai détourner, nous ne lui prêterons aucune aide
contre Charles. » (litt.: contre Charles lui à aide ne
devient)
Pour
de nombreux philologues qui se sont penchés sur le sujet, la base du
document est le latin, alors que pour d'autres spécialistes, il
s'agit d'un texte original rédigé en langue maternelle, autonome
par rapport au latin.
Il
y a une seule phrase de la version romane qui n’a pas d’équivalent
dans la version germanique. C’est celle où Louis s’engage à
soutenir Charles « et in aiudha et in cadhuna cosa ».
Est-ce une négligence du copiste ? C’est l’explication la
plus probable.
Que
veut dire exactement cette formule ? On a remarqué son
parallélisme avec le latin : « et
consilio et auxilio », signifiant « en conseil et
alliance (armée) ». Et même en grec homérique : « οὐδέ
τί οἱ βουλὰς συμφράσσομαι, οὐδὲ μὲν
ἔργον » / oudé tí hoi boulàs
sumphrássomai, oudè mèn érgon, ni par mes conseils ni par
mes forces » (L'Iliade, IX, 374).
Quel
pouvait être l’équivalent en langue tudesque ? Par un
heureux hasard, il a peut-être été conservé dans un texte très
différent, mais quasi contemporain des Serments : Le Chant de
Hildebrand (Hildebrandslied), ce fragment
poétique raconte la discussion, puis le combat mortel entre un père
et un fils rangés dans deux armées opposées.
Le
père, Hildebrand, dit au fils qu’il n’a jamais eu un parent
aussi proche que lui pour « dinc ni geleitos », assemblée
ou escorte (armée). La formule est sans doute traditionnelle pour
évoquer une alliance complète, et elle recoupe tout à fait les
formules latine et romane.
Un
mot n'a pas non plus son équivalent dans le texte germanique, il
s'agit de nunquã dans « et ab Ludher nul plaid nunquam
prindrai » (ligne 7)10. Ce nunquam représente une forme
archaïque de l'ancien français nonque « jamais »
(variantes nonc, nonques). Il est transcrit ici à la manière
latine, puisque l'étymologie latine est précisément nunquam sans
changement.
Ces
deux éléments sont l'affirmation, certes discrète, d'une
spécificité et du caractère autonome du texte de chacune de ses
langues par rapport aux deux autres.
Quelques
tentatives, généralement anciennes, ont essayé de montrer que le
texte roman constituait un témoignage précoce de la langue d'oc, et
ce, sur la base de quelques mots du texte qui semblent à première
vue plus proches de formes d'oc que de formes d'oïl, comme par
exemple : sagrament « serment » (occitan moderne
sagrament « sacrement ») ; poblo « peuple »
(occitan moderne pòble), sendra (du latin senior) et l'utilisation
de la préposition ab (dans « et ab Ludher », occitan
moderne amb « avec » - ab en occitan ancien), qui ne
s'emploie pas en ancien français au sens comitatif d'« avec ».
La
question du dialecte ou de la langue des Serments a continué
d’alimenter de nombreuses publications :
- Gaston Paris s'appuyant sur la graphie ca-, ka- (ex : cadhuna, karle) suppose que, le père de Nithard étant abbé de Saint-Riquier, donc originaire du nord de la France, le fils en était l'auteur et écrivait naturellement en picard, ainsi que sur par exemple des formes comme prindrai « prendrai », toujours usuelles en picard.
- Plusieurs études ont orienté la recherche vers le poitevin en soulignant comme en lyonnais les formes poblo et ab, puis des formes comme sendra, le maintien des voyelles finales -o, -a, etc...
Cependant,
de nombreux chercheurs s'interrogent sur le bien fondé de ces
conclusions contradictoires et sur la « sincérité »
dialectale de la langue romane des serments. Il s'agirait plutôt de
la mise par écrit d'une sorte de koinè propre à la France du nord
ou plutôt une langue trans-dialectale et cette forme écrite
spécifique présenterait le caractère artificiel d'une langue de
chancellerie. En tout cas, on constate qu'« aucune œuvre
médiévale française (même archaïque) n'est rédigée selon
l'usage linguistique d'une seule région dialectale. ».
Il
existe des textes plus anciens attestant de l'existence d'une langue
romane écrite dans l'empire Carolingien, comme les Gloses de Cassel
(environ VIIIe ou IXe siècle) ou les Gloses de Reichenau
(VIIIe siècle) pour les plus célèbres. Ceux-ci, cependant,
sont des glossaires, des listes de mots, et ne permettent pas de lire
des phrases en langue romane. Le terme même de romana lingua est
attesté dès 813 : lors des délibérations du concile de Tours
(canon 17), l'on demande aux évêques et aux prêtres qu'ils
traduisent en langues vulgaires les homélies : le peuple, en
effet, ne comprend plus le latin. Les deux langues vulgaires
signalées sont la rustica romana lingua, c'est-à-dire en « langue
romane de la campagne » et la lingua thiodisca, « tudesque »
(tiesche en ancien français, ancien terme pour « allemand »).
Le
second texte complet dans l'histoire de la langue française est la
Séquence de sainte Eulalie qui date vraisemblablement de 880 ou 881.
C'est le premier texte littéraire en langue d'oïl et, à ce titre,
l'ancêtre de la littérature française...
Dans
l'ouvrage de l'historien Nithard (mort en 844) intitulé « Histoire
des fils de Louis le Pieux », existe un passage devenu célèbre
: Il concerne l'assemblée qui se tient à Strasbourg au cours de
laquelle Louis le Germanique et Charles le Chauve prêtent serment
l'un envers l'autre :
Donc,
le 16 des calendes de mars, Louis et Charles se réunissent en la
cité qui s'appelle jadis Argentaria, mais qui aujourd'hui est
appelée communément Strasbourg, et prêtent, les serments qui sont
rapportés ci-dessous. Mais avant de prêter serment, ils haranguent
comme suit le peuple assemblé, l'un en tudesque, l'autre en langue
romane, Louis, en sa qualité d'aîné, prenant le premier la parole
en ces termes :
« Vous
savez à combien de reprises Lothaire s'est efforcé de nous
anéantir, en nous poursuivant, moi et mon frère ici présent,
jusqu'à extermination. Puisque ni la parenté ni la religion ni
aucune autre raison ne pouvait aider à maintenir la paix entre nous,
en respectant la justice, contraints par la nécessité, nous avons
soumis l'affaire au jugement du Dieu tout-puissant, prêts à nous
incliner devant son verdict touchant les droits de chacun de nous. Le
résultat est, comme vous le savez, que par la miséricorde divine
nous avons remporté la victoire et que, vaincu, il s'est retiré
avec les siens là où il a pu. Mais ensuite, ébranlés par
l'amour fraternel et émus aussi de compassion pour le peuple
chrétien, nous n'avons pas voulu le poursuivre ni l'anéantir...
Nous lui avons seulement demandé que, du moins à l'avenir, il soit
fait droit à chacun comme par le passé.
Malgré
cela, mécontent du jugement de Dieu, il ne cesse de me poursuivre à
main armée, ainsi que mon frère ici présent, il recommence à
porter la désolation dans notre peuple en incendiant, pillant,
massacrant.
C'est
pourquoi, poussés maintenant par la nécessité, nous nous
réunissons, et pour lever toute espèce de doute sur la constance de
notre fidélité et de notre fraternité, nous avons décidé de
prêter ce serment l'un à l'autre, en votre présence.
Nous
ne le faisons pas sous l'empire d'une inique cupidité, mais
seulement pour que, si Dieu nous donne le repos grâce à votre aide,
nous soyons assurés d'un profit commun. Si toutefois, ce qu'à Dieu
ne plaise, je venais à violer le serment juré à mon frère, je
délie chacun de vous de toute soumission envers moi, ainsi que du
serment que vous m'avez prêté ».
Et
lorsque Charles eut répété les mêmes déclarations en langue
romane, Louis, étant l'aîné, jura le premier de les observer !
Cela
terminé, Louis se dirige sur Worms, le long du Rhin, par Spire, et
Charles le long des Vosges, par Wissembourg.
www.herodote.net/14_fevrier_842-evenement-8420214.php
15
mai 2013 - Né en 778 (l'année de Roncevaux), ce dernier a été
nommé par son père roi roi d'Aquitaine dès l'âge de 3 ans et a
géré ses terres avant de ...
L'Assemblée
de Strasbourg (14 février 842)
miroir.mrugala.net/Arisitum/textes/histo/serment.htm
Dans
l'ouvrage de l'historien Nithard (mort en 844) intitulé "Histoire
des fils de .... 2) Les Annales de Saint-Bertin et de Fulda signalent
aussi, sous l'année 842, ...
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