dimanche 21 février 2016

EN REMONTANT LE TEMPS... 449

18 FEVRIER 2016...

Cette page concerne l'année 449 du calendrier julien. Ceci est une évocation ponctuelle de l'année considérée il ne peut s'agir que d'un survol !

ÉCHEC D'UNE AMBASSADE ET DÉMONSTRATION DE FORCE D'ATTILA !


Chrysaphius ménage avec Théodose II une entrevue secrète avec Edècon. Lui démontrant que cette ambassade a deux missions distinctes complètement étrangères l’une à l’autre, quant aux hommes et quant aux choses l’une, patente, avouée, capable d’honorer le gouvernement Romain par sa fermeté... l’autre secrète et infâme : L’ambassadeur, sans le savoir, part flanqué d’un assassin. Maximin, craignant l’ennui d’une longue route ou sentant le besoin d’un bon conseiller, il se fait adjoindre comme collègue l’historien Grec Priscus, d'amitié précieuse, et nous devons à cette circonstance une des relations de voyage les plus intéressantes en même temps qu’une des pages les plus instructives de l’histoire du Ve siècle.

Édécon et Maximin quittent en même temps Constantinople Les deux ambassades, marchant de conserve, doivent se guider, s’assister mutuellement : Les Romains sur les terres de l’empire, les Huns au-delà du Danube... Maximin fait les honneurs du convoi en homme de cour consommé, il a des présents pour ses hôtes Barbares, et de temps en temps, les invite à dîner avec leur suite. Ces dîners se composent de bœufs ou de moutons fournis par les habitants, abattus, dépecés, accommodés par les serviteurs de l’ambassade.
À Sardique, où les voyageurs séjournent, Maximin peut se convaincre que la réponse de la chancellerie impériale concernant cette ville ne dit rien de trop, car il n’y peut trouver un toit pour s’abriter... Il plante ses tentes au milieu des ruines désertiques.

Pendant le dîner, la conversation, animée par le vin, s'oriente sur le gouvernement des Huns comparé à celui des Romains, chacun vante à qui mieux mieux l’excellence de son souverain, les Huns parlant avec exaltation d’Attila, les Romains soutenant Théodose II, quand Vigilas fait aigrement remarquer qu’il n’y a pas justice à comparer un homme avec un dieu : Le dieu, dans sa pensée, c’est Théodose II. Ce propos impertinent soulève une vraie tempête : Les Huns crient, se démènent, paraissent hors d’eux-mêmes, et Maximin a besoin de toute son habileté, aidée de toute celle de Priscus, pour ramener le calme en détournant la conversation.
Dans le désir de sceller une paix complète, l’ambassadeur, après dîner, emmène avec lui sous sa tente ses deux hôtes principaux, et fait don à chacun d’un beau vêtement de soie brochée, garni de perles d'’Inde.
Oreste ravi, tout en contemplant son lot, semble épier du regard la sortie d’Édécon, et, sitôt qu’il est parti, il dit à Maximin :
« Je vous reconnais pour un homme juste et sage, plus sage que certains autres ministres de l’empereur qui ont méprisé Oreste en invitant Édécon seul à souper, et n’ayant de cadeaux que pour lui. »

Ce que veut dire le secrétaire d’Attila, Maximin l’ignore, car il n’est au courant d’aucune des circonstances qui ont précédé sa nomination, et, comme il s’enquière où et comment l’un a été honoré et l’autre dédaigné, Oreste n’ajoute pas un mot et sort. Le lendemain, pendant la route, l’ambassadeur fait approcher Vigilas, et lui demande l’explication des paroles qu’il a entendues la veille : Celui-ci, éludant la question, répond qu’Oreste, qui après tout n’est qu’un scribe et un valet, montre une susceptibilité ridicule vis-à-vis d’un guerrier illustre, un noble Hun tel qu’Édécon, puis, poussant son cheval vers ce dernier, il l’interpelle en langue Hunnique, et s’entretient avec lui.
Édécon paraît troublé et parle avec animation. Vigilas rapporte de ce colloque ce qu’il veut, il dit à Maximin que les prétentions insolentes du secrétaire d’Attila ont mis le noble Hun en un tel courroux, que lui, Vigilas, a eu grand-peine à le contenir.
Jusqu’à Naïsse rien ne se passe, ce berceau du grand Constantin est, comme Sardique, un lamentable amas de décombres, où quelques malades qui n’ont pu fuir, assistés par la charité des paysans voisins, vivent dans une chapelle encore debout. À travers ces ruines et ce vaste cimetière, ils atteignent la rive droite du Danube, où se trouvent des bateliers Huns en station avec leurs barques.

Chez les Huns, comme chez les Mongols, la grande chasse est une institution politique dont le but est le maintien des troupes en haleine : Destinée à remplacer la guerre pendant les repos forcés. Tchinghiz-Khan, dans le livre de ses ordonnances, l’appelle l’école du guerrier.
Suivant les usages orientaux, le jour de la chasse, annoncé longtemps à l’avance avec la solennité d’une entrée en campagne, est précédé d’ordres et d’instructions que chacun doit suivre exactement... Un corps d’armée tout entier, le roi au centre, les généraux aux ailes, exécutent ces immenses battues où l’on traque tous les animaux d’une contrée.

Sitôt le Danube franchit, Édécon, sur qui les Romains comptent pour leur servir de guide dans le pays et d’introducteur près d’Attila, les quitte brusquement, afin de rejoindre, dit-il, l’armée et le roi par un chemin de traverse beaucoup plus court que la route battue qu’ils suivent.
Réduits aux guides qu’il leur laisse, les Romains continuent de marcher durant plusieurs jours, lorsqu’un soir, à la tombée de la nuit, le galop de chevaux frappe leurs oreilles, et des cavaliers Huns, mettant pied à terre, et annoncent qu’Attila les attend à son camp proche de là.
Le lendemain en effet, du sommet d’une colline assez escarpée, ils aperçoivent les tentes des Barbares qui se déploient en nombre immense à leurs pieds, et parmi elles un pavillon dont la position et la forme désignent le roi son occupant, Maximin y fait déposer les bagages, et déjà l’on plante les crampons et les pieux pour asseoir les tentes, quand une troupe de Barbares accourt d’en bas à bride abattue et la lance au poing.

« Que faites-vous ? crient-ils d’un ton menaçant... Oseriez-vous placer vos tentes sur la hauteur, quand celle d’Attila est dans la plaine ? »
Les Romains replient bien vite leurs pavillons, et vont camper où ces hommes les mènent.
Ils achèvent leur installation quand survient une visite qui ne laisse pas de les étonner beaucoup : Ce sont Édécon, Oreste, Scotta et d’autres personnages notables qui leur demandent ce qu’ils veulent et quel est l’objet de leur ambassade.
L’indiscrétion ou le ridicule de cette question adressée à des ambassadeurs frappe tellement les Romains qu’ils en restent tout ébahis, et ils se regardent l’un l’autre comme pour se consulter, mais les Huns la renouvellent avec insistance :
« Répondez-nous, » disent-ils à l’ambassadeur... Sa réponse est qu’il ne doit d’explications qu’au roi, et qu’il n'en donnera qu'au roi seulement.
Là-dessus Scotta paraît blessé :
« Il n’est point venu de son plein gré, répète-t-il avec colère, et ne fait que remplir les ordres de son maître. »
Maximin proteste que, la demande viendrait-elle d’Attila lui-même, il n’acceptera jamais la loi qu’on prétend lui faire.
« Un ambassadeur, dit-il avec fermeté, ne doit compte de sa mission qu’à celui près duquel son souverain l’envoie, tel est le droit des nations, et les Huns le savent bien, eux qui ont adressé tant d’ambassades aux Romains.

Les visiteurs disparaissent, mais pour revenir au bout de quelques moments, tous, sauf Édécon. Répétant alors mot pour mot à Maximin le contenu de ses instructions, ils ajoutent que, s’il n’apporte rien de plus, il n’a qu’à repartir sur-le-champ. C'est, pour Maximin et Priscus, une énigme de plus en plus obscure... Ils en croient à peine leurs oreilles, et, ne pouvant comprendre comment les intérêts confiés à la conscience d’un ambassadeur, les secrets inviolables de l’empire se trouvent ainsi divulgués à ses ennemis, ils restent muets comme des hommes qu’un coup violent vient d’étourdir.
Sortant enfin de cet état de stupeur, Maximin s’écrie:
« Eh bien ! que ce soient là nos instructions ou que nous en ayons d’autres, votre maître seul les connaîtra »
« Partez donc, » répliquent-ils.

Les Romains se préparent à partir. Vigilas, pendant qu’on rassemble les bagages, a peine à se contenir, il maudit les Huns et blâme la conduite de l’ambassadeur.
« N’aurait-il pas mieux valu mentir, répète-t-il, que de s’en retourner honteusement sans avoir rien déclaré ?
Je répondrais d’Attila, si je pouvais le voir un seul instant, car j’ai vécu en assez grande familiarité avec lui pendant l’ambassade d’Anatolius, d’ailleurs Édécon me veut du bien. »
Edécon revient toujours à sa proposition d’annoncer encore d’autres instructions, afin d’obtenir audience du roi... Préoccupé de sa propre affaire et de sa fortune qu’un départ précipité fait évanouir, il s’inquiète aussi peu de compromettre le caractère d’un ambassadeur par des mensonges que sa vie par un attentat.
S’aveuglant lui-même, il ne s’aperçoit pas qu’il est trahi. Soit que jamais Édécon n’a conspiré sérieusement contre la vie de son maître, soit qu’il l’a fait séduit par les promesses de Chrysaphius, mais que les paroles mystérieuses d’Oreste à la suite du repas de Sardique lui ont donné à réfléchir, il a compris qu’un œil vigilant a épié toutes ses démarches, que tout est connu...
Son souper chez l’eunuque.
Ses conférences secrètes avec l’empereur.
Les présents reçus...

En homme habile, il s’est hâté de prendre les devants, et, précédant les envoyés Romains auprès de son maître, il lui a tout révélé : Propositions, entrevues, somme promise, moyen imaginé pour la faire tenir en main sûre, complicité de Vigilas et innocence de Maximin, tout, en un mot, jusqu’aux divers points traités dans les instructions de l’ambassadeur.
C'est une bonne fortune que le ciel envoie au fils de Moundzoukh pour prendre Théodose II en flagrant délit d’infamie, le couvrir d’opprobre et justifier à la face du monde tout ce qu’il lui plaira de lui infliger, mais cette occasion précieuse, il se garde bien de la risquer par un éclat prématuré.

Il n’a pour accuser que le témoignage d’Édécon, il en veut d’autres que nul ne puisse nier : Il veut des indices clairs, manifestes, et jusqu’à un commencement d’exécution, et, dans son calcul, ce sont les Romains qui doivent lui fournir eux-mêmes ces preuves dont il se propose de les accabler.
Comprimant donc son ressentiment et décidé à attendre jusqu’au bout sans impatience, il se mit à jouer avec cette lâche cour de Constantinople, comme le tigre joue avec l’ennemi qu’il tient sous sa griffe, avant de l'achever
Les mulets sont déjà chargés, et les Romains se mettent en route à la nuit tombante, mais un contre-ordre les retient : Attila n’exige pas, leur dit-on, que des étrangers s’exposent pendant les ténèbres dans un pays inconnu. En même temps arrivent un bœuf que des Huns chassent devant eux et des poissons qu’ils apportent de la part du roi, c’est le souper de l’ambassade. « Nous y faisons honneur, dit Priscus, et dormons profondément jusqu’au lendemain : »
En effet, le bienheureux contre-ordre leur a remis la joie au cœur.
Dès que le jour paraît, Priscus, en homme avisé, se munit d’un interprète autre que Vigilas (il le trouve parmi les suivants volontaires de l’ambassade, un certain Rusticius, qui parle couramment le hun et le goth), et il va trouver Scotta, qui se fait fort de leur procurer une audience avec Attila moyennant quelques présents, car toutes ces tergiversations n’ont pas d’autre but.

Une heure à peine s’écoule, et Scotta, fier de prouver son crédit, revient, au galop, annoncer à Priscus sa réussite, les Romains partent avec lui.
Les abords de la tente royale, lorsqu’ils s’y présentent, sont obstrués par une multitude de gardes qui forment alentour une haie circulaire, les ambassadeurs parviennent à la percer, grâce à la présence de Scotta, et trouvent, au milieu de la tente, Attila qui les attend, assis sur un siège de bois.

Priscus, Vigilas et les esclaves porteurs de présents s’étant arrêtés par respect près du seuil de la porte, Maximin s’avance, salue le roi, et, lui remettant dans les mains la lettre de Théodose II, il lui dit :
« L’empereur souhaite à Attila et aux siens santé et longue vie.
Qu’il arrive aux Romains tout ce qu’ils me souhaitent ! » répondit celui-ci brièvement, et, se tournant vers Vigilas avec les signes d’une colère concentrée :
« Bête immonde ! lui dit-il, qui t’a porté à venir vers moi, toi qui as connu mes conventions avec Anatolius au sujet de la paix ? Tu savais bien que les Romains ne doivent point m’envoyer d’ambassadeur tant qu’il restera chez eux un seul transfuge de ma nation. »
Vigilas ayant répliqué que cette condition est fidèlement remplie, puisqu’on lui ramène 17 déserteurs, les seuls qu’on a pu trouver dans tout l’empire d’Orient, ce ton d’assurance paraît mettre Attila hors de lui.
« Ah ! lui crie-t-il d’une voix emportée, je te ferais mettre en croix à l’instant même, et te donnerais en pâture aux vautours pour prix de tes paroles impudentes, si je ne respectais le droit des ambassadeurs » puis, sur un signe qu’il fait, un secrétaire déploie une longue pancarte, qu’il se met en devoir de lire.
C’est la liste nominative des transfuges qui sont censés résider encore sur le territoire Romain.
La lecture terminée, Attila déclare vouloir que Vigilas parte sur-le-champ avec Esla, un de ses officiers, pour signifier de sa part à Théodose II d’avoir à lui restituer sans exception tous les Huns, de quelque qualité et en quelque nombre qu’ils soient, qui sont passé chez les Romains depuis l’époque où Carpilion, fils d’Aëtius, a été son otage...
« Je ne souffrirai point, dit-il avec hauteur, que mes esclaves portent les armes contre moi, quoiqu’ils ne puissent rien, je le sais bien, pour le salut de ceux qui les emploient.
Quelle est la ville, quel est le château qu’ils parviendront à sauver de mes mains, si je résous de le prendre et de le détruire ?
Qu’on aille donc faire connaître là-bas ce que j’ai décidé, et qu’on revienne tout aussitôt me faire connaître à moi si les Romains veulent me rendre mes transfuges, ou s’ils préfèrent la guerre. »
L’ordre de départ ne regarde que Vigilas, Attila prie l’ambassadeur de rester près de lui pour recevoir la réponse qu’il se propose de faire à la lettre de l’empereur.
Il n’oublie pas non plus de réclamer les présents qu’on lui a destinés... L’audience finit là.

Cette scène, qui laisse les Romains tout émus, est l’unique sujet de leur conversation à leur retour au quartier.
Vigilas ne conçoit pas que le même homme dont il a éprouvé la bienveillance, il y a à peine une année, a pu le traiter d’une façon si ignominieuse, et son esprit se torture pour en deviner la cause.
Priscus la trouve dans l’aventure du dîner de Sardique, dans ce propos imprudent de Vigilas, dont les Barbares n’ont pas manqué de faire rapport à leur roi, Maximin, qui n’entrevoit aucune autre raison que celle-là, appuie l’avis de son ami, mais Vigilas secoue la tête et ne paraît pas convaincu.
Survient Édécon, qui l’emmène en particulier et cause quelque temps avec lui. Cette démarche a pour but de rassurer l’interprète sur ce qui vient de se passer, et de lui dire que tout se prépare à merveille pour le succès du complot : Édécon maintenant ose en répondre, et ce voyage procure à Vigilas une occasion inespérée de tenir au courant Chrysaphius et de rapporter l’argent dont ils ont besoin.

L’interprète, remonté par ces explications, a repris tout son calme quand il rejoint ses collègues, et aux questions que ceux-ci s’empressent de lui adresser il se contente de répondre que l’affaire des transfuges agite seule Attila, et qu'il fera la guerre infailliblement, si on ne lui donne pas satisfaction. Sur ces entrefaites, des messagers entrent dans le quartier de l’ambassade et proclament une défense du roi à tout Romain, quel qu’il soit, de ne rien acheter chez les Huns, ni chevaux, ni bêtes de somme, ni esclaves barbares, ni captifs Romains, rien, en un mot, hormis les choses indispensables à la vie, et ce jusqu’à la conclusion des difficultés entre les deux nations... La défense est signifiée à l’ambassadeur, Vigilas présent.
C’est, comme on le pense bien, une ruse d’Attila pour enlever d’avance à l’interprète tout prétexte plausible d’introduire une forte somme d’argent dans ses états.

Attila ne parle plus de sa chasse aux bêtes fauves en Pannonie depuis qu’il en a rencontré une autre plus à son goût.
Désireux de suivre sans préoccupation la piste de Vigilas et d’observer à loisir les démarches de l’ambassadeur qu’il garde provisoirement en otage, il lève son camp 2 jours après cette scène, et part pour regagner sa résidence ordinaire dans la capitale de la Hunnie.
Il fait dire aux Romains de se tenir prêts à le suivre, et, au jour marqué, ceux-ci se mettent, avec leurs guides particuliers, à l’arrière-garde de l’armée des Huns.
On n’a pas encore fait beaucoup de chemin quand ces guides changent brusquement de direction, et s’engagent dans une route peu frayée, laissant l’armée continuer sa marche, et pour raison de ce changement de front, ils apprennent aux voyageurs qu’une cérémonie, à laquelle il ne leur est pas permis d’assister, va se célébrer dans un hameau voisin... Il s'agit d'un nouveau mariage du roi : Attila ajoute à ses innombrables épouses la fille d’un grand du pays, nommé Escam.

La contrée que Maximin et sa troupe ont traversé est basse et de parcours facile, mais extrêmement marécageuse, ils ont dû franchir plusieurs rivières, parmi lesquelles Priscus mentionne la Tiphise, aujourd’hui la Theiss, qui coule au cœur de la Hongrie et se jette dans le Danube entre Semlin et Peterwaradin. Ils passent les rivières ou les marais profonds au moyen de bateaux emmagasinés dans les villages riverains et que les habitants leur amènent sur des chariots.
Leur nourriture, durant la route, se compose principalement de millet fourni par la population sur la demande des guides, et de deux espèces de boissons fermentées, l’une appelée médos, qui n’est autre chose que de l’hydromel, l’autre fabriquée avec de l’orge et que les Huns nomment camos. Le voyage ne manque point d’aventures, les unes pénibles, les autres réjouissantes.

En voici une que Priscus raconte avec gaieté et naïveté :
« Le jour baisse, dit-il, quand nous plantons nos tentes au bord d’un marais dont nous jugeons l’eau très potable, parce que les habitants d’un hameau voisin y viennent puiser pour leur usage. A peine fini notre installation, un vent violent se lève, et une tempête subite, mêlée de foudre et de pluie, balaie pêle-mêle notre tente et nos ustensiles, qui roulent jusque dans le marais.
Effrayés des tourbillons qui traversent l’air et du malheur qui vient de nous arriver, nous désertons la place à qui mieux mieux, courant chacun au hasard sous des torrents de pluie et par l’obscurité la plus épaisse.
Heureusement tous les chemins que nous prenons conduisent au village, et en quelques instants nous nous y trouvons réunis. Là, nous nous mettons à pousser de grands cris pour avoir du secours.
Notre tapage n'est pas perdu, car nous voyons les Huns sortir les uns après les autres de leurs maisons, tous munis de roseaux allumés qu’ils portent en guise de flambeaux.

En réponse à leurs questions, nos guides racontent l’événement qui nous ont dispersés, et aussitôt ceux-ci nous engagent à entrer dans leurs maisons, jetant d’abord à terre quelques brassées de roseaux dont la flamme sert à nous sécher... Ce village appartient à une des veuves de Bléda, laquelle, instruite de notre arrivée, nous envoie dans le logement que nous occupons des provisions de bouche et de très belles femmes pour notre usage, ce qui est chez la nation Hunnique une marque de grand honneur et de bonne hospitalité... Nous avons pris les vivres et remercions les dames, puis, accablés de fatigues, nous n'avons fait qu’un somme jusqu’au lendemain.
Notre première pensée, au point du jour, est d’aller faire l’inventaire de notre mobilier, nous le trouvons dans un triste état : Une partie gît éparse sur le lieu du campement, une partie le long du marais, une partie dans l’eau, où nous nous mettons à la repêcher. La journée s’emploie à ce travail et à faire sécher nos effets, que nous rapportons tout trempés... Déjà la tempête a cessé, le plus beau soleil brille au ciel... Nous sellons chevaux et mulets, et nous nous rendons chez la reine pour la saluer.
Elle accueille bien quelques présents que nous lui offrons, à savoir : 3 coupes d’argent, des toisons teintes en pourpre, du poivre d’Inde, des dattes et des fruits secs dont ces Barbares sont très curieux, parce qu’ils en voient rarement.
Après lui avoir exprimé notre reconnaissance pour son hospitalité et nos souhaits, nous prenons congé d’elle et continuons notre voyage. »

Ils marchent depuis 7 jours, quand ils croisent une autre ambassade Romaine arrivée par un autre chemin : c’est une députation de l’empereur d’Occident Valentinien III au roi des Huns, à propos de certains vases sauvés du pillage de Sirmium, l’histoire est curieuse et jette quelques lumières de plus sur cette politique asiatique, où l’opiniâtreté des résolutions sert à en déguiser l’injustice.
À l’époque où, contre tout droit, les Huns sont venus assiéger Sirmium, l’évêque de cette ville, ne prévoyant que trop bien l’issue de la guerre, dispose des vases de son église. Il connaît un certain Constancius, Gaulois de naissance, alors secrétaire d’Attila et employé aux opérations du siège. Ayant trouvé moyen d’avoir une entrevue avec lui, l’évêque lui remet les vases sacrés : « Si je deviens votre prisonnier, lui dit-il, vous les vendrez pour me racheter, si je meurs auparavant, vous les vendrez encore, et avec leur prix vous rachèterez d’autres captifs. » Il meurt pendant le siège, et le dépositaire s'approprie le dépôt. Il y a près de là, un prêteur sur gages nommé Sylvanus, Constancius lui engage les vases pour une certaine somme qu’il ne paie pas à l’échéance le délai expiré, Sylvanus vend les vases à un évêque d’Italie, ne voulant ni les briser ni les employer à un usage profane.
Ces faits viennent aux oreilles d’Attila au bout de quelque temps... Il commence par faire pendre ou crucifier, suivant sa coutume, le secrétaire infidèle, puis il réclame, près de l’empereur Valentinien III, Sylvanus ou les vases.
 Il me faut une chose ou l’autre, écrit-il, ces vases m’appartiennent comme ayant été soustraits par l’évêque au butin de la ville, mon secrétaire les a volés, je l’ai puni, je demande maintenant le receleur ou la restitution de mon bien. ». Vainement l’empereur répond que Sylvanus n’est point un receleur, attendu qu’il a acheté de bonne foi et que, quant aux vases eux-mêmes, affectés à une destination religieuse, ils ne peuvent pas lui être remis sans profanation, vainement il offre d’en payer la valeur en argent.
Attila, sourd à toutes les raisons, ne sort pas de son dilemme :
« Mes vases ou le receleur, sinon la guerre. »
Le cabinet de Ravenne, à bout de correspondances sans résultats, lui députe 3 nobles Romains pour s’entendre enfin avec lui, s’il est possible, et prévenir de plus grands malheurs.
On a choisi pour cette mission un homme qui semble devoir être bien reçu par le Barbare, le comte Romulus, beau-père d’Oreste, et on lui a adjoint un officier-général, nommé Romarins, avec Promotus, commandant de la Pannonie. Un 4e personnage, fort important dans la circonstance, Tatullus, père d’Oreste, a voulu profiter de l’occasion pour visiter son fils.

Priscus et Maximin sont heureux de retrouver des compatriotes au fond de ce désert sauvage, et les 2 ambassades réunies attendent dans un certain lieu le passage d’Attila, qu’on annonce devoir être prochain.
Au bout de quelques journées encore, le roi, l’armée et les 2 ambassades Romaines arrivent en vue de la bourgade royale, capitale de toute la Hunnie.

Le palais du prince Barbare, placé sur une hauteur, domine toute la bourgade, et attire au loin les regards par ses hautes tours qui se dressent vers le ciel. On désigne sous ce nom un vaste enclos circulaire renfermant plusieurs maisons, telles que celles du roi, de son épouse favorite Kerka, de quelques-uns de ses fils, et probablement aussi la demeure de ses gardes, une clôture en bois l’entoure les édifices intérieurs sont aussi en bois.
Située probablement au centre et seule flanquée de tours, la maison d’Attila est encadrée dans de grands panneaux de planches d’un poli admirable, et si exactement joints ensemble qu’ils semblent ne former qu’une seule pièce.
Celle de la reine, d’une architecture plus légère et plus ornée, présente sur toutes ses faces des dessins en relief et des sculptures qui ne manquent point de grâce. Sa toiture repose sur des pilastres soigneusement équarris, entre lesquels règne une suite de cintres en bois tourné, appuyés sur des colonnettes, et formant comme les arcades d’une galerie.
La maison d’Onégèse se voit à peu de distance du palais, close également d’une palissade et construite dans le même genre que celle du roi, avec plus de simplicité. Une curiosité y mérite l’attention des étrangers dans ce pays dénué de pierres à bâtir et même d’arbres, et où il faut transporter du dehors les matériaux de construction, Onégèse a fait élever un bain sur le modèle des thermes Romains...

Voici l’histoire de ce bain telle que les Romains l’entendent conter.
Au nombre des captifs provenant du sac de Sirmium, se trouve un architecte qu’Onégèse réclame dans sa part de butin.
Le ministre d’Attila, Grec de naissance, venu très jeune chez les Huns, y a apporté le goût des bains à la façon Romaine, et l’a communiqué à sa femme et à ses enfants. S’il a réclamé la personne de l’architecte, c’est afin d’obtenir d’un homme habile la construction d’un bâtiment où il puisse satisfaire son goût, et le captif, en déployant toute son industrie, croit accélérer l’instant où il verra tomber ses fers. Il se met donc à l’œuvre avec zèle : Des pierres sont tirées de Pannonie, des fourneaux, des piscines, des étuves s’organisent. Le travail achevé, il faut des mains expérimentées pour diriger un service si nouveau chez les Huns, Onégèse crée l’architecte baigneur en titre de sa maison, et le malheureux dit adieu pour jamais à la liberté...

Attila fait son entrée dans la capitale de son empire avec un cérémonial qui intéresse vivement les Romains, et surtout Priscus, observateur si curieux, peintre si naïf de tout ce qui frappe ses regards par un côté singulier.
Ce sont les femmes de la bourgade qui viennent le recevoir en procession. Rangées sur deux files, elles élèvent au-dessus de leurs têtes et tendent d’une file à l’autre, dans leur longueur, des voiles blancs, sous lesquels les jeunes filles marchent par groupes de 7, chantant des vers composés à la louange du roi.
Le cortège prend la direction du palais en passant devant la maison d’Onégèse. La femme du ministre favori se tient en dehors de l’enceinte, entourée d’une foule de servantes qui portent des plats garnis de viande et une coupe pleine de vin. Lorsque le roi paraît, elle s’approche de lui, et le prie de goûter au repas qu’elle lui a préparé, un signe bienveillant fait savoir qu’il y consent : c’est la plus grande faveur qu’un roi des Huns peut accorder à ses sujets.
Aussitôt 4 hommes vigoureux soulevant une table d’argent jusqu’à la hauteur du cheval, et, sans mettre pied à terre, Attila goûte de tous les plats et boit une gorgée de vin, après quoi il entre dans son palais. En l’absence de son mari, qui arrive d’un long voyage et que le roi mande près de lui, la femme d’Onégèse reçoit les ambassadeurs à souper dans la compagnie des principaux du pays, presque tous ses parents. Maximin prend ensuite des dispositions pour son établissement, il dresse ses tentes dans un lieu voisin tout à la fois de la maison du ministre et du palais du roi.
Onégèse, tient le premier rang dans l’empire après Attila, soit par la puissance, soit par la richesse : C'est presque le roi, si Attila est l’empereur.
Ce comble de fortune, devant lequel les Huns de naissance s’inclinent sans murmurer, Onégèse le doit aux moyens les plus honorables : A la bravoure sur le champ de bataille, à la sincérité dans les conseils, au courage même avec lequel il lutte contre les résolutions violentes ou les mauvais instincts de son maître. Il est près d’Attila le meilleur appui des Romains, non par intérêt personnel ou par souvenir lointain de son origine, mais par pur esprit d’équité, par un goût inné de ce qui tient à la civilisation.

Maximin brûle de le voir pour lui communiquer les instructions de Théodose II à son égard, il espère d’ailleurs beaucoup dans l’intervention de cet homme tout-puissant pour aplanir les difficultés dont sa mission est entourée. Il dort à peine, et, dès les premières lueurs de l’aube, il fait partir Priscus avec les présents destinés au ministre. L’enceinte est fermée, aucun domestique de la maison ne se montre, et Priscus doit attendre, laissant donc les présents sous la garde des serviteurs de l’ambassade, il se met à se promener.
Il a fait à peine quelques centaines de pas, quand un autre promeneur, l’aborde, lui dit en fort bon grec : Khaïré, (je vous salue). Entendre parler grec dans les états d’Attila, où les idiomes usuels sont le hun, le goth et le latin, surtout pour les relations de commerce, c’est une nouveauté qui frappe Priscus.
Les seuls Grecs qu’on peut s’attendre à rencontrer là sont des captifs de la Thrace ou de l’Illyrie maritime, gens misérables, faciles à reconnaître à leur chevelure mal peignée et à leurs vêtements en lambeaux, tandis que l’interlocuteur de Priscus porte la tête rasée tout à l’entour et le vêtement des Huns de la classe opulente. Ces réflexions traversent comme un éclair la pensée de Priscus, qui, pour savoir qui est cet homme, lui demande, en lui rendant son salut, de quel pays du monde il est venu essayer la vie barbare chez les Huns ?
Pourquoi me faites-vous cette question ? dit l’inconnu.
Parce que vous parlez trop bien le grec, répond Priscus. L’inconnu se met à rire.
En effet, dit-il, je suis Grec. Fondateur d’un établissement de commerce à Viminacium en Mésie, je m’y étais marié richement, j’y vivais heureux...
La guerre a dissipé mon bonheur. Comme j’étais riche, j’ai été adjugé, personne et biens, dans le butin d’Onégèse, car c’est un privilège des princes et des chefs Huns de se réserver les plus riches captifs.
Mon nouveau maître m'a mené à la guerre, où je me suis bien battu et avec profit. Je me suis mesuré contre les Romains, les Acatzires etc. Après avoir acquis suffisamment de butin, je l'ai porté à mon maître Barbare, et, en vertu de la loi des Scythes, j'ai réclamé ma liberté.
Depuis lors, je me suis fait Hun, j’ai épousé une femme Barbare qui m’a donné des enfants, je suis commensal d’Onégèse, et, à tout prendre, ma condition actuelle me paraît préférable à ma condition passée.
Oh ! oui, continue cet homme après s’être recueilli un instant, le travail de la guerre une fois terminé, on mène parmi les Huns une vie exempte de soucis : Ce que chacun a reçu de la fortune, il en jouit paisiblement, personne ne le moleste, rien ne le trouble.
La guerre nous alimente, elle épuise et tue ceux qui vivent sous le gouvernement Romain. Il faut bien que le sujet Romain mette dans le bras d’autrui l’espérance de son salut, puisqu’une loi tyrannique ne lui permet pas de porter les armes dont il a besoin pour se défendre, et ceux que la loi commet à les porter, si braves qu’ils soient, font mal la guerre, entravés qu’ils sont tantôt par l’ignorance, tantôt par la lâcheté des chefs.

Ils en sont là quand un domestique d’Onégèse ouvre l’enceinte de la maison : Priscus quitte l’inconnu, qu’il ne revoit plus.

Onégèse, après avoir donné un coup d’œil rapide aux présents que Priscus lui apporte, les fait déposer dans sa maison, et, apprenant que l’ambassadeur Romain veut se rendre chez lui, il tient à le prévenir lui-même, au bout de quelques instants, Maximin le voit entrer sous sa tente.
Alors commence entre ces deux hommes d’état une conversation dans laquelle le caractère du ministre d’Attila se déploie tout entier.
Maximin s'attache à lui exposer avec quelque peu d’emphase que le moment d’une pacification solide entre les Romains et les Huns paraît arrivé, pacification dont l’honneur est réservé à sa prudence, et que l’utilité très grande dont le ministre Hun peut être pour les 2 nations serait pour lui-même et ses enfants en bienfaits perpétuels de la part de l’empereur et de toute la famille impériale.
Comment donc, demande naïvement Onégèse, ce grand honneur peut-il m’advenir, et comment puis-je être entre vous et nous l’arbitre souverain de la paix ?
En étudiant, reprend l’ambassadeur, chacun des points qui nous divisent et les conventions des traités, et pesant le tout dans la balance de votre équité. L’empereur acceptera votre décision.
Mais, rétorque celui-ci, ce n’est point là le rôle d’un ambassadeur, et, je n’ai pas d’autre règle que les volontés de mon maître.
Les Romains espèrent-ils par hasard m’entraîner par leurs prières à le trahir, et à tenir pour néant ma vie passée parmi les Huns, mes femmes, mes enfants nés chez eux ? Ils se trompent grandement. L’esclavage me serait plus doux près d’Attila que les honneurs et la fortune dans leur empire.
Ces paroles, prononcées d’un ton calme, mais net, ne souffrent point de réplique. Onégèse, comme pour en adoucir la rudesse, se hâte d’ajouter qu’il est plus utile aux Romains près d’Attila, dont il apaise quelquefois les emportements, qu’il ne le serait à Constantinople, où son bon vouloir pour eux ne tarderait pas à le rendre suspect.
Évidemment le ministre de Théodose II n’a rien à faire de ce côté.
Cependant la reine Kerka attend ses présents : Priscus est encore chargé de les lui présenter. Elle les reçoit dans une pièce de son élégant palais recouverte d’un tapis de laine, elle-même est assise sur des coussins et entourée de ses femmes et de ses serviteurs accroupis en cercle autour d’elle, les hommes d’un côté et les femmes de l’autre celles-ci travaillent à passer des fils d’or et de soie dans des pièces d’étoffes destinées à relever les vêtements des hommes.

En sortant du palais de la reine, Priscus entend un grand bruit, et voit courir une grande foule à laquelle il se mêle Il aperçoit bientôt Attila, qui, flanqué d’Onégèse, vient se placer devant la porte de sa maison pour y rendre la justice.
Sa contenance est grave, et il s’assoit en silence.. Ceux qui ont des procès à faire juger s’approchent à tour de rôle, il les juge tous, puis il rentre pour recevoir des députés qui lui arrivent de plusieurs pays Barbares.
L’enclos du palais d’Attila est une sorte de promenade où les ambassadeurs circulent librement en attendant les audiences soit du roi, soit de son ministre, ils peuvent aller, venir, tout observer, aucun garde ne les y gênant. Priscus y rencontre le comte Romulus et ses collègues de l’ambassade d’Occident, lesquels se promènent en compagnie de 2 secrétaires d’Attila, Constancius et Constanciolus, tous deux Pannoniens, et de ce Rusticius qui a accompagné volontairement l’ambassade d’Orient, et vient de se faire attacher comme scribe à la chancellerie du roi des Huns. « Comment vont vos affaires ? » est la question que Romulus et lui s’adressent d’abord... Elles ne marchent pas plus vite d’un côté que de l’autre, rien ne peut fléchir la résolution d’Attila vis-à-vis de l’empire d’Occident : Il lui faut le banquier Sylvanus ou les vases de Sirmium.

La salle du festin est une grande pièce oblongue, garnie à son pourtour de sièges et de petites tables mises bout à bout, pouvant recevoir chacune 4 ou 5 personnes. Au milieu s’élève une estrade qui porte la table d’Attila et son lit, sur lequel il a déjà pris place, à peu de distance derrière, se trouve un second lit, orné comme le premier de linges blancs et de tapis bariolés et ressemblant aux thalami en usage en Grèce et à Rome dans les cérémonies nuptiales.
Au moment où les ambassadeurs entrent, des échansons, apostés près du seuil de la porte, leur remettent des coupes pleines de vin, dans lesquelles ils doivent boire en saluant le roi : C'est un cérémonial obligatoire que chaque convive observe avant d’aller prendre son siège. La place d’honneur, fixée à droite de l’estrade, est occupée par Onégèse, en face duquel s’assoient deux des fils du roi. On donne aux ambassadeurs la table de gauche, qui est la seconde en dignité, encore s’y trouvent-ils auprès par un noble Hun, du nom de Bérikh, personnage considérable qui possède plusieurs villages en Hunnie.

Ellac, l’aîné des fils d’Attila, prend place sur le lit de son père, mais beaucoup plus bas, il s’y tient les yeux baissés, et conserve pendant toute la durée du festin une attitude pleine de respect et de modestie. Quand tout le monde est assis, l’échanson d’Attila présente à son maître une coupe remplie de vin, et celui-ci boit en saluant le convive d’honneur qui se lève aussitôt, prend une coupe des mains de l’échanson posté derrière lui, et rend le salut au roi. C'est ensuite le tour des ambassadeurs, qui rendent pareillement, la coupe en main, un salut que le roi leur porte, tous les convives sont salués l’un après l’autre, suivant leur rang, et répondent de la même manière, un échanson muni d’une coupe pleine se tient derrière chacun d’eux. Les saluts finis, on voit entrer des maîtres d’hôtel portant sur leurs bras des plats chargés de viandes qu’ils déposent sur les tables, on ne met sur celle d’Attila que de la viande dans des plats de bois, et sa coupe aussi est de bois, tandis qu’on sert aux convives du pain et des mets de toute sorte dans des plats d’argent, et que leurs coupes sont d’argent ou d’or.
Les convives puisent à leur fantaisie dans les plats déposés devant eux, sans pouvoir prendre plus loin. Lorsque le premier service est achevé, les échansons reviennent, et les saluts recommencent, ils parcourent encore, avec la même étiquette, toutes les places, depuis la première jusqu’à la dernière...
Le second service, aussi copieux que le premier et composé de mets tout différents, et suivi d’une 3e dans laquelle les convives, déjà échauffés, vident leurs coupes à qui mieux mieux.
Vers le soir, les flambeaux ayant été allumés, on voit entrer deux poètes qui chantent, en langue Hunnique, devant Attila, des vers de leur composition, destinés à célébrer ses vertus guerrières et ses victoires.
Leurs chants excitent dans l’auditoire des transports qui vont jusqu’au délire : les yeux étincellent, les visages prennent un aspect terrible, beaucoup pleurent, dit Priscus larmes de désir chez les jeunes gens, larmes de regret chez les vieillards.
Ces chants de la Hunnie sont remplacés par un bouffon dont les contorsions et les inepties font passer les convives en un instant de l’enthousiasme à une joie bruyante.
Pendant ces spectacles, Attila est resté constamment immobile et grave, sans qu’aucun mouvement de son visage, aucun geste, aucun mot ne trahissent en lui la moindre émotion, seulement, quand le plus jeune de ses fils, nominé Ernakh, entre et s’approche de lui, un éclair de tendresse brille dans son regard, il amène l’enfant plus près de son lit, en le tirant doucement par la joue.
Frappé de ce changement subit dans la physionomie d’Attila, Priscus se penche vers un de ses voisins Barbares, qui parle un peu le latin, et lui demande à l’oreille par quel motif cet homme, si froid pour ses autres enfants, se montre si gracieux pour celui-là.
« Je vous l’expliquerai volontiers, si vous me gardez le secret, répond le Barbare. Les devins ont prédit au roi que sa race s’éteindrait dans ses autres fils, mais qu’Ernakh la perpétuera : voilà la cause de sa tendresse, il aime dans ce jeune enfant l’unique source de sa postérité. »
À ce moment entre le Maure Zercon, et tout aussitôt la salle retentit d’éclats de rire et de trépignements capables de l’ébranler : Le Maure Zercon, nain bossu, bancal, camus, ou plutôt sans nez, bègue et idiot, circule depuis près de 20 ans d’un bout du monde à l'autre, et d’un maître à l’autre, comme l’objet le plus étrange qu’on puisse se procurer pour se divertir.
Les Africains l’ont donné au général Romain Aspar, qui l’a perdu en Thrace, dans une campagne malheureuse contre les Huns : Conduit près d’Attila, qui refuse de le voir, Zercon a trouvé meilleur accueil chez Bléda.
Bientôt même le prince Hun s’engoue tellement de son nain, qu’il ne peut plus s’en passer, il l’a à sa table, il l’a à la guerre, où il lui fait fabriquer une armure, et son bonheur est de le voir se pavaner une grande épée au poing, et prendre grotesquement des attitudes de héros. Un jour pourtant Zercon s’enfuit sur le territoire Romain, et Bléda n’a pas de repos qu’on ne l’a repris ou racheté, la chasse est heureuse, et on le lui ramène chargé de fers.

Le temps s’écoule en pure perte pour les ambassadeurs, qui n’obtiennent ni audience du roi ni réponse satisfaisante sur aucun point. Ils demandent à se retirer, mais Attila, sans leur en refuser positivement l’autorisation, les retient sous différents prétextes, il les garde. La reine Kerka veut les traiter à son tour, elle les invite dans la maison de son intendant Adame à un repas « magnifique et fort gai, » nous dit Priscus, où les convives, en dépit de la gravité Romaine, doivent boire et s’embrasser à la ronde.
Un second souper offert par Attila reproduit, aux yeux de Maximin et de son compagnon, l’étiquette cérémonieuse du premier, seulement Attila s’y déride quelque peu.
Plusieurs fois, ce qui n’a pas encore eu lieu, il adresse la parole à Maximin pour lui recommander, entre autres choses, le mariage du Pannonien Constancius, son secrétaire.
Cet homme, envoyé à Constantinople, il y a déjà quelques années, comme interprète ou adjoint d’une ambassade, s’y est vu l’objet des empressements de la cour, qui espère le gagner, et il a en effet promis ses bons offices pour le maintien de la paix, à la condition que Théodose II lui donne en mariage une épouse. Théodose II lui a aussitôt proposé une orpheline, fille de Saturninus, ancien comte des domestiques, que l’impératrice Athénaïs a accusé de complot. Encore prisonnière et gardée dans un château fort, la jeune, fille n’apprend pas sans une mortelle horreur le sort qu’on lui destine, elle se fait enlever par Zénon, général des troupes d’Orient, qui la marie avec un de ses amis nommé Rufus... Attila, furieux à cette nouvelle, mande insolemment à Théodose II : s’il n’a pas la puissance de se faire obéir chez lui, Attila viendra l’y aider, mais Constancius, se contente de la promesse d’une autre femme.

C’est ce qu’Attila rappelle au souvenir de l’ambassadeur : « Il n'est pas convenable, lui fait-il dire par son interprète, que Théodose II se soit joué de la crédulité de Constancius, un empereur perd de sa dignité à faire un mensonge. »
Il ajoute, comme une raison déterminante et un argument sans réplique, « que si le mariage se fait, il partagera la dot avec son secrétaire. » Voilà comment les affaires se traitent à la cour du roi des Huns.

Enfin Attila, ayant éclairci tout ce qu’il lui importe de savoir, l’innocence de l’ambassadeur, la persistance de la cour impériale dans le complot contre sa vie, et le retour prochain de Vigilas, qui a déjà quitté Constantinople... Laisse partir les ambassadeurs dont la présence lui devient inutile. Une lettre délibérée dans un conseil de seigneurs Huns et de secrétaires de la chancellerie Hunnique, sous la présidence d’Onégèse, est remise à Bérikh, qui doit accompagner l’ambassade jusqu’à Constantinople. Quoique les Romains s’en vont comblés de politesses et de présents, attendu que chaque grand de la cour, sur l’invitation du roi, s’est empressé de leur offrir quelques objets précieux, tels que pelleteries, chevaux, tapis ou vêtements brodés, les incidents de leur voyage sont peu récréatifs et leur montrent, au sortir des festins et des fêtes, un côté plus sérieux du gouvernement d’Attila.

À quelques journées de marche, ils voient crucifier un transfuge, saisi près de la frontière, et qu’on accuse d’être venu espionner pour le compte des Romains.

Un peu plus loin, ce sont deux captifs probablement Romains qui se sont enfuis après avoir tué leur maître Hun à la guerre : On les ramène pieds et poings liés, et on profite du passage des ambassadeurs, comme d’une bonne occasion, pour clouer ces malheureux à un poteau et leur enfoncer dans la gorge un pieu aigu.

Leur compagnon de route, Bérikh, est d’ailleurs un vieux Hun de race primitive, sauvage, grossier, vindicatif.
A propos d’une querelle survenue entre ses domestiques et ceux de l’ambassade, il reprend à Maximin un beau cheval qu’il lui a donné, et ne cesse de murmurer tout le long du chemin.
Finalement, à peu de distance du Danube, sur les terres Romaines, l’ambassade rencontre Vigilas, qui s'en va tout joyeux vers le but de son voyage, en compagnie, comme il croit, mais en réalité sous la garde d’Esla...Tel est le premier acte de ce drame compliqué dont Attila tire les fils avec une si profonde astuce et une patience si opiniâtre. Il a eu pendant 2 mois entiers sous sa main les représentants d"un gouvernement qui conspire contre sa vie, une ambassade dont le seul but est de le faire assassiner par les siens, Il peut invoquer, pour se venger ou se défendre, le droit des nations qu’on viole si outrageusement contre lui, l’existence de tous ces Romains dépend d’un signe de ses yeux, et ce signe, il ne le fait pas.
Avec l’impartialité d’un juge prononçant dans une cause étrangère, il sépare l’innocent du coupable, sans vouloir remarquer qu’ils portent tous deux la même tache originelle. S’il y a dans cette conduite un sentiment d’équité naturelle incontestable, il s’y trouve aussi un grand fonds d’orgueil, une haine superbe qui dédaigne les instruments pour remonter plus implacable jusqu’aux auteurs du crime... C’est à Théodose II, à Chrysaphius, à l’honneur Romain qu’il en veut. Il jouit de pouvoir mettre en parallèle, devant ce monde civilisé qui lui refuse le titre de roi comme à un chef de sauvages et le méprise tout en le redoutant, la justice et les procédés du Barbare avec ceux de l’empereur Romain.

Vigilas s’est hâté de terminer à Constantinople les affaires qui ont servi de prétexte à son voyage.Toujours aveugle, toujours infatué de sa propre importance, il a fini par l’inspirer aux autres.
Chrysaphius, qui croit, d’après lui, le succès du complot assuré, double la somme prévue, l’interprète revient donc avec 100 livres d’or renfermées dans une bourse de cuir. Tout cela se passe sous l’œil attentif d’Esla, qui ne perd aucun de ses mouvements depuis leur départ.
Les serviteurs de l’ambassade Hunnique ne sont pas autre chose non plus que des gardiens qui tiennent le Romain prisonnier sans qu’il s’en doute.
De l’autre côté du Danube, la surveillance se resserre encore davantage. Vigilas amène de Constantinople son propre fils âgé de 18 à 20 ans, qui a été curieux de visiter le pays, et que, suivant toute apparence, l’interprète s’est fait adjoindre en qualité de second.
Comme ils mettent le pied dans la bourgade royale d’Attila, ils sont saisis tous les deux et traînés devant le roi, leurs bagages saisis également sont fouillés sous ses yeux, et l’on y trouve la bourse avec les 100 livres d’or bien pesées. À cette vue, Attila feint la surprise et demande à l’interprète ce qu’il veut faire de tout cet or ? Celui-ci répond sans embarras qu’il le destine à l’entretien de sa suite et au sien, à l’achat de chevaux et de bêtes de somme dont il veut faire provision pour ses missions, car il en a perdu beaucoup sur les routes, et enfin à la rançon d’un grand nombre de captifs Romains dont les familles l’ont pris pour mandataire.

La patience d’Attila n’y tient plus.
« Tu mens, méchante bête ! s’écrie-t-il d’une voix tonnante, mais tes mensonges ne trompent personne, ils ne t’arracheront pas au châtiment que tu as mérité. Non, ce n’est pas pour ton entretien, ce n’est ni pour l’achat de chevaux et de mulets, ni pour la rançon de prisonniers Romains que tu t’es muni d’une pareille somme, tu sais bien d’ailleurs que j’ai interdit absolument tout commerce, tout emploi d’argent dans mes états de la part des étrangers » A ces mots, il fait amener par ses gardes le fils de l’interprète et déclare qu’il va lui faire passer une épée au travers du corps, si le père ne confesse pas à l’heure même à quel usage et pour quel but sont destinées ces 100 livres d’or.
Vigilas, voyant son fils sous les épées nues, devient comme fou, et, tendant ses bras suppliants tantôt du côté des bourreaux, tantôt du côté d’Attila, il crie d’une voix déchirante :
« Ne tuez pas mon fils, mon fils ignore tout, il est innocent, et moi je suis le seul coupable. »
Alors il déroule de point en point la trame ourdie entre Chrysaphius et lui, comment l’idée de l’assassinat est venue au grand eunuque et a été approuvée d’Édécon, comment l’empereur en a fait part à ses conseillers et comment lui, Vigilas, à l’insu du reste de l’ambassade, avait été chargé de préparer l’exécution du complot, son entrevue avec Édécon le jour de son départ et tout ce qui s’est passé à Constantinople.

Pendant qu’il parle, Attila l’écoute avec l’attention d’un juge et compare dans ses souvenirs les détails qu’il entent de la bouche de cet homme avec les révélations que lui a faites Édécon, et il reste convaincu que l’interprète dit la vérité.
S’adoucissant peu à peu, il commande de lâcher le fils et de tenir le père en prison jusqu’à ce qu’il dispose de son sort. On charge de chaînes Vigilas et on le traîne dans un cachot. Quant au fils, Attila trouve bon de le renvoyer à Constantinople chercher une seconde fois 100 livres d’or.
« Obtiens cette somme, lui dit-il, car c’est le prix des jours de ton père, »
et il fait partir en même temps que lui Oreste et Esla chargés d’instructions particulières pour l’empereur...

Ils arrivent à l’audience de Théodose II, qui connaît déjà par le bruit public la déconvenue de ses projets, et n’attend pas sans anxiété le nouveau message du roi des Huns. Les envoyés se présentent au pied de son trône dans l’accoutrement le plus singulier, mais auquel personne n'ose trouver à redire. Oreste porte pendue à son cou la même bourse de cuir dans laquelle les 100 livres d’or ont été renfermées, et Esla, placé près de lui, après avoir demandé à Chrysaphius s’il reconnait la bourse, adresse ces paroles à l’empereur :
Attila, fils de Moundzoukh, et Théodose II sont tous 2 fils de nobles pères, Attila est resté digne du sien, mais Théodose II s’est dégradé, car, en payant tribut à Attila, il s’est déclaré son esclave...
Or voici que cet esclave méchant et pervers dresse un piège secret à son maître, il ne fait donc pas une chose juste, et Attila ne cessera de proclamer hautement son iniquité qu’il ne lui ait livré l’eunuque Chrysaphius pour être puni suivant ses mérites. »

On ne s’attend pas cette conclusion. Théodose II aurait pu se résigner à toutes les humiliations que son crime découvert pouvait faire pleuvoir sur lui, mais les eunuques ne sont pas décidés à se laisser enlever le pouvoir, ni Chrysaphius à livrer sa tête :
Tout est donc en rumeur dans le palais. Ce qui préoccupe surtout l’empereur, c'est de sauver son chambellan, toutes les mesures adoptées tendent à ce but.

Les dernières entraves que la politique Byzantine oppose encore à l’orgueil d’Attila sont levées sans hésitation :
Il veut avoir des ambassadeurs consulaires, on lui en donne.
Il a désigné les patrices Anatolius et Nomus, parce qu’il n’y a pas de plus grands seigneurs dans l’empire.
On lui envoie Anatolius et Nomus.
On le traite comme on traite le souverain de l’empire des Perses, le grand roi. On s’occupe même de Constancius, qui reçoit de la main de l’empereur une veuve très riche en remplacement de sa fiancée, mariée à un autre...
Aucune concession, aucune bassesse ne sont épargnées.
La gloriole d’Attila est satisfaite, et il va par honneur au-devant des hauts personnages qu’on lui députe, toutefois il leur parle un langage dur, le langage d’un homme irrité.
Ils apportent de riches présents qui paraissent l’adoucir, ils apportent aussi beaucoup d’argent... Attila prend tout.

Il délivre Vigilas, qu’il regarde comme un coupable trop infime pour sa vengeance, il ne réclame plus la zone riveraine du Danube, qu’il possède de fait, sinon de droit, il ne dit plus rien des transfuges, il élargit même sans rançon un grand nombre de prisonniers Romains... Mais il exige la tête de Chrysaphius. Sur ce point, il est inflexible.

L’année 450 commence sous ces auspices. Les contingents des tribus Hunniques arrivent en masse sur les bords du Danube des armements s’opèrent chez les nations vassales de ces hordes, les Ostrogoths, les Gépides, les Hérules, les Ruges, et l’on annonce que les Acatzires sont en marche.
L’inquiétude gagne l’empire d’Occident non moins que celui d’Orient : Non seulement l’affaire de Sylvanus reste sans conclusion, mais il est survenu depuis d’autres embarras plus graves, les conjonctures sont menaçantes.
Enfin 2 messagers Goths, partis de la Hunnie, se présentent, le même jour et à la même heure, devant les empereurs Théodose II et Valentinien III ils sont chargés de dire à l’un et à l’autre :
« Attila, mon maître et le tien, t’ordonne de lui préparer un palais, car il va venir ! »...

Priscus (ou : Priscus Panoniensis, Priscus Panita), né à Panium (actuel village de Rumelifeneri, dans le district de Sarıyer à Istanbul), est un historien Grec originaire de Thrace et un diplomate au service des empereurs d'Orient Théodose II (408-450) et Marcien (450-457).
THÉODOSE II
Priscus est l'auteur d'un ouvrage d'histoire en 8 livres (l'Histoire Byzantine), probablement de l'avènement d'Attila à celui de Zénon (433-474). Seuls des fragments nous en sont parvenus, en grande partie préservés dans les Getica de Jordanès... La description d'Attila, de sa cour et de la réception des ambassadeurs Romains est un aperçu précieux sur l'histoire de l'époque. Le style de Priscus est simple. Son impartialité et sa fidélité l'ont placé parmi les auteurs honorables de son temps.



Priscus (historien) — Wikipédia
https://fr.wikipedia.org/wiki/Priscus_(historien)
Priscus (ou : Priscus Panoniensis, Priscus Panita), né à Panium (actuel village de ... Maximin et Priscus arrivent à la cour d'Attila à la fin de l'été 449.

Épisodes de l'histoire du Ve siècle – Attila/02 - Wikisource
https://fr.wikisource.org/wiki/Épisodes_de_l’histoire_du_Ve.../02
28 nov. 2010 - Dans les premiers mois de l'année 449, arrivèrent à Constantinople, avec le ..... Ce fut, pour Maximin et Priscus, une énigme de plus en plus ...

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