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JUILLET 2015...
Cette
page concerne l'année 672 du calendrier julien. Ceci est une
évocation ponctuelle de l'année considérée il ne peut s'agir que
d'un survol !
UNE
EUROPE EN PERPÉTUELLE RECHERCHE
Lorsqu'en
1948 paraît l'ouvrage de Jan Dhondt, Études sur la naissance des
principautés territoriales en France (IXe-Xe siècles ), Ferdinand
Lot salue « ce large tableau d'histoire générale qu'il nous
présente et le peint de main de maître ». Pour le professeur
de l'Université de Gand, il s'agit de montrer que cette apparition
est en réalité « une profonde révolution qui marque le IXe siècle
». Née en quelques dizaines d'années, elle triomphe après 887, au
cours du Xe siècle, par « élimination de la monarchie centralisée
au bénéfice des princes territoriaux ».
Son
succès est dû au fait que l'empire carolingien est un « cadre
politique anachronique dès sa naissance même », conclusion
qui n'est pas sans inquiéter Ferdinand Lot, lequel insiste à juste
titre sur le rôle des magnats et l'absence des notions d'État et
d'intérêt général pour expliquer l'échec de Pépin, Charlemagne
et Louis le Pieux.
Certes,
l'Empire a fini par réapparaître avec les Otton et a survécu,
comme les Principautés, au-delà du Moyen-Âge : Cette conclusion a
été corroborée par Robert Folz qui a montré combien Charlemagne a
été « trahi par les hommes ». Mais justement, pourquoi cette
trahison ?
Jan
Dhondt répond : L'empire Carolingien constitue un vaste conglomérat
de nationalités diverses qui ont maintenu vivace le sentiment de
leur individualité et qui tendent, sans relâche, à échapper à
l'emprise Franque. Si le futur empereur se décide, en 778 à faire
de l'Aquitaine un royaume, c'est à n'en pas douter pour désarmer
l'autonomisme Aquitain.
Jan
Dhondt a bien senti, chez les Aquitains, « la défiance instinctive,
allant jusqu'à l'hostilité, pour tous ceux qui n'appartiennent
point à leur communauté ». Mais il a pu se demander pourquoi
cet autonomisme existait déjà en 778, fait qui contredit sa thèse
d'une naissance des principautés dans la seconde moitié du IXe
siècle. Ceci a amené à réexaminer la thèse de Jan Dhondt sur la
naissance des principautés régionales dans une autre perspective.
Si l'autonomisme Aquitain existe déjà au VIIIe siècle, quand alors
a-t-il pu vraiment naître ? Était-il alors le seul ? Et si l'Empire
Romain a connu un avatar Carolingien, ne serait-ce pas dû au fait
que lui aussi a combattu des autonomismes régionaux ? Une véritable
dialectique entre empire centralisé et autonomismes régionaux ne
peut-elle être à l'origine de cette dualité médiévale de
l'Empire et des Principautés ?
Ceci
nous ramène aux années 650-700, terrible demi-siècle pour l'Empire
Romain et les monarchies Wisigothique et Franque.
La
seconde moitié du VIIe siècle est, pour les royaumes barbares de
l'Europe Continentale, une époque de crise très grave d'où sortent
de considérables nouveautés. L'histoire de ce demi-siècle n'a été
que très rarement faite car, par suite de ses nombreux
bouleversements, les sources écrites, pour ne point parler des
sources archéologiques si difficiles d'interprétation, sont rares
et contradictoires. L'absence, en particulier, de grandes œuvres
littéraires est même une preuve, a contrario, de l'importance des
troubles et des innovations qui éclatent ou naissent. Qu'il s'agisse
en effet des territoires Byzantins d'Italie et de la péninsule en
général, de l'Espagne Wisigothique ou de la Gaule Mérovingienne,
partout explosent les guerres civiles, s'effondrent les pouvoirs
centraux, naissent des ensembles régionaux et se rétractent
corrélativement les zones commerciales. Comment et pourquoi
surgissent ces nouveaux organismes ?
Par
suite du choc conjugué des Slaves et de l'Islam, l'Empire romain
d'Orient se débat dans d'énormes difficultés. La dynastie des
Héraclides, dont le pouvoir est sorti de l'Afrique, porte une
attention particulière aux deux exarquats de Ravenne et de Carthage.
Mais
la péninsule Italienne est déjà morcelée par l'invasion Lombarde
en trois organismes politiques, le Royaume Lombard proprement dit,
centré sur Pavie, le duché de Spolète et le duché de Bénévent.
A plusieurs reprises, les princes Lombards attaquent les territoires
Byzantins, qui doivent organiser leur défense souvent sans recevoir
à temps des secours de Constantinople. Ainsi, les Lombards
entretiennent l'insécurité par leurs razzias sur les ports de
Campanie en 645 et 703-704, ou bien en Calabre, en 665-675, sans
oublier les Sarrasins qui attaquent la Sicile à partir de 653 et de
668. De plus, les autorités locales Byzantines ne sont pas unifiées.
L'exarque d'Afrique dirige la Sardaigne et l'enclave Africaine de
Septem (aujourd'hui Ceuta), mais l'exarque de Ravenne a autorité
seulement sur la Corse et les îles Baléares. La Sicile lui échappe.
Elle
ne devient un thème qu'en 664-666. Ainsi la frontière occidentale
de l'empire Romain d'Orient est divisée entre 3 grands
fonctionnaires, maîtres du pays, tant au civil qu'au militaire.
Vu
l'éloignement de la capitale, Constantinople, ils doivent tous
prendre des décisions à l'improviste. De plus, les différences de
civilisations, les
rites
religieux, les conflits entre hellénisme et latinité font que les
exarques sont poussés à se lancer dans des sécessions durables,
soutenus qu'ils sont par les populations. Ainsi, à Rome, en 641-642,
Maurice, un fonctionnaire Byzantin, se révolte contre l'exarque,
avec l'appui de l'armée et de toute la population du duché de Rome.
Il veut se faire élire roi à Rome, mais il est rapidement écrasé.
En
646-647, c'est l'exarque de Carthage, Grégoire, qui se révolte avec
l'appui des populations locales, peut-être même des tribus Berbères
et sûrement avec l'aide du pape Paul Ier et du moine Grec Maxime le
Confesseur qui condamnent l'hérésie impériale, le monothélisme.
Il est proclamé empereur et frappe monnaie à son nom. Mais il
périt, victime d'un raid musulman.
Puis
l'agitation réapparaît de nouveau à Rome, en 650-652, lorsque le
pape Martin condamne au Concile du Latran la politique religieuse de
Constant II. Il pousse l'exarque Olympios à se révolter avec
l'appui de l'armée Byzantine d'Italie. Ce dernier meurt peu après
de la peste, alors qu'il fait route vers la Sicile. On comprend fort
bien qu'après ces 3 révoltes, l'empereur Constant II (642-668) ait
voulu raffermir son pouvoir dans l'Occident Byzantin et renforcer la
défense contre les raids maritimes et continentaux musulmans.
Après
un court séjour à Rome, en juillet 663, il profite du
particularisme de Ravenne pour nommer patriarche autocéphale le
métropolitain de cette ville. Il voulait ainsi réduire l'autorité
du pape de Rome, en accordant le pallium à l'évêque dont la ville
était le siège de l'exarque. Mais, du même coup, il favorise la
fragmentation de la péninsule Italienne Byzantine en principautés.
Installé à Syracuse dont il veut faire la capitale de l'empire, il
organise la défense, tout en érigeant la Calabre en duché... Sa
politique d'extorsions fiscales déclenche un complot dans l'armée.
En
668, Constant II est égorgé dans la salle chaude des bains par le
patrice Arménien Mizézius, qui est proclamé empereur. Alors, la
flotte quitte immédiatement l'île pour Constantinople, tandis que
les armées des deux exarquats de Ravenne et de Carthage refusent de
suivre la rébellion sicilienne. L'usurpation est écrasée dans le
sang au bout d'un an. Apparemment, l'unité impériale a triomphé.
Or, contrairement aux autres révoltes, en laissant la Sicile à
découvert, celle-ci rend le phénomène régional irréversible...
En effet, Constantin IV (668-685) débordé par d'autres problèmes
plus urgents dans l'Empire, préfère apaiser les particularismes et
abandonner une politique unitaire qui a échoué. L'important est de
vaincre l'Islam en Orient, ce qui est obtenu en 678 et, du coup,
l'Occident Byzantin est sacrifié. Ainsi s'explique l'abandon de
l'Occident à lui-même et la progression inéluctable des
autonomies.
Par
le concile œcuménique de Constantinople, l'empereur fait condamner
le monothélisme, puis renonce à l'autocéphalie de Ravenne en 680.
En même temps, il signe la paix avec les Lombards et laisse la
Sicile sans flotte. Son successeur, Justinien II (685-695), poursuit
cette politique d'entente avec le pape, mais il ne peut empêcher, en
692, l'armée de Ravenne de se soulever contre le protospathaire
Zacharios, dont on craint qu'il vienne pour arrêter le pape.
L'incident est révélateur de l'état d'esprit d'une armée devenue
locale, s'enflammant au moindre bruit contre le gouvernement
impérial. De même, en 701-702, la population Romaine commence à
s'agiter et les troupes à se soulever à l'annonce de l'arrivée du
nouvel exarque Théophylacte.
Le
sang-froid du pape Jean VI permet d'apaiser la foule, qui craint la
réapparition d'un exarque autoritaire, et d'éviter l'explosion due
au mécontentement contre l'administration. Mais, en 711-712, la
grande rivalité entre Rome et Ravenne réapparaît. La noblesse et
le clergé fomentent un complot. L'exarque Jean est assassiné.
Aussitôt, Justinien II envoie une expédition punitive qui se livre
à une répression terrible. L'autonomisme de Ravenne, plus tard de
Rome, c'est-à-dire issu d'une romanité anti-Byzantine, est donc
bien réel. Et le fait que le pays se soit plus tard appelé Romagne
prouve que l'on ne s'y sent pas Byzantin. Mieux encore, un autre
particularisme naît en territoire Byzantin, celui de Venise, où les
populations élisent un duc en 697-698, sans souci des réactions de
Constantinople.
Ainsi,
au total, l'Italie Byzantine présente, au cours de la première
moitié du VIIIe siècle, le spectacle d'un territoire écartelé
entre 4 particularismes régionaux : La Sicile, Rome érigé en duché
autonome, Ravenne et Venise, tandis que l'Afrique vient de tomber aux
mains de l'Islam en 695-698 et que le royaume Lombard, avec, en plus,
les deux principautés de Spolète et de Bénévent, commence à
profiter de ces divisions. Au total, la péninsule est partagée en 7
souverainetés.
L'Espagne
Wisigothique présente, elle aussi, le même tableau. La deuxième
moitié du VIIIe siècle est marquée par la lutte interminable et
intermittente contre les Basques, païens toujours insoumis. Aussi,
chaque particularisme local s'appuie-t-il sur eux, soit pour faire
démarrer une révolte, soit pour entretenir le feu sous la cendre.
C'est
ainsi qu'en 653, Froia se rebelle contre Recceswinthe, le nouveau
roi, à partir des montagnes du nord de la péninsule, mais il est
bientôt assiégé dans Saragosse et tué.
En
673, reprenant la tradition antérieure de l'autonomie de la Gaule
Narbonnaise, appelée aussi Septimanie, le duc Paul s'insurge contre
le roi Wamba qui vient recevoir l'onction royale et se bat contre les
Basques. Avec l'aide de la noblesse et du clergé, le duc Paul est
proclamé roi de l'Espagne Orientale. Mais il est bientôt pris dans
Nîmes.
En
710, à la mort du roi Wittiza, les nobles et le clergé préférèrent
élire, au lieu de l'un de ses fils, le gouverneur de Bétique,
Rodéric. Or, le fils de Wittiza, Akhila, est maître de la
Tarraconaise et de la Septimanie. On sait que la guerre civile qui
oppose les deux rivaux permet aux musulmans de débarquer
tranquillement en Espagne pendant que Rodéric est « officiellement
» en train de combattre les Basques et de conquérir le Royaume,
entre 711 et 718. Il faut remarquer, de plus, que la guerre civile
une fois terminée, un autre prince, Pelage, parvient, après la
victoire de Covadonga en 722, en s'appuyant sur le particularisme
Galicien et Asturien, à reconstituer un royaume chrétien
indépendant, tandis que les Hispano-Wisigoths de Narbonne font
reconnaître leur autonomie par Pépin le Bref avant de lui livrer
Narbonne entre 752 et 759.
En
somme, la péninsule Ibérique voit s'affirmer durant cette crise, au
moins 3 particularismes régionaux, ceux de la Bétique, de la Galice
et de la Tarraconaise avec la Septimanie...
En
Gaule Mérovingienne, le phénomène Basque joue aussi son rôle pour
consolider le particularisme Aquitain et faire naître la
principauté, sous la direction du patrice Félix, puis de Loup, à
partir de 671-672, enfin sous le roi Eudes avant 700. Mais il n'en
est pas l'unique facteur. L'édit de 614, qui rend obligatoire le
recrutement local de tous les fonctionnaires, pousse constamment à
la régionalisation du pouvoir.
En
Burgondie, Léger, évêque d'Autun, s'oppose, en liaison avec le
patrice de Provence, Hector, à la politique centralisatrice du maire
du Palais Neustrien, Ebroïn. Le roi Childeric II, devenu par le plus
grand des hasards roi unique des Francs en 673, ne peut faire
accepter sa situation qu'en confirmant l'Édit de 614 et en précisant
que, désormais, « les juges doivent conserver la loi et la coutume
de chaque patrie, comme autrefois, les recteurs d'une province ne
doivent pas être nommés dans d'autres ». La dynastie Mérovingienne
reconnaît donc la légitimité des particularismes régionaux.
Ainsi, non seulement la Gaule Mérovingienne est divisée entre 3
royaumes, mais elle comporte aussi des « patries », des
régions et des provinces.
Mais
cela ne sert en rien à limiter leur développement car, dès 675,
l'assassinat du roi par un groupe de nobles provoque ouvertement le
morcellement régional et la guerre entre ces nouveaux pouvoirs
politiques. « Ceux qui auraient dû être les recteurs des
régions se soulevent les uns contre les autres ».
Profitant
de la lutte sauvage qui oppose la Neustrie à l'Austrasie, jusqu'à
la victoire de Pépin en 687, la majeure partie de la Gaule éclate
en principautés indépendantes.
Déjà
en 641 la Thuringe, sous la direction de son marquis Rodulf, a été
obligée de devenir autonome. Le mouvement s'accélère donc sans
véritable pause puisque, comme le souligne un texte favorable à
Pépin en 688, la guerre menace le prince invaincu non pas tant au
sujet du principal des Francs que pour l'acquisition des divers
peuples qui ont été soumis autrefois aux Francs, c'est-à-dire les
Saxons, les Frisons, les Alamans, les Bavarois, les Aquitains, les
Vascons et les Bretons. Les ducs de ces peuples en effet se sont
soustraits à la domination des Francs par mépris envers les princes
précédents [les Mérovingiens] avec une audace inique.
En
réalité, les recteurs des provinces ne voient pas pourquoi ils ont
obéi à une famille noble, celle des Pippinides qui n'a pas plus
qu'eux droit au trône. Ajoutons pour terminer ce tableau de la Gaule
vers 700, que la Burgondie, non citée par l'auteur précédent, est
elle-même divisée en 3 principautés : L'une au nord,
Burgondo-Franque, s'étend de la Champagne à Sens, une autre est
centrée sur Auxerre avec une dynastie de princes-évêques, tandis
que la dernière est dirigée par un duc inconnu à Lyon. La
Provence, quant à elle, finit par devenir très facilement
indépendante, faute de pouvoir central, vers 696-697, sous la
direction de son patrice, Antenor. Si finalement nous comptabilisons
les phénomènes régionaux en Gaule Mérovingienne au début du
VIIIe siècle, nous aboutissons à un minimum strict d'environ 11
principautés territoriales. N'est-ce pas analogue à la situation de
888 ?
Ainsi,
la généralisation du phénomène régional constitue réellement
une nouveauté en Europe Occidentale.
Elle
est déjà relativement ancienne dans la Grande-Bretagne, tombée aux
mains des Anglo-Saxons. Qu'elle ait pu s'étendre à des zones
fortement romanisées, pour ne pas dire Romaines, représentant un
fait inattendu qu'il est maintenant nécessaire d'expliquer : Si
nous cherchons les causes sociales et économiques des régionalismes,
il faut d'abord évoquer le sentiment patriotique Romain.
Une
première évidence s'impose : Les populations (et en particulier les
noblesses) refusent de plus en plus, non point la civilisation
Romaine, mais son universalisme incarné par un pouvoir central
impérial, jugé inhumain, excessif et injuste.
Qu'il
s'agisse des sujets Italiens de l'empereur ou des sujets des royautés
Latino-Germaniques, tous s'opposent, en liaison avec le patrice de
Provence, Hector, à la politique centralisatrice du maire du Palais
Neustrien, Ebroïn. tous continuent à se lancer dans des mouvements
sporadiques du refus de l'impôt romain. Les uns préfèrent
s'enfuir, comme en Espagne Wisigothique ou bien en Aquitaine, les
autres se révoltent, comme à Bourges vers 650 et en Sicile en 668.
Ces plaintes généralisées contre la fiscalité romaine sont
tellement précises et répandues, puisqu'on les retrouve aussi en
Espagne, qu'il faut admettre que les levées d'impôt doivent avoir
des effets catastrophiques. (tient !
Tient ! ) Ainsi s'explique la révolte de certains
fonctionnaires qui prennent volontiers la tête de leurs administrés
exaspérés, conscients qu'ils sont des défauts de la machine
administrative. C'est pour ces raisons que se révoltèrent les
exarques Grégoire et Olympios, les patrices Mizezius, Félix et
Antenor, les ducs Paul, Loup, etc...
Mais
d'autres dignitaires locaux paraissent plus efficaces que les
précédents aux populations locales pour obtenir des exemptions
d'impôt ou des remises d'arriérés :
Les
évêques, comme la fortune foncière de leur église est de plus en
plus importante et qu'ils peuvent de mieux en mieux entretenir les
pauvres, ils sont choisis encore plus spontanément comme chefs.
Ainsi les évêques fondent-ils de véritables principautés
épiscopales :
Avit
II à Clermont.
Léger
à Autun.
Félix
à Ravenne.
Eucher
à Orléans.
D'autres
participent en personne aux révoltes, derrière tous ces grands
personnages, nous devinons la montée vers le pouvoir des familles
nobles, qu'elles soient d'origine Sénatoriale ou Germanique. La
répression dont elles sont l'objet en cas d'échec constitue, en
creux, la preuve de leur action.
Par
exemple en 642 le roi d'Espagne, Chindaswinthe, après la révolte de
Tulga et de plusieurs Sénateurs, ordonne de tuer un par un tous ceux
dont il sait qu'ils ont été compromis dans des rébellions contre
des rois qui ont été détrônés... Il condamne les autres à
l'exil et il donne leurs femmes et leurs filles, avec leurs biens
fonciers à ses fidèles.
On
rapporte que pour réprimer cette manie criminelle il fait tuer 200
nobles Goths de haut rang et 500 parmi les nobles de rang moyen.
Après
l'assassinat de l'Empereur Constant II, une répression tout aussi
féroce s'abat sur les sénateurs de Sicile qui ont trempé dans le
complot. En Neustrie, le grand reproche qui est adressé à Ebroïn
est de se comporter comme un tyran, c'est-à-dire en usurpateur du
trône... Or, en réalité, cela signifie que non seulement il fait
rentrer de l'argent dans les caisses publiques avec rapacité, mais
aussi qu'il a « pour de légères offenses répandu le sang innocent
de nombreux nobles ». Il condamne certains d'entre eux « à perdre
leur tête et d'autres leurs biens ».
Ce
texte, favorable aux nobles comploteurs, indique un comportement de
la noblesse Neustrienne identique à celui de l'a noblesse
Wisigothique : Les grands complotent ! (comme
la fronde)
Ceci
entraîne leur exécution sommaire. Ils refusent de payer leurs
impôts, infraction punie par la confiscation de leurs biens.
Inversement, le pouvoir central se voit abandonné par ceux qui
doivent être ses serviteurs, et paralysé faute de disponibilités
financières.
Justinien
II eut un comportement identique à celui d'Ebroïn lors de la
répression de la révolte de Ravenne en 711 : Les nobles sont
arrêtés, leurs biens confisqués et leurs maisons pillées.
Ainsi,
l'argument fiscal et financier est-il continuellement sous-jacent
lors des reprises en main par les pouvoirs centraux. Il s'agit
effectivement d'un conflit entre l'État et ses fonctionnaires, entre
celui qui commande et ceux qui veulent diriger sans lui obéir, comme
à l'époque de Charles le Chauve.
Cette
carence de l'État Romain ou Romano-Germanique est en effet
continuelle : Il n'arrive jamais à payer régulièrement ses
troupes et cherche à remplacer la solde par le revenu d'une terre
fiscale. (Ah ! Cela me dit quelque chose!)
S'il
ne peut utiliser, vu l'urgence de la situation, cette dernière
solution, il se livre à un expédient qui irrite les populations du
fait de la destruction des monuments antiques qu'il provoque et de
l'insécurité psychologique qu'il crée : La récupération du
bronze, sous forme de statues ou de tuiles...
(Là aussi comme jadis nos métaux changent d’azimuts!)
L'empereur
Constant II, à la fin d'une visite de 12 jours à Rome en 663, la
dernière qu'un empereur Romain ait faite dans la vieille capitale,
fait arracher les tuiles de bronze du Panthéon, alors devenu église.
Puis il les fait expédier à Syracuse pour en faire des pièces de
monnaie, destinées de toute évidence à régler les soldes
militaires.
Ceci
nous amène alors à une question fondamentale : Celle de l'économie
monétaire Romaine. Elle est fondée d'une part sur le sou d'or pour
le grand commerce, d'autre part sur les pièces d'argent et les nummi
de cuivre, pour les petites transactions.
Ce
système a été progressivement imité par les monarchies
Latino-Germaniques au cours du VIe siècle, y compris pour l'argent
et le bronze mais la péninsule Ibérique et l'Austrasie n'ont adopté
que la monnaie d'or. Bientôt la Gaule au sud de la Loire, l'Italie
et l'Afrique abandonnent les pièces d'argent et de bronze après les
invasions Lombardes. Cette pénurie de monnaie à faible pouvoir
d'achat est donc générale au milieu du VIIe siècle, en
Méditerranée et en Europe Occidentale. (aujourd'hui notre papier
monnaie est devenu virtuel et sa consumation plus fugace ! )
Le
bronze Byzantin lui-même vient à manquer, comme le prouve
l'initiative de Constant II... Donc, si les échanges à longue
distance reposant sur un étalon monétaire à fort pouvoir d'achat
se maintient, en revanche les transactions locales et régionales
sont incapables de se développer, à moins de rétrograder au stade
du troc, faute d'un étalon monétaire à faible pouvoir d'achat.
(n'est-ce pas!)
La
mauvaise monnaie, plus avantageuse, se met donc à chasser la bonne
et à la régionaliser... Les sous d'or Byzantins, d'excellente
qualité, disparaissent de l'Europe Occidentale après 668.
Désormais,
ils circulent seulement en Italie Byzantine, où ils sont frappés, à
Syracuse, à Rome et à Ravenne, mais avec un titre sans cesse
diminué, analogue à celui des « trientes Lombards »
lesquels n'ont jamais été découverts, eux non plus, hors de la
Péninsule.
Ce
mouvement de dévaluation et de régionalisation se manifeste de
manière identique en Espagne et en Gaule... Sous les règnes de
Recceswinthe, Wamba et leurs successeurs, 3 zones de circulation
intérieure des monnaies apparaissent :
Au
sud, la Bétique
Au
nord-ouest la Galice.
Au
nord-est la Tarraconaise et la Septimanie,
Chacune
de ces zones étant coupée de l'autre.
Alors
qu'avant 600 les pièces d'or Wisigothiques parvenaient en Frise et
en Angleterre, vers 650 elles ne dépassent guère la Meuse, et vers
680, elles atteignent tout juste Bordeaux. (un
peu comme nos productions qui ne sont plus qu'anecdotiques)
Peu
avant de disparaître sous le choc de la conquête musulmane, qui les
remplace par le dirrhem d'argent, ces pièces Wisigothiques sont d'un
or très pâle et d'un alliage de mauvais aloi. (bijoux
en or de 14 et 9 carats actuellement du 18 carats au lieu qui était
la norme des bijoux Français !)
En
Gaule, le phénomène a été identique. Tandis que les tiers de sou
d'or d'Aquitaine ne franchissent plus la Loire après 680, et que
ceux de Marseille disparaissent au début du VIIIe siècle, ces
rétractions des liaisons interrégionales et lointaines
s'accompagnent d'un lent et irréversible abaissement du titre. Ainsi
s'explique le lancement décidé aux alentours de 675, peut-être à
l'initiative du maire du Palais Neustrien Ebroïn, d'une nouvelle
pièce de monnaie, le denier d'argent, dont le but essentiel
est de permettre les petites transactions. La cause n'en est point le
manque d'or, comme Henri Pirenne l'affirme, mais l'inadéquation de
cet instrument monétaire à la nouvelle économie qui naît.
(exactement comme aujourd'hui !)
En
effet, l'or est de plus en plus thésaurisé et les testaments
Mérovingiens sont là pour prouver quelle importante quantité de
métal précieux est aux mains des grands ainsi que des rois de la
monarchie Franque. (Où de nos chers
politiciens ! )
Les
nouveaux deniers renforcent la régionalisation. En Aquitaine, ils ne
sont abondants que dans le nord de la région. Ils circulent
normalement en Neustrie, mais en Austrasie ils atteignent à peine
l'embouchure de l'Escaut.
La
région située autour de la capitale, Metz, comporte au moins 14
lieux de frappe de l'or jusqu'aux alentours de 660.
Ensuite,
après l'adoption de l'argent, elle n'en possède plus que 3, Metz,
puis Vic et Marsal, à cause de leurs mines de sel...
Le
pouvoir Carolingien concentre donc la nouvelle monnaie dans ses mains
autour des grands marchés régionaux aux dépens des centres ruraux.
(déjà)
Mais
ceux-ci ne retournent point pour autant à l'économie-nature, car
les pièces d'argent Frisonnes et Anglo-Saxonnes, les « sceattas »,
circulent dans tout le nord de la Gaule jusqu'à la Loire.
Une
nouvelle zone monétaire vient d'apparaître. Elle est plus dynamique
que l'ancienne fondée sur l'or, car les nouvelles pièces, sont
identiques aux précédentes, ont un pouvoir d'achat de 12 fois
inférieur à celles qu'elles remplacent. (un
peu comme notre euro qui en remplaçant nos monnaies nationales à
fait flamber les prix) Certes, cela suppose une diminution
des échanges à longue distance et une baisse de la quantité des
produits de luxe à haut prix échangés.
Mais
en même temps, cela correspond à la diminution (nous ne pouvons pas
parler de disparition) des ponctions fiscales levées obligatoirement
en or, ou à leur transformation en prélèvement en nature.
(malheureusement pour nous cela n'a fait
qu'empirer à notre époque)
Les
revenus ainsi libérés peuvent être plus facilement mis en
circulation sous forme de pièces d'argent sur les marchés locaux.
Ceci
correspond donc à une pénétration en profondeur dans des couches
sociales rurales de ces nouvelles pièces et à un recul de
l'économie-nature. C'est pourquoi un capitulaire de Pépin le Bref
ordonne en 744 la réouverture de marchés abandonnés ou la création
de nouveaux marchés... (nous voyons nos
villages grâce à ce stratagème de communauté de communes mourir
les uns après les autres obligeant leurs habitants à
s'approvisionner dans les super-marcher qui de ce fait nous vendent
ce qu'ils veulent au prix qu'ils veulent « dumping »)
Bref,
la régionalisation politique, sociale et économique est en réalité
une cause de progrès par l'apparition de ces nouvelles cellules
d'activité nées aux dépens d'États abandonnés et constitue
l'acte de naissance d'un nouveau système qui se verra appeler
Européen au cours du VIIIe siècle. (pas plus
efficace ni pérenne que le nôtre)
Bien
d'autres éléments peuvent être rapportés pour démontrer cette
fragmentation des royaumes Latino-Germaniques en régions autonomes.
Signalons par exemple la création de marches frontalières, dotées
de forteresses, les guerches, qui séparent l'Aquitaine et la
Bretagne de la Neustrie.
De
même, les Wisigoths érigent des forteresses contre les Basques,
tandis que les Byzantins hérissent de fortifications les villes
d'Italie centrale et d'Afrique.
Évidemment
elles n'ont facilité pas les relations culturelles et économiques.
Ces garnisons peuvent interrompre tout trafic sur un simple ordre, et
cela renforce les circulations régionales. Ces trajets à courte
distance apparaissent aussi de manière négative après 650, quand
on observe les routes suivies par la grande peste du VIIe siècle et
surtout ses séquelles. Étant donné que le bacille est transporté
le long des voies commerciales par différents vecteurs dont la puce,
les bestiaux et les marchands, et que nous savons qu'il vient de
l'Orient Byzantin, nous pouvons étudier les trajets de l'épidémie...
(cela non plus n'a pas changé)
Or,
tandis qu'au VIe siècle, partie de Constantinople ou d'Alexandrie
atteint le nord de la Gaule et les îles de la mer du Nord, voici
qu'après 650, la distance qu'elle parcourt diminue constamment.
Entre septembre 651 et septembre 652, la peste, arrivée d'Orient,
atteint la Sicile puis Rome.
En
chemin, elle cause des ravages dans l'armée de l'exarque révolté
Olympios, lequel en meurt. Si l'on en croit Paul Diacre et une lettre
de l'évêque Gall de Clermont, à Didier de Cahors, en 654 c'est le
tour de Pavie et de la Provence. Elle ne progresse pas au-delà.
De
même en 694, elle s'arrête lorsqu'elle atteint la Narbonnaise. Les
deux dernières attaques épidémiques concernent exclusivement la
Sicile et la Calabre en 747, puis Naples en 767.
Bref,
à partir du VIIIe siècle, les routes parcourues par les épidémies
de peste sont de plus en plus courtes et demeurent limitées aux
rivages Méditerranéens. C'est une preuve indirecte que le rayon
d'action des foires continentales a diminué.
De
même, les grands voyages maritimes s'arrêtent. Le périple autour
de la péninsule Ibérique disparaît vers 700 et à la même époque,
le voyage d'Ariulf depuis Damas et Alexandrie par la Sicile jusqu'en
Grande-Bretagne et à l'île d'Iona paraît tout à fait exceptionnel
à l'historien Béde le Vénérable.
Par
la suite, les Anglo-Saxons gagnent la Méditerranée en utilisant
Quentovic ou le Rhin puis les cluses Alpestres. Mais les voyages à
longue distance sont beaucoup plus le fait des pèlerins que des
marchands. Les produits qui voyagent loin se régionalisent à leur
tour... Le transport d'une table de marbre Aquitain depuis les
Pyrénées jusqu'à l'embouchure de la Loire, réalisé au début du
VIIIe siècle, paraissait tenir de l'exploit miraculeux à la fin du
IXe siècle. D'ailleurs on ne trouve plus de chapiteaux ou de
sarcophages Pyrénéens hors d'Aquitaine après 700. Ils sont
remplacés par de multiples productions de sarcophages locaux en
Bordelais, en Poitou, en Île-de-France, etc... Une analyse identique
pourrait être faite à propos des plaques-boucles de bronze
d'Aquitaine, éclipsées par toute une série de productions locales
similaires mais de style différent.
Bref,
la crise du VIIe siècle s'est donc bien terminée en Europe
Occidentale par la naissance et la création de principautés
territoriales. Ainsi la thèse de Jan Dhondt est juste, mais il faut
la déplacer de quelque 200 ans en arrière, sans faire de l'Empire
Carolingien une parenthèse anachronique, pour comprendre son
originalité.
Car
les principautés sont issues d'une inadaptation de l'Empire Romain,
dont les rigidités administratives et fiscales ont suscité, faute
de patriotisme, de soldats-paysans et de monnaie de billon, comme en
Orient, de véritables cassures. (c'est
exactement ce qui se produit en ce moment)
Dans
les monarchies Germaniques, la personnalisation du pouvoir et
des postes de fonctionnaires accentue cette tendance. La prise
d'assaut de la royauté par assassinat ou par mairie du Palais
interposée ressemble fort au dépouillement du roi Carolingien
auquel ses ex-fonctionnaires arrachent ses terres fiscales...
Les
implantations régionales des nouveaux princes sont si fortes qu'il
faut 79 ans aux premiers Carolingiens, de 709 à 788, pour briser ces
autonomies et revenir à l'universalisme de la conquête primitive
que les clercs assimilent à celui de Rome. Ainsi s'expliquent ces
concessions de vice-royaumes sur lesquelles Jan Dhondt ne s'interroge
point, concernant l'Aquitaine la Lombardie en 781, et la Bavière en
788.
Les
Carolingiens, avec leur conception personnelle du pouvoir ne peuvent,
vraiment prévenir ni le
haut moyen-Âge ni vraiment déraciner les autonomies locales.
Dès
838, elles réapparaissent en Aquitaine, avec un bâtard de Pépin
II, élu par la noblesse, puis ailleurs, pour triompher en 888. Jan
Dhondt s'est trouvé en réalité devant un phénomène de
résurgence...
Trop
influencé par la dualité Pyrénéenne (continuité jusqu'à
Mahomet, rupture avec Charlemagne), il ne peut reconnaître dans les
années 650-700 la grande mutation inaugurant de nouveaux pouvoirs :
Des
pouvoirs régionaux.
Une
nouvelle économie.
Un
système fondé sur la monnaie d'argent.
De
plus, en 1948, comme il le reconnaît lui-même, une recherche
historique, trop marquée par les débats entre Romanistes et
Germanistes, par la notion intellectuelle de décadence ou par le
concept de nationalisme, est handicapée « par la rareté des
bonnes monographies d'histoire provinciale ».
Il
n'est donc pas étonnant qu'il n'ait point fait remonter son
hypothèse explicative jusqu'à la deuxième moitié du VIIe siècle.
Mais il demeure remarquable qu'au bout d'une quarantaine d'années,
elle soit toujours valable et applicable à l'étude de la gestation,
puis de la naissance de l'Europe féodale.
Michel
Rouche Université de Lille III Centre de recherches sur le Haut
Moyen-Âge
La
crise de l'Europe au cours de la deuxième moitié du VIIe ...
www.persee.fr/web/.../ahess_0395-2649_1986_num_41_2_283279
de
M Rouche - 1986 - Cité 6 fois - Autres articles
Née
en quelques dizaines d'années, elle triomphe après 887, au cours du
xe .... peut-être même des tribus berbères et sûrement avec
l'aide du pape Paul Ier .... patrice Félix, puis de Loup, à partir
de 671-672, enfin sous le roi Eudes avant 700. ... Frisons, les
Alamans, les Bavarois, les Aquitains, les Vascons et les Bretons.
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