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OCTOBRE 2016...
Cette
page concerne l'année 186 du calendrier julien. Ceci est une
évocation ponctuelle de l'année considérée il ne peut s'agir que
d'un survol !
DIFFÉRENCE ENTRE APPARAT ET PROPAGANDE.
L'ARC DE TRAJAN. |
On
qualifie aujourd’hui de propagande monarchique les monuments, les
décors, les palais qui rehaussent la figure d’un souverain
d’autrefois, on répète que le décor sculpté ou peint des
églises médiévales est la Bible des illettrés, on dit que les
frises sculptées qui s’enroulent autour des colonnes de Trajan
Œuvre d’Hadrien selon A. Claridge, Hadrian’s Column... et
de Marc Aurèle à Rome, ou de Napoléon sur la place Vendôme à
Paris, sont de la propagande impériale.
Or
un petit fait paradoxal est que souvent les décors figurés de ce
genre sont ainsi placés dans la construction, que leurs détails ne
sont guère visibles, en outre, ils sont difficilement
compréhensibles pour l’homme de la rue, lequel, du reste, se
soucie fort peu de les regarder.
Prenons
pour point de départ ce petit fait, reconnu plus d’une fois depuis
un siècle et discuté récemment par deux archéologues éminents,
Salvatore Settis et Paul Zanker
La
faible « lisibilité » d’une imagerie peu visible ne
signifie pas pour autant que l’iconographie est une vaine science
qui n'apprend rien sur une société, ses réalités, ses idées, au
contraire, une image trop savante qui n’émeut guère les passants
traduit au moins les idées de ceux qui ont conçu cette image et qui
sont souvent proches des autorités politiques ou religieuses, elle
représente une doctrine officielle depuis les Summériens.
« Le
mot de propagande », écrit R. Syme « est souvent
employé à l’époque actuelle. Il peut s’appliquer à la période
des guerres civiles Romaines et des rivalités entre dynastes, mais
il convient moins bien aux époques de paix et d’ordre.
Il
sera nécessaire de faire des distinctions : Il existe une
propagande à vide d’où est absente la compétition : Le
public est passif ou déjà conquis, ce qui est recherché n’est
pas la persuasion, mais l’exhibition du pouvoir et des bienfaits ».
Les
successeurs d’Auguste exhiberont ainsi leur faste monarchique.
Quant à Auguste lui-même, au fondateur du régime impérial, on
voit que son cas a été différent : Ni propagande proprement
dite ni apparat, mais un cas non moins typique, l’exaltation des
foules pour le chef bien-aimé qui a pris la tête d’une sorte de
croisade... Soit dit en passant, ces 3 espèces, propagande, apparat
et charisme, correspondent aux trois célèbres idéotypes du pouvoir
chez Max Weber : Pouvoir constitutionnel, traditionnel,
charismatique.
Longtemps
les archéologues se sont bornés à signaler d’un mot ce manque
incontestable de visibilité, à le regretter ou à en proposer une
explication (René Cagnat et Victor Chapot, Manuel
d’archéologie... ) « disposition audacieuse,
extrêmement originale, qui a cependant le grave défaut d’interdire
à l’observateur, où qu’il se place, une vue complète »,
écrivent par exemple Cagnat et Chapot en 1916.
Il
y a plus : L’hélice, dont l’étagement place les reliefs
trop haut pour la vue, enlève aussi toute envie de les regarder :
Qui s’aviserait de tourner pour cela 23 fois autour de la
colonne, le nez en l’air, pour distinguer... pas grand-chose ?
A-t-on vu beaucoup de Parisiens tourner autour de la colonne
Vendôme ? Malheureusement, il y a une vingtaine d’années,
ces évidences tranquilles ont été érigées en problème par
l’auteur de ces lignes, qui cherchait à remonter vers leur
principe (qui est que l’art est expression autant que
communication). Cela fait l’effet d’une « provocation »,
pour y parer se sont multipliées les tentatives de nier l’évidence
de cette non-visibilité. Il semble, en effet, que des archéologues
se soient crus menacés par les conséquences qui découlent de cette
non-visibilité : Ils ont craint que l’iconographie ne passe
pour une science inutile, ou que les images n’aient plus d’effet
sur la société. Pourtant, personne n’a nié l’utilité des
études iconographiques ni n’a « confondu projet et
réalisation »
Parmi
ces tentatives de sauvetage, celle de S. Settis, en 1991, a
eu une diffusion internationale. Le savant Italien s’est proposé
de répondre à ce que j’avais écrit sur le peu de lisibilité et
de faire avancer le problème en utilisant la sémiologie de la
communication. Il recourt pour cela aux notions de « lecteur
idéal » et de « redondance » Il suffit que ce
lecteur idéal ait aperçu un petite partie de ces reliefs pour
comprendre la signification du tout. Somme toute, le faste impérial
n’en demande pas davantage et l’éducation civique du public, non
plus. Toutefois, le passant voit aussi qu’on ne s’est pas proposé
de bien lui faire voir ces reliefs, que le décor de la colonne ne
lui est pas destiné et que ce monument officiel, impérial, a pour
destination quelque chose de plus élevé que sa petite personne.
Qu’évoque
aux yeux des Romains cette chronique militaire ?
Dans
quelle catégorie la rangent-ils ?
En
voyant ce bandeau illustré s’enrouler en spires, pensent-ils à un
livre, à un volumen analogue à ceux que contient, non loin de là,
la bibliothèque du forum de Trajan, comme Settis l’a supposé
ingénieusement, (trop ingénieusement peut-être ?
C’est possible, mais ce n’est pas nécessaire, les
spectateurs n’ont pas besoin de penser à un volumen ni à la
bibliothèque voisine pour voir de leurs yeux que la frise s’enroule
autour de la colonne. Et, si une analogie leur vient à l’esprit,
c’est plus simple : La frise est pour eux la réédition sur
le marbre de la longue série de panneaux de bois peint qui, selon
une coutume bien connue, ont été exhibés au public lors du
triomphe de Trajan sur la Dacie.
Les
reliefs de l’arc des Sévères reproduisent aussi de pareilles
peintures triomphales. Ces peintures montrent aux spectateurs les
épisodes successifs de la guerre et, au passage, des orateurs les
expliquent au peuple. Coutume connue par des textes détaillés....
BAS-RELIEF ÉGYPTIEN |
Le
fait demeure que la majeure partie des reliefs échappe aux regards
du spectateur. Il est douteux qu’un sémiologue voie là de la
redondance. Or il semble paradoxal qu’on ait inutilement taillé
dans le marbre cet interminable livre d’images sans légendes,
scandé par les conquêtes de bourgades barbares dont nul ne sait le
nom ni l’emplacement, un esprit trop rationnel ne peut admettre
qu’une imagerie ait été sculptée pour être peu visible et peu
compréhensible.
La
critique de Settis découle de ce rationalisme selon lequel une œuvre
d’art a naturellement des spectateurs, puisqu’elle a pour seul
but concevable de communiquer, d’informer. Cette indifférence
s’explique bien simplement : Le décor de la colonne est une
expression d’apparat impérial et non une information de propagande
communiquée au spectateur.
Car
les œuvres d’art sont souvent plus expressives qu’informatives.
Le langage nous sert tantôt à communiquer de l’information,
tantôt à donner des ordres, tantôt à exprimer, pour nous-mêmes
ou pour l’Absolu, ce dont notre cœur déborde. Mais, à vrai dire,
l’information donnée à autrui contient toujours plus ou moins
d’expression de soi-même ou, pour parler un jargon expéditif, de
narcissisme, la propagande la plus cynique recèle une part de ce
narcissisme. On ne peut pas tout ramener à de la propagande ni à de
la consumption, ni à de la « distinction » sociale. ce
serait du rationalisme un peu court ou du puritanisme satirique.
Le
problème se déplace alors de la sémantique vers une pragmatique,
ce qui importe est moins le contenu du message que la relation qu’il
établit avec autrui. Et c’est ici que nous retrouvons une force
des images qui est aussi puissante que celle de la propagande.
Expression
de la grandeur monarchique, le décor de la colonne semble ignorer
l’existence des spectateurs, mais n’en établit pas moins un
rapport de force avec eux, qui se trouvent moins informés
qu’impressionnés.
L’apparat
monarchique est une expression de soi qui est impressionnante pour
autrui parce qu’elle semble découler d’une supériorité
naturelle qui se suffit.
Mais
revenons sur le peu de visibilité qui a surpris comme un paradoxe.
Cette surprise est étonnante, car, si l’on a des yeux pour voir,
le cas de la Trajane serait plutôt la règle que l’exception. Un
autre exemple qui n’a pas moins surpris Robert Parker, Athenien
Religion, Oxford, Clarendon,... est le Parthénon : La frise des
Panathénées, bien visible au British Museum, où elle est exposée
à hauteur d’homme, était indistincte in situ, dans la pénombre
de l’étroite peristasis du temple, sous le plafond, à douze
mètres de haut. Au British Museum, nous voyons la frise « à
la manière..., comme chacun peut le vérifier sur le bandeau ouest.
On aurait plus vite énuméré les édifices où le décor est
lisible que ceux où il ne l’est guère, faudra-t-il inventer pour
chacun de ces cas une justification ingénieuse ? Si l’on veut
étudier la statuaire de Chartres, l’art du Bernin à Saint-Pierre
de Rome ou les mosaïques de la nef de Sainte-Marie-Majeure, il faut
utiliser une longue-vue ou recourir à la publication de Wilpert.
Sur
l’arc de triomphe de l’Étoile à Paris, les frises de la partie
haute des piliers, Bataille d’Austerlitz, Passage du pont d’Arcole,
ne sont identifiables qu’au moyen de jumelles. Révélé par la
photographie vers la fin du XIXe siècle, le célèbre sourire
de l’Ange de Reims est indistinct, vu du parvis de la cathédrale.
C’est Charles Proust qui parle de « ces sculptures gothiques,
dissimulées au revers d’une balustrade à 80 pieds de
hauteur, aussi parfaites que les bas-reliefs du grand porche, mais
que personne n’a jamais vues »...
Cette
difficulté de lecture, si fréquente, s’explique par le grand
nombre de buts et de contraintes architectoniques, esthétiques,
fonctionnelles, etc., qui sont difficilement conciliables lors
de l’édification d’un monument. Un sanctuaire ou un monument
civil ne sont pas des musées, n’exposent pas des œuvres d’art
pour la jouissance esthétique des visiteurs. Les souhaits du maître
d’œuvre ne sont pas ceux du commanditaire, du sculpteur, du
mosaïste ou du fresquiste, dont les motivations ne sont elles-mêmes
pas simples, l’idée ingénieuse de présenter les reliefs de la
Trajane en spirale autour du fût est entrée en conflit avec leur
visibilité...
PARTHÉNON |
Pour
l’architecte, un décor figuré n’est guère que décoratif et
sert à rehausser l’édifice.
Pour
un propriétaire privé, un maître de maison, donner aux visiteurs
le sentiment d’un décor luxueux suffit généralement à son
bonheur. Les archéologues se montrent plus exigeants
Aussi
la lisibilité des images n’est-elle pas toujours un souci
primordial.
À
la fin de la République Romaine, les magistrats monétaires, au
revers de leurs émissions, faisaient figurer des symboles et des
légendes abrégées qui étaient les blasons et les devises de leurs
gentes respectives et qui n’étaient guère déchiffrables que pour
eux-mêmes et pour les membres de leur gens. Un cas extrême est
celui de la falaise de Behistoûn, Darius le Grand y a fait graver, à
la gloire de son règne, une inscription trilingue au sommet d’un
à-pic où seuls les aigles ou des alpinistes au bout de leur corde
peuvent la lire.
Une
question va nous servir de prétexte : Est-il vrai que le décor
peint ou sculpté de nos vieilles églises était la Bible des
pauvres et servait à l’instruction des illettrés, comme l’affirme
Grégoire le Grand et comme on le dit souvent ? « nombre
de sculptures et de vitraux placés dans les parties hautes des
cathédrales sont soustraits aux regards des spectateurs d’en bas,
leurs créateurs peuvent difficilement nourrir l’illusion que le
message parvienne à ses destinataires, à supposer qu’ils aient
voulu en confier un à leurs œuvres. On a l’habitude de dire, dans
ces cas-là, que les œuvres en question ont été créées ad
majorem Dei gloriam, n’est-ce pas une façon d’avouer que la
communication et l’enseignement ne font pas partie des fonctions
essentielles de l’œuvre d’art ? »
On
peut supposer aussi que l’artiste a l’amour de son métier et le
désir de faire beau (en Grèce, des statues des frontons ont la
partie arrière, qui n’est pas visible, aussi soigneusement
élaborée que la partie antérieure), l’artiste travaille à la
tâche parcellaire qui est la sienne, son « spectateur idéal »
occupe la même place que lui devant l’œuvre en cours
d’élaboration et la voit fort bien. L’imagerie religieuse
a-t-elle « une vertu pédagogique ?
L’homme
du Moyen Âge comprend-t-il ce qui est représenté ? Sans doute
pas. Certains emplacements décorés sont invisibles pour le plus
grand nombre.
A
Reims, par exemple, dans les parties supérieures des voussures de la
rose du transept, il y a de petites statuettes très intéressantes,
avec des têtes expressives uniques dans l’art du XIIIe siècle,
mais que personne ne peut voir du sol.
Ensuite,
rares sont les gens familiers de l’Écriture Sainte, même dans le
clergé. Or il faut avoir reçu une formation théologique poussée
pour comprendre par exemple les vitraux ou les portails de Chartres »
Quant
au désir d’être compris par l’homme de la rue, il ne s’impose
guère à ces 3 personnages. Certaines scènes sont claires pour
tous : batailles, comptines, sacrifices.
La
signification de certains stéréotypes, de certains symboles, est
entrée dans la culture populaire, car l’exemple impérial est
imité dans la société, la couronne civique ou la Victoire tenant
le clipeus virtutis augustéen sont entrées dans l’usage privé.
L’iconographie
de l’Ara Pacis, où l’on est allé chercher des interprétations
trop subtiles n’est pas très compliquée, chacun peut déchiffrer
scènes et allégories (le pieux cortège des grands personnages,
Roma en armes, l’Italie au milieu de ses enfants), le décor floral
présente un symbolisme aussi immédiat que pour nous le rameau
d’olivier de la Paix : La conjonction du laurier d’Apollon
et du lierre bachique suggère un régime conciliant, ami de l’ordre
public et de la félicité publique le style même de ce décor
exubérant, mais maîtrisé et gracieux évoque le siècle d’or
qu’est le nouveau régime, sa beauté classique étant rassurante
et ordonnée.
Considérons
le portrait célèbre et souvent mal compris de Caracalla jetant de
côté un regard oblique et méfiant. Dans ce regard oblique, on a
longtemps cru trouver... où l’on a longtemps cru voir le regard
fourbe d’un traître de mélodrame.
En
réalité, l’empereur est en statio, en sentinelle. Il fait le guet
pour veiller au salut de l’Empire. Mais qui peut comprendre cette
intention, sauf un homme de culture qui connaît le groupe plastique
d’Ulysse dérobant le Palladium sous la protection de Diomède ?
Ce
qui en dit long sur le milieu artistique. Les artistes gréco-romains
ne sont pas des artisans.... Ils sont très conscients de leur
dignité, ils considèrent qu’ils récapitulent tout l’art du
passé, ils sont aussi sophistiqués que les écrivains et les
philosophes. Vers l’an 200, un peintre, converti au
christianisme, écrit sur la théologie. Nous songeons à Hermogène,
bête noire de Tertullien :.... De pareils artistes se soucient
généralement peu d’être compris du vulgaire.
BAS-RELIEF DU XVIII SIÈCLE |
Les
ensembles figurés qui relatent des biographies impériales
demeurent, eux aussi, peu compréhensibles et peu attirants, on n’est
pas aussi avide de les détailler que l’esclave d’Horace qui,
debout sur la pointe des pieds, se régale d’une peinture qui fait
voir le combat de deux gladiateurs célèbres, Horace, Satires, II,
7, 96..
Les
panneaux de l’arc de Trajan à Bénévent ne sont déchiffrables
que pour un spectateur connaissant dans le détail la biographie du
prince, sa jeunesse Espagnole, son cursus honorum et aussi, par les
archives municipales, les libéralités qu’il a faites à la cité
de Bénévent, encore n’est-il pas certain qu’il ait compris la
scène de l’attique où Jupiter tend son foudre à Trajan.
Les
peintures mythologiques dans les demeures privées sont non moins
lettre close, connaître la Fable demeurant le privilège d’une
éducation libérale.
Les
auteurs de pareils décors publics ou privés, ainsi que leurs
conseillers, ont voulu satisfaire leur conception idéale, à la
différence des publicitaires d’aujourd’hui, ils n’ont guère
songé à viser une « cible » une catégorie donnée de
destinataires. Les autorités et les doctes parlant comme ayant
autorité, disent ce qu’ils ont à dire et se soucient peu du
reste, en outre, par narcissisme, ils se donnent le plaisir de leur
propre ingéniosité, comme font les poètes hermétiques,
seraient-ils les seuls à comprendre leur œuvre.
Ce
qui amène à faire encore une autre distinction. Quand elle est
compréhensible au commun des mortels, l’imagerie a une force
didactique, éducative, l’identité nationale et républicaine des
Français s'est formée autour de quelques symboles simples,
répétitifs et compris par tous.
Mais
une imagerie possède aussi sa force pragmatique, qui agit sur les
esprits par la position qu’elle prend par rapport à ses
interlocuteurs, auxquels elle s’adresse comme ayant autorité ou
même en semblant les ignorer... Cet effet se retrouve partout à
quelque degré, outre son message, une coûteuse campagne de
publicité moderne prouve la richesse et la puissance de la firme qui
l’a commandée, ce qui lui attire le respect et la confiance de
l’acheteur.
Commençons
par la force didactique, informative, et détaillons longuement le
problème du monnayage impérial. Pour le peuple comme pour Jésus de
Nazareth, l’effigie de César, empreinte au droit des monnaies, est
la preuve de sa légitimité. Considérons les revers des monnayages
avec leurs figures allégoriques, la Paix, la Piété, la
Sécurité, etc.
Nous
autres n’attachons pas beaucoup d’attention aux pièces de
monnaie qui nous passent par les doigts (nous sommes saturés
d’images et nous avons les journaux), mais les Romains, eux, les
regardaient. Les images et légendes des monnaies sont une
expérience... : La monnaie, qui appartient au prince, est une
expression du prince, dont le public curieux de politique tire des
conclusions.
Les
biographes et les panégyristes scrutent les monnaies, parfois de
très près. Julien infère, des portraits de Claude II, que cet
empereur a des goûts modestes, Julien vante « la simplicité
de mœurs et la modestie....
Dans
sa Vie de Constantin, Eusèbe écrit que la foi profonde de cet
empereur « peut être inférée de ses monnaies d’or, où il
est figuré avec les yeux levés vers le ciel, à la manière d’un
homme en prière », ces monnaies, ajoute-t-il, « circulent
dans tout l’Empire ».
En
outre, « dans mainte cité » ses statues le montrent dans
une attitude de prière, « les yeux vers le ciel et les mains
élevées ».
ABBATIALE DE CONQUES |
Plus
loin, Eusèbe essaie de donner une interprétation chrétienne du
monnayage qui, au lendemain de la mort de Constantin, le représente
sur un quadrige, selon l’imagerie païenne de la consecratio in
numerum deorum, il n’aurait pas parlé de ces monnaies
embarrassantes si elles n’avaient retenu l’attention de
l’opinion... Lors d’une victoire ou de la mort d’un empereur,
quand parvient à Rome la nouvelle de la mort de Constantin, le Sénat
fait exposer une peinture où l’on voit le défunt souverain
reposant sur la voûte céleste.
Un
nouvel empereur n’a pas à exposer de programme au pays, car un
chef n’est pas un candidat, il entend être respecté et obéi
d’office. Certes, au début de son règne, chaque empereur adresse
un discours au Sénat, par lequel, plutôt que de leur exposer un
projet politique, il leur promet surtout de ne pas les faire mettre à
mort tyranniquement, mais le monnayage n’en porte pas trace. Aucune
des monnaies de Trajan ne célèbrera la liberté ni la sécurité,
alors que le panégyrique de Pline porte aux nues la liberté
sénatoriale et la sécurité face à la délation.
En
leurs règnes si brefs qu’ils ne sont guère que des débuts de
règne, Claude II et Tacitus exhibent les mêmes allégories des
bienfaits impériaux et les mêmes célébrations de l’appui de
l’armée : Affirmations si banales et si peu programmatiques
qu’elles ne permettent même pas d’infirmer ni de confirmer le
caractère pro-sénatorial de Tacitus dont parle l’Histoire
Auguste.
Il
existe bien une pièce de Trajan qui représente le prince et le
Sénat debout côte à côte, mais elle n’expose pas là un
programme de future politique pro-sénatoriale, car l’empereur
régnait déjà depuis trois ans... Cette monnaie commémore un
événement à savoir le discours de Trajan au Sénat du
1er janvier 100, invitant le Sénat à parler librement et
à partager avec lui la cura imperii, selon qui les monnaies
commémorent les actions qu’un empereur a accomplies, ses bienfaits
et ses victoires, et non pas les principes dont il se réclame.
Le
monnayage de Nerva est particulièrement précis à cet égard :
vehiculatione Italiae remissa ou fisci Iudaici calumnia sublata,
lit-on sur ses revers.
Lorsque,
après le meurtre de Domitien, le monnayage de Nerva vante la
providentia senatus, la libertas publica et l’année de la libertas
restituta, ce n'est pas là un beau programme, mais la célébration
de ce qui vient de se passer cette année-là. Bref, les monnaies
commémorent les victoires et les bienfaits du prince. Pour être
bienfaisant, il suffit à un prince d’exister et de régner, il est
bienfaisant par essence, si bien que le présent règne fait vivre
automatiquement les peuples dans la liberté et la prospérité.
Selon un lieu commun fréquent. On retrouve la mentalité monarchique
à propos de la différence entre propagande et apparat.
Le
monnayage n’est pas davantage de l’information, il n’est pas
destiné à annoncer les nouvelles officielles : Au bout de
combien d’années une monnaie frappée en 71, avec pour
légendes Iudaea capta, ou sous Aurélien, avec restitutor Galliarum,
parvient-elle dans la main d’un Breton ou d’un Égyptien ?
Ceux-ci, du reste, ont appris au bon moment, par un édit du
gouverneur de la province, ces « bonnes nouvelles », ces
evangelia impériaux, et ont reçu l’ordre de les fêter avec toute
leur bourgade. Les monnayages ne font qu’éterniser les mérites du
prince à la face du ciel, du temps, de la postérité, de
l’éternité.
Le
premier soin d’un prétendant au trône, d’un « usurpateur »,
est de frapper monnaie et particulièrement de la monnaie d’or...
Les monnaies d’or frappées par des « usurpateurs »....
Ce n’est pas pour informer les peuples ni pour se faire de la
propagande, car des monnaies frappées en Syrie ou en Bretagne
avaient peu de chances de parvenir à temps en Italie ou en Pannonie.
L’usurpateur veut simplement inscrire à jamais son nom et son
profil sur du métal et dans l’histoire.
Le
monnayage, ce droit régalien, est une pièce de l’apparat
monarchique. De même, le premier soin d’un nouvel empereur est,
non d’exposer un programme et de faire sa propagande, mais
d’annoncer le fait accompli et de faire connaître aux populations
les traits de son auguste personne : Son portrait est exposé à
Rome... Et des courriers rapides s’élancent sur toutes les routes,
pour aller exhiber un portrait peint du nouveau maître dans chaque
cité qu’ils traversent.
En
revanche, un empereur ne se sert pas de ses monnaies pour propager
ses convictions. Un exemple probant en est la numismatique de
Constantin : Le monnayage constantinien est si peu
systématiquement chrétien, si discret, si réservé en matière
religieuse qu’il prouve l’absence d’une politique concertée de
propagande religieuse par la voie monétaire.
BAS-RELIEF PALÉOLITHIQUE |
À
notre avis, ces monnaies dont les allégories répètent que le
prince est le bienfaiteur et le défenseur de ses sujets ne sont que
des morceaux d’apparat. À la différence de nos campagnes de
publicité ou de propagande, elles ne font pas grand effet sur les
consciences, leur présence monotone n’apporte rien de neuf, leur
absence aurait davantage surpris, on est aussi fidèle sujet du
prince avant qu’après. Ce sont des formules de politesse,
décernées automatiquement à tous les empereurs, à peu près dans
les mêmes termes. Elles sont dues. Elles ne cherchent pas à forcer
la conviction, elles suggèrent plutôt ce qui est consensuel, ou qui
doit l’être. Bref, elles sont aussi inoffensives que nos
timbres-poste. Les exceptions, Auguste le charismatique ou Domitien
le censeur, n’en sont que plus significatives...
Toute
une imagerie monarchiste et patriotique était partout présente. Par
exemple, sur les gâteaux qui étaient distribués à la population
après les sacrifices publics, on voyait l’empereur (ou son Génie,
tenant une corne d’abondance) qui offrait un sacrifice devant des
enseignes militaires. On a retrouvé en Pannonie les moules de ces
gâteaux,....
Lorsque,
dans un État contemporain, le portrait du dictateur est présent
dans toutes les rues, cela prouve que cet homme est partout le
maître. Dans les défunts régimes socialistes, des haut-parleurs
diffusaient des discours officiels dans les rues, le contenu
sémiotique des discours n’est que « langue de bois »
qu’on n’écoute pas, le pouvoir prouve par le fait,
« pragmatiquement », qu’il occupe l’espace public.
Un
monument public occupe, lui aussi, beaucoup d’espace, le décor
historié de la colonne Trajane joue un rôle d’appoint, il en
rehausse la splendeur, mais c’est le monument en son ensemble qui
donne la principale leçon.
Tout
cet étalage fastueux, muet et opaque imprègne plus efficacement les
esprits que ne le ferait une prédication intentionnelle et
discursive, il est reçu avec moins de méfiance. À notre époque et
du moins en France, l’enseignement par l’école ne peut pas
remplacer l’apprentissage, fort différent, des règles sociales ou
politiques par l’exemple et par l’emprise du monde familial et
social.
On
retrouve ici la différence entre apparat et propagande, la
propagande, comme la publicité, est l’entreprise de conquête
d’une opinion encore incertaine, elle vise à convaincre des gens
qui ne sont pas convaincus d’avance ou qui sont sans opinion, elle
cherche à conquérir des consommateurs, des électeurs, des
partisans.
Rome
n’ignorait pas la chose, le conflit entre Octave et Antoine a vu
paraître une littérature de pamphlets, à toute époque, de
« faux » Oracles sibyllins sont l’instrument favori des
propagandes extrémistes, des soulèvements d’esclaves.
L’apparat,
lui, ne vise pas à conquérir les esprits, car les sujets du roi
sont déjà convaincus de la légitimité de leur maître ou présumés
l’être : On ne suppose pas un instant qu’ils puissent en
douter. Un consensus monarchique bien établi n’a pas besoin de
propagande. Mieux encore : En déployant du faste, le souverain
ne fait qu’être lui-même et ne doit pas savoir qu’il maintient
ainsi les esprits dans cette conviction. Il règne par un droit
évident : Il est de plus haute stature que ses sujets, sa haute
fonction se confondant avec sa personne. Quels que soient les
fondements idéologique ou juridique du césarisme, une pente
psychologique mène au sentiment monarchique et elle entraîne les
esprits, Auguste, premier magistrat et champion de la République,
est bientôt imaginé sous les traits d’un monarque...
On
fait de la propagande afin de devenir dictateur ou de le rester,
tandis que l’apparat est déployé parce qu’on est le roi. Le
faste que déploie le monarque est l’aspect physique de sa grandeur
naturelle. Les historiens actuels de l’Ancien Régime, a-t-on
écrit, voient dans l’imagerie royale une arme de propagande, mais
en fait ce n’est là qu'un roi qui se doit d’être l’homme le
plus riche de son royaume, à son avènement, raconte Philon,
Caligula est très populaire, car le monde entier est perclus
d’admiration devant l’héritier d’un si grand empire, de tant
d’objets précieux, de coffres débordant de tant d’or, d’une
armée aussi nombreuse.
BAS-RELIEF EN INDE |
Le
culte, l’encens, la « flatterie » qui entourent
Élisabeth d’Angleterre ou Louis XIV célèbrent l’office de
leur gloire et ne se proposent pas de les installer sur le trône, le
château de Versailles peut faire de Louis XIV un roi plus grand
que les autres, mais non pas le rendre plus roi : Il l’est,
déjà.
La
propagande est de la rhétorique, elle cherche à convaincre, aussi
peut-on parler d’une propagande mensongère, tandis que parler d’un
faste royal mensonger n’aurait guère de sens : Il ne peut
mentir, puisqu’il ne dit rien, il se fait voir et n’affirme pas,
tandis que la propagande est assertorique.
Individu
grand par nature, le monarque n’appartient pas au règne des règles
et conventions, nous prenons l’apparat pour de la propagande parce
que nous réduisons la monarchie à des institutions et à des effets
de pouvoir, en en méconnaissant l’opacité psychique. De nos
jours, à Washington ou Brasilia, le faste n’appartient plus qu’à
une abstraction, l’État, la nation.
Une
démocratie paisible peut très bien se passer de propagande, une
monarchie est impensable sans apparat. Aussi est-il indispensable à
tout nouveau maître. Vers 1450, à Florence, Pitti, ayant
conquis le pouvoir par la violence, se fait aussitôt construire un
palais gigantesque Machiavel, Istorie Fiorentine, VII, 4.
Inversement,.... Un roi règne, non par la volonté du peuple, mais
par son droit naturel, parce qu’il s’appelle lion, or il n’est
pas de lion sans crinière.
Un
chef charismatique doit éviter de déployer trop d’apparat il
laisse cela au tout-venant des rois et Auguste n’en déploie guère
son vêtement est aussi modeste que son logis. Il met de l’éclat,
non sur sa personne ni sur sa couronne, mais sur sa mission et sur sa
dynastie.
Dès
le lendemain de sa victoire commence à s’élever son mausolée
familial, monument à demi triomphal qui célèbre Auguste comme
celui qui, par sa victoire, a sauvé la République et qui s’est
révélé comme le seul champion assez puissant pour la réformer et
son succès sera assez complet, selon la conception antique .
Parvenir à transmettre son pouvoir à son héritier..., pour que son
pouvoir passe naturellement à ses descendants.
Sa
domus, son modeste hôtel particulier, est comme soudée au temple
d’Apollon, ce qui fait de lui l’élu du dieu pour cette mission
de régénération Ainsi s’est mise en place ce qui restera
l’originalité unique (bien plus que la « couverture
idéologique ») du césarisme pendant 4 siècles : Le
prince est un bon citoyen qui a pu se mettre en avant pour prendre en
main les intérêts de ce qui s’appellera jusqu’à la fin la
République.
Les
partis socialistes ou sociodémocrates dans l’Europe de 1900,
qui ont le culte de leurs chefs bien-aimés.
Ce
charisme, qui est personnel par définition, est bien différent de
l’amour qui entourait jadis chaque souverain, ses prédécesseurs
et ses successeurs, cet amour du Roi, aussi machinal que l’apparat
et induit par le sentiment de dépendance, amour dont il faut
supposer l’existence dans l’Empire Romain. Et, en effet, le
peuple porte spontanément dans son cœur l’amour de ses princes. À
Rome, des portraits de la famille impériale, images grossières et
peu coûteuses, sont visibles dans chaque boutique ou même sont
accrochés au-dessus du lit conjugal.
Assurément
le vainqueur d’Actium est en position de force et a joué sur le
mélange ordinaire de ralliements sincères et d’accommodation avec
l’ordre établi, la parole n’est donnée qu’aux écrits et
images des partisans. Ceux qui se rallient au nouvel ordre établi
prospèrent aux dépens de ceux qui ne le font pas.
Il
y a aussi le mélange de comédie et de sincérité qui est celui du
vœu pieu où l’on croit à la réalité de ce qu’on souhaite.
Il
faut cesser cependant d’opposer une réalité cynique et une
apparence trompeuse : On voulait devenir un peuple régénéré,
on en mimait les gestes. Et pour cause, l’opinion s’est convertie
à la monarchie, présumée être un gage de paix.
Une
raison encore plus forte est ce que la politique d’Auguste a
d’exceptionnel : elle ne se borne pas à répondre à des
attentes, à panser les maux du passé le charisme augustéen promet
un avenir inédit, un âge d’or.
Une
politique peut convaincre en répondant à des besoins ou à des
revendications, elle peut s’imposer par la force, jouer sur des
ralliements intéressés et sur la passivité, mais elle peut aussi
faire davantage.
Un
rationalisme étroit nous fait postuler que tout événement
s’explique par ce qui le précède, par le passé, le contexte,
l’état de la société.
LE PARTHÉNON |
On
oublie que la Première Croisade, la Révolution de 1789,
l’impérialisme Napoléonien ou l’Impressionnisme sont dus à une
foule ou à un groupe qui s’est enflammé pour un projet, pour
quelque entreprise de gloire et de conquête, pour des possibilités
artistiques à exploiter, ce qui va déplacer l’avenir et ne
découle pas du passé. L’action humaine a des ambitions
inventives, elle est « créatrice », elle découvre et
exploite des virtualités (ou ne le fait pas) . Cette idée de la
fréquente créativité de l’action.... Cette liberté inventive et
mobilisatrice explique qu’Auguste a pu rester en deçà de la
propagande et qu’il a été suivi au-delà de l’apparat et de
l’amour machinal du Roi
Lisibilité
des images, propagande et apparat monarchique dans l ...
www.cairn.info/revue-historique-2002-1-page-3.html
de
P Veyne - 2002 - Cité 33 fois - Autres articles
...
1981 ; La société romaine, 1991 ; Histoire de la vie privée
(l'Empire romain), 1985 .... Malheureusement, il y a une vingtaine
d'années, ces évidences tranquilles ont été ...... 186-198 ; Die
Trajansäule : der Kaiser und sein Publikum, dans Die ...
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