lundi 9 mai 2016

EN REMONTANT LE TEMPS... 384


20 AVRIL 2016...

Cette page concerne l'année 384 du calendrier julien. Ceci est une évocation ponctuelle de l'année considérée il ne peut s'agir que d'un survol !

DE LA FRAGILITÉ DES JUGEMENTS !

RUINE DE L'ESPAGNE ROMAINE
Procès des priscillianistes (néo-gnostique très ascétique). Après la déposition d'Instantius, condamné au concile de Burdigala (Bordeaux) par les évêques Ithace d’Ossonoba et Hydace de Mérida, Priscillien demande à comparaître devant l'empereur Maxime à Trêves, Martin de Tours intervient pour qu'il soit simplement expulsé de l’Église et non exécuté, mais malgré la promesse de l’empereur, il est déféré au civil devant le préfet du prétoire Evodius.

Priscillien, mort à Trèves en 385, est un évêque d'Avila, et le premier chrétien condamné à mort et exécuté par une autorité chrétienne pour hérésie. Le priscillianisme est une des premières hérésies condamnées par la jeune Église de Rome. Certains la rapprochent de celle des pauliciens.
Suivant ses détracteurs, son enseignement aurait été influencé par les théories gnostiques. Il aurait ainsi professé que :
L'âme est créée par Dieu, le corps et la matière par le principe du Mal.
Les étoiles et le Zodiaque déterminent la destinée de l’âme.
Les trois noms de la Sainte Trinité désignent une seule personne.

Ces croyances l'ont poussé à des pratiques jugées suspectes : Jeûne le dimanche, et surtout abandon de l’église pour des retraites en campagne. Le mouvement autorise des femmes à enseigner en son sein.
Priscillien est condamné une première fois au concile de Saragosse, le 4 octobre 380... Deux évêques, Ithace, évêque d’Ossonuba, et Hydace, évêque de Mérida, en émettant une suite d'accusations au caractère sans doute en partie calomnieux (magie noire, débauches...), demandent à l’empereur Gratien de sévir, ce qui constitue une première intervention du pouvoir séculier dans les affaires de l’Église.
Priscillien et ses disciples sont exilés, ils se rendent à Rome pour obtenir une grâce du pape Damase Ier, qui la refuse. Un fonctionnaire impérial les dispense de leur exil par un rescrit. Priscillien revient triomphalement en Espagne fin 382.
Hydace fuit alors l’Espagne, et va trouver le nouvel empereur Maxime, d’origine Ibérique, à Trèves. Celui-ci convoque Priscillien devant un concile à Bordeaux, mais l’évêque préfère être jugé par un tribunal séculier à Trèves. Il est néanmoins condamné avec ses disciples (7 peines capitales et plusieurs condamnations à l’exil sont prononcées) et Euchrétia, une femme qui l’a accueilli avec trop d’empressement à Bordeaux.
Saint Ambroise de Milan refuse d’aider la secte en 382, lorsque Priscillien passe à Milan, en route pour Rome.
Saint Martin de Tours est présent à Trèves lorsque Hydace et Ithace demandent à Maxime la condamnation de Priscillien. Celui-ci est condamné (pour motifs civils) au chef de magie. Rejoint par Ambroise de Milan (délégué par le jeune empereur Valentinien II), Saint Martin de Tours demande la grâce de vie pour Priscillien. Ambroise renonce, menacé de mort par l’empereur, Martin obtient que les disciples de Priscillien ne soient pas poursuivis. Le pape Sirice s’élève contre les procédés de Maxime.

Par la suite, Martin de Tours refuse de participer aux assemblées épiscopales, ce qui, avec ses efforts pour sauver de la mort Priscillien, le fait suspecter d’hérésie. L’empereur Théodose Ier déclare nulles les décisions de Maxime dans cette affaire, Ithace est déposé quelques années plus tard, et Hydace démissionne de sa charge de lui-même.
Un certain nombre d'évêques priscillianistes font leur soumission au Ier concile de Tolède (400), la doctrine est une nouvelle fois condamnée en 563 au Ier concile de Braga.
Son déterminisme astrologique est encore évoqué dans une homélie du pape Grégoire le Grand, après 600.

Paul Orose dans ses écrits revient sur cette hérésie, qu’il condamne également. Saint Augustin d'Hippone, à la fin de sa vie, la condamne fermement, ainsi que Saint Jérôme de Stridon, présent à Rome en 382 (mais en Terre Sainte les années suivantes).
L’hérésie continue à s’étendre aussi bien en Gaule qu’en Espagne, malgré les mesures prises contre elle.

En 412, Lazare d'Aix, évêque d’Aix-en-Provence, et Héros d'Arles, l’évêque d’Arles, sont révoqués de leur siège sur accusation de manichéisme.
Proculus, l'évêque de Marseille et les métropolitains de Vienne et de Narbonne, sont aussi proches de la doctrine rigoureuse pour laquelle Priscillien est mort.
Turibius, l’évêque d’Astorga agit pour faire réprimer cette hérésie, en faisant convoquer un nouveau concile à Tolède en 447, la profession de foi priscillianiste est une nouvelle fois condamnée à Braga, preuve de l’enracinement de la doctrine.
MOSAÏQUE DANS UNE MAISON ROMAINE
L’Église officielle, selon Conybeare, a dû intégrer les tendances ascétiques en imposant le célibat aux prêtres. Mais l'enseignement officiel de Rome ne permet pas d’imposer cet ascétisme comme idéal et comme devoir à chaque chrétien. Priscillien a péri pour avoir insisté sur cet idéal.

Il est difficile aujourd’hui de séparer les propres assertions de Priscillien de celles que lui ont attribuées ses ennemis (ainsi celle de manichéisme, qui repose peut-être sur une mauvaise interprétation d’une de ses lettres, citée par Orose) et des sectes qui plus tard ont été qualifiées de priscillianistes. L’enseignement ascétique de Priscillien a laissé une empreinte profonde dans le nord de l’Espagne et le sud de la Gaule, où l’ascétisme mystique a ensuite souvent porté à des extrêmes sous différentes formes (voir Cathares), tous courants condamnés par le pouvoir politique comme hérétiques...
Priscillien a longtemps été honoré comme martyr, notamment en Galice, et dans le Nord du Portugal, où l’on prétend que son corps est revenu. Certains prétendent que le corps retrouvé au VIIIe siècle et identifié comme celui de Saint Jacques de Compostelle est en fait celui de Priscillien.
Quelques écrits de Priscillien reconnus orthodoxes n’ont pas été brûlés. Par exemple, il divise les épîtres pauliniennes (y compris l’Épître aux Hébreux) dans une série de textes selon leur point de vue théologique, en ajoutant une introduction à chaque série. Ces canons ont été édités par Peregrinus. Ils contiennent une forte incitation à la piété personnelle et à l’ascétisme, notamment au célibat, et à la privation de viande et de vin.
Il affirme aussi que l’esclavage est aboli entre chrétiens, et que les différences fondées sur le sexe n’ont pas lieu d’être, ce qui ne va pas de soi dans la Chrétienté d’alors. Il affirme aussi que la Grâce divine se répand sur tous les croyants, et que l’étude des Écritures prime. Comme beaucoup de chrétiens du IVe siècle, Priscillien a beaucoup travaillé sur des écrits plus tard considérés comme apocryphes.

On a longtemps cru que tous les écrits hérétiques de Priscillien avaient disparu, mais en 1885, Georg Schepss a découvert à l’université de Wurzbourg 11 originaux, publiés dans le Corpus de Vienne en 1886. Bien qu’ils soient tous signés du nom de Priscillien, 4 d’entre eux qui décrivent les épreuves de Priscillien sont probablement de la main d’un de ses disciples.
Le destin des priscillianistes a inspiré le réalisateur Luis Buñuel, dans le film La Voie lactée en 1969.

En 380 est réuni à Saragosse un concile où 10 évêques Hispaniques assistés de deux évêques Aquitains condamnent les positions théologiques et les pratiques de Priscillien, riche laïc Espagnol, et de deux évêques de son parti, Instance et Salvien, dont nous ignorons les sièges. Aucun d'entre eux ne s'est présenté au concile. L'initiative de la réunion vient de l'évêque d'Emerita, Hydace, qui agit sans doute en tant que métropolitain de la province de Lusitanie. Par la suite et malgré cette condamnation, Instance et Salvien ordonnent Priscillien évêque d'Avila, en Lusitanie encore... Depuis les conciles d'Arles et de Nicée, il faut en principe, pour ordonner un évêque, la présence d'au moins 3 évêques de la province, et la confirmation du choix par le métropolitain.
Les sièges d'Instance et de Salvien doivent donc se trouver en Lusitanie, et c'est comme métropolitain des 3 évêques qu'Hydace intervient dans l'affaire, bien qu'alerté par l'évêque de Cordoue Hygin, de la province de Bétique .

L'évêque d'Ossonoba, Ithace, donc encore un évêque de Lusitanie, est chargé par le concile de faire connaître à tous la condamnation des idées et pratiques de Priscillien. Le conflit religieux reste donc ouvert.
Sulpice Sévère, notre source essentielle, signale qu'Hydace, l'évêque orthodoxe d'Emèrita, a vainement tenté de faire expulser de leurs villes les priscillianistes.
Les canons qui nous sont parvenus n'évoquent pas de manière directe l'affaire priscillianiste. Les autres sources concernant l'affaire, mis à part les écrits priscillianistes, n'intéressent que le procès et la mort de Priscillien et de ses amis à Trêves, et s'inspirent de l'ouvrage de Sulpice Sévère.
Seul Sulpice Sévère nous renseigne sur cette condamnation. Sur les précisions apportées à la législation canonique dans ce domaine au cours du IVe siècle, J. Gaudemet, L'Eglise dans l'Empire Romain, Paris, 1958, p. 333. 6. Sulp. Sev., Chron. II, 46.

Le métropolitain convoque les conciles : Concile d'Antioche de 341, can. XVI. Cependant à Saragosse il ne s'agit pas d'un simple concile provincial. Des évêques du diocèse civil des Espagnes y sont présents ainsi que des évêques du diocèse de Gaule Méridionale.
Les 3 évêques par les autorités locales, obtiennent de Gratien un rescrit contre tous les hérétiques. Ceux-ci, d'après Sulpice, doivent être expulsés de leurs églises et de leurs villes, et au-delà de toute terre, ce qui doit signifier au-delà des frontières de l'Empire. C'est un texte de portée générale et qu'on interprète dans ce contexte comme visant particulièrement les priscillianistes. En réalité, Sulpice attribue à Hydace la paternité d'une mesure générale de Gratien contre les hérétiques, plus probablement la deuxième, celle qui les prive de leurs lieux de culte, à moins qu'il ne suggère une mesure générale plus forte encore, et postérieure à celle-ci.
En tout cas, comme les priscillianistes réclament la restitution de leurs églises dans une phase ultérieure du conflit, il faut conclure qu'on les leur a confisquées.

La possession des lieux de culte a posé problème tout au long du IVe siècle et au-delà. Disposant de la facu
MUSÉE DE MÉRIDA.
lté de recourir à l'autorité impériale chrétienne, les groupes chrétiens se sont adressés à l'empereur pour confirmer leur possession des lieux de culte.
Les groupes à la foi desquels l'empereur adhère, demandent l'expulsion de leurs adversaires, majoritaires ou minoritaires. Ceux qui ne partagent pas la foi de l'empereur, novatiens sous Constantin, ariens sous les empereurs orthodoxes, orthodoxes sous les princes ariens par exemple, n'hésitent pas à faire appel à la justice d'un prince sans craindre que sa croyance puisse le rendre partial. Les manichéens ont une position particulière, et ne cherchent pas à infléchir le jugement des autorités ecclésiastiques orthodoxes... Persécutés sous Dioclétien, ils ont joui d'un temps d'accalmie jusqu'à ce que Valentinien 1er en 372, les prive de leurs lieux de culte et punisse leurs chefs .

En 380 ils sont haïs et craints par de nombreux chrétiens, mais leurs cercles fleurissent, à demi clandestins, à Carthage et à Rome. C'est donc contre les manichéens qu'est conçue la première mesure de confiscation des lieux de culte.
Elle est étendue aux hérétiques en général par une loi de Gratien dont la date selon les commentateurs oscille entre 376 et 380 : Elle est donc antérieure de toute façon au concile de Saragosse ou tout au plus contemporaine. C'est seulement en 383 que Théodose prend la même disposition en Orient en l'aggravant par l'interdiction de toute réunion et de toute constitution d'un clergé hérétique.

En 388, cette loi est étendue à l'Occident, comme si la loi de Gratien n'avait pas eu d'effet. Dans une loi de 389 , adressée par Valentinien, Théodose et Arcadius au Préfet de la Ville, donc après la fin de l'affaire priscillianiste, on trouve une expression très proche de celle de Sulpice Sévère : « Qu'ils soient expulsés du monde entier ». Ces termes s'appliquent là aux Manichéens, dans une loi postérieure à l'affaire, mais antérieure à la rédaction de la Chronique de Sulpice Sévère, ce qui explique peut-être la· similitude.
Le métropolitain n'a aucun moyen de faire appliquer une sentence conciliaire d'expulsion ou de restitution de lieu de culte si la population est solidaire de son évêque, et dans ce cas elle l'est, puisque par la suite Priscillien récupère son église « sans la moindre opposition ». Or il semble bien que Priscillien, Instance et Salvien n'ont pas été nommément désignés dans la condamnation faite par le concile de Saragosse. Priscillien, laïc encore, aurait pu être jugé par un simple clerc. C'est la dignité épiscopale d'Instance et de Salvien qui rend nécessaire la réunion d'un concile. D'ailleurs les autorités administratives refusent de les expulser immédiatement après le concile. Priscillien déclare aussi que le rescrit obtenu de Gratien l'a été en dissimulant son nom et celui de ses amis...
Si les églises ont été confisquées, malgré les 3 évêques et leurs fidèles, c'est que l'autorité administrative est intervenue. L'expulsion n'est justifiée que par une définition donnée par un concile. Priscillien prétend qu'Hydace a obtenu un rescrit contre les pseudo-évêques et les manichéens. Dans la Péninsule Ibérique même, les autorités civiles appliquent cet édit général aux 3 évêques amis.
Voilà donc une première phrase qui se termine par une victoire des orthodoxes, victoire qui est due à l'intervention impériale, demandée par les évêques.
Trois décisions ont été prises :
La première par le concile qui qualifie l'hérésie sans donner de noms.
La deuxième par le pouvoir central contre les hérétiques.
La troisième par le gouverneur de la province qui décide qu'il y a lieu d'appliquer l'édit dans ce cas précis. Ce n'est pas la simple exécution par la police d'une décision conciliaire.

Priscillien et ses amis, expulsés de leurs églises, se rendent à Bordeaux où l'évêque Delphinus, qui a souscrit au concile de Saragosse, refuse de les recevoir... De Lusitanie en Gaule cette route est assez normale, mais aussi Delphinus apparaît comme l'évêque principal du sud de la Gaule, susceptible de réunir un concile plus large que celui de Saragosse, c'est-à-dire regroupant des évêques de toute la préfecture des Gaules. Le concile d'Antioche en 341 prévoie en effet qu'un évêque déposé peut porter sa cause devant un synode élargi.
Priscillien, Instance et Salvien ont été condamnés par 12 évêques alors que le récent concile romain de 378 en impose environ 15 pour juger un évêque sur sa foi.
Priscillien, Instance et Salvien séjournent quelque temps dans la propriété d'amis Aquitains. Ce temps reste indéterminé, après 380 et avant la mort de Gratien en août 383. De là ils se rendent à Rome où ils tentent de rencontrer le pape Damase... Ce dernier refuse, comme l'évêque de Bordeaux, de les recevoir. Est-ce parce que la procédure régulière n'a pas été suivie : Réunion d'un synode plus large avant l'appel au pape ?

MAISON VOUÉE A MITHRA
Une disposition du concile de Sardique a pu suggérer les démarches auprès de Delphinus et du pape. Un évêque condamné et déposé doit pouvoir saisir l'évêque de Rome qui ne statuera pas au fond mais renvoie l'affaire devant un concile formé des évêques de la province voisine de celle du condamné.
Les trois évêques peuvent se prévaloir de la récente disposition de Gratien prise en réponse au concile Romain de 378. Gratien ordonne que les évêques récalcitrants après leur condamnation par un concile soient traduits devant le pape ou devant leur métropolitain. S'ils le récusaient pour partialité Gratien prévoyait la réunion de quinze évêques voisins. Dans cette perspective, Priscillien, encore laïc au moment du concile de Saragosse, était moins bien placé que ses amis pour recourir au pape. Mais toutes ces dispositions pouvaient-elles être appliquées à des évêques que nul concile n'avait jugés ni condamnés, ni déposés nommément ?

Salvien meurt à Rome, et Priscillien reprend la route d'Espagne avec Instance. Ils tentent alors une dernière démarche à Milan. Pour atteindre l'empereur ou pour faire pression sur le pape, ils doivent savoir que l'appui d'Ambroise sera utile : Ils tentent de l'approcher... C'est en vain, Delphinus, Ambroise, Damase lui-même, considèrent ces 3 évêques comme hérétiques et excommuniés. Sulpice Sévère les croit condamnés par le concile de Saragosse et explique ainsi que l'on refuse de les recevoir. Le concile de Saragosse a d'ailleurs pris une disposition dans ce sens, sans toutefois nommer quiconque .
Les évêques décident d'attendre à Milan une entrevue avec le prince, ou un accès aux autorités administratives qui, chargées de leur faire retirer leurs églises, peuvent après les avoir entendus, ordonner la restitution.
Obtenir une audience privée d'un évêque peut sans doute être assez rapide. S'assurer d'un refus définitif après plusieurs démarches doit être plus long. Plus longue encore l'attente si l'on sollicite un entretien de l'évêque de Rome. Quant à l'empereur, le temps d'attente pour le rencontrer doit être tout à fait variable, et dépendre autant des prévisions d'audiences que du Caprice Sacré.
C'est pour une chasse que Gratien refuse un jour de recevoir Ambroise qui veut le faire revenir sur une condamnation capitale. Ambroise refoulé devant la porte du maître des Offices Macedonius, Ambroise contraint de se présenter devant le Consistoire de l'usurpateur Maxime, quand il demande une audience privée, montre que l'accès à l'empereur ou à ses hauts fonctionnaires doit être plus difficile encore à des évêques provinciaux inconnus et condamnés.

Ce Macedonius qui ferme sa porte à Ambroise, et l'ouvre à Priscillien après quelques cadeaux, a été Comte des Largesses sacrées en 381.
Il doit être à même d'apprécier ce que des proscriptions et confiscations de biens légalement appliquées peuvent rapporter au fisc.
A supposer qu'il se soit agi de Gratien, on voit les raisons qui ont pu l'inciter à refuser de recevoir Priscillien, la première étant qu'il est lui-même l'auteur de la première mesure, obtenue par l'évêque orthodoxe Hydace.
S'il s'agit d'une audience en Consistoire, ou d'une lecture de pétition au
Consistoire, le rôle du Magister Officiorum est essentiel. Celui-ci ou les fonctionnaires qu'il dirige, lisent les requêtes des délégations au Consistoire. Après décision, ils assurent encore la fonction exécutive par les commissions qu'ils adressent aux agents in rebus, aux préfets du prétoire, proconsuls ou vicaires.
Le Maître des Offices détient donc une position clef pour la solution de l'affaire. Les interventions directes de l'empereur sont alors si souvent en contradiction avec les mesures générales qu'en 398 Arcadius décide qu'on ne peut plus les utiliser comme jurisprudence... Le texte obtenu de Gratien par Hidace, et qui expulse tous les hérétiques, apparaît comme une mesure générale, tandis que celui qui rend leurs églises à Priscillien et à Instance est une mesure particulière.
Le Maître des Offices peut tout aussi bien opérer seul avec ses bureaux dans le second cas, si, en l'absence du prince, il a reçu pouvoir d'expédier les affaires courantes.

Rufin, préfet du Prétoire d'Orient reçoit même peut-être le pouvoir de légiférer en l'absence de Théodose en 394, puisqu'on a trois constitutions à lui adressées de Constantinople par un empereur qui, à leur date, a déjà quitté cette capitale pour l'Occident. Cela suppose Gratien absent de Milan, soit lors d'une expédition sur le Danube d'où il fait partir une loi le 5 juillet 382, soit plus simplement en séjour à Brescia ou Padoue , soit encore au début de 383, lorsqu'il part combattre l'usurpateur Maxime, mais avant le débarquement en Gaule de ce dernier, puisque Priscillien a retrouvé son siège lorsqu'on apprend ce débarquement.
Évidemment si Gratien se trouve dans la vallée du Pô, il est moins probable qu'il ait délégué d'importants pouvoirs intérimaires à Macedonius, et d'autre part Priscillien aurait pu tenter de le joindre ailleurs qu'à Milan. C'est pourquoi le séjour à Viminacium en l'été 382 paraît plus probable.

Le concile d'Antioche en 341 a réglé les conditions dans lesquelles un évêque déposé peut recourir à l'empereur. Il faut l'autorisation des co-provinciaux et du métropolitain. Le recours à l'empereur après la condamnation par deux synodes prive de toute possibilité de réintégration. Toutefois, Priscillien et Instance peuvent avancer qu'on a refusé de réunir un synode élargi.

Priscillien et Instance prennent donc le risque de n'être pas réintégrés dans la communion des catholiques Hispaniques. Même si la réglementation des divers conciles n'est pas appliquée partout très rigoureusement, l'attitude de Priscillien par la suite ne le montre pas très soucieux de chercher un accord sur le fond avec les évêques Hispaniques et Gaulois. Sulpice Sévère écrit qu'ils corrompent Macedonius et obtiennent ainsi la restitution de leurs églises. Cela pose simplement le problème des méthodes et moyens légaux pour obtenir audience.
Quel moyen avons-nous de distinguer le cadeau coutumier ou tarifé du cadeau corrupteur ? Les hommes de ce temps ne disposent sans doute pas plus que nous devant ce cas d'un système d'évaluation autre que la malveillance ou la bienveillance, ainsi que la réussite ou l'échec final. En ce cas, tous les orthodoxes crient à la corruption.
La cour Milanaise a précisément nommé à la tête d'une des provinces Ibériques, la Lusitanie probablement, un proconsul du nom de Volventius. L'ensemble des affaires importantes du diocèse peut venir devant ce proconsul, sans aucune possibilité d'appel au préfet du prétoire.
Sur l'intervention de Macedonius, Ithace d'Ossonoba est privé de tout moyen de résister... Les hérétiques, dit Sulpice, ont pour cela corrompu le proconsul.

Cette procédure contre Ithace, décision Milanaise et communication directe avec un proconsul, est normale . En frappant Ithace, chargé par le concile de Saragosse, de faire connaître la condamnation des idées de Priscillien, on permet aux nouvelles doctrines de se répandre.
Le concile de Saragosse n'a ni excommunié ni destitué Instance et Priscillien. Dans ce cas, la force publique a été tenue, sans qu'un recours à l'empereur soit nécessaire, de faire appliquer la sentence synodale.

Voici la traduction du texte de Sulpice Sévère sur les événements qui suivirent le retour de Priscillien dans la péninsule :
« Bien plus Ithace est poursuivi en justice par ces derniers, accusé en quelque sorte de perturber les églises, et comme on a lancé contre lui un mandat d'amener par le moyen d'une implacable poursuite judiciaire, affolé, il se réfugie dans les Gaules. Là, il va trouver le préfet Grégoire. Quand on lui a dévoilé ce qui se passe, ce dernier ordonne qu'on lui amène les fauteurs de trouble, et rapporte toute l'affaire à l'empereur afin qu'il ôte aux hérétiques tout moyen d'intriguer. Mais cela s'avère inutile, car, du fait des ambitions et du pouvoir de quelques hommes, on peut tout obtenir là-bas par la corruption. Donc les hérétiques obtiennent par leurs intrigues, en donnant de fortes sommes à Macedonius, que la cognitio soit enlevée au préfet par décision impériale et soit transférée au vicaire des Espagnes, qui, en effet, ont déjà cessé d'avoir un proconsul ».
C'est la première poursuite devant les tribunaux civils dans cette affaire priscillianiste.
AMPHITHEATRE
Gratien est en Gaule depuis qu'il a appris l'usurpation. L'empereur auquel s'adresse le préfet du Prétoire des Gaules Grégoire est certainement Gratien que l'évêque de Trêves Britton sait être orthodoxe convaincu. Britton qui a accueilli Ithace à Trêves, a participé au concile Romain de 382, où il a rencontré Ambroise. Ce même concile demande l'intervention impériale dans les procès de clercs pour traduire les accusés devant les conciles-tribunaux, et pour exécuter les sentences. Le proconsulat a peut-être été créé pour éviter les appels au prince, comme l'a suggéré A. Chastagnol...
Il a peut-être été supprimé pour empêcher une sentence favorable aux prisicillianistes. La date même de sa suppression le suggère. On connaît par le Code Théodosien un vicaire des Espagnes, Marinianus qui reçoit un rescrit du 27 mai 383 (C.Th. 9, 1, 14). C'est ce même vicaire qui reçoit compétence pour juger Ithace. Il est païen, comme l'indique la correspondance de Symmaque...

Quoi de plus naturel, politiquement s'entend, que d'embrasser leurs vues, et de se poser en protecteur des orthodoxes de la péninsule, soit la majorité des évêques Hispaniques, opposés à Priscillien ? Maxime est d'origine Hispanique, et peut ainsi faire l'économie d'un déplacement dans la péninsule. Il n'est pas tout à fait plausible qu'il ait voulu dépouiller les riches au profit des pauvres, même si le parti des priscillianistes se recrute parmi les aristocrates.
En Gaule ce sont les évêques bien nés qui prennent le parti d'Ithace, ceux qui se sont depuis son ordination opposés au soldat-évêque Martin.
Rien n'est clair ni simple dans cette affaire, ni l'hétérodoxie de Priscillien, qui semble être quasi étrangère aux diverses phases civiles du procès, et reste encore difficile à cerner, ni le caractère social ou régional de l'opposition entre les deux partis.
Maxime, en choisissant Ithace choisit le bon côté. Il ordonne d'amener à Bordeaux « tous ceux qui sont touchés par la souillure », devant un concile plus large que celui de Saragosse, et ce par lettres au préfet des Gaules et au vicaire des Espagnes : Il domine donc alors l'ensemble de la Préfecture.
Encore désireux de se faire reconnaître co-Auguste par Théodose, il applique les lois les plus récentes, et en particulier celle qui fait prendre en charge par les autorités civiles la recherche des accusés récalcitrants et leur traduction devant les conciles qui doivent les juger.

Le synode de Bordeaux condamne de nouveau le priscillianisme. L'instance développe ses arguments et le dépose. Priscillien, présent malgré lui, refuse de s'expliquer. Il pense même qu'un recours par provocatio (qui n'est pas un appel d'une sentence devant un autre tribunal) serait suspensif et que les évêques n'auront pas à se prononcer sur son cas. Ces derniers le suivent sur ce point Sulpice Sévère le leur reproche.

Le concile de Bordeaux se tient en 384 à la demande et avec l'aide d'un usurpateur. La provocatio de Priscillien, prononcée devant le concile, est peut-être destinée à Valentinien II, l'empereur légitime de tout l'occident, alors à Milan.
A Milan la cour est maintenant arienne autour de Justine et de son fils Valentinien. La situation a peut-être été favorable à Priscillien si les provinces Hispaniques sont restées dépendantes de Milan. Et dans la mesure où tous les dissidents de la péninsule espèrent la tolérance de cette cour arienne, Priscillien, tenu par la police de Maxime qui l'a traduit devant le synode de Bordeaux, est en mauvaise position politique.
Priscillien, devant le tribunal de Trêves est demandeur contre Ithace et défendeur si l'on considère la plainte de celui-ci... Or Priscillien et ses amis sont conduits sous escorte (deducti) à la capitale.
Les orthodoxes arrivent librement (secuti). C'est-à-dire que Priscillien et les siens sont traités en prévenus. La question s'est posée de savoir si Maxime fait juger par un tribunal civil des évêques non destitués.
Ch. E. Babut conclue du dossier que Priscillien est jusqu'à la fin considéré comme évêque. K. Girardet conserve cette conclusion.
C'est cette même année 384 que Maxime est reconnu Auguste par Théodose. C'est à Rome la famine, et le blé Espagnol est le seul salut possible. Maxime se voit attribuer toute la préfecture des Gaules, tandis que Valentinien est réduit à l'Italie. Ambroise est venu à Trêves, comme ambassadeur de la cour arienne de Milan, à l'automne 383 (sept. oct. 383 - janv. 384) et une deuxième fois dans l'été 386.

Dans ces conditions, Maxime va œuvrer pour l’Église, dans le respect des lois de l'Empire en proposant la réunion d'un concile et en y traînant Priscillien et Instance. Il conserve les provinces Hispaniques et la mission d'Ambroise est peut-être à cet égard un échec total.
Pendant le séjour d'Ambroise à Trêves, l'ancien évêque arien de Milan, Auxence, est rentré dans la capitale, et, dès son retour, Ambroise est sommé par le Consistoire de livrer une église aux ariens. Depuis son retour de Trêves jusqu'à sa deuxième ambassade, Ambroise vit une situation semblable à celle de Priscillien soutenu par les chrétiens de son église, et affronté à un pouvoir de convictions opposées.
Sur la deuxième ambassade d'Ambroise règne le même mystère que sur la première. Mais Ambroise avait peut-être une mission de faire ce qu'on le voit faire en réalité à Trêves, c'est-à-dire excommunier les évêques orthodoxes qui ont livré Priscillien à Maxime.

Il suffit qu'un empereur considère un évêque comme dangereux pour qu'une procédure d'accusation soit mise en place devant les tribunaux séculiers. Il n'est plus question du recours de Priscillien, mais d'un procès capital sur un autre acte d'accusation. C'est ce que Maxime donne à entendre à Martin de Tours venu à Trêves demander le renvoi devant un concile :
« Les hérétiques, dit l'empereur, ont été justement condamnés, d'après la procédure des tribunaux publics, non par les intrigues des évêques ».
Si Priscillien tombe sous le coup des lois civiles pour magie ou pour manichéisme, les évêques n'ont pas à intervenir. Il n'empêche que cette affaire a pu se régler différemment. Si le concile a déposé Priscillien comme il a déposé Instance, la police provinciale est tenue de leur faire évacuer leurs églises. Le reste ne concerne pas les évêques. C'est ce que manifestent, chacun de son côté, Ambroise et Martin, en se séparant de la communion d'Ithace et de ses amis :
« C'est bien assez, dit-il, que les coupables, déclarés hérétiques par une sentence épiscopale, soient chassés de leurs églises, c'est une nouveauté inouïe, monstrueuse, de faire non consolidées par la cohérence d'un ensemble... Il reste alors, mis en lumière par la perspective générale, les aléas d'un conflit devant plusieurs juridictions et pour chaque juridiction, à des instances différentes. Les bureaux de Milan puis de Trêves interviennent à chaque étape du procès, autoritairement.

En période de recherche théologique, de mise au point d'un corps doctrinal, les divergences d'opinion, nommées alors divergences de foi, rendent ces réunions indispensables dès qu'une idée nouvelle surgit. L'affaire priscillianiste apporte des précisions sur le fonctionnement de l'appareil judiciaire qui est aussi l'appareil politique dans une affaire traitée judiciairement comme un procès d'opinion.
Aline ROUSSELLE

( une fois encore malgré le temps les régimes ou les progrès les affaires de justices sont tellement imbriquées que le moindre procès dure des années et que le malheureux inculpé n'est pas certains d'avoir gain de cause... suivant dans quel sens le vent tourne... les opinions politique ou autres évoluent La compétence des juges etc.)



384 — Wikipédia
https://fr.wikipedia.org/wiki/384
Cette page concerne l'année 384 du calendrier julien. Sommaire. [masquer]. 1 Événements; 2 ... Hiver : procès des priscillianistes (néo-gnostique très ascétique). Après la déposition d'Instantius, condamné au concile de Burdigala (Bordeaux) ...
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Quelques aspects politiques de l'affaire priscillianiste - Persée
www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1981_num_83_1_4105
de A Rousselle - ‎1981 - ‎Cité 4 fois - ‎Autres articles
La chronologie ne peut être établie avec certitude dans cette année 384. ... De toute façon le deuxième voyage à Trêves est contemporain du procès. 55.

Compilhistoire - Manichéens, priscillianistes, pauliciens, bogomiles ...
compilhistoire.pagesperso-orange.fr/manicheens.htm
Priscillianistes, pauliciens, bogomiles, cathares, patarins, publicains et albigeois ... de la doctrine répandue dans le "pays des Parthes", vers l'année 100, par le .... Le pape Sirice (384-398) combat les hérésies des novatiens, des donatistes, ..... en 1330, l'inquisiteur Henri de Chamay est obligé de renoncer à des procès ...

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