Cette
page concerne l'année 802 du calendrier julien. Ceci est une
évocation ponctuelle de l'année considérée il ne peut s'agir que
d'un survol !
UNE IMPÉRATRICE CONTESTÉE ET CONTESTABLE.
Irène
l'Athénienne (en grec Ειρήνη η Αθηναία,
née vers 752 à Athènes, morte le 9 août 803 sur l'île de Lesbos)
est régente de l'Empire Byzantin de 780 à 790 puis impératrice
régnante (βασίλισσα, basilissa)
de 797 à 802.
Comme
Athénaïs-Eudoxie, la femme de Théodose II :
Irène
est Athénienne de naissance.
Comme
Athénaïs-Eudoxie elle est orpheline, sa beauté sans doute joue
le rôle essentiel, et fait d’elle une bru d’empereur. Mais là
s’arrête la ressemblance entre les deux princesses... L’Athènes
du VIIIe siècle en effet diffère étrangement de celle du Ve.
Ce
n’est plus la cité païenne et lettrée, la ville d’université,
pleine de la gloire des écrivains antiques et du souvenir des
philosophes illustres, gardant pieusement à l’ombre de ses temples
la mémoire des dieux proscrits.
Athènes
au siècle d’Irène, est une petite ville de province, tranquille
et dévote, où le Parthénon est devenu une église, où Sainte
Sophie a chassé Pallas-Athénée de l’Acropole, où les saints ont
remplacé les dieux. Dans un tel milieu, une éducation, et surtout
une éducation de femme, ne peut plus guère être ce qu’elle était
au temps d’Athénaïs. Comme la plupart de ses contemporaines,
Irène est croyante et pieuse, d’une piété exaltée et ardente,
qu’enflamment encore les événements de l’époque troublée où
elle vit.
Un
grave conflit religieux agite alors, depuis plus de 40 ans déjà,
l’empire Byzantin : On est au plus fort de la lutte surnommée
la querelle des images. Il ne faut point pourtant que cette
appellation, d’apparence trop strictement théologique, fasse
illusion sur le caractère véritable de cette crise redoutable... Il
s’agit d'autre chose que d’une mesquine question de discipline
liturgique. Assurément les empereurs iconoclastes, dévots comme
tous les hommes de leur temps, apportent dans le débat des
convictions religieuses ardentes et sincères, un des buts proposé
par leur réforme est de relever le niveau moral de la religion, en
la débarrassant de cette sorte de paganisme renaissant que leur
semble être l’adoration excessive des images de la Vierge et des
saints.
Mais
un autre point les préoccupe davantage : Ils sont effrayés de
la puissance qu’ont acquise dans l’État, par leurs richesses,
par leur influence, les défenseurs attitrés des images, les
moines... A vrai dire c'est dès le VIIIe siècle, la lutte entre le
pouvoir civil et les congrégations.
Contre
elles, l’empereur Constantin V, âme passionnée, volonté
énergique, a mené la bataille avec une particulière âpreté.
Par
ses ordres, on procédé à des exécutions brutales, souvent même
sanglantes.
Les
couvents ont été laïcisés, les religieux expulsés, emprisonnés,
exilés, Constantinople s'est vidé de ses moines. Et la société
Byzantine tout entière, entraînée dans la lutte, se partage en
deux camps :
D’un
côté le monde officiel, l’épiscopat de cour, les fonctionnaires,
les hautes classes sociales, l’armée enfin, toute dévouée à un
victorieux Constantin V.
De
l’autre, c’est le bas clergé, les classes moyennes, le peuple,
les femmes, dont la mystique piété, éprise des magnificences du
culte, amoureuse du luxe des églises, ne peuvent se résoudre à
abandonner les icônes miraculeuses et vénérées.
Native
d’une province ardemment iconophile, les sympathies d'Irène ne
sont pas douteuses. Mais, au moment où elle entre dans la famille
impériale, la persécution bât son plein, et aux côtés du
redoutable Constantin V, il ne fait pas bon manifester des sentiments
d’opposition affirmés... Irène cache donc soigneusement ses
croyances.
Elle
fait plus :
Elle
prête même, sur la demande de son beau-père, un solennel serment
de ne jamais accepter les images, et, on voit ici, alors apparaître,
en cette âme un peu trouble, un esprit de dissimulation et d'absence
de scrupules qui éclateront plus tard si fortement.
Malgré
cette apparente soumission, la piété de la jeune femme n’est pas
une piété stérile. On le voit bien quand, en 775, Constantin V
meurt, et que le nouvel empereur Léon IV, peut-être sous
l’influence de son épouse, très présente au début du règne,
relâche les anciennes rigueurs.
Résolument
la basilissa persévère... d'ailleurs beaucoup de femmes gardent
pieusement les images proscrites : La légende raconte qu’au
palais même, Anthousa, une fille de Constantin V, conservait sans
peur et sans scrupules sa dévotion aux icônes prohibées.
Irène
croit pouvoir imiter sa belle-sœur et se flatte de restaurer
secrètement, dans la résidence souveraine, le culte interdit... La
tentative doit avoir d’assez tragiques conséquences !
Au
mois d’avril 780, plusieurs personnes proche de l’impératrice
sont, par ordre de Léon IV, arrêtées et suppliciées, car
suspectées de sentiment iconophiles. La basilissa elle-même est
compromise dans l’affaire. On raconte qu’un jour, dans son
appartement, son mari découvre, cachées sous des coussins, deux
images de saints.
A
cette vue, Léon IV entre dans une violente colère et quoique Irène,
jure ignorer qui les a mises là, sa faveur chez l’empereur en
éprouve une sérieuse atteinte... Tombée dans une demi-disgrâce,
fort heureusement pour elle, Léon IV meurt assez subitement, au mois
de septembre de la même année 780... L’héritier du trône est un
enfant, Constantin VI, âgé de 10 ans, tutrice de son fils et
régente, Irène est impératrice.
On
sait qu’elle est belle, tout fait croire qu’elle est chaste et
que, jetée toute jeune dans une cour corrompue et dangereuse, elle
s’y garde irréprochable, enfin elle est pieuse...
Mais
cela dit, que savons-nous d’Irène ?
Que
vaut son esprit ?
Que
reflète son caractère ?
Sans
doute, pour l’entrevoir, nous avons les actes de son gouvernement.
Mais ces actes, les souhaite-t-elle ?
A-t-elle
sur la gouvernance des idées personnelles ?
Serait-elle
un instrument aux mains de conseillers habiles ?
Ce
sont autant de problèmes malaisés à résoudre, et d’autant plus
obscurs que les écrivains de son temps ont répandu pour cette
princesse orthodoxe toutes les formules d’une admiration sans
réserves.
Un
romancier célèbre, esquisse le portrait de la très pieuse
impératrice, la montre initiée aux mystères de la philosophie
platonicienne, aux dogmes occultes « de l’hermétisme
cosmopolite, » connaissant « les incantations théurgiques
qui mènent au pouvoir, » et employant ce pouvoir une fois
conquis pour un but unique, la grandeur de Byzance et la
reconstitution de l’antique hégémonie Romaine.
Et
si l’on veut se la représenter telle que la rêve Paul Adam :
« Assise
sous les tendelets impériaux à l’extrême pointe du promontoire
dominant les eaux rapides du Bosphore, elle passait les soirs devant
la féerie immortelle du ciel levantin à se voir reflétée dans les
vasques de métal poli, resplendissante comme la mère de Dieu en la
châsse pompeuse de ses vêtements, qui miraient les scintillantes
étoiles à chaque facette de leurs joyaux uniques. Les pensées de
triomphe vibraient en elle. Sa mémoire évoquait les enseignements
mystérieux des écoles. L’amour de faire vibrer un peuple au
souffle de son esprit la tenait haletante et pâmée . »
Et
telle est, pour cette femme supérieure, la sympathie de l’auteur
que son crime même trouve à ses yeux une excuse et lui apparaît
presque légitime. Si elle détrône son fils et le fait aveugler
c’est, dit le romancier, « qu’elle préfère supprimer
l’individu au profit de la race. Le droit absolu lui donne
raison. »
Pour
certains Irène apparaît beaucoup moins séduisante. Âprement
ambitieuse, toute sa vie elle est conduite par une passion maîtresse,
le désir de régner.
Elle
est jeune et belle :
Elle
ne prend pas d’amant, de peur de se donner un maître.
Elle
est mère :
L’ambition
étouffe en elle jusqu’au sentiment maternel.
Pour
parvenir au but qu’elle s'est assigné, elle n’a aucun scrupule,
tous les moyens lui sont bons :
La
dissimulation et l’intrigue, la cruauté et la perfidie.
Toutes
les puissances de son esprit, toutes les forces de son orgueil se
tendent vers cet objet unique... le trône. Et c'est toute sa vie, sa
piété même, qui est réelle et profonde, accroît et aide son
ambition.
Au
moment où la mort de Léon IV donne à Irène la réalité du
pouvoir suprême, bien des ambitions rivales s’agitent au tour de
la jeune impératrice. A la cour, elle rencontre la sourde hostilité
de ses beaux-frères, les 5 fils de Constantin V, princes populaires
et ambitieux dont elle a tout à redouter.
Vainement
leur père, avant de mourir, leur a fait jurer de ne jamais conspirer
contre le souverain légitime, dès l’avènement de Léon IV, ils
ont été prompts à violer leurs serments, l’aîné d’entre eux,
César Nicéphore, a été dépouillé de sa dignité et exilé dans
la lointaine Cherson ; un noyau d'opposants s’entête à
travailler pour eux.
D’autre
part, toutes les hautes charges du gouvernement sont occupées par de
zélés iconoclastes :
Le
maître des offices, chef de la chancellerie, le domestique des
scholes, commandant suprême de l’armée, sont d’anciens et
fidèles serviteurs du défunt basileus Constantin V.
Le
Sénat, les hauts fonctionnaires de l’administration provinciale ne
sont pas moins dévoués à la politique du précédent règne.
L’Église
enfin, que gouverne le patriarche Paul, est toute pleine d’ennemis
« des images ».
Venant
d'hommes de cette sorte, Irène ne peut rien entreprendre, et, aussi
bien, eux-mêmes suspectent les sentiments de la basilissa et
craignent de sa part de prochaines tentatives de réactions.
Pour
réaliser les desseins de sa piété, pour satisfaire les rêves de
son ambition, il faut que l’impératrice trouve d’autres concours
et cherche d’autres appuis.
C’est
ici, qu’apparaît son adresse : Sans merci elle brise ses
adversaires les uns par la force, les autres par la douceur, les
enlèvant des postes où ils gênent.
Un
complot s’est formé pour élever au trône les Césars, elle en
profite pour obliger ses beaux-frères à entrer dans les ordres, et
afin que nul n’ignore leur irrémédiable déchéance, elle les
contraint, aux fêtes de Noël de l’année 780, à prendre part,
dans Sainte-Sophie, en présence de tout le peuple de la capitale,
aux offices solennels marquant ce Saint Jour.
En
même temps elle change le personnel du palais, et pousse sa famille
aux honneurs, établissant son frère, son neveu, sa cousine,
d’autres parents encore. Elle disgracie les vieux généraux de
Constantin V, en particulier le terrible Michel Lachanodracon,
stratège des Thracésiens, rendu fameux par la haine farouche qu’il
porte aux moines et par la joyeuse brutalité avec laquelle il leur
impose le mariage...
A
leur place, elle installe dans les grands commandements des hommes à
elle, surtout des eunuques de sa maison et de son intimité.
C’est
à eux qu’elle remet insensiblement toutes les grandes charges du
palais et de l’administration, c’est parmi eux qu’elle prend
enfin son premier ministre, Staurakios.
Grand
favori de la basilissa, ce personnage devient par sa grâce patrice,
logothète du drome, bientôt il est le maître incontesté et
tout-puissant au Palais Sacré.
Diplomate,
c’est lui qui négocie la paix avec les Arabes, général, il
dompte l’insurrection des Slaves et, pour rehausser encore son
prestige Irène lui accorde dans l’Hippodrome un triomphe solennel.
Vainement
l’armée, mécontente d’un tel chef, ne cache pas sa haine au
parvenu, lui, sûr de sa faveur, redouble de hauteur et d’insolences.
En
fait, pendant 20 ans, fidèlement attaché à la fortune d’Irène,
il tombe avec elle et se relève avec elle.
Et
peut-être cet homme énergique, actif, ambitieux, est l’intelligence
directrice qui inspire les desseins de la souveraine. Cependant on
voit quel tour assez particulier donne dès le début au gouvernement
d’Irène cette mainmise par les eunuques de la chambre sur tous les
ressorts de la monarchie.
En
même temps qu’elle change le personnel du gouvernement, Irène
modifie la politique générale de l’empire. Elle achève la guerre
en Orient, puis cherche en Occident un rapprochement avec la papauté,
ébauche un accord avec Charlemagne, et, surtout elle marque en
matière de religion une tolérance depuis longtemps inconnue.
« Les
hommes pieux, dit un chroniqueur contemporain, recommencent à parler
librement, la parole de Dieu à se répandre sans obstacles, ceux qui
cherchent le salut éternel peuvent sans difficulté se retirer du
monde, et la gloire de Dieu est de nouveau célébrée : Les
monastères refleurissent et la quiétude réapparaît partout. »
De
nouveau, les moines se montrent à Constantinnople, l’entrée des
cloîtres se rouvre aux vocations longtemps contrariées, avec
ostentation, l’impératrice s’applique à réparer les sacrilèges
du précédent régime... Elle va en grande pompe reporter à
Sainte-Sophie la couronne précieuse que Léon IV a jadis enlevée,
elle replace solennellement dans leur sanctuaire les reliques de
Sainte Euphémie, jetées à la mer par l’ordre de Constantin V et
miraculeusement retrouvées.
Et
le parti des iconophiles, enchanté de ces manifestations, salue
comme un miracle inespéré l’avènement de la pieuse souveraine et
remercie Dieu qui,
« par
la main d’une femme veuve et d’un enfant orphelin, va renverser
l’impiété et mettre fin à l’esclavage de l’Église. »
En
784, brusquement, sans avoir pris l’avis du gouvernement, (affirme
Théophane), plus vraisemblablement pourtant sur des suggestions
venues du palais, le patriarche Paul donne sa démission et se retire
dans un monastère, déclarant à qui veut l’entendre que, plein du
remords de ses péchés, il veut expier les crimes commis par lui
contre les images et mourir du moins en paix avec Dieu.
Irène
exploite fort adroitement cette décision, qui fait grand bruit dans
la capitale et, à la place de Paul, elle choisit, pour le mettre à
la tête de l’Église, un homme sûr, le laïque Tarasios,
secrétaire impérial.
Celui-ci,
diplomate intelligent et souple, joue admirablement le rôle que lui
a sans doute prescrit la souveraine. Quand son nom est mis en avant,
lorsque l’impératrice elle-même le prie d’accepter de se
laisser élire, il se récuse, décline la charge qu’on veut lui
imposer, demande qu’on lui permette d’expliquer devant le peuple
les causes de son refus...
Et
dans un long discours, abondamment, il insiste sur l’état
déplorable de l’Église, sur les discordes qui la troublent, sur
le schisme qui la sépare de Rome, et très adroitement, mettant à
ce prix son acceptation, il lance l’idée d’un concile
œcuménique, qui restaurera la paix et l’unité dans le monde
chrétien. En même temps, par un détour habile, il désavoue le
synode iconoclaste tenu en 753 et lui dénie toute autorité
canonique, comme n’ayant fait qu’enregistrer des décisions
illégalement prises en matière de religion par l’autorité
civile.
Ayant
ainsi préparé le terrain aux projets de la basilissa, finalement il
se laisse faire et, ayant reçu d’un seul coup tous les degrés du
sacerdoce, il monte sur le trône patriarcal.
Mais
on a compté sans l’opposition d’une partie des évêques, sans
l’hostilité surtout des régiments de la garde impériale, fidèles
au souvenir de Constantin V et fermement attachés à la politique de
ce glorieux empereur... Les évêques siègent solennellement, dans
les catéchumènes de la basilique, Irène avec son fils assistent à
la séance, en chaire, Platon, abbé de Sakkoudion, l’un des plus
ardents défenseurs des images, prononce une homélie appropriée aux
circonstances, lorsque brusquement, l’épée à la main, les
soldats se ruent dans l’église, menaçant de mort les prélats.
Vainement
Irène, non sans courage, tente de s’interposer et de calmer
l’émeute, ses efforts sont impuissants, son autorité méconnue.
Les
évêques orthodoxes sont insultés, bousculés, dispersés, et à
cette vue, les prélats du parti iconoclaste, s’associant à
l’armée, se mettent à applaudir et à crier :
« Nous
avons vaincu ! nous avons vaincu ! »
Irène
elle-même n’échappe qu'avec peine « aux griffes de ces
lions, » comme écrit un chroniqueur ecclésiastique, et ses
partisans, encore que son sang ne coule pas, la proclament martyre.
On
a été trop vite... Cette fois, on biaise pour aboutir. La basilissa
et son premier ministre déploient dans cette tâche tout leur esprit
d’intrigue et toutes leurs ruses.
Par
de l’argent, par des promesses, on gagne aux vues du gouvernement
les corps d’armée asiatiques, toujours jaloux des troupes qui
tiennent garnison dans la capitale.
Puis
on annonce une grande expédition contre les Arabes. Les régiments
de la garde partent les premiers en campagne : Aussitôt on les
remplace à Constantinople par les divisions dont on s’est assuré
la fidélité, en même temps, pour forcer les récalcitrants à
l’obéissance, on arrête les femmes et les enfants, on saisit les
biens des soldats expédiés à la frontière... Maître de ces
précieux otages, le gouvernement peut sans péril casser, licencier,
disperser les régiments mal disposés de la garde.
Irène
a maintenant l’appui indispensable à ses projets, une armée à
elle sous des chefs dévoués. Malgré cela, elle ne se risque pas à
recommencer à Constantinople la tentative manquée en 786. Le
concile œcuménique se réunit à Nicée en 787, sous l’influence
toute-puissante de la cour, du patriarche et des moines, il
anathématise sans hésitation les décisions iconoclastes de 753 et
rétablit dans toute son ampleur le culte des images et l’orthodoxie.
Puis,
au mois de novembre 787, les Pères du concile se transportent dans
la capitale, et dans une dernière séance solennelle tenue au palais
de la Magnaure, en présence des légats du pape Hadrien, Irène
signe de sa main les canons qui restaurent les croyances qu’elle
aime... Ainsi, en 7 ans d’habileté patiente, Irène, malgré
quelques accès de précipitation, s’est faite toute-puissante.
Elle
a donné satisfaction à l’Église et aux vues de sa propre piété,
surtout elle a brisé tout ce qui gênait son ambition. Et ses amis
iconophiles, fiers d’une telle souveraine, saluent en elle
pompeusement « l’impératrice soutien du Christ, celle dont
le gouvernement, comme le nom, est un gage de paix » (GREC).
Au
moment même où Irène remporte cette victoire, au moment où son
triomphe semble le plus complet, son ambition est gravement menacée.
Constantin
VI a 17 ans. Entre le fils désireux de régner et la mère
passionnément éprise de l’autorité suprême, le conflit est
fatal, inévitable... Il va dépasser en horreur tout ce qu’on peut
imaginer.
Aussi,
pour expliquer cette lutte scélérate, les pieux historiens de
l’époque n’ont-ils trouvé d’autre issue que de faire
intervenir le diable et, soucieux d’excuser la très pieuse
impératrice, ils ont le plus possible rejeté le mal qu’elle fait
sur ses funestes conseillers.
Elle
a sauvegardé l’œuvre qu’elle vient d’accomplir, pour
conserver son pouvoir, elle ne recule ni devant la lutte, ni devant
le crime.
Autoritaire
et passionnée, Irène continue toujours à traiter en enfant le
jeune homme qu’est devenu son fils. Jadis, à l’aurore du règne,
elle a, par intérêt politique, négocié un projet de mariage entre
Constantin VI et une fille de Charlemagne, et l’on a vu, à
Aix-la-Chapelle, un eunuque du palais chargé d’instruire la jeune
Rothrude dans la langue et les usages de sa future patrie, et les
savants de l’Académie palatine, fiers de l’alliance qui se
prépare, se sont mis à l’envie à apprendre le grec.
La
politique annule ce que la politique a fait. La paix rétablie avec
Rome, l’accord avec les Francs paraît à Irène moins nécessaire,
surtout elle redoute, dit-on, que le puissant roi Charles ne devienne
un trop solide appui pour la faiblesse de son gendre, et ne l’aide
à se rendre maître de la monarchie... Elle rompt donc le projet
caressé, et malgré les répugnances de Constantin VI, qui s’est à
distance épris de la jeune princesse d’Occident, elle lui impose
un autre mariage.
Dans
un joli passage d’un document de l’époque, (la vie de Saint
Philarète), on voit comment la nouvelle union est préparée. Ce ne
sont pas d’ordinaire, comme dans nos États modernes, des raisons
politiques qui déterminent le choix qu’un empereur fait de son
épouse. C’est par un procédé plus original que le prince
découvre celle qu’il va épouser : Entre les plus jolies
filles de la monarchie, le gouvernement institue un véritable
concours de beauté, dont le trône est le prix.
Conformément
à cet usage, l’impératrice Irène envoie par tout l’empire des
messagers chargés de découvrir et de ramener dans la capitale les
jeunes femmes dignes de fixer l’attention du basileus.
Pour
limiter leur choix et rendre leur tâche plus facile, la souveraine a
pris soin d’indiquer l’âge et la taille que doivent avoir les
candidates, et aussi la pointure des bottines qu’elles doivent
chausser...
Munis
de ces instructions, les envoyés se mettent en route, et au cours de
leur voyage ils arrivent un soir dans un village de Paphlagonie.
Voyant de loin une grande et belle maison, qui semble appartenir à
un riche propriétaire, ils décident d’y prendre quartier pour la
nuit.
Ils
tombent mal : L’homme qui habite là est un saint, à
distribuer des aumônes aux pauvres, il s’est complètement
ruiné... Il n’en fait pas moins grand accueil aux mandataires de
l’empereur, et appelant son épouse :
« Fais-nous,
lui dit-il, un dîner qui soit bon. »
Et
comme, fort gênée, celle-ci répond :
« Comment
ferai-je ? tu as si bien gouverné ta maison que nous n’avons
plus même une volaille dans la basse-cour.
Va,
reprend le saint, allume ton feu, prépare la grande salle à manger,
dresse la vieille table d’ivoire : Dieu pourvoira à ce que
nous ayons à dîner. »
Dieu
y a pourvu en effet, et comme au dessert les envoyés, fort
satisfaits de la façon dont on les a traités, interrogent
obligeamment le vieillard sur sa famille, il se trouve qu’il a
justement 3 petites-filles en âge d’être mariées.
« Au
nom de l’empereur couronné par Dieu, s’exclament alors les
mandataires, qu’elles se montrent, car le basileus a ordonné que,
par tout l’empire Romain, il ne se rencontre point une jeune fille
que nous n’ayons vue. »
Elles
paraissent, elles sont charmantes, et précisément l’une d’elles,
Marie, a l’âge requis, le tour de taille souhaité et chausse la
pointure demandée...
Enchantés
de leur trouvaille, les messagers emmènent toute la famille à
Constantinople.
Une
douzaine d’autres jeunes filles y sont déjà rassemblées, toutes
fort jolies, et la plupart issues de familles nobles et riches. Aussi
ces belles personnes regardent d’abord la nouvelle venue avec
quelque mépris, et comme celle-ci, qui n’est pas sotte, dit un
jour à ses compagnes :
« Mes
amies, faisons-nous une mutuelle promesse. Que celle d’entre nous à
qui Dieu donnera de régner s’engage à s’occuper de
l’établissement des autres, »
Une
fille de stratège lui répond avec hauteur :
« Oh !
moi, je suis la plus riche, la mieux née et la plus belle, sûrement
l’empereur m’épousera. Vous autres, pauvres filles sans
ancêtres, qui n’avez pour vous que votre jolie figure, vous pouvez
bien renoncer à toute espérance. »
Il
va de soi que cette dédaigneuse personne a été punie de son
dédain. Quand les candidates paraissent devant l’impératrice, son
fils et le premier ministre, tous lui disent:
Marie
au contraire conquiert immédiatement le cœur du jeune prince, et
c’est elle qu’il choisit...
Tel
est le récit que nous a conservé la légende. En fait, Constantin
VI semble avoir marqué moins d’enthousiasme pour sa fiancée. Mais
la jeune Arménienne a de quoi plaire à la basilissa et au premier
ministre. Elle est jolie, intelligente, pieuse, et surtout issue
d’une famille fort modeste, devant tout à Irène, on pense qu’elle
sera docilement soumise à la volonté de sa bienfaitrice, et que de
cette belle-fille l’impératrice n’aura à craindre nulle
ambition gênante et déplacée... Le mariage est donc résolu,
(novembre 878).
Irène
tient attentivement son fils à l’écart de toutes les affaires.
L’empereur est comme isolé dans sa propre cour, sans amis, sans
influence, en face de lui, le tout-puissant Staurakios gouverne tout
à son caprice, insolent et hautain, et devant le favori, chacun
s’incline humblement.
Finalement,
le jeune souverain s’insurge contre cette tutelle, avec
quelques-uns de ses familiers, il conspire contre le premier
ministre. Mal lui en prend. Le complot ayant été découvert, Irène
se sent du même coup directement menacée :
De
ce jour l’ambition tue en elle l’amour maternel. Brutalement elle
frappe. Les conjurés arrêtés sont torturés, exilés ou
emprisonnés... Chose plus grave, l’empereur lui-même est battu de
verges comme un enfant rebelle, tancé d’importance par sa mère,
et mis pour plusieurs jours aux arrêts dans son appartement.
Après
cela, l’impératrice se croit sûre du triomphe. Ses flatteurs
aussi bien entretiennent son illusion, lui affirmant
« que
Dieu même ne veut point, que son fils règne. »
Superstitieuse
et crédule comme tous ses contemporains, elle se laisse prendre à
ces paroles et aux oracles des devins qui lui promettent le trône,
et, pour se l’assurer, elle risque le tout pour le tout. Un nouveau
serment de fidélité est demandé à l’armée, les soldats doivent
jurer d’après cette formule inattendue et singulière :
« Aussi
longtemps que tu vivras, nous ne reconnaîtrons point ton fils comme
empereur »
Et
dans les acclamations officielles, le nom d’Irène est mis avant
celui de Constantin... Cette fois encore, l’ardente et ambitieuse
princesse est allée trop vite.
En
790, un pronunciamiento éclate parmi les régiments d’Asie en
faveur du jeune empereur tenu en tutelle... Du corps d’armée
d’Arménie, la révolte gagne les autres thèmes, bientôt toutes
les troupes rassemblées exigent la mise en liberté de Constantin VI
et sa reconnaissance comme unique et véritable basileus. Irène
prend peur, elle cède... Elle se résigne à relâcher son fils, à
abdiquer le pouvoir, impuissante et furieuse, elle doit voir éloigner
et disgracier ses amis les plus chers.
Staurakios,
le premier ministre, est tonsuré et exilé en Arménie.
Aétios,
un autre de ses familiers, partage sa disgrâce.
Elle-même
doit se retirer dans son magnifique palais d’Eleuthérion
Autour
du jeune prince solennellement proclamé, elle voit rentrer en grâce
tous ceux qu’elle a combattus, tous les ennemis des images
restaurées par elle, et, au premier rang, le vieux Michel
Lachanodracon, qui est élevé à la haute charge de maître des
offices.
Mais
Constantin VI n’a aucune haine contre sa mère. Un an à peine
s’est écoulé depuis la chute d’Irène qu’au mois de janvier
792, cédant à ses prières, le jeune prince lui rend le titre
d’impératrice, la rappelle au Palais Sacré, l’associe au
pouvoir, en même temps qu’elle, la faiblesse du basileus ramène
aux affaires l’eunuque Staurakios son favori.
Irène
revient altérée de vengeance, avide de châtier ceux qui l’ont
trahie, et plus ardente que jamais à poursuivre son rêve ambitieux.
Mais cette fois, pour le réaliser, elle allait se montrer plus
habile.
Avertie
par son échec, elle met 5 patientes années à préparer lentement
son triomphe par les plus subtiles intrigues les mieux combinées.
Constantin
VI a d’incontestables qualités. C’est, comme son grand-père, un
prince courageux, énergique, intelligent et capable :
Ses
adversaires mêmes font son éloge et lui reconnaissent des mérites
guerriers et une réelle aptitude au gouvernement. D’une parfaite
orthodoxie, il est fort populaire dans les classes inférieures, et
l’Église ne le voit point d’un mauvais œil, général actif et
brave, très disposé à recommencer la guerre contre les Bulgares et
les Arabes, il plaît à l’armée. C'est l’habileté suprême
d’Irène de brouiller successivement ce souverain estimable avec
ses meilleurs amis, de le faire paraître tout ensemble ingrat, cruel
et lâche, de le déconsidérer auprès des soldats, de lui enlever
la faveur du peuple et de le perdre enfin dans l’esprit de
l’Église.
Tout
d’abord elle emploie son influence reconquise pour exciter les
soupçons du jeune Constantin contre Alexis Mosèle, le général qui
a fait le pronunciamiento de 790. A la nouvelle du traitement infligé
à un chef qu’ils aiment, ces régiments en effet s’insurgent.
Il
faut qu’en 793 le basileus lui-même aille écraser la sédition :
Il le fait avec une dureté extrême, et ainsi il achève de
s’aliéner l’esprit des soldats. En même temps, comme un parti
continue à s’agiter en faveur de ses oncles les Césars, sur le
conseil d’Irène, l’empereur condamne l’aîné à perdre les
yeux et fait couper la langue aux quatre autres.
Enfin
l’impératrice, pour achever de soulever l’opinion publique
contre son fils, imagine un dernier moyen, le plus machiavélique de
tous.
Constantin
VI, on le sait, n’aime pas son épouse, il a des maîtresses. Il ne
tarde pas à s’éprendre vivement d’une des filles d’honneur de
l’impératrice mère, (Théodote) Irène encourage complaisamment
la passion de son fils pour sa suivante et c'est elle-même qui
l’engage à répudier son épouse pour épouser la jeune fille...
Constantin VI prête volontiers l’oreille à ces conseils et il se
noue alors au palais, pour le débarrasser de Marie, une fort
curieuse intrigue... L’empereur met sa femme au couvent et, au
mois de septembre 795, il épouse Théodote.
Dans
toute la chrétienté Byzantine, et jusque dans les plus lointaines
provinces, un tollé général salue cette union adultère. Le parti
des iconophiles, épouvantablement scandalisés, fait rage, les
moines, soufflant sur la flamme, tonnent contre l’empereur bigame
et débauché, et s’indignent de la faiblesse du patriarche
Tarasios, qui, toujours politique, tolère de semblables
abominations.
« Malheur,
disait Théodore de Stoudion, reprenant à son compte les paroles de
l’Ecclésiaste, malheur à la ville dont le roi est un enfant. »
Constantin
VI, plus calme s’efforce d’apaiser, cette tempête formidable.
Comme le principal foyer de l’opposition est le couvent de
Sakkoudion en Bithynie, il se transporte, sous le prétexte d’une
villégiature, dans la ville d’eaux de Pruse, et de là, profitant
du voisinage, il entame avec les moines du célèbre monastère
toutes sortes de négociations courtoises. Il finit même, dans
l’espoir de les pacifier de leur rendre visite en personne. Rien
n’y fait.
« Même
s’il faut verser notre sang, déclare Théodore de Stoudion, nous
le verserons avec joie. »
Devant
cette intransigeance, l’empereur eut le tort de perdre patience :
Il se décide à agir par la force. Des arrestations sont ordonnées :
Un certain nombre de religieux sont battus de verges, emprisonnés ou
exilés, On disperse le reste de la communauté.
Mais
ces rigueurs ne font que compliquer la situation. Partout les moines
fulminent contre le tyran, contre « le nouvel Hérode, »
et, jusque dans son palais, l’abbé Platon vient l’insulter.
Constantin
VI se ressaisit. Aux injures de l’higoumène, froidement il se
contente de répondre :
« Je
ne veux point faire des martyrs, » et il le laisse dire.
Malheureusement pour lui, il en a trop fait déjà. L’opinion
publique est exaspérée contre le jeune souverain... Irène en
profite.
Très
épris de son épouse Théodote, qui a dû revenir dans la capitale
pour faire ses couches au Palais Sacré, Constantin VI, au mois
d’octobre 796 apprend qu’un fils lui est né, s’empresse de
partir pour Constantinople.
Il
laisse ainsi le champ libre aux intrigues d’Irène. Par ses
cadeaux, par ses promesses, par sa séduction personnelle, celle-ci a
vite fait de gagner à ses intérêts les principaux officiers de la
garde, elle leur fait accepter un projet de coup d’État qui la
fera seule impératrice, et les conjurés dont Staurakios, comme
toujours, dirige, mais, convient d’attendre le moment favorable.
Un
point noir subsiste pourtant, par où tout peut manquer. Il suffit de
quelque brillant succès militaire pour rendre à Constantin VI son
prestige ébranlé : Or justement, au mois de mars 797, le
basileus vient d’entrer en campagne contre les Arabes
La
crise décisive approche. Le 17 juillet 797, Constantin VI revient de
l’Hippodrome et rentre au palais de Saint-Mamas. !
Les
traîtres qui l’environnent jugent l’occasion propice et tentent
de l’arrêter.
Mais
le prince leur échappe, et, se jetant dans un vaisseau, il passe en
hâte sur le rivage d’Asie, comptant sur la fidélité des troupes
qui occupent le thème Anatolique.
Et
déjà Irène, triomphe prend possession du Grand Palais ;
Beaucoup
de gens de l’entourage impérial se sont fort compromis avec elle
menace de les dénoncer au basileus... Épouvantés de ces
déclarations, et ne voyant point d’autre moyen d’échapper à
une perte certaine, les conjurés effrayés, se saisissent de leur
infortuné souverain... On le ramène à Constantinople, on l’enferme
au Palais Sacré, dans la chambre de la Pourpre, où il est né, et
là, par l’ordre de sa mère, le bourreau vient lui crever les
yeux...
Cependant
il n'en meurt pas !
Relégué
dans une somptueuse habitation, il finit par obtenir qu’on fasse
venir son épouse Théodote, qui dans la crise suprême l’a
courageusement soutenu, il a même un second fils, et il passe ainsi,
dans une tranquille obscurité, les dernières années de son
existence. Mais dès ce moment sa fonction impériale est finie.
Personne,
ou à peu près, ne pleure le sort du malheureux prince.
Les
iconophiles, y voient la punition légitime et divine de son union
adultère, le juste châtiment des rigueurs qu’il a ordonnées
contre les moines, un exemple mémorable enfin, par lequel, comme dit
Théodore de Stoudion,
« les
empereurs eux-mêmes apprendront, à ne pas violer les lois de Dieu,
à ne point déchaîner des persécutions impies. »
Cette
fois encore, les âmes pieuses saluent avec admiration et
reconnaissance l’acte libérateur accompli par la très chrétienne
basilissa Irène. Seul, le chroniqueur Théophane, malgré son
dévouement à la souveraine, semble avoir vaguement senti l’horreur
de son forfait :
« Le
soleil, écrit-il, s’obscurcit pendant 17 jours et n’émet point
ses rayons, à ce point que les vaisseaux errent sur la mer et tous
disent que c’est à cause de l’aveuglement de l’empereur que le
soleil refuse sa lumière... Et ainsi monte sur le trône Irène,
mère de l’empereur.
Irène
a réalisé son rêve ! Elle règne ! Il semble qu’elle
est alors comme grisée de sa fortune et de sa toute-puissance.
Elle
ose en effet cette chose inouïe, qui ne s’est jamais vue à
Byzance et qu’on n’y revoit jamais ! Elle prend, elle
femme, le titre d’empereur... En tête des Novelles qu’elle
promulgue, elle s’intitule fièrement :
« Irène,
grand basileus et autocrator des Romains ; »
Sur
les monnaies qu’elle fait frapper, sur les diptyques d’ivoire qui
nous ont conservé son image, elle apparaît dans tout le pompeux
appareil de la souveraineté.
Telle,
et plus magnifique encore, elle veut se montrer à son peuple, le
lundi de Pâques de l’année 799, elle revient de l’église des
Saints-Apôtres au palais en une procession solennelle, juchée sur
un char d’or attelé de 4 chevaux blancs, que tiennent en main 4
grands dignitaires, vêtue du somptueux costume des basileis,
étincelante de pourpre et d’or, elle jette, selon l’usage des
consuls de Rome, à pleines poignées l’argent à la foule
assemblée... C'est comme l’apothéose de l’ambitieuse souveraine
et l’apogée de sa grandeur.
En
même temps, toujours habile, elle soigne sa popularité et affermit
son pouvoir. Les Césars ses beaux-frères, dont la tenace ambition
survit à toutes les disgrâces, s’agitent de nouveau, cruellement
elle réprime leurs tentatives, et les relègue à Athènes dans un
lointain exil.
A
ses amis les moines au contraire elle témoigne une attentive
bienveillance : Elle fait bâtir pour eux de nouveaux
monastères, elle dote largement les couvents restaurés, grâce à
sa faveur déclarée, les grands établissements monastiques de
Sakkoudion en Bithynie et du Stoudion dans la capitale se développent
alors en une prospérité inouïe.
Elle
accorde de larges remises d’impôts, remanie le système de
l’administration des finances, diminue le poids des douanes de
terre et de mer et la charge des taxes qui frappent les objets de
consommation et l’industrie, se fait bien voir des pauvres par ses
fondations charitables... Et Constantinople enchantée acclame sa
bienfaitrice !
Cependant,
autour de la souveraine vieillie, de sourdes intrigues se trament à
la cour :
Les
favoris d’Irène se disputent sa succession. Le trône a sa mort
sera vide. Du premier mariage de Constantin VI, 2 filles seulement
sont nées, quant aux enfants du second lit, le fils aîné Léon est
mort, âgé de quelques mois à peine, l’autre, venu au monde après
la chute de son père, est considéré comme un bâtard, issu d’une
union illégitime et déchu de tout droit à l’empire.
Aussi
les 2 eunuques qui gouvernent la monarchie, Staurakios et Aétios,
rêvent-ils également de conquérir le pouvoir pour leurs proches et
poussent leurs parents sur la route des honneurs.
La
santé de plus en plus précaire d’Irène autorise au reste de
prochaines espérances. Pourtant, jusqu’à la fin jalouse de son
autorité suprême, soupçonneuse contre quiconque semble menacer sa
couronne, la vieille basilissa défend âprement le trône conquis
par son crime...
Et
c'est, pendant plus d’une année, au Palais Sacré, une succession
de dénonciations, de scènes violentes, de brusques disgrâces et de
retours de faveur inattendus.
Aétios
dénonçant l’ambition et les complots de Staurakios.
Staurakios
fomentant des révoltes pour perdre Aétios.
Entre
les deux, Irène, flottante, inquiète, irritée, sévissant et
pardonnant tour à tour... Il y a quelque chose de tragique dans
cette lutte entre la vieille impératrice épuisée, se cramponnant
désespérément au pouvoir, et le tout-puissant ministre, malade lui
aussi, crachant le sang, s’obstinant, entre les mains des médecins
à la veille de mourir, il conspire encore et désire le trône
contre toute espérance.
Il
succombe le premier, vers le milieu de l’année 800 Pendant que la
cour Byzantine se consume en disputes stériles.
Au
même moment dans Saint-Pierre de Rome, Charlemagne restaure l’empire
d’Occident... On dit qu’un projet grandiose germe dans la tête
du César Germanique et de la vieille souveraine de Byzance, celui
d’un mariage qui unira leurs deux monarchies sous leur commun
sceptre, et refera, plus glorieuse et plus complète même qu’au
temps d’Auguste, de Constantin ou de Justinien, l’antique unité
de l’Orbis Romarus.
Le
fait ne paraît guère vraisemblable, mais en tout cas des
négociations s’engagent pour établir un modus vivendi entre les
deux États.
Des
ambassadeurs Francs sont à Constantinople, quand éclate la
catastrophe suprême où Irène succombe...A mesure que la vieille
impératrice s’affaiblit, les intrigues deviennent autour d’elles
plus ardentes et plus audacieuses.
Aétios,
tout-puissant maintenant depuis la mort de son rival, pousse
ouvertement son frère et tâche de lui assurer l’appui de l’armée.
Contre
l’insolente ambition et les hauteurs du favori, d’autres grands
seigneurs s’insurgent, un des ministres, le logothète général
Nicéphore, profite du mécontentement universel pour conspirer à
son tour contre la basilissa. Sourdement enfin, le parti iconoclaste
prépare sa revanche.
Le
31 octobre 802 la révolution éclate.
« Dieu,
dit le pieux chroniqueur Théophane, la permet en son
incompréhensible sagesse, pour punir les fautes de l’humanité. »
Irène
est en villégiature au palais d’Eleuthérion, sa résidence
préférée.
Les
conjurés, parmi lesquels se rencontrent :
D’anciens
amis d’Aétios mécontents du favori.
D’anciens
familiers de Constantin VI,
Plusieurs
officiers iconoclastes désireux de vengeance.
De
hauts fonctionnaires civils.
Des
courtisans.
Des
parents de l’impératrice.
Tous
comblés de ses dons, profitent de cette absence, à 10h du soir, ils
se présentent aux portes du Palais Sacré, exhibant aux gardes de la
Chalcé de prétendus ordres de la basilissa, par lesquels elle
commande de proclamer sans retard Nicéphore empereur, afin qu’il
l'aide à résister aux intrigues d’Aétios...
Les
soldats se laissent persuader, et livrent le palais. Dans toute
révolution Byzantine, c’est là le point essentiel dont il faut
d’abord s’assurer, et comme le gage et le symbole du succès.
Et
en effet la nuit n’est pas achevée, que par toute la ville des
messagers ont annoncé l’élévation de Nicéphore et la réussite
du coup d’État, sans que personne tente de faire résistance.
En
même temps Irène, arrêtée par surprise à Eleuthérion, est sous
bonne garde ramenée à Constantinople et enfermée au Palais Sacré.
Dès
le lendemain matin, dans Sainte-Sophie, par les mains du patriarche
Tarasios, assez oublieux, de sa bienfaitrice, le nouveau basileus se
fait couronner en toute hâte.
Cependant
rien n’est terminé. Irène est populaire, revenue de sa première
surprise, la foule témoigne ouvertement son hostilité aux conjurés.
On insulte le nouveau maître, on injurie le patriarche, et beaucoup
de gens, rappelant les protestations de loyalisme par lesquelles les
conspirateurs ont abusé leur souveraine, leur reprochent vivement
leur ingratitude.
On
regrette le régime renversé, la prospérité qu’il a apportée,
on redoute l’avenir qui se prépare et la multitude, ne pouvant
croire aux événements qui viennent de s’accomplir, se demande si
elle n'est pas le jouet de quelque mauvais rêve.
La
consternation, la désolation, sont générales, et le temps
sinistre, une froide et brumeuse matinée d’automne, rend plus
tragique encore l’aurore du nouveau règne.
Entre
les deux sentiments, l’ambition et la piété, qui partagent son
âme, et qui ont guidé sa vie, la piété cette fois est la plus
forte. Non que sa chute l'ait abattu : elle ne marque aucune
faiblesse, mais devant le fait accompli,
« en
femme sage et aimant Dieu, » selon le mot d’un contemporain,
elle s’incline sans murmurer.
Quand,
le lendemain du couronnement, Nicéphore vient lui rendre visite, les
yeux pleins de larmes feintes, et qu’avec la bonhomie affectée qui
lui est coutumière, montrant les souliers noirs qu’il a gardés au
lieu de chausser les brodequins de pourpre, il proteste : on lui
a forcé la main et s’excuse presque d’être empereur...
Irène,
avec une résignation toute chrétienne, s’humilie devant le
nouveau basileus comme devant l’élu de Dieu, bénissant les
mystérieux desseins de la Providence et trouvant dans ses péchés
la cause de sa chute.
Elle
n’a pas une récrimination, pas une plainte, sur la demande de
Nicéphore, elle livre même ses trésors, exprimant seulement le vœu
qu’on lui laisse la libre jouissance de son palais d’Eleuthérion.
L’usurpateur
promet tout ce qu’elle veut : Il l’assure qu’elle sera, sa
vie durant, traitée
« comme
il convient à une basilissa. »
Mais
il ne tarde pas à oublier ses promesses. La vieille souveraine est
éloignée de Constantinople, et exilée d’abord dans le monastère
qu’elle a fondée à l’île de Prinkipo. Mais là encore elle
semble trop voisine. Dès le mois de novembre 802, malgré les
rigueurs d’un hiver précoce, on l’expédie à Lesbos, elle y est
retenue sous bonne garde, et défense lui est faite de visites : Tant
on redoute encore ses intrigues et la ténacité de son ambition.
C’est
dans cette captivité qu’elle meurt tristement, au mois d’août
803, abandonnée de tous. Son corps est rapporté au monastère de
Prinkipo, et plus tard à Constantinople, où on l’ensevelit dans
l’église des Saints-Apôtres dans la chapelle funéraire où
dorment tant d’empereurs.
A
la souveraine pieuse et orthodoxe que fut l’impératrice Irène,
l’Église a tout pardonné, même ses crimes. Les chroniqueurs
Byzantins de son temps la nomment la bienheureuse Irène, la nouvelle
Hélène,
Théophane
pleure sa chute comme une catastrophe et regrette les années de son
règne comme une époque de rare prospérité.
Théodore
de Stoudion, un Saint, lui adresse les flatteries les plus basses, et
n’a pas trouvé de mots assez enthousiastes pour vanter
« la
toute bonne souveraine, »
« à
l’esprit si pur, à l’âme vraiment sainte, » Qui, par sa
piété, par son désir de plaire à Dieu, a délivré son peuple de
l’esclavage, et dont les actes
« brillent
comme des astres. »
Irène
l'Athénienne — Wikipédia
fr.wikipedia.org/wiki/Irène_l'Athénienne
Aller
à Basilissa (797-802) - Sur le plan intérieur, Irène prend le
contrepied de la politique ... organise un coup d'État en octobre
802 : le logothète du ...
Termes
manquants : année
pour
retrouver des personnages du 8ème siècle/11
www.lulupersonnagehist.fr/du6emeau12eme/P811.htm
Bégon
de Paris - Grimoald III de Bénévent - Irène l'Athénienne - Pépin
dit le Bossu - Taraise dit Saint ... devient prince de Bénévent
sous tutelle franque et doit, la même année, faire face à une
tentative ... Impératrice byzantine de 797 à 802.
Le
monde slave: son passé, son état présent et son avenir
https://books.google.fr/books?id=JagDAAAAYAAJ
Cyprien
Robert - 1852 - Panslavism
...
était alors occupé parla pieuse et spirituelle Athénienne Irène,
veuve de Léon IV. ... Cette princesse envoya même l'année 802 un
ambassadeur, le 314 LE …
Le
pèlerin secret: Le Royaume d'une seule pierre
https://books.google.fr/books?isbn=2750905893
Jean-Claude
GUILBERT - Fiction
Athénienne
denaissance, celleci avait favorisé les contacts avec l'Occident dès
les premières années de sa régence. ... le mariage va se faire,
voilà qu'Irène est détrônée par Nicéphore, en 802. Elle mourra
en exil, à Lesbos, l'année d'après.
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