lundi 20 juillet 2015

EN REMONTANT LE TEMPS... 672

 15 JUILLET 2015...

Cette page concerne l'année 672 du calendrier julien. Ceci est une évocation ponctuelle de l'année considérée il ne peut s'agir que d'un survol !

UNE EUROPE EN PERPÉTUELLE RECHERCHE


Lorsqu'en 1948 paraît l'ouvrage de Jan Dhondt, Études sur la naissance des principautés territoriales en France (IXe-Xe siècles ), Ferdinand Lot salue « ce large tableau d'histoire générale qu'il nous présente et le peint de main de maître ». Pour le professeur de l'Université de Gand, il s'agit de montrer que cette apparition est en réalité « une profonde révolution qui marque le IXe siècle ». Née en quelques dizaines d'années, elle triomphe après 887, au cours du Xe siècle, par « élimination de la monarchie centralisée au bénéfice des princes territoriaux ».

Son succès est dû au fait que l'empire carolingien est un « cadre politique anachronique dès sa naissance même », conclusion qui n'est pas sans inquiéter Ferdinand Lot, lequel insiste à juste titre sur le rôle des magnats et l'absence des notions d'État et d'intérêt général pour expliquer l'échec de Pépin, Charlemagne et Louis le Pieux.
Certes, l'Empire a fini par réapparaître avec les Otton et a survécu, comme les Principautés, au-delà du Moyen-Âge : Cette conclusion a été corroborée par Robert Folz qui a montré combien Charlemagne a été « trahi par les hommes ». Mais justement, pourquoi cette trahison ?
Jan Dhondt répond : L'empire Carolingien constitue un vaste conglomérat de nationalités diverses qui ont maintenu vivace le sentiment de leur individualité et qui tendent, sans relâche, à échapper à l'emprise Franque. Si le futur empereur se décide, en 778 à faire de l'Aquitaine un royaume, c'est à n'en pas douter pour désarmer l'autonomisme Aquitain.

Jan Dhondt a bien senti, chez les Aquitains, « la défiance instinctive, allant jusqu'à l'hostilité, pour tous ceux qui n'appartiennent point à leur communauté ». Mais il a pu se demander pourquoi cet autonomisme existait déjà en 778, fait qui contredit sa thèse d'une naissance des principautés dans la seconde moitié du IXe siècle. Ceci a amené à réexaminer la thèse de Jan Dhondt sur la naissance des principautés régionales dans une autre perspective. Si l'autonomisme Aquitain existe déjà au VIIIe siècle, quand alors a-t-il pu vraiment naître ? Était-il alors le seul ? Et si l'Empire Romain a connu un avatar Carolingien, ne serait-ce pas dû au fait que lui aussi a combattu des autonomismes régionaux ? Une véritable dialectique entre empire centralisé et autonomismes régionaux ne peut-elle être à l'origine de cette dualité médiévale de l'Empire et des Principautés ?

Ceci nous ramène aux années 650-700, terrible demi-siècle pour l'Empire Romain et les monarchies Wisigothique et Franque.

La seconde moitié du VIIe siècle est, pour les royaumes barbares de l'Europe Continentale, une époque de crise très grave d'où sortent de considérables nouveautés. L'histoire de ce demi-siècle n'a été que très rarement faite car, par suite de ses nombreux bouleversements, les sources écrites, pour ne point parler des sources archéologiques si difficiles d'interprétation, sont rares et contradictoires. L'absence, en particulier, de grandes œuvres littéraires est même une preuve, a contrario, de l'importance des troubles et des innovations qui éclatent ou naissent. Qu'il s'agisse en effet des territoires Byzantins d'Italie et de la péninsule en général, de l'Espagne Wisigothique ou de la Gaule Mérovingienne, partout explosent les guerres civiles, s'effondrent les pouvoirs centraux, naissent des ensembles régionaux et se rétractent corrélativement les zones commerciales. Comment et pourquoi surgissent ces nouveaux organismes ?
Par suite du choc conjugué des Slaves et de l'Islam, l'Empire romain d'Orient se débat dans d'énormes difficultés. La dynastie des Héraclides, dont le pouvoir est sorti de l'Afrique, porte une attention particulière aux deux exarquats de Ravenne et de Carthage.

Mais la péninsule Italienne est déjà morcelée par l'invasion Lombarde en trois organismes politiques, le Royaume Lombard proprement dit, centré sur Pavie, le duché de Spolète et le duché de Bénévent. A plusieurs reprises, les princes Lombards attaquent les territoires Byzantins, qui doivent organiser leur défense souvent sans recevoir à temps des secours de Constantinople. Ainsi, les Lombards entretiennent l'insécurité par leurs razzias sur les ports de Campanie en 645 et 703-704, ou bien en Calabre, en 665-675, sans oublier les Sarrasins qui attaquent la Sicile à partir de 653 et de 668. De plus, les autorités locales Byzantines ne sont pas unifiées. L'exarque d'Afrique dirige la Sardaigne et l'enclave Africaine de Septem (aujourd'hui Ceuta), mais l'exarque de Ravenne a autorité seulement sur la Corse et les îles Baléares. La Sicile lui échappe.

Elle ne devient un thème qu'en 664-666. Ainsi la frontière occidentale de l'empire Romain d'Orient est divisée entre 3 grands fonctionnaires, maîtres du pays, tant au civil qu'au militaire.
Vu l'éloignement de la capitale, Constantinople, ils doivent tous prendre des décisions à l'improviste. De plus, les différences de civilisations, les
rites religieux, les conflits entre hellénisme et latinité font que les exarques sont poussés à se lancer dans des sécessions durables, soutenus qu'ils sont par les populations. Ainsi, à Rome, en 641-642, Maurice, un fonctionnaire Byzantin, se révolte contre l'exarque, avec l'appui de l'armée et de toute la population du duché de Rome. Il veut se faire élire roi à Rome, mais il est rapidement écrasé.

En 646-647, c'est l'exarque de Carthage, Grégoire, qui se révolte avec l'appui des populations locales, peut-être même des tribus Berbères et sûrement avec l'aide du pape Paul Ier et du moine Grec Maxime le Confesseur qui condamnent l'hérésie impériale, le monothélisme. Il est proclamé empereur et frappe monnaie à son nom. Mais il périt, victime d'un raid musulman.
Puis l'agitation réapparaît de nouveau à Rome, en 650-652, lorsque le pape Martin condamne au Concile du Latran la politique religieuse de Constant II. Il pousse l'exarque Olympios à se révolter avec l'appui de l'armée Byzantine d'Italie. Ce dernier meurt peu après de la peste, alors qu'il fait route vers la Sicile. On comprend fort bien qu'après ces 3 révoltes, l'empereur Constant II (642-668) ait voulu raffermir son pouvoir dans l'Occident Byzantin et renforcer la défense contre les raids maritimes et continentaux musulmans.

Après un court séjour à Rome, en juillet 663, il profite du particularisme de Ravenne pour nommer patriarche autocéphale le métropolitain de cette ville. Il voulait ainsi réduire l'autorité du pape de Rome, en accordant le pallium à l'évêque dont la ville était le siège de l'exarque. Mais, du même coup, il favorise la fragmentation de la péninsule Italienne Byzantine en principautés. Installé à Syracuse dont il veut faire la capitale de l'empire, il organise la défense, tout en érigeant la Calabre en duché... Sa politique d'extorsions fiscales déclenche un complot dans l'armée.

En 668, Constant II est égorgé dans la salle chaude des bains par le patrice Arménien Mizézius, qui est proclamé empereur. Alors, la flotte quitte immédiatement l'île pour Constantinople, tandis que les armées des deux exarquats de Ravenne et de Carthage refusent de suivre la rébellion sicilienne. L'usurpation est écrasée dans le sang au bout d'un an. Apparemment, l'unité impériale a triomphé. Or, contrairement aux autres révoltes, en laissant la Sicile à découvert, celle-ci rend le phénomène régional irréversible... En effet, Constantin IV (668-685) débordé par d'autres problèmes plus urgents dans l'Empire, préfère apaiser les particularismes et abandonner une politique unitaire qui a échoué. L'important est de vaincre l'Islam en Orient, ce qui est obtenu en 678 et, du coup, l'Occident Byzantin est sacrifié. Ainsi s'explique l'abandon de l'Occident à lui-même et la progression inéluctable des autonomies.

Par le concile œcuménique de Constantinople, l'empereur fait condamner le monothélisme, puis renonce à l'autocéphalie de Ravenne en 680. En même temps, il signe la paix avec les Lombards et laisse la Sicile sans flotte. Son successeur, Justinien II (685-695), poursuit cette politique d'entente avec le pape, mais il ne peut empêcher, en 692, l'armée de Ravenne de se soulever contre le protospathaire Zacharios, dont on craint qu'il vienne pour arrêter le pape. L'incident est révélateur de l'état d'esprit d'une armée devenue locale, s'enflammant au moindre bruit contre le gouvernement impérial. De même, en 701-702, la population Romaine commence à s'agiter et les troupes à se soulever à l'annonce de l'arrivée du nouvel exarque Théophylacte.

Le sang-froid du pape Jean VI permet d'apaiser la foule, qui craint la réapparition d'un exarque autoritaire, et d'éviter l'explosion due au mécontentement contre l'administration. Mais, en 711-712, la grande rivalité entre Rome et Ravenne réapparaît. La noblesse et le clergé fomentent un complot. L'exarque Jean est assassiné. Aussitôt, Justinien II envoie une expédition punitive qui se livre à une répression terrible. L'autonomisme de Ravenne, plus tard de Rome, c'est-à-dire issu d'une romanité anti-Byzantine, est donc bien réel. Et le fait que le pays se soit plus tard appelé Romagne prouve que l'on ne s'y sent pas Byzantin. Mieux encore, un autre particularisme naît en territoire Byzantin, celui de Venise, où les populations élisent un duc en 697-698, sans souci des réactions de Constantinople.

Ainsi, au total, l'Italie Byzantine présente, au cours de la première moitié du VIIIe siècle, le spectacle d'un territoire écartelé entre 4 particularismes régionaux : La Sicile, Rome érigé en duché autonome, Ravenne et Venise, tandis que l'Afrique vient de tomber aux mains de l'Islam en 695-698 et que le royaume Lombard, avec, en plus, les deux principautés de Spolète et de Bénévent, commence à profiter de ces divisions. Au total, la péninsule est partagée en 7 souverainetés.

L'Espagne Wisigothique présente, elle aussi, le même tableau. La deuxième moitié du VIIIe siècle est marquée par la lutte interminable et intermittente contre les Basques, païens toujours insoumis. Aussi, chaque particularisme local s'appuie-t-il sur eux, soit pour faire démarrer une révolte, soit pour entretenir le feu sous la cendre.

C'est ainsi qu'en 653, Froia se rebelle contre Recceswinthe, le nouveau roi, à partir des montagnes du nord de la péninsule, mais il est bientôt assiégé dans Saragosse et tué.

En 673, reprenant la tradition antérieure de l'autonomie de la Gaule Narbonnaise, appelée aussi Septimanie, le duc Paul s'insurge contre le roi Wamba qui vient recevoir l'onction royale et se bat contre les Basques. Avec l'aide de la noblesse et du clergé, le duc Paul est proclamé roi de l'Espagne Orientale. Mais il est bientôt pris dans Nîmes.

En 710, à la mort du roi Wittiza, les nobles et le clergé préférèrent élire, au lieu de l'un de ses fils, le gouverneur de Bétique, Rodéric. Or, le fils de Wittiza, Akhila, est maître de la Tarraconaise et de la Septimanie. On sait que la guerre civile qui oppose les deux rivaux permet aux musulmans de débarquer tranquillement en Espagne pendant que Rodéric est « officiellement » en train de combattre les Basques et de conquérir le Royaume, entre 711 et 718. Il faut remarquer, de plus, que la guerre civile une fois terminée, un autre prince, Pelage, parvient, après la victoire de Covadonga en 722, en s'appuyant sur le particularisme Galicien et Asturien, à reconstituer un royaume chrétien indépendant, tandis que les Hispano-Wisigoths de Narbonne font reconnaître leur autonomie par Pépin le Bref avant de lui livrer Narbonne entre 752 et 759.
En somme, la péninsule Ibérique voit s'affirmer durant cette crise, au moins 3 particularismes régionaux, ceux de la Bétique, de la Galice et de la Tarraconaise avec la Septimanie...

En Gaule Mérovingienne, le phénomène Basque joue aussi son rôle pour consolider le particularisme Aquitain et faire naître la principauté, sous la direction du patrice Félix, puis de Loup, à partir de 671-672, enfin sous le roi Eudes avant 700. Mais il n'en est pas l'unique facteur. L'édit de 614, qui rend obligatoire le recrutement local de tous les fonctionnaires, pousse constamment à la régionalisation du pouvoir.

En Burgondie, Léger, évêque d'Autun, s'oppose, en liaison avec le patrice de Provence, Hector, à la politique centralisatrice du maire du Palais Neustrien, Ebroïn. Le roi Childeric II, devenu par le plus grand des hasards roi unique des Francs en 673, ne peut faire accepter sa situation qu'en confirmant l'Édit de 614 et en précisant que, désormais, « les juges doivent conserver la loi et la coutume de chaque patrie, comme autrefois, les recteurs d'une province ne doivent pas être nommés dans d'autres ». La dynastie Mérovingienne reconnaît donc la légitimité des particularismes régionaux. Ainsi, non seulement la Gaule Mérovingienne est divisée entre 3 royaumes, mais elle comporte aussi des « patries », des régions et des provinces.
Mais cela ne sert en rien à limiter leur développement car, dès 675, l'assassinat du roi par un groupe de nobles provoque ouvertement le morcellement régional et la guerre entre ces nouveaux pouvoirs politiques. « Ceux qui auraient dû être les recteurs des régions se soulevent les uns contre les autres ».

Profitant de la lutte sauvage qui oppose la Neustrie à l'Austrasie, jusqu'à la victoire de Pépin en 687, la majeure partie de la Gaule éclate en principautés indépendantes.
Déjà en 641 la Thuringe, sous la direction de son marquis Rodulf, a été obligée de devenir autonome. Le mouvement s'accélère donc sans véritable pause puisque, comme le souligne un texte favorable à Pépin en 688, la guerre menace le prince invaincu non pas tant au sujet du principal des Francs que pour l'acquisition des divers peuples qui ont été soumis autrefois aux Francs, c'est-à-dire les Saxons, les Frisons, les Alamans, les Bavarois, les Aquitains, les Vascons et les Bretons. Les ducs de ces peuples en effet se sont soustraits à la domination des Francs par mépris envers les princes précédents [les Mérovingiens] avec une audace inique.

En réalité, les recteurs des provinces ne voient pas pourquoi ils ont obéi à une famille noble, celle des Pippinides qui n'a pas plus qu'eux droit au trône. Ajoutons pour terminer ce tableau de la Gaule vers 700, que la Burgondie, non citée par l'auteur précédent, est elle-même divisée en 3 principautés : L'une au nord, Burgondo-Franque, s'étend de la Champagne à Sens, une autre est centrée sur Auxerre avec une dynastie de princes-évêques, tandis que la dernière est dirigée par un duc inconnu à Lyon. La Provence, quant à elle, finit par devenir très facilement indépendante, faute de pouvoir central, vers 696-697, sous la direction de son patrice, Antenor. Si finalement nous comptabilisons les phénomènes régionaux en Gaule Mérovingienne au début du VIIIe siècle, nous aboutissons à un minimum strict d'environ 11 principautés territoriales. N'est-ce pas analogue à la situation de 888 ?

Ainsi, la généralisation du phénomène régional constitue réellement une nouveauté en Europe Occidentale.
Elle est déjà relativement ancienne dans la Grande-Bretagne, tombée aux mains des Anglo-Saxons. Qu'elle ait pu s'étendre à des zones fortement romanisées, pour ne pas dire Romaines, représentant un fait inattendu qu'il est maintenant nécessaire d'expliquer : Si nous cherchons les causes sociales et économiques des régionalismes, il faut d'abord évoquer le sentiment patriotique Romain.
Une première évidence s'impose : Les populations (et en particulier les noblesses) refusent de plus en plus, non point la civilisation Romaine, mais son universalisme incarné par un pouvoir central impérial, jugé inhumain, excessif et injuste.
Qu'il s'agisse des sujets Italiens de l'empereur ou des sujets des royautés Latino-Germaniques, tous s'opposent, en liaison avec le patrice de Provence, Hector, à la politique centralisatrice du maire du Palais Neustrien, Ebroïn. tous continuent à se lancer dans des mouvements sporadiques du refus de l'impôt romain. Les uns préfèrent s'enfuir, comme en Espagne Wisigothique ou bien en Aquitaine, les autres se révoltent, comme à Bourges vers 650 et en Sicile en 668. Ces plaintes généralisées contre la fiscalité romaine sont tellement précises et répandues, puisqu'on les retrouve aussi en Espagne, qu'il faut admettre que les levées d'impôt doivent avoir des effets catastrophiques. (tient ! Tient ! ) Ainsi s'explique la révolte de certains fonctionnaires qui prennent volontiers la tête de leurs administrés exaspérés, conscients qu'ils sont des défauts de la machine administrative. C'est pour ces raisons que se révoltèrent les exarques Grégoire et Olympios, les patrices Mizezius, Félix et Antenor, les ducs Paul, Loup, etc...

Mais d'autres dignitaires locaux paraissent plus efficaces que les précédents aux populations locales pour obtenir des exemptions d'impôt ou des remises d'arriérés :
Les évêques, comme la fortune foncière de leur église est de plus en plus importante et qu'ils peuvent de mieux en mieux entretenir les pauvres, ils sont choisis encore plus spontanément comme chefs. Ainsi les évêques fondent-ils de véritables principautés épiscopales :
Avit II à Clermont.
Léger à Autun.
Félix à Ravenne.
Eucher à Orléans.
D'autres participent en personne aux révoltes, derrière tous ces grands personnages, nous devinons la montée vers le pouvoir des familles nobles, qu'elles soient d'origine Sénatoriale ou Germanique. La répression dont elles sont l'objet en cas d'échec constitue, en creux, la preuve de leur action.
Par exemple en 642 le roi d'Espagne, Chindaswinthe, après la révolte de Tulga et de plusieurs Sénateurs, ordonne de tuer un par un tous ceux dont il sait qu'ils ont été compromis dans des rébellions contre des rois qui ont été détrônés... Il condamne les autres à l'exil et il donne leurs femmes et leurs filles, avec leurs biens fonciers à ses fidèles.
On rapporte que pour réprimer cette manie criminelle il fait tuer 200 nobles Goths de haut rang et 500 parmi les nobles de rang moyen.

Après l'assassinat de l'Empereur Constant II, une répression tout aussi féroce s'abat sur les sénateurs de Sicile qui ont trempé dans le complot. En Neustrie, le grand reproche qui est adressé à Ebroïn est de se comporter comme un tyran, c'est-à-dire en usurpateur du trône... Or, en réalité, cela signifie que non seulement il fait rentrer de l'argent dans les caisses publiques avec rapacité, mais aussi qu'il a « pour de légères offenses répandu le sang innocent de nombreux nobles ». Il condamne certains d'entre eux « à perdre leur tête et d'autres leurs biens ».
Ce texte, favorable aux nobles comploteurs, indique un comportement de la noblesse Neustrienne identique à celui de l'a noblesse Wisigothique : Les grands complotent ! (comme la fronde)
Ceci entraîne leur exécution sommaire. Ils refusent de payer leurs impôts, infraction punie par la confiscation de leurs biens. Inversement, le pouvoir central se voit abandonné par ceux qui doivent être ses serviteurs, et paralysé faute de disponibilités financières.

Justinien II eut un comportement identique à celui d'Ebroïn lors de la répression de la révolte de Ravenne en 711 : Les nobles sont arrêtés, leurs biens confisqués et leurs maisons pillées.
Ainsi, l'argument fiscal et financier est-il continuellement sous-jacent lors des reprises en main par les pouvoirs centraux. Il s'agit effectivement d'un conflit entre l'État et ses fonctionnaires, entre celui qui commande et ceux qui veulent diriger sans lui obéir, comme à l'époque de Charles le Chauve.
Cette carence de l'État Romain ou Romano-Germanique est en effet continuelle : Il n'arrive jamais à payer régulièrement ses troupes et cherche à remplacer la solde par le revenu d'une terre fiscale. (Ah ! Cela me dit quelque chose!)
S'il ne peut utiliser, vu l'urgence de la situation, cette dernière solution, il se livre à un expédient qui irrite les populations du fait de la destruction des monuments antiques qu'il provoque et de l'insécurité psychologique qu'il crée : La récupération du bronze, sous forme de statues ou de tuiles... (Là aussi comme jadis nos métaux changent d’azimuts!)

L'empereur Constant II, à la fin d'une visite de 12 jours à Rome en 663, la dernière qu'un empereur Romain ait faite dans la vieille capitale, fait arracher les tuiles de bronze du Panthéon, alors devenu église. Puis il les fait expédier à Syracuse pour en faire des pièces de monnaie, destinées de toute évidence à régler les soldes militaires.

Ceci nous amène alors à une question fondamentale : Celle de l'économie monétaire Romaine. Elle est fondée d'une part sur le sou d'or pour le grand commerce, d'autre part sur les pièces d'argent et les nummi de cuivre, pour les petites transactions.
Ce système a été progressivement imité par les monarchies Latino-Germaniques au cours du VIe siècle, y compris pour l'argent et le bronze mais la péninsule Ibérique et l'Austrasie n'ont adopté que la monnaie d'or. Bientôt la Gaule au sud de la Loire, l'Italie et l'Afrique abandonnent les pièces d'argent et de bronze après les invasions Lombardes. Cette pénurie de monnaie à faible pouvoir d'achat est donc générale au milieu du VIIe siècle, en Méditerranée et en Europe Occidentale. (aujourd'hui notre papier monnaie est devenu virtuel et sa consumation plus fugace ! )
Le bronze Byzantin lui-même vient à manquer, comme le prouve l'initiative de Constant II... Donc, si les échanges à longue distance reposant sur un étalon monétaire à fort pouvoir d'achat se maintient, en revanche les transactions locales et régionales sont incapables de se développer, à moins de rétrograder au stade du troc, faute d'un étalon monétaire à faible pouvoir d'achat. (n'est-ce pas!)

La mauvaise monnaie, plus avantageuse, se met donc à chasser la bonne et à la régionaliser... Les sous d'or Byzantins, d'excellente qualité, disparaissent de l'Europe Occidentale après 668.
Désormais, ils circulent seulement en Italie Byzantine, où ils sont frappés, à Syracuse, à Rome et à Ravenne, mais avec un titre sans cesse diminué, analogue à celui des « trientes Lombards » lesquels n'ont jamais été découverts, eux non plus, hors de la Péninsule.
Ce mouvement de dévaluation et de régionalisation se manifeste de manière identique en Espagne et en Gaule... Sous les règnes de Recceswinthe, Wamba et leurs successeurs, 3 zones de circulation intérieure des monnaies apparaissent :
Au sud, la Bétique
Au nord-ouest la Galice.
Au nord-est la Tarraconaise et la Septimanie,
Chacune de ces zones étant coupée de l'autre.

Alors qu'avant 600 les pièces d'or Wisigothiques parvenaient en Frise et en Angleterre, vers 650 elles ne dépassent guère la Meuse, et vers 680, elles atteignent tout juste Bordeaux. (un peu comme nos productions qui ne sont plus qu'anecdotiques)
Peu avant de disparaître sous le choc de la conquête musulmane, qui les remplace par le dirrhem d'argent, ces pièces Wisigothiques sont d'un or très pâle et d'un alliage de mauvais aloi. (bijoux en or de 14 et 9 carats actuellement du 18 carats au lieu qui était la norme des bijoux Français !)
En Gaule, le phénomène a été identique. Tandis que les tiers de sou d'or d'Aquitaine ne franchissent plus la Loire après 680, et que ceux de Marseille disparaissent au début du VIIIe siècle, ces rétractions des liaisons interrégionales et lointaines s'accompagnent d'un lent et irréversible abaissement du titre. Ainsi s'explique le lancement décidé aux alentours de 675, peut-être à l'initiative du maire du Palais Neustrien Ebroïn, d'une nouvelle pièce de monnaie, le denier d'argent, dont le but essentiel est de permettre les petites transactions. La cause n'en est point le manque d'or, comme Henri Pirenne l'affirme, mais l'inadéquation de cet instrument monétaire à la nouvelle économie qui naît. (exactement comme aujourd'hui !)
En effet, l'or est de plus en plus thésaurisé et les testaments Mérovingiens sont là pour prouver quelle importante quantité de métal précieux est aux mains des grands ainsi que des rois de la monarchie Franque. (Où de nos chers politiciens ! )

Les nouveaux deniers renforcent la régionalisation. En Aquitaine, ils ne sont abondants que dans le nord de la région. Ils circulent normalement en Neustrie, mais en Austrasie ils atteignent à peine l'embouchure de l'Escaut.
La région située autour de la capitale, Metz, comporte au moins 14 lieux de frappe de l'or jusqu'aux alentours de 660.
Ensuite, après l'adoption de l'argent, elle n'en possède plus que 3, Metz, puis Vic et Marsal, à cause de leurs mines de sel...
Le pouvoir Carolingien concentre donc la nouvelle monnaie dans ses mains autour des grands marchés régionaux aux dépens des centres ruraux. (déjà)
Mais ceux-ci ne retournent point pour autant à l'économie-nature, car les pièces d'argent Frisonnes et Anglo-Saxonnes, les « sceattas », circulent dans tout le nord de la Gaule jusqu'à la Loire.
Une nouvelle zone monétaire vient d'apparaître. Elle est plus dynamique que l'ancienne fondée sur l'or, car les nouvelles pièces, sont identiques aux précédentes, ont un pouvoir d'achat de 12 fois inférieur à celles qu'elles remplacent. (un peu comme notre euro qui en remplaçant nos monnaies nationales à fait flamber les prix) Certes, cela suppose une diminution des échanges à longue distance et une baisse de la quantité des produits de luxe à haut prix échangés.
Mais en même temps, cela correspond à la diminution (nous ne pouvons pas parler de disparition) des ponctions fiscales levées obligatoirement en or, ou à leur transformation en prélèvement en nature. (malheureusement pour nous cela n'a fait qu'empirer à notre époque)
Les revenus ainsi libérés peuvent être plus facilement mis en circulation sous forme de pièces d'argent sur les marchés locaux.
Ceci correspond donc à une pénétration en profondeur dans des couches sociales rurales de ces nouvelles pièces et à un recul de l'économie-nature. C'est pourquoi un capitulaire de Pépin le Bref ordonne en 744 la réouverture de marchés abandonnés ou la création de nouveaux marchés... (nous voyons nos villages grâce à ce stratagème de communauté de communes mourir les uns après les autres obligeant leurs habitants à s'approvisionner dans les super-marcher qui de ce fait nous vendent ce qu'ils veulent au prix qu'ils veulent « dumping »)

Bref, la régionalisation politique, sociale et économique est en réalité une cause de progrès par l'apparition de ces nouvelles cellules d'activité nées aux dépens d'États abandonnés et constitue l'acte de naissance d'un nouveau système qui se verra appeler Européen au cours du VIIIe siècle. (pas plus efficace ni pérenne que le nôtre)

Bien d'autres éléments peuvent être rapportés pour démontrer cette fragmentation des royaumes Latino-Germaniques en régions autonomes. Signalons par exemple la création de marches frontalières, dotées de forteresses, les guerches, qui séparent l'Aquitaine et la Bretagne de la Neustrie.
De même, les Wisigoths érigent des forteresses contre les Basques, tandis que les Byzantins hérissent de fortifications les villes d'Italie centrale et d'Afrique.
Évidemment elles n'ont facilité pas les relations culturelles et économiques. Ces garnisons peuvent interrompre tout trafic sur un simple ordre, et cela renforce les circulations régionales. Ces trajets à courte distance apparaissent aussi de manière négative après 650, quand on observe les routes suivies par la grande peste du VIIe siècle et surtout ses séquelles. Étant donné que le bacille est transporté le long des voies commerciales par différents vecteurs dont la puce, les bestiaux et les marchands, et que nous savons qu'il vient de l'Orient Byzantin, nous pouvons étudier les trajets de l'épidémie... (cela non plus n'a pas changé)

Or, tandis qu'au VIe siècle, partie de Constantinople ou d'Alexandrie atteint le nord de la Gaule et les îles de la mer du Nord, voici qu'après 650, la distance qu'elle parcourt diminue constamment. Entre septembre 651 et septembre 652, la peste, arrivée d'Orient, atteint la Sicile puis Rome.
En chemin, elle cause des ravages dans l'armée de l'exarque révolté Olympios, lequel en meurt. Si l'on en croit Paul Diacre et une lettre de l'évêque Gall de Clermont, à Didier de Cahors, en 654 c'est le tour de Pavie et de la Provence. Elle ne progresse pas au-delà.
De même en 694, elle s'arrête lorsqu'elle atteint la Narbonnaise. Les deux dernières attaques épidémiques concernent exclusivement la Sicile et la Calabre en 747, puis Naples en 767.

Bref, à partir du VIIIe siècle, les routes parcourues par les épidémies de peste sont de plus en plus courtes et demeurent limitées aux rivages Méditerranéens. C'est une preuve indirecte que le rayon d'action des foires continentales a diminué.

De même, les grands voyages maritimes s'arrêtent. Le périple autour de la péninsule Ibérique disparaît vers 700 et à la même époque, le voyage d'Ariulf depuis Damas et Alexandrie par la Sicile jusqu'en Grande-Bretagne et à l'île d'Iona paraît tout à fait exceptionnel à l'historien Béde le Vénérable.

Par la suite, les Anglo-Saxons gagnent la Méditerranée en utilisant Quentovic ou le Rhin puis les cluses Alpestres. Mais les voyages à longue distance sont beaucoup plus le fait des pèlerins que des marchands. Les produits qui voyagent loin se régionalisent à leur tour... Le transport d'une table de marbre Aquitain depuis les Pyrénées jusqu'à l'embouchure de la Loire, réalisé au début du VIIIe siècle, paraissait tenir de l'exploit miraculeux à la fin du IXe siècle. D'ailleurs on ne trouve plus de chapiteaux ou de sarcophages Pyrénéens hors d'Aquitaine après 700. Ils sont remplacés par de multiples productions de sarcophages locaux en Bordelais, en Poitou, en Île-de-France, etc... Une analyse identique pourrait être faite à propos des plaques-boucles de bronze d'Aquitaine, éclipsées par toute une série de productions locales similaires mais de style différent.

Bref, la crise du VIIe siècle s'est donc bien terminée en Europe Occidentale par la naissance et la création de principautés territoriales. Ainsi la thèse de Jan Dhondt est juste, mais il faut la déplacer de quelque 200 ans en arrière, sans faire de l'Empire Carolingien une parenthèse anachronique, pour comprendre son originalité.
Car les principautés sont issues d'une inadaptation de l'Empire Romain, dont les rigidités administratives et fiscales ont suscité, faute de patriotisme, de soldats-paysans et de monnaie de billon, comme en Orient, de véritables cassures. (c'est exactement ce qui se produit en ce moment)
Dans les monarchies Germani­ques, la personnalisation du pouvoir et des postes de fonctionnaires accentue cette tendance. La prise d'assaut de la royauté par assassinat ou par mairie du Palais interposée ressemble fort au dépouillement du roi Carolingien auquel ses ex-fonctionnaires arrachent ses terres fiscales...

Les implantations régionales des nouveaux princes sont si fortes qu'il faut 79 ans aux premiers Carolingiens, de 709 à 788, pour briser ces autonomies et revenir à l'universalisme de la conquête primitive que les clercs assimilent à celui de Rome. Ainsi s'expliquent ces concessions de vice-royaumes sur lesquelles Jan Dhondt ne s'interroge point, concernant l'Aquitaine la Lombardie en 781, et la Bavière en 788.
Les Carolingiens, avec leur conception personnelle du pouvoir ne peuvent, vraiment prévenir ni le haut moyen-Âge ni vraiment déraciner les autonomies locales.

Dès 838, elles réapparaissent en Aquitaine, avec un bâtard de Pépin II, élu par la noblesse, puis ailleurs, pour triompher en 888. Jan Dhondt s'est trouvé en réalité devant un phénomène de résurgence...

Trop influencé par la dualité Pyrénéenne (continuité jusqu'à Mahomet, rupture avec Charlemagne), il ne peut reconnaître dans les années 650-700 la grande mutation inaugurant de nouveaux pouvoirs :
Des pouvoirs régionaux.
Une nouvelle économie.
Un système fondé sur la monnaie d'argent.
Une nouvelle société qui fait appel aux liens d'homme à homme.

De plus, en 1948, comme il le reconnaît lui-même, une recherche historique, trop marquée par les débats entre Romanistes et Germanistes, par la notion intellectuelle de décadence ou par le concept de nationalisme, est handicapée « par la rareté des bonnes monographies d'histoire provinciale ».
Il n'est donc pas étonnant qu'il n'ait point fait remonter son hypothèse explicative jusqu'à la deuxième moitié du VIIe siècle. Mais il demeure remarquable qu'au bout d'une quarantaine d'années, elle soit toujours valable et applicable à l'étude de la gestation, puis de la naissance de l'Europe féodale.
Michel Rouche Université de Lille III Centre de recherches sur le Haut Moyen-Âge






La crise de l'Europe au cours de la deuxième moitié du VIIe ...
www.persee.fr/web/.../ahess_0395-2649_1986_num_41_2_283279
de M Rouche - ‎1986 - ‎Cité 6 fois - ‎Autres articles
Née en quelques dizaines d'années, elle triomphe après 887, au cours du xe .... peut-être même des tribus berbères et sûrement avec l'aide du pape Paul Ier .... patrice Félix, puis de Loup, à partir de 671-672, enfin sous le roi Eudes avant 700. ... Frisons, les Alamans, les Bavarois, les Aquitains, les Vascons et les Bretons.

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