lundi 9 mars 2015

EN REMONTANT LE TEMPS... 802


8 MARS 2015...

Cette page concerne l'année 802 du calendrier julien. Ceci est une évocation ponctuelle de l'année considérée il ne peut s'agir que d'un survol !

UNE IMPÉRATRICE CONTESTÉE ET CONTESTABLE.

Irène l'Athénienne (en grec Ειρήνη η Αθηναία, née vers 752 à Athènes, morte le 9 août 803 sur l'île de Lesbos) est régente de l'Empire Byzantin de 780 à 790 puis impératrice régnante (βασίλισσα, basilissa) de 797 à 802.

Comme Athénaïs-Eudoxie, la femme de Théodose II :
Irène est Athénienne de naissance.
Comme Athénaïs-Eudoxie elle est orpheline, sa beauté sans doute joue le rôle essentiel, et fait d’elle une bru d’empereur. Mais là s’arrête la ressemblance entre les deux princesses... L’Athènes du VIIIe siècle en effet diffère étrangement de celle du Ve.
Ce n’est plus la cité païenne et lettrée, la ville d’université, pleine de la gloire des écrivains antiques et du souvenir des philosophes illustres, gardant pieusement à l’ombre de ses temples la mémoire des dieux proscrits.
Athènes au siècle d’Irène, est une petite ville de province, tranquille et dévote, où le Parthénon est devenu une église, où Sainte Sophie a chassé Pallas-Athénée de l’Acropole, où les saints ont remplacé les dieux. Dans un tel milieu, une éducation, et surtout une éducation de femme, ne peut plus guère être ce qu’elle était au temps d’Athénaïs. Comme la plupart de ses contemporaines, Irène est croyante et pieuse, d’une piété exaltée et ardente, qu’enflamment encore les événements de l’époque troublée où elle vit.

Un grave conflit religieux agite alors, depuis plus de 40 ans déjà, l’empire Byzantin : On est au plus fort de la lutte surnommée la querelle des images. Il ne faut point pourtant que cette appellation, d’apparence trop strictement théologique, fasse illusion sur le caractère véritable de cette crise redoutable... Il s’agit d'autre chose que d’une mesquine question de discipline liturgique. Assurément les empereurs iconoclastes, dévots comme tous les hommes de leur temps, apportent dans le débat des convictions religieuses ardentes et sincères, un des buts proposé par leur réforme est de relever le niveau moral de la religion, en la débarrassant de cette sorte de paganisme renaissant que leur semble être l’adoration excessive des images de la Vierge et des saints.

Mais un autre point les préoccupe davantage : Ils sont effrayés de la puissance qu’ont acquise dans l’État, par leurs richesses, par leur influence, les défenseurs attitrés des images, les moines... A vrai dire c'est dès le VIIIe siècle, la lutte entre le pouvoir civil et les congrégations.

Contre elles, l’empereur Constantin V, âme passionnée, volonté énergique, a mené la bataille avec une particulière âpreté.
Par ses ordres, on procédé à des exécutions brutales, souvent même sanglantes.
Les couvents ont été laïcisés, les religieux expulsés, emprisonnés, exilés, Constantinople s'est vidé de ses moines. Et la société Byzantine tout entière, entraînée dans la lutte, se partage en deux camps :
D’un côté le monde officiel, l’épiscopat de cour, les fonctionnaires, les hautes classes sociales, l’armée enfin, toute dévouée à un victorieux Constantin V.
De l’autre, c’est le bas clergé, les classes moyennes, le peuple, les femmes, dont la mystique piété, éprise des magnificences du culte, amoureuse du luxe des églises, ne peuvent se résoudre à abandonner les icônes miraculeuses et vénérées.

Native d’une province ardemment iconophile, les sympathies d'Irène ne sont pas douteuses. Mais, au moment où elle entre dans la famille impériale, la persécution bât son plein, et aux côtés du redoutable Constantin V, il ne fait pas bon manifester des sentiments d’opposition affirmés... Irène cache donc soigneusement ses croyances.
Elle fait plus :
Elle prête même, sur la demande de son beau-père, un solennel serment de ne jamais accepter les images, et, on voit ici, alors apparaître, en cette âme un peu trouble, un esprit de dissimulation et d'absence de scrupules qui éclateront plus tard si fortement.

Malgré cette apparente soumission, la piété de la jeune femme n’est pas une piété stérile. On le voit bien quand, en 775, Constantin V meurt, et que le nouvel empereur Léon IV, peut-être sous l’influence de son épouse, très présente au début du règne, relâche les anciennes rigueurs.

Résolument la basilissa persévère... d'ailleurs beaucoup de femmes gardent pieusement les images proscrites : La légende raconte qu’au palais même, Anthousa, une fille de Constantin V, conservait sans peur et sans scrupules sa dévotion aux icônes prohibées.
Irène croit pouvoir imiter sa belle-sœur et se flatte de restaurer secrètement, dans la résidence souveraine, le culte interdit... La tentative doit avoir d’assez tragiques conséquences !
Au mois d’avril 780, plusieurs personnes proche de l’impératrice sont, par ordre de Léon IV, arrêtées et suppliciées, car suspectées de sentiment iconophiles. La basilissa elle-même est compromise dans l’affaire. On raconte qu’un jour, dans son appartement, son mari découvre, cachées sous des coussins, deux images de saints.
A cette vue, Léon IV entre dans une violente colère et quoique Irène, jure ignorer qui les a mises là, sa faveur chez l’empereur en éprouve une sérieuse atteinte... Tombée dans une demi-disgrâce, fort heureusement pour elle, Léon IV meurt assez subitement, au mois de septembre de la même année 780... L’héritier du trône est un enfant, Constantin VI, âgé de 10 ans, tutrice de son fils et régente, Irène est impératrice.

On sait qu’elle est belle, tout fait croire qu’elle est chaste et que, jetée toute jeune dans une cour corrompue et dangereuse, elle s’y garde irréprochable, enfin elle est pieuse...
Mais cela dit, que savons-nous d’Irène ?
Que vaut son esprit ?
Que reflète son caractère ?
Sans doute, pour l’entrevoir, nous avons les actes de son gouvernement. Mais ces actes, les souhaite-t-elle ?
A-t-elle sur la gouvernance des idées personnelles ?
Serait-elle un instrument aux mains de conseillers habiles ?
Ce sont autant de problèmes malaisés à résoudre, et d’autant plus obscurs que les écrivains de son temps ont répandu pour cette princesse orthodoxe toutes les formules d’une admiration sans réserves.

Un romancier célèbre, esquisse le portrait de la très pieuse impératrice, la montre initiée aux mystères de la philosophie platonicienne, aux dogmes occultes « de l’hermétisme cosmopolite, » connaissant « les incantations théurgiques qui mènent au pouvoir, » et employant ce pouvoir une fois conquis pour un but unique, la grandeur de Byzance et la reconstitution de l’antique hégémonie Romaine.
Et si l’on veut se la représenter telle que la rêve Paul Adam :
« Assise sous les tendelets impériaux à l’extrême pointe du promontoire dominant les eaux rapides du Bosphore, elle passait les soirs devant la féerie immortelle du ciel levantin à se voir reflétée dans les vasques de métal poli, resplendissante comme la mère de Dieu en la châsse pompeuse de ses vêtements, qui miraient les scintillantes étoiles à chaque facette de leurs joyaux uniques. Les pensées de triomphe vibraient en elle. Sa mémoire évoquait les enseignements mystérieux des écoles. L’amour de faire vibrer un peuple au souffle de son esprit la tenait haletante et pâmée . »

Et telle est, pour cette femme supérieure, la sympathie de l’auteur que son crime même trouve à ses yeux une excuse et lui apparaît presque légitime. Si elle détrône son fils et le fait aveugler c’est, dit le romancier, « qu’elle préfère supprimer l’individu au profit de la race. Le droit absolu lui donne raison. »

Pour certains Irène apparaît beaucoup moins séduisante. Âprement ambitieuse, toute sa vie elle est conduite par une passion maîtresse, le désir de régner.

Elle est jeune et belle :
Elle ne prend pas d’amant, de peur de se donner un maître.

Elle est mère :
L’ambition étouffe en elle jusqu’au sentiment maternel.

Pour parvenir au but qu’elle s'est assigné, elle n’a aucun scrupule, tous les moyens lui sont bons :
La dissimulation et l’intrigue, la cruauté et la perfidie.
Toutes les puissances de son esprit, toutes les forces de son orgueil se tendent vers cet objet unique... le trône. Et c'est toute sa vie, sa piété même, qui est réelle et profonde, accroît et aide son ambition.

Au moment où la mort de Léon IV donne à Irène la réalité du pouvoir suprême, bien des ambitions rivales s’agitent au tour de la jeune impératrice. A la cour, elle rencontre la sourde hostilité de ses beaux-frères, les 5 fils de Constantin V, princes populaires et ambitieux dont elle a tout à redouter.
Vainement leur père, avant de mourir, leur a fait jurer de ne jamais conspirer contre le souverain légitime, dès l’avènement de Léon IV, ils ont été prompts à violer leurs serments, l’aîné d’entre eux, César Nicéphore, a été dépouillé de sa dignité et exilé dans la lointaine Cherson ; un noyau d'opposants s’entête à travailler pour eux.

D’autre part, toutes les hautes charges du gouvernement sont occupées par de zélés iconoclastes :
Le maître des offices, chef de la chancellerie, le domestique des scholes, commandant suprême de l’armée, sont d’anciens et fidèles serviteurs du défunt basileus Constantin V.
Le Sénat, les hauts fonctionnaires de l’administration provinciale ne sont pas moins dévoués à la politique du précédent règne.
L’Église enfin, que gouverne le patriarche Paul, est toute pleine d’ennemis « des images ».
Venant d'hommes de cette sorte, Irène ne peut rien entreprendre, et, aussi bien, eux-mêmes suspectent les sentiments de la basilissa et craignent de sa part de prochaines tentatives de réactions.
Pour réaliser les desseins de sa piété, pour satisfaire les rêves de son ambition, il faut que l’impératrice trouve d’autres concours et cherche d’autres appuis.

C’est ici, qu’apparaît son adresse : Sans merci elle brise ses adversaires les uns par la force, les autres par la douceur, les enlèvant des postes où ils gênent.
Un complot s’est formé pour élever au trône les Césars, elle en profite pour obliger ses beaux-frères à entrer dans les ordres, et afin que nul n’ignore leur irrémédiable déchéance, elle les contraint, aux fêtes de Noël de l’année 780, à prendre part, dans Sainte-Sophie, en présence de tout le peuple de la capitale, aux offices solennels marquant ce Saint Jour.

En même temps elle change le personnel du palais, et pousse sa famille aux honneurs, établissant son frère, son neveu, sa cousine, d’autres parents encore. Elle disgracie les vieux généraux de Constantin V, en particulier le terrible Michel Lachanodracon, stratège des Thracésiens, rendu fameux par la haine farouche qu’il porte aux moines et par la joyeuse brutalité avec laquelle il leur impose le mariage...
A leur place, elle installe dans les grands commandements des hommes à elle, surtout des eunuques de sa maison et de son intimité.
C’est à eux qu’elle remet insensiblement toutes les grandes charges du palais et de l’administration, c’est parmi eux qu’elle prend enfin son premier ministre, Staurakios.
Grand favori de la basilissa, ce personnage devient par sa grâce patrice, logothète du drome, bientôt il est le maître incontesté et tout-puissant au Palais Sacré.
Diplomate, c’est lui qui négocie la paix avec les Arabes, général, il dompte l’insurrection des Slaves et, pour rehausser encore son prestige Irène lui accorde dans l’Hippodrome un triomphe solennel.
Vainement l’armée, mécontente d’un tel chef, ne cache pas sa haine au parvenu, lui, sûr de sa faveur, redouble de hauteur et d’insolences.
En fait, pendant 20 ans, fidèlement attaché à la fortune d’Irène, il tombe avec elle et se relève avec elle.

Et peut-être cet homme énergique, actif, ambitieux, est l’intelligence directrice qui inspire les desseins de la souveraine. Cependant on voit quel tour assez particulier donne dès le début au gouvernement d’Irène cette mainmise par les eunuques de la chambre sur tous les ressorts de la monarchie.

En même temps qu’elle change le personnel du gouvernement, Irène modifie la politique générale de l’empire. Elle achève la guerre en Orient, puis cherche en Occident un rapprochement avec la papauté, ébauche un accord avec Charlemagne, et, surtout elle marque en matière de religion une tolérance depuis longtemps inconnue.
« Les hommes pieux, dit un chroniqueur contemporain, recommencent à parler librement, la parole de Dieu à se répandre sans obstacles, ceux qui cherchent le salut éternel peuvent sans difficulté se retirer du monde, et la gloire de Dieu est de nouveau célébrée : Les monastères refleurissent et la quiétude réapparaît partout. »

De nouveau, les moines se montrent à Constantinnople, l’entrée des cloîtres se rouvre aux vocations longtemps contrariées, avec ostentation, l’impératrice s’applique à réparer les sacrilèges du précédent régime... Elle va en grande pompe reporter à Sainte-Sophie la couronne précieuse que Léon IV a jadis enlevée, elle replace solennellement dans leur sanctuaire les reliques de Sainte Euphémie, jetées à la mer par l’ordre de Constantin V et miraculeusement retrouvées.
Et le parti des iconophiles, enchanté de ces manifestations, salue comme un miracle inespéré l’avènement de la pieuse souveraine et remercie Dieu qui,
« par la main d’une femme veuve et d’un enfant orphelin, va renverser l’impiété et mettre fin à l’esclavage de l’Église. »

Une intrigue habilement ourdie assure à Irène le seul pouvoir qui lui manque encore, le patriarcat.

En 784, brusquement, sans avoir pris l’avis du gouvernement, (affirme Théophane), plus vraisemblablement pourtant sur des suggestions venues du palais, le patriarche Paul donne sa démission et se retire dans un monastère, déclarant à qui veut l’entendre que, plein du remords de ses péchés, il veut expier les crimes commis par lui contre les images et mourir du moins en paix avec Dieu.

Irène exploite fort adroitement cette décision, qui fait grand bruit dans la capitale et, à la place de Paul, elle choisit, pour le mettre à la tête de l’Église, un homme sûr, le laïque Tarasios, secrétaire impérial.
Celui-ci, diplomate intelligent et souple, joue admirablement le rôle que lui a sans doute prescrit la souveraine. Quand son nom est mis en avant, lorsque l’impératrice elle-même le prie d’accepter de se laisser élire, il se récuse, décline la charge qu’on veut lui imposer, demande qu’on lui permette d’expliquer devant le peuple les causes de son refus...

Et dans un long discours, abondamment, il insiste sur l’état déplorable de l’Église, sur les discordes qui la troublent, sur le schisme qui la sépare de Rome, et très adroitement, mettant à ce prix son acceptation, il lance l’idée d’un concile œcuménique, qui restaurera la paix et l’unité dans le monde chrétien. En même temps, par un détour habile, il désavoue le synode iconoclaste tenu en 753 et lui dénie toute autorité canonique, comme n’ayant fait qu’enregistrer des décisions illégalement prises en matière de religion par l’autorité civile.

Ayant ainsi préparé le terrain aux projets de la basilissa, finalement il se laisse faire et, ayant reçu d’un seul coup tous les degrés du sacerdoce, il monte sur le trône patriarcal.

Mais on a compté sans l’opposition d’une partie des évêques, sans l’hostilité surtout des régiments de la garde impériale, fidèles au souvenir de Constantin V et fermement attachés à la politique de ce glorieux empereur... Les évêques siègent solennellement, dans les catéchumènes de la basilique, Irène avec son fils assistent à la séance, en chaire, Platon, abbé de Sakkoudion, l’un des plus ardents défenseurs des images, prononce une homélie appropriée aux circonstances, lorsque brusquement, l’épée à la main, les soldats se ruent dans l’église, menaçant de mort les prélats.
Vainement Irène, non sans courage, tente de s’interposer et de calmer l’émeute, ses efforts sont impuissants, son autorité méconnue.
Les évêques orthodoxes sont insultés, bousculés, dispersés, et à cette vue, les prélats du parti iconoclaste, s’associant à l’armée, se mettent à applaudir et à crier :
« Nous avons vaincu ! nous avons vaincu ! »
Irène elle-même n’échappe qu'avec peine « aux griffes de ces lions, » comme écrit un chroniqueur ecclésiastique, et ses partisans, encore que son sang ne coule pas, la proclament martyre.

On a été trop vite... Cette fois, on biaise pour aboutir. La basilissa et son premier ministre déploient dans cette tâche tout leur esprit d’intrigue et toutes leurs ruses.
Par de l’argent, par des promesses, on gagne aux vues du gouvernement les corps d’armée asiatiques, toujours jaloux des troupes qui tiennent garnison dans la capitale.
Puis on annonce une grande expédition contre les Arabes. Les régiments de la garde partent les premiers en campagne : Aussitôt on les remplace à Constantinople par les divisions dont on s’est assuré la fidélité, en même temps, pour forcer les récalcitrants à l’obéissance, on arrête les femmes et les enfants, on saisit les biens des soldats expédiés à la frontière... Maître de ces précieux otages, le gouvernement peut sans péril casser, licencier, disperser les régiments mal disposés de la garde.

Irène a maintenant l’appui indispensable à ses projets, une armée à elle sous des chefs dévoués. Malgré cela, elle ne se risque pas à recommencer à Constantinople la tentative manquée en 786. Le concile œcuménique se réunit à Nicée en 787, sous l’influence toute-puissante de la cour, du patriarche et des moines, il anathématise sans hésitation les décisions iconoclastes de 753 et rétablit dans toute son ampleur le culte des images et l’orthodoxie.

Puis, au mois de novembre 787, les Pères du concile se transportent dans la capitale, et dans une dernière séance solennelle tenue au palais de la Magnaure, en présence des légats du pape Hadrien, Irène signe de sa main les canons qui restaurent les croyances qu’elle aime... Ainsi, en 7 ans d’habileté patiente, Irène, malgré quelques accès de précipitation, s’est faite toute-puissante.
Elle a donné satisfaction à l’Église et aux vues de sa propre piété, surtout elle a brisé tout ce qui gênait son ambition. Et ses amis iconophiles, fiers d’une telle souveraine, saluent en elle pompeusement « l’impératrice soutien du Christ, celle dont le gouvernement, comme le nom, est un gage de paix » (GREC).

Au moment même où Irène remporte cette victoire, au moment où son triomphe semble le plus complet, son ambition est gravement menacée.
Constantin VI a 17 ans. Entre le fils désireux de régner et la mère passionnément éprise de l’autorité suprême, le conflit est fatal, inévitable... Il va dépasser en horreur tout ce qu’on peut imaginer.

Aussi, pour expliquer cette lutte scélérate, les pieux historiens de l’époque n’ont-ils trouvé d’autre issue que de faire intervenir le diable et, soucieux d’excuser la très pieuse impératrice, ils ont le plus possible rejeté le mal qu’elle fait sur ses funestes conseillers.
Elle a sauvegardé l’œuvre qu’elle vient d’accomplir, pour conserver son pouvoir, elle ne recule ni devant la lutte, ni devant le crime.

Autoritaire et passionnée, Irène continue toujours à traiter en enfant le jeune homme qu’est devenu son fils. Jadis, à l’aurore du règne, elle a, par intérêt politique, négocié un projet de mariage entre Constantin VI et une fille de Charlemagne, et l’on a vu, à Aix-la-Chapelle, un eunuque du palais chargé d’instruire la jeune Rothrude dans la langue et les usages de sa future patrie, et les savants de l’Académie palatine, fiers de l’alliance qui se prépare, se sont mis à l’envie à apprendre le grec.

La politique annule ce que la politique a fait. La paix rétablie avec Rome, l’accord avec les Francs paraît à Irène moins nécessaire, surtout elle redoute, dit-on, que le puissant roi Charles ne devienne un trop solide appui pour la faiblesse de son gendre, et ne l’aide à se rendre maître de la monarchie... Elle rompt donc le projet caressé, et malgré les répugnances de Constantin VI, qui s’est à distance épris de la jeune princesse d’Occident, elle lui impose un autre mariage.

Dans un joli passage d’un document de l’époque, (la vie de Saint Philarète), on voit comment la nouvelle union est préparée. Ce ne sont pas d’ordinaire, comme dans nos États modernes, des raisons politiques qui déterminent le choix qu’un empereur fait de son épouse. C’est par un procédé plus original que le prince découvre celle qu’il va épouser : Entre les plus jolies filles de la monarchie, le gouvernement institue un véritable concours de beauté, dont le trône est le prix.

Conformément à cet usage, l’impératrice Irène envoie par tout l’empire des messagers chargés de découvrir et de ramener dans la capitale les jeunes femmes dignes de fixer l’attention du basileus.
Pour limiter leur choix et rendre leur tâche plus facile, la souveraine a pris soin d’indiquer l’âge et la taille que doivent avoir les candidates, et aussi la pointure des bottines qu’elles doivent chausser...

Munis de ces instructions, les envoyés se mettent en route, et au cours de leur voyage ils arrivent un soir dans un village de Paphlagonie. Voyant de loin une grande et belle maison, qui semble appartenir à un riche propriétaire, ils décident d’y prendre quartier pour la nuit.
Ils tombent mal : L’homme qui habite là est un saint, à distribuer des aumônes aux pauvres, il s’est complètement ruiné... Il n’en fait pas moins grand accueil aux mandataires de l’empereur, et appelant son épouse :
« Fais-nous, lui dit-il, un dîner qui soit bon. »
Et comme, fort gênée, celle-ci répond :
« Comment ferai-je ? tu as si bien gouverné ta maison que nous n’avons plus même une volaille dans la basse-cour.

Va, reprend le saint, allume ton feu, prépare la grande salle à manger, dresse la vieille table d’ivoire : Dieu pourvoira à ce que nous ayons à dîner. »
Dieu y a pourvu en effet, et comme au dessert les envoyés, fort satisfaits de la façon dont on les a traités, interrogent obligeamment le vieillard sur sa famille, il se trouve qu’il a justement 3 petites-filles en âge d’être mariées.

« Au nom de l’empereur couronné par Dieu, s’exclament alors les mandataires, qu’elles se montrent, car le basileus a ordonné que, par tout l’empire Romain, il ne se rencontre point une jeune fille que nous n’ayons vue. »

Elles paraissent, elles sont charmantes, et précisément l’une d’elles, Marie, a l’âge requis, le tour de taille souhaité et chausse la pointure demandée...
Enchantés de leur trouvaille, les messagers emmènent toute la famille à Constantinople.
Une douzaine d’autres jeunes filles y sont déjà rassemblées, toutes fort jolies, et la plupart issues de familles nobles et riches. Aussi ces belles personnes regardent d’abord la nouvelle venue avec quelque mépris, et comme celle-ci, qui n’est pas sotte, dit un jour à ses compagnes :
« Mes amies, faisons-nous une mutuelle promesse. Que celle d’entre nous à qui Dieu donnera de régner s’engage à s’occuper de l’établissement des autres, »

Une fille de stratège lui répond avec hauteur :
« Oh ! moi, je suis la plus riche, la mieux née et la plus belle, sûrement l’empereur m’épousera. Vous autres, pauvres filles sans ancêtres, qui n’avez pour vous que votre jolie figure, vous pouvez bien renoncer à toute espérance. »
Il va de soi que cette dédaigneuse personne a été punie de son dédain. Quand les candidates paraissent devant l’impératrice, son fils et le premier ministre, tous lui disent:
« Vous êtes charmante, mademoiselle, mais vous ne feriez pas une femme d’empereur. »
Marie au contraire conquiert immédiatement le cœur du jeune prince, et c’est elle qu’il choisit...
Tel est le récit que nous a conservé la légende. En fait, Constantin VI semble avoir marqué moins d’enthousiasme pour sa fiancée. Mais la jeune Arménienne a de quoi plaire à la basilissa et au premier ministre. Elle est jolie, intelligente, pieuse, et surtout issue d’une famille fort modeste, devant tout à Irène, on pense qu’elle sera docilement soumise à la volonté de sa bienfaitrice, et que de cette belle-fille l’impératrice n’aura à craindre nulle ambition gênante et déplacée... Le mariage est donc résolu, (novembre 878).

Irène tient attentivement son fils à l’écart de toutes les affaires. L’empereur est comme isolé dans sa propre cour, sans amis, sans influence, en face de lui, le tout-puissant Staurakios gouverne tout à son caprice, insolent et hautain, et devant le favori, chacun s’incline humblement.
Finalement, le jeune souverain s’insurge contre cette tutelle, avec quelques-uns de ses familiers, il conspire contre le premier ministre. Mal lui en prend. Le complot ayant été découvert, Irène se sent du même coup directement menacée :
De ce jour l’ambition tue en elle l’amour maternel. Brutalement elle frappe. Les conjurés arrêtés sont torturés, exilés ou emprisonnés... Chose plus grave, l’empereur lui-même est battu de verges comme un enfant rebelle, tancé d’importance par sa mère, et mis pour plusieurs jours aux arrêts dans son appartement.
Après cela, l’impératrice se croit sûre du triomphe. Ses flatteurs aussi bien entretiennent son illusion, lui affirmant
« que Dieu même ne veut point, que son fils règne. »

Superstitieuse et crédule comme tous ses contemporains, elle se laisse prendre à ces paroles et aux oracles des devins qui lui promettent le trône, et, pour se l’assurer, elle risque le tout pour le tout. Un nouveau serment de fidélité est demandé à l’armée, les soldats doivent jurer d’après cette formule inattendue et singulière :
« Aussi longtemps que tu vivras, nous ne reconnaîtrons point ton fils comme empereur »
Et dans les acclamations officielles, le nom d’Irène est mis avant celui de Constantin... Cette fois encore, l’ardente et ambitieuse princesse est allée trop vite.

En 790, un pronunciamiento éclate parmi les régiments d’Asie en faveur du jeune empereur tenu en tutelle... Du corps d’armée d’Arménie, la révolte gagne les autres thèmes, bientôt toutes les troupes rassemblées exigent la mise en liberté de Constantin VI et sa reconnaissance comme unique et véritable basileus. Irène prend peur, elle cède... Elle se résigne à relâcher son fils, à abdiquer le pouvoir, impuissante et furieuse, elle doit voir éloigner et disgracier ses amis les plus chers.
Staurakios, le premier ministre, est tonsuré et exilé en Arménie.
Aétios, un autre de ses familiers, partage sa disgrâce.
Elle-même doit se retirer dans son magnifique palais d’Eleuthérion

Autour du jeune prince solennellement proclamé, elle voit rentrer en grâce tous ceux qu’elle a combattus, tous les ennemis des images restaurées par elle, et, au premier rang, le vieux Michel Lachanodracon, qui est élevé à la haute charge de maître des offices.

Mais Constantin VI n’a aucune haine contre sa mère. Un an à peine s’est écoulé depuis la chute d’Irène qu’au mois de janvier 792, cédant à ses prières, le jeune prince lui rend le titre d’impératrice, la rappelle au Palais Sacré, l’associe au pouvoir, en même temps qu’elle, la faiblesse du basileus ramène aux affaires l’eunuque Staurakios son favori.

Irène revient altérée de vengeance, avide de châtier ceux qui l’ont trahie, et plus ardente que jamais à poursuivre son rêve ambitieux. Mais cette fois, pour le réaliser, elle allait se montrer plus habile.
Avertie par son échec, elle met 5 patientes années à préparer lentement son triomphe par les plus subtiles intrigues les mieux combinées.

Constantin VI a d’incontestables qualités. C’est, comme son grand-père, un prince courageux, énergique, intelligent et capable :
Ses adversaires mêmes font son éloge et lui reconnaissent des mérites guerriers et une réelle aptitude au gouvernement. D’une parfaite orthodoxie, il est fort populaire dans les classes inférieures, et l’Église ne le voit point d’un mauvais œil, général actif et brave, très disposé à recommencer la guerre contre les Bulgares et les Arabes, il plaît à l’armée. C'est l’habileté suprême d’Irène de brouiller successivement ce souverain estimable avec ses meilleurs amis, de le faire paraître tout ensemble ingrat, cruel et lâche, de le déconsidérer auprès des soldats, de lui enlever la faveur du peuple et de le perdre enfin dans l’esprit de l’Église.

Tout d’abord elle emploie son influence reconquise pour exciter les soupçons du jeune Constantin contre Alexis Mosèle, le général qui a fait le pronunciamiento de 790. A la nouvelle du traitement infligé à un chef qu’ils aiment, ces régiments en effet s’insurgent.
Il faut qu’en 793 le basileus lui-même aille écraser la sédition : Il le fait avec une dureté extrême, et ainsi il achève de s’aliéner l’esprit des soldats. En même temps, comme un parti continue à s’agiter en faveur de ses oncles les Césars, sur le conseil d’Irène, l’empereur condamne l’aîné à perdre les yeux et fait couper la langue aux quatre autres.
Enfin l’impératrice, pour achever de soulever l’opinion publique contre son fils, imagine un dernier moyen, le plus machiavélique de tous.
Constantin VI, on le sait, n’aime pas son épouse, il a des maîtresses. Il ne tarde pas à s’éprendre vivement d’une des filles d’honneur de l’impératrice mère, (Théodote) Irène encourage complaisamment la passion de son fils pour sa suivante et c'est elle-même qui l’engage à répudier son épouse pour épouser la jeune fille... Constantin VI prête volontiers l’oreille à ces conseils et il se noue alors au palais, pour le débarrasser de Marie, une fort curieuse intrigue... L’empereur met sa femme au couvent et, au mois de septembre 795, il épouse Théodote.

Dans toute la chrétienté Byzantine, et jusque dans les plus lointaines provinces, un tollé général salue cette union adultère. Le parti des iconophiles, épouvantablement scandalisés, fait rage, les moines, soufflant sur la flamme, tonnent contre l’empereur bigame et débauché, et s’indignent de la faiblesse du patriarche Tarasios, qui, toujours politique, tolère de semblables abominations.

« Malheur, disait Théodore de Stoudion, reprenant à son compte les paroles de l’Ecclésiaste, malheur à la ville dont le roi est un enfant. »
Constantin VI, plus calme s’efforce d’apaiser, cette tempête formidable. Comme le principal foyer de l’opposition est le couvent de Sakkoudion en Bithynie, il se transporte, sous le prétexte d’une villégiature, dans la ville d’eaux de Pruse, et de là, profitant du voisinage, il entame avec les moines du célèbre monastère toutes sortes de négociations courtoises. Il finit même, dans l’espoir de les pacifier de leur rendre visite en personne. Rien n’y fait.
« Même s’il faut verser notre sang, déclare Théodore de Stoudion, nous le verserons avec joie. »

Devant cette intransigeance, l’empereur eut le tort de perdre patience : Il se décide à agir par la force. Des arrestations sont ordonnées : Un certain nombre de religieux sont battus de verges, emprisonnés ou exilés, On disperse le reste de la communauté.
Mais ces rigueurs ne font que compliquer la situation. Partout les moines fulminent contre le tyran, contre « le nouvel Hérode, » et, jusque dans son palais, l’abbé Platon vient l’insulter.

Constantin VI se ressaisit. Aux injures de l’higoumène, froidement il se contente de répondre :
« Je ne veux point faire des martyrs, » et il le laisse dire. Malheureusement pour lui, il en a trop fait déjà. L’opinion publique est exaspérée contre le jeune souverain... Irène en profite.

Très épris de son épouse Théodote, qui a dû revenir dans la capitale pour faire ses couches au Palais Sacré, Constantin VI, au mois d’octobre 796 apprend qu’un fils lui est né, s’empresse de partir pour Constantinople.

Il laisse ainsi le champ libre aux intrigues d’Irène. Par ses cadeaux, par ses promesses, par sa séduction personnelle, celle-ci a vite fait de gagner à ses intérêts les principaux officiers de la garde, elle leur fait accepter un projet de coup d’État qui la fera seule impératrice, et les conjurés dont Staurakios, comme toujours, dirige, mais, convient d’attendre le moment favorable.

Un point noir subsiste pourtant, par où tout peut manquer. Il suffit de quelque brillant succès militaire pour rendre à Constantin VI son prestige ébranlé : Or justement, au mois de mars 797, le basileus vient d’entrer en campagne contre les Arabes
La crise décisive approche. Le 17 juillet 797, Constantin VI revient de l’Hippodrome et rentre au palais de Saint-Mamas. !
Les traîtres qui l’environnent jugent l’occasion propice et tentent de l’arrêter.
Mais le prince leur échappe, et, se jetant dans un vaisseau, il passe en hâte sur le rivage d’Asie, comptant sur la fidélité des troupes qui occupent le thème Anatolique.

Et déjà Irène, triomphe prend possession du Grand Palais ;
Beaucoup de gens de l’entourage impérial se sont fort compromis avec elle menace de les dénoncer au basileus... Épouvantés de ces déclarations, et ne voyant point d’autre moyen d’échapper à une perte certaine, les conjurés effrayés, se saisissent de leur infortuné souverain... On le ramène à Constantinople, on l’enferme au Palais Sacré, dans la chambre de la Pourpre, où il est né, et là, par l’ordre de sa mère, le bourreau vient lui crever les yeux...
Cependant il n'en meurt pas !
Relégué dans une somptueuse habitation, il finit par obtenir qu’on fasse venir son épouse Théodote, qui dans la crise suprême l’a courageusement soutenu, il a même un second fils, et il passe ainsi, dans une tranquille obscurité, les dernières années de son existence. Mais dès ce moment sa fonction impériale est finie.

Personne, ou à peu près, ne pleure le sort du malheureux prince.
Les iconophiles, y voient la punition légitime et divine de son union adultère, le juste châtiment des rigueurs qu’il a ordonnées contre les moines, un exemple mémorable enfin, par lequel, comme dit Théodore de Stoudion,
« les empereurs eux-mêmes apprendront, à ne pas violer les lois de Dieu, à ne point déchaîner des persécutions impies. »

Cette fois encore, les âmes pieuses saluent avec admiration et reconnaissance l’acte libérateur accompli par la très chrétienne basilissa Irène. Seul, le chroniqueur Théophane, malgré son dévouement à la souveraine, semble avoir vaguement senti l’horreur de son forfait :
« Le soleil, écrit-il, s’obscurcit pendant 17 jours et n’émet point ses rayons, à ce point que les vaisseaux errent sur la mer et tous disent que c’est à cause de l’aveuglement de l’empereur que le soleil refuse sa lumière... Et ainsi monte sur le trône Irène, mère de l’empereur.

Irène a réalisé son rêve ! Elle règne ! Il semble qu’elle est alors comme grisée de sa fortune et de sa toute-puissance.
Elle ose en effet cette chose inouïe, qui ne s’est jamais vue à Byzance et qu’on n’y revoit jamais ! Elle prend, elle femme, le titre d’empereur... En tête des Novelles qu’elle promulgue, elle s’intitule fièrement :
« Irène, grand basileus et autocrator des Romains ; »

Sur les monnaies qu’elle fait frapper, sur les diptyques d’ivoire qui nous ont conservé son image, elle apparaît dans tout le pompeux appareil de la souveraineté.
Telle, et plus magnifique encore, elle veut se montrer à son peuple, le lundi de Pâques de l’année 799, elle revient de l’église des Saints-Apôtres au palais en une procession solennelle, juchée sur un char d’or attelé de 4 chevaux blancs, que tiennent en main 4 grands dignitaires, vêtue du somptueux costume des basileis, étincelante de pourpre et d’or, elle jette, selon l’usage des consuls de Rome, à pleines poignées l’argent à la foule assemblée... C'est comme l’apothéose de l’ambitieuse souveraine et l’apogée de sa grandeur.

En même temps, toujours habile, elle soigne sa popularité et affermit son pouvoir. Les Césars ses beaux-frères, dont la tenace ambition survit à toutes les disgrâces, s’agitent de nouveau, cruellement elle réprime leurs tentatives, et les relègue à Athènes dans un lointain exil.
A ses amis les moines au contraire elle témoigne une attentive bienveillance : Elle fait bâtir pour eux de nouveaux monastères, elle dote largement les couvents restaurés, grâce à sa faveur déclarée, les grands établissements monastiques de Sakkoudion en Bithynie et du Stoudion dans la capitale se développent alors en une prospérité inouïe.
Enfin, pour se concilier le peuple, elle prend toute une série de mesures libérales :
Elle accorde de larges remises d’impôts, remanie le système de l’administration des finances, diminue le poids des douanes de terre et de mer et la charge des taxes qui frappent les objets de consommation et l’industrie, se fait bien voir des pauvres par ses fondations charitables... Et Constantinople enchantée acclame sa bienfaitrice !

Cependant, autour de la souveraine vieillie, de sourdes intrigues se trament à la cour :
Les favoris d’Irène se disputent sa succession. Le trône a sa mort sera vide. Du premier mariage de Constantin VI, 2 filles seulement sont nées, quant aux enfants du second lit, le fils aîné Léon est mort, âgé de quelques mois à peine, l’autre, venu au monde après la chute de son père, est considéré comme un bâtard, issu d’une union illégitime et déchu de tout droit à l’empire.

Aussi les 2 eunuques qui gouvernent la monarchie, Staurakios et Aétios, rêvent-ils également de conquérir le pouvoir pour leurs proches et poussent leurs parents sur la route des honneurs.
La santé de plus en plus précaire d’Irène autorise au reste de prochaines espérances. Pourtant, jusqu’à la fin jalouse de son autorité suprême, soupçonneuse contre quiconque semble menacer sa couronne, la vieille basilissa défend âprement le trône conquis par son crime...

Et c'est, pendant plus d’une année, au Palais Sacré, une succession de dénonciations, de scènes violentes, de brusques disgrâces et de retours de faveur inattendus.
Aétios dénonçant l’ambition et les complots de Staurakios.
Staurakios fomentant des révoltes pour perdre Aétios.
Entre les deux, Irène, flottante, inquiète, irritée, sévissant et pardonnant tour à tour... Il y a quelque chose de tragique dans cette lutte entre la vieille impératrice épuisée, se cramponnant désespérément au pouvoir, et le tout-puissant ministre, malade lui aussi, crachant le sang, s’obstinant, entre les mains des médecins à la veille de mourir, il conspire encore et désire le trône contre toute espérance.
Il succombe le premier, vers le milieu de l’année 800 Pendant que la cour Byzantine se consume en disputes stériles.

Au même moment dans Saint-Pierre de Rome, Charlemagne restaure l’empire d’Occident... On dit qu’un projet grandiose germe dans la tête du César Germanique et de la vieille souveraine de Byzance, celui d’un mariage qui unira leurs deux monarchies sous leur commun sceptre, et refera, plus glorieuse et plus complète même qu’au temps d’Auguste, de Constantin ou de Justinien, l’antique unité de l’Orbis Romarus.
Le fait ne paraît guère vraisemblable, mais en tout cas des négociations s’engagent pour établir un modus vivendi entre les deux États.
Des ambassadeurs Francs sont à Constantinople, quand éclate la catastrophe suprême où Irène succombe...A mesure que la vieille impératrice s’affaiblit, les intrigues deviennent autour d’elles plus ardentes et plus audacieuses.

Aétios, tout-puissant maintenant depuis la mort de son rival, pousse ouvertement son frère et tâche de lui assurer l’appui de l’armée.
Contre l’insolente ambition et les hauteurs du favori, d’autres grands seigneurs s’insurgent, un des ministres, le logothète général Nicéphore, profite du mécontentement universel pour conspirer à son tour contre la basilissa. Sourdement enfin, le parti iconoclaste prépare sa revanche.

Le 31 octobre 802 la révolution éclate.
« Dieu, dit le pieux chroniqueur Théophane, la permet en son incompréhensible sagesse, pour punir les fautes de l’humanité. »

Irène est en villégiature au palais d’Eleuthérion, sa résidence préférée.
Les conjurés, parmi lesquels se rencontrent :
D’anciens amis d’Aétios mécontents du favori.
D’anciens familiers de Constantin VI,
Plusieurs officiers iconoclastes désireux de vengeance.
De hauts fonctionnaires civils.
Des courtisans.
Des parents de l’impératrice.
Tous comblés de ses dons, profitent de cette absence, à 10h du soir, ils se présentent aux portes du Palais Sacré, exhibant aux gardes de la Chalcé de prétendus ordres de la basilissa, par lesquels elle commande de proclamer sans retard Nicéphore empereur, afin qu’il l'aide à résister aux intrigues d’Aétios...

Les soldats se laissent persuader, et livrent le palais. Dans toute révolution Byzantine, c’est là le point essentiel dont il faut d’abord s’assurer, et comme le gage et le symbole du succès.
Et en effet la nuit n’est pas achevée, que par toute la ville des messagers ont annoncé l’élévation de Nicéphore et la réussite du coup d’État, sans que personne tente de faire résistance.
En même temps Irène, arrêtée par surprise à Eleuthérion, est sous bonne garde ramenée à Constantinople et enfermée au Palais Sacré.
Dès le lendemain matin, dans Sainte-Sophie, par les mains du patriarche Tarasios, assez oublieux, de sa bienfaitrice, le nouveau basileus se fait couronner en toute hâte.
Cependant rien n’est terminé. Irène est populaire, revenue de sa première surprise, la foule témoigne ouvertement son hostilité aux conjurés. On insulte le nouveau maître, on injurie le patriarche, et beaucoup de gens, rappelant les protestations de loyalisme par lesquelles les conspirateurs ont abusé leur souveraine, leur reprochent vivement leur ingratitude.
On regrette le régime renversé, la prospérité qu’il a apportée, on redoute l’avenir qui se prépare et la multitude, ne pouvant croire aux événements qui viennent de s’accomplir, se demande si elle n'est pas le jouet de quelque mauvais rêve.

La consternation, la désolation, sont générales, et le temps sinistre, une froide et brumeuse matinée d’automne, rend plus tragique encore l’aurore du nouveau règne.

Entre les deux sentiments, l’ambition et la piété, qui partagent son âme, et qui ont guidé sa vie, la piété cette fois est la plus forte. Non que sa chute l'ait abattu : elle ne marque aucune faiblesse, mais devant le fait accompli,
« en femme sage et aimant Dieu, » selon le mot d’un contemporain, elle s’incline sans murmurer.
Quand, le lendemain du couronnement, Nicéphore vient lui rendre visite, les yeux pleins de larmes feintes, et qu’avec la bonhomie affectée qui lui est coutumière, montrant les souliers noirs qu’il a gardés au lieu de chausser les brodequins de pourpre, il proteste : on lui a forcé la main et s’excuse presque d’être empereur...
Irène, avec une résignation toute chrétienne, s’humilie devant le nouveau basileus comme devant l’élu de Dieu, bénissant les mystérieux desseins de la Providence et trouvant dans ses péchés la cause de sa chute.
Elle n’a pas une récrimination, pas une plainte, sur la demande de Nicéphore, elle livre même ses trésors, exprimant seulement le vœu qu’on lui laisse la libre jouissance de son palais d’Eleuthérion.

L’usurpateur promet tout ce qu’elle veut : Il l’assure qu’elle sera, sa vie durant, traitée
« comme il convient à une basilissa. »

Mais il ne tarde pas à oublier ses promesses. La vieille souveraine est éloignée de Constantinople, et exilée d’abord dans le monastère qu’elle a fondée à l’île de Prinkipo. Mais là encore elle semble trop voisine. Dès le mois de novembre 802, malgré les rigueurs d’un hiver précoce, on l’expédie à Lesbos, elle y est retenue sous bonne garde, et défense lui est faite de visites : Tant on redoute encore ses intrigues et la ténacité de son ambition.

C’est dans cette captivité qu’elle meurt tristement, au mois d’août 803, abandonnée de tous. Son corps est rapporté au monastère de Prinkipo, et plus tard à Constantinople, où on l’ensevelit dans l’église des Saints-Apôtres dans la chapelle funéraire où dorment tant d’empereurs.

A la souveraine pieuse et orthodoxe que fut l’impératrice Irène, l’Église a tout pardonné, même ses crimes. Les chroniqueurs Byzantins de son temps la nomment la bienheureuse Irène, la nouvelle Hélène,
« celle qui avait en martyre combattu pour la vraie foi. »
Théophane pleure sa chute comme une catastrophe et regrette les années de son règne comme une époque de rare prospérité.
Théodore de Stoudion, un Saint, lui adresse les flatteries les plus basses, et n’a pas trouvé de mots assez enthousiastes pour vanter
« la toute bonne souveraine, »
« à l’esprit si pur, à l’âme vraiment sainte, » Qui, par sa piété, par son désir de plaire à Dieu, a délivré son peuple de l’esclavage, et dont les actes
« brillent comme des astres. »


Irène l'Athénienne — Wikipédia
fr.wikipedia.org/wiki/Irène_l'Athénienne
Aller à Basilissa (797-802) - Sur le plan intérieur, Irène prend le contrepied de la politique ... organise un coup d'État en octobre 802 : le logothète du ...
Termes manquants : année
pour retrouver des personnages du 8ème siècle/11
www.lulupersonnagehist.fr/du6emeau12eme/P811.htm
Bégon de Paris - Grimoald III de Bénévent - Irène l'Athénienne - Pépin dit le Bossu - Taraise dit Saint ... devient prince de Bénévent sous tutelle franque et doit, la même année, faire face à une tentative ... Impératrice byzantine de 797 à 802.

Le monde slave: son passé, son état présent et son avenir
https://books.google.fr/books?id=JagDAAAAYAAJ
Cyprien Robert - 1852 - ‎Panslavism
... était alors occupé parla pieuse et spirituelle Athénienne Irène, veuve de Léon IV. ... Cette princesse envoya même l'année 802 un ambassadeur, le 314 LE …

Le pèlerin secret: Le Royaume d'une seule pierre
https://books.google.fr/books?isbn=2750905893
Jean-Claude GUILBERT - Fiction
Athénienne denaissance, celleci avait favorisé les contacts avec l'Occident dès les premières années de sa régence. ... le mariage va se faire, voilà qu'Irène est détrônée par Nicéphore, en 802. Elle mourra en exil, à Lesbos, l'année d'après.

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