mercredi 3 août 2016

EN REMONTANT LE TEMPS... 292

18 JUILLET 2016...

Cette page concerne l'année 292 du calendrier julien. Ceci est une évocation ponctuelle de l'année considérée il ne peut s'agir que d'un survol !

LA PÉNOMBRE GRANDISSANTE DU IIIe SIÈCLE
 
Il existe une lacune curieuse dans l'historiographie moderne de l'empire Romain. Nous possédons des ouvrages remarquables sur l'histoire et les institutions de l'époque augustéenne et des deux premiers siècles de notre ère.
Il en est de même pour le Bas-Empire, du IVe jusqu'au VIe siècle. Mais entre l'époque brillante du Principat d'Auguste et celle du Dominât de Constantin Ier il y a un hiatus de plus d'un siècle... Époque de transition embrouillée et de tristesse, dont l'évolution historique n'a pas encore été analysée d'une façon satisfaisante. Comment demandera-t-on, après les recherches de 4 siècles ?
Il y a plusieurs motifs, un des plus importants est le manque de sources littéraires.
D'autre part, ce n'est que depuis les dernières années que les recherches sont orientées vers d'autres domaines que ces sources littéraires. Les nouvelles méthodes de l'archéologie, de la numismatique, de l'histoire de l'art, etc. ne datent que de notre époque, c'est tout récemment qu'on a fait appel aux richesses papyrologiques de l’Égypte, et l'énorme fermentation religieuse dans tout l'Empire a été élucidée dans les dernières décades, grâce surtout aux mérites de grands savants Belges.
Ainsi petit à petit cette sombre époque commence à s'éclaircir, de tous côtés les savants font des efforts pour ouvrir de nouvelles voies. Mais une vue nous fait encore défaut : Le temps n'est pas encore venu pour un travail d'ensemble sur cette époque, plus d'une idée préconçue doivent encore être écartée.
On a coutume de fractionner les événements historiques du IIIe siècle en considérant séparément les différents règnes.
Et comment peut-on connaître mieux les tendances opposées qui se manifestent contre ses principes politiques que par la personnalité de son prédécesseur, Jules César, L'antithèse d'Auguste peut-on dire, dont la royauté divine projette son aura sur le système rigide du Bas Empire ?
Après ces deux archégètes (fondateurs), un nombre considérable d'hommes remarquables et bien qualifiés pour la conduite de l'état vient au pouvoir, mais tous s'inspirent des conceptions de l'un de ces grands prédécesseurs, de sorte que le règne de chacun de ces hommes ne porte déjà plus la marque de son individualité propre.

LE LIMES
Au début du IIe siècle, avec Trajan et Hadrien, se termine la série des grandes personnalités impériales. Les règnes de leurs successeurs ne portent plus d'empreinte pour les apprécier, il faut les réunir en groupes, le constitutionnel des premiers Antonins, leur attitude envers leurs sujets et l'emploi qu'ils font de leur puissance sont identiques et forment un tout inséparable, tout comme le triomphe de l'absolutisme théocratique sous Commode et Septime Sévère, malgré les différences de caractère et d'origine de ces empereurs, le gouvernement des soldats Illyriens doit être considéré globalement.
Il n'est pas étonnant dès lors que ces groupes d'empereurs manquant d'une personnalité supérieure n'aient rien apporté de foncièrement nouveau, mais se soient conformés aux exigences de la situation présente. Ce n'est point là un effet dû à l'affaiblissement de l'individualité et l'influence grandissante des forces de la masse, conditionnée par le temps... Se manifestant par exemple aussi clairement dans l'art plastique de cette période que dans le triomphe de la topique des rhéteurs et dans les couches sociales.

Ce morcellement de l'histoire du IIIe siècle en petits compartiments suivant les différents règnes a eu d'autres conséquences plus graves encore.
Bornant l'horizon des chercheurs, il les a empêchés de saisir les étapes de l'évolution et les réactions inévitables qui ont dû se produire, c'est d'autant plus regrettable qu'il s'agit de l'époque qui a vu s'effondrer l'Antiquité et naître le Moyen-Âge. Cette importante transformation s'est préparée imperceptiblement.
Les dirigeants de l'administration financière, par exemple, n'ont point soupçonné l'approche et la menace de la crise économique, puisqu'ils se sont bornés à équilibrer les dépenses et les recettes, sans songer à créer des fonds de réserve cependant indispensables.
Les empereurs et les généraux n'ont point senti la nécessité de constituer des armées de réserve... Toutes les troupes sont le long des frontières où elles forment une mince ligne semblable à un cordon étiré.
Une véritable armée stationnée à l'intérieur et toujours prête à voler au secours des points menacés, n'existe pas. C'est à cause de l'absence de ces armées de réserve que les Perses, les Germains et les autres peuples Barbares ont pu balayer les armées des frontières et saccager les provinces. (aujourd'hui on a voulu faire de l'armée Française une armée de métier offensive, mais le compte n'y est pas, et malgré la valeur des hommes et du commandement militaire, il nous faut également une armée défensive nombreuse pour protéger le territoire)

Cette imprévoyance n'est pas imputable à quelques individus ou à certaines générations, c'est un défaut de la culture antique en général. En effet, l'idée du monde est tellement réduite à celle de monde civilisé, et ce dernier coïncide tellement avec l'empire Romain, que les conséquences de certains événements historiques qui se produisent en dehors des frontières, ne sont point prises en considération. Les empereurs du IIe et IIIe siècle ne soupçonnent pas que la solde et les tributs annuels payés aux Germains drainent l'or de l'empire vers la Germanie et la Scandinavie, ni que le trafic par caravane dans l'Orient entraîne des dangers semblables.
D'autre part le ciel serein du IIe siècle a tellement relégué au second plan les préoccupations de l'avenir, qu'on n'a pas distingué les nuages qui s'amoncellent à l'horizon, annonçant de terribles tempêtes. Ce n'est qu'en examinant cette longue évolution dans toute son étendue qu'on s'aperçoit que ces conceptions ont leurs racines dans les siècles passés... Ainsi, on voit que les grandes innovations du IIIe siècle ne sont pas dues en premier lieu à de bons ou à de mauvais empereurs, mais qu'elles sont le résultat d'un long processus ; des chocs soudains ont pu accélérer leur apparition, mais ne l'ont pas causée.

L'institution de la monarchie, qui débute par une sorte de reconnaissance d'un homme d'état éminent, est légitime, mais rendue monarchique par l'accumulation démesurée de grands patriciens, et ne s'est pas brusquement transformée en un absolutisme sans bornes par la volonté impétueuse de quelque tyran, mais elle a évolué graduellement dans ce sens par la simple nécessité du principe et de la condescendance du dominant qui se laisse facilement discerner dans l'apparat, les insignes et les cérémonies dont il s'entoure... Il est possible de montrer par l'analyse de leur développement graduel que l'on a affaire à un processus qui débute sous les Scipions, lequel se précipite ou se ralentit sous différents empereurs, mais qui n'est point créé par ces derniers. Il a presque complètement échappé aux jurisconsultes Romains qui choisissant le chef d'état, grâce à l'apparence de son mérite va devoir de conserver fidèlement les anciennes lois. Mais devenu souverain, qui crée lui-même les normes législatives : vox principis legis habet vigorem.
Le prince, force motrice du mécanisme d'état, devient imperceptiblement le dépositaire de l'idée impériale, remplaçant graduellement son activité exceptionnelle par la passivité d'une personnification abstraite et éternelle...

D'abord, c'est un concitoyen, se promenant à pied dans les rues de Rome et s'entretenant gaiement avec les sénateurs comme avec ses égaux. Bientôt il se métamorphose : Déposant sa toge, il se revêt d'habits étincelant d'or et de pierres précieuses, il se fait promener publiquement, encadré de gardes du corps, entouré de torches lumineuses, enveloppé de nuages d'encens, ou bien, il trône, objet d'un véritable culte, comme un dieu vivant dans son palais transformé en temple, au milieu d'un silence religieux. (tout comme les présidents et autres dirigeants, ministres, députés etc. qui sont complètement déconnectés des valeurs humaines, et des difficultés de la vie de leur administrés).
Les historiens du Bas-Empire ont affirmé que Dioclétien a inventé cette pompe Orientale. Mais nous sommes à même de suivre pas à pas les étapes de l'évolution de cette nouvelle étiquette qui est inauguré par les premiers Césars...

Déjà vers 260, le diadème, symbole du dominât, c'est-à-dire de l'absolutisme théocratique, apparaît sur la tête de l'empereur Gallien.
Tandis que le prince du Haut-Empire est un chef d'état civil, qui revêt seulement le costume militaire en temps de guerre et hors de Rome ou même de l'Italie, le dominus est constamment habillé de la tunique militaire et du manteau, Le paludamentum de pourpre de l'empereur devient le symbole par excellence de la monarchie, la purpura.
D'ailleurs, toute sa vie est militarisée et unifiée, non pas brusquement, mais comme conséquence d'un remaniement colossal de toute la société.

Le sénat, qui a joué longtemps un rôle important en tant que gardien de la tradition, perd complètement l'initiative politique. Un bien-être prolongé a efféminé les sénateurs. Militiae labor a nobilissimo quoque pro sórdido et inliberalî reiciebatur (Mamert. grat. act. 20, 1).
Ainsi l'on commence déjà sous Commode à interdire aux gouverneurs sénatoriaux dans certains cas des fonctions dans l'ordre équestre, et en 260 Gallien interdit définitivement aux sénateurs l'accès à l'armée.
Il est vrai qu'une violente réaction se produit, qui coûte la vie à Gallien et qui permet au sénat de regagner pour quelques années ses positions perdues... La plupart des sénateurs préfèrent une vie insouciante aux dangers d'une existence passée dans les camps de sorte que, depuis Probus, ils perdent définitivement les postes à l'armée.

C'est un fait remarquable que l'armée, qui élimine les gouverneurs sénatoriaux afin d'avoir des commandants et des empereurs sortis de ses rangs, n'ait point songé à supprimer le sénat, bien au contraire.
On n'a pas assez distingué la double attitude adoptée par l'armée envers ce corps : Tandis que le pouvoir du sénat décline, la dévotion envers lui s'accroît, et cela sous plusieurs rapports. Le rôle de la ville éternelle, qui brille d'autant plus comme idée que son rôle politique décline, présente un phénomène semblable.
Il en est de même pour l'empereur : Tandis qu'il s'élève jusqu'au rang divin, il est massacré avec une désinvolture inconnue jusque là, un peu comme le Dalaï- lama du Tibet, où le représentant temporaire de ce saint peut être tué, sans que le prestige de cette fonction sacrée en soit ébranlé...
Nous avons affaire ici à la conception étrange d'une époque où la valeur symbolique supprime toute autre.

Au IIIe siècle le droit exclusif de désigner les empereurs, demande cependant la légalisation de son choix aux Pères
Philippe en 249, Émilien en 253, se comportent comme les mandataires du sénat. L'idée de la sublime et éternelle Rome exerce une grande influence sur cette attitude. Les empereurs du milieu du IIIe siècle n'hésitent pas, dès qu'ils sont proclamés, à dégarnir les frontières pour aller recevoir à Rome l'approbation du sénat, exposant ainsi les provinces aux invasions des Barbares. Pour le même motif toutes les guerres entre prétendants ont lieu en Italie... Lorsqu'Aurélien se brouille avec le sénat, il comble de bienfaits la populace de Rome, uniquement pour faire un geste respectueux et traditionnel envers la ville éternelle... Et l'on ne peut oublier non plus que les prêtres du culte solaire créé par cet empereur sont des sénateurs de Rome.

Malgré le respect qu'inspire la majesté de Rome, la tradition, foulée aux pieds, est bientôt impuissante à empêcher que la nomination des empereurs soit influencée par les circonstances du chef de bureau du cabinet impérial, qui est souvent en même temps le commandants de la garde, a cause de cela les préfets du prétoire, en viennent souvent, comme auparavant, à renverser les empereurs pour revêtir leurs créatures de la pourpre. D'autres se hissent eux-mêmes sur le trône, tels Macrin et Philippe l'Arabe, Florien etc. D'autre part, de nombreux gouverneurs sénatoriaux se sont emparés du pouvoir en s'appuyant en partie sur les troupes, en partie sur la réaction sénatoriale. Mais plus curieux encore est le fait que les religions orientent, et exercent alors une très grande influence sur les consciences, la spéculation astrologique est également un facteur d'une importance capitale pour l'avènement de certains
empereurs. La puissance de l'astrologie est démontrée par le seul fait que, depuis Caracalla jusqu'à la tétrarchie de Dioclétien, le lion solaire est devenu sur les monnaies le principal insigne de la régence en signe de la prédestination céleste et comme source du pouvoir impérial... Ainsi la famille des prêtres solaires d'Émèse est à même non seulement de revêtir Septime Sévère de l'auréole de leur fétiche, mais également de consacrer comme maîtres du
monde Romain des sujets détestables et insignifiants comme Héliogabale et Sévère Alexandre. Mais ce ne sont là que des solutions provisoires. Les troubles croissants et le déclin incessant réclament avant tout une main forte, et lorsque les guerres ne cessent plus, l'empereur doit être avant tout soldat et général. La carrière équestre devient dès lors le moyen d'ascension des soldats de profession... Après que l'armée a été fermée aux sénateurs, ils
occupent les plus hautes dignités et parviennent même au trône.

D'où sont-ils originaires ? Le centre de gravité de l'Empire s'est déplacé dans le courant des siècles et l'importance de ce déplacement se reflète dans le recrutement de l'élite des forces militaires.
Les 4 étapes de ce mouvement centrifuge coïncident à peu près avec les 4 premiers siècles de notre ère... Rome, la cellule primitive de l'imperium, est remplacée d'abord par l'Italie, ensuite la zone intérieure des provinces Occidentales devient à son tour prépondérante militairement, et par conséquent aussi politiquement, et enfin ce champ de recrutement a été remplacé à son tour par les contrées avoisinant les frontières. Avant tout par l'Illyricum. L'infériorité de la partie Orientale de l'empire, qui cependant a fourni beaucoup de troupes spécialisées (archers, cataphractaires, etc.) l'a empêchée, malgré sa prépondérance culturelle, d'arrêter ce mouvement.
Le centre de gravité se déplace encore une fois vers l'Occident, de sorte qu'en ce moment ce déplacement a atteint la frontière de l'état Romain et la dépasse même : On recrute alors les soldats les plus renommés dans la Germanie libre.
Pendant tout le temps de cette évolution les meilleurs soldats et sous-officiers font rapidement carrière et montent dès le IIIe siècle jusqu'aux grades les plus élevés et même jusqu'au trône.

[L'incorporation des Germains dans l'armée Romaine et l'ascension rapide de leurs chefs dans la hiérarchie militaire ont été le point de départ de la constitution des états Germano-Romans du Moyen-Âge, dont le début ne remonte donc pas à l'époque de la migration des peuples, mais à celle de Constantin Ier].

Depuis longtemps déjà les troupes Danubiennes se sont acquises une grande renommée, parce qu'elles ont gagné les grandes batailles de la Syrie et de la Mésopotamie, depuis le IIe siècle et encore au IVe siècle. Au milieu du IIIe siècle, lorsqu'au Rhin et au Danube, en même temps qu'à l'Euphrate, une pression se fait sentir, le transfert des troupes d'une frontière à l'autre est devenu impossible. Si, malgré cette situation tragique et les terribles pertes subies, l'Empire parvient encore une fois à remporter la victoire, le mérite en revient avant tout aux Illyriens... Dépositaires d'un patriotisme nouveau et universellement Romain ils se sont sacrifiés pour la Rome éternelle.
D'autre part l'empire est parvenu à surmonter l'effroyable crise du IIIe siècle grâce aux exceptionnelles qualités de quelques hommes éminents qui, au milieu d'une situation chaotique, ont vu clair et ont introduit les réformes nécessaires.

En 216 encore Caracalla considère l'armée Romaine comme une armée de fantassins, invincible par ses glaives et ses lances dans des combats de corps à corps tandis que les Parthes, auxquels il compare ses troupes, excellent par leurs cavaliers et leurs troupes d'archers.
Cependant il ne peut se contenter de la tactique traditionnelle. Le premier il organise des formations recrutées parmi les Germains et déjà sous son règne on voit apparaître les cavaliers Maures armés de javelots, fait important non seulement au point de vue militaire, mais aussi au point de vue politique, puisqu'ils proclament empereur leur compatriote Macrin et plus tard encore d'autres compatriotes.
Les « equites Mauri », soldats très estimés dans la 2e moitié du IIIe siècle, ont acquis leur réputation plus tôt qu'on ne l'a cru jusqu'ici. En ce qui concerne un second genre d'escadrons légers, les « equites Dalmatae », les sources partielles ne permettent pas de dater leur apparition avant Gallien.

L'importance croissante de la cavalerie lourde, des catafractarii ou clibanarii, est claire, parce que leur histoire est intimement liée aux Sassanides et aux Romains depuis Sévère Alexandre. Ainsi l'on peut voir bientôt des soldats Romains, coiffés du casque conique et couverts de l'armure Persane, marcher derrière des étendards cet emprunt à une armée Barbare paraît étonnant de prime abord. Il est cependant naturel, car, actuellement encore, les grandes puissances Européennes dépensent des sommes considérables pour connaître l'armement et la tactique de leurs rivaux : L'assimilation réciproque est le produit de cette rivalité. (Mais aussi sa fragilisation)
Les nouvelles troupes d'élite mentionnées ci-dessus ne sont pas, à proprement parler, de nouvelles formations. A côté des troupes auxiliaires ordinaires, dont l'armement a été unifié, il a existé de tout temps des troupes irrégulières et même régulières, munies de leurs armes « nationales ». A l'origine, ces dernières ne jouent qu'un rôle secondaire, les innovations introduites dans la tactique leur prêtent une nouvelle importance.

Il en est de même des archers Syriens et Orshoéniens qui font sentir tout le poids de leur valeur dans les pronunciamentos du IIIe siècle.

En 238, lors de la marche sur l'Italie de Maximin Thrax, ces troupes mobiles qui sont, grâce à leur armement, aptes aux combats à distance ne jouent encore qu'un rôle complémentaire sur le champ de bataille. Ainsi donc à cette époque le gros de l'armée lui-même manque de mobilité et ne répond pas aux multiples nécessités des campagnes en cours.
HELIOGABALE
C'est pourquoi le grand Gallien crée vers 260 une nouvelle armée montée qui est postée à Milan, au carrefour le plus important des grandes voies de communications conduisant de l'Italie en Europe Centrale.

L'indépendance complète de cette armée mobile est une chose, sous Gallien et Claude le Gothique, sous Aurélien et Probus, elle lutte toujours séparée de l'infanterie, ce qui occasionne de nombreuses complications. Outre cette excellente armée de campagne, on dispose d'autres moyens pour endiguer le flot des irruptions Germaniques.
En effet, des vexillations (latin vexillatio plur. Vexillationes, dans l'armée Romaine, est un détachement de soldats tiré temporairement d'une unité permanente et détachées des légions). Tandis que le gros de celles-ci est maintenu le long des frontières, des détachements sont postés plus en arrière. Sous Philippe déjà des vexillations pareilles apparaissent en Italie du Nord afin de garder les passages les plus faciles des Alpes. Ce système se développant de plus en plus, Vérone et Milan, Concordia et Aquilée gagnent en importance.

Gallien développe encore davantage ces stratégiques, il établit des détachements doubles de légions près des grands passages des Alpes, tout comme il fait défendre les passages de la péninsule Balkanique. L'on sait que le même empereur crée également la haute école du nouvel état-major général, à savoir les protectores divini lateris.
Ces innovations ont assuré (au prix de graves pertes) l'œuvre de la pacification.
Mais comme les bienfaits de ces mesures se font attendre assez longtemps, leurs valeurs sont perdues à jamais. On fait des efforts pour organiser la défense des frontières, mais c'est en vain. Aussi on est amené à prendre des mesures dangereuses : Des centaines de milliers d'hommes et de femmes habitant les régions frontières de l'empire, sont transplantés à l'intérieur du territoire Romain dans le but de combler les vides de l'armée Romaine. La Barbarisation de l'armée ne peut plus être patente.

Heureusement l'empire dispose encore d'un réservoir d'hommes capable de fournir en masse des soldats excellents, Romanisés d'une part et convaincus d'autre part de la haute mission culturelle de Rome : Le bassin Danubien. Comme les hommes de la Maurétanie et de l'Orshoène, beaucoup plus même que ceux-ci, les Illyriens deviennent une puissance de premier ordre.

Depuis Septime Sévère, ils s'introduisent dans les rangs du corps des officiers et depuis 250, ils fournissent à l'empire, pendant plus d'un siècle, des souverains...
Ces hommes sont les protagonistes de l'Occident et de la latinité contre la suprématie des Orientaux. Ils déploient même une grande activité pour communiquer à l'Orient leur idéologie Occidentale. Le latin est introduit en Orient comme langue administrative et politique et ce fait constitue, un stade avancé de l'expansion latine qui débute beaucoup plus tôt.
On a déjà fait remarquer que le Bas-Danube est considéré au Ier et au IIe siècle par le gouvernement central comme appartenant à la partie Grecque de l'Empire. Mais, un grand mouvement spontané fait triompher ici le romanisme, la latinité.
Il est vrai que la frontière linguistique fait halte sur la Mer Noire, cependant les conceptions romaines de l'état, qui sont transmises non pas directement par l'Italie, mais par une initiative Danubienne, rayonnent beaucoup plus loin et imprègnent très fortement la mentalité des Orientaux. Les écrivains du IIe siècle sont encore étrangers à la pensée romaine. Dion de Pruse, Plutarque, Lucien et Aelius Aristide se sentent encore complètement Grecs, quelque déférente que soit leur attitude envers Rome.
Quelle différence avec Dion Cassius et Hérodien qui, au IIIe siècle, sont des Romains parlant le grec ! Donc, pendant que le mécanisme d'état Hellénistique et la mystique religieuse de l'Orient, subjuguent l'Occident, les Illyriens introduisent, grâce à leurs succès, militaires, la mentalité et la langue administrative romaines dans le milieu Hellénistique. Ainsi, le IIIe siècle a rendu possible la fondation d'une Rome nouvelle par Constantin Ier et la perpétuation d'un état Romain en Orient après la ruine de l'empire Occidental...

Cette uniformité imposée, ce nivellement, se manifeste aussi comme l'on sait, dans le domaine religieux. Il est intéressant de constater que le christianisme, qui est appelé a étendre son exclusive sur les esprits, s'est assimilé à plus d'un point de vue à l'état dans sa compétition avec celui-ci.
Déjà vers 200, la rivalité de ces 2 puissances universalistes nomme le Sauveur « Sauveur imperator » et en même temps, les peintures des catacombes de Rome représentent le Christ sous les traits de l'empereur.
Nous en avons la preuve dans les peintures d'une importance capitale des catacombes de Saint Sebastien et Saint Praetestato, qui ont été mal interprétées ou méconnues jusqu'ici...

Il faut aussi jeter un coup-d'œil rapide sur les perturbations financières de ce siècle, sous plus d'un rapport identiques à celles que nous voyons de nos jours. Il est possible de suivre avec une grande précision la dépréciation du denier d'argent à partir de Néron, sous Commode et Septime-Sévère, ce procès de dévaluation se précipite davantage.
On se rend compte en même temps que les mauvaises mesures ou la prodigalité de quelques empereurs n'ont pas causé cette évolution, mais qu'elle représente plutôt un des symptômes du déclin général.
De même l'inflation et la banqueroute vers 260 se sont produites lorsqu'on s'est trouvé dans l'impossibilité de rabaisser encore davantage la valeur du denier : Les temps sont mûrs pour la catastrophe... Même l'idée de l'argent subit une métamorphose étrange. Il peut paraître banal de dire que jusqu'à ce moment la monnaie a été considérée normalement comme base de valeur pour la circulation commerciale. Mais lorsque le denier s'effondre, cette conception perd son sens. Dorénavant, le denier n'ayant plus de valeur et la monnaie d'or étant réservée pour les cadeaux à l'armée, l'argent devient une émanation de la cour impériale. Il est vrai qu'au Haut-Empire l'argent porte déjà le sceau de l'empereur et que de plus en plus il sert à glorifier l'âge d'or apporté par le souverain, mais cela n'a rien à faire avec la valeur monétaire du métal.

Les monnaies qui ont servi aux cadeaux impériaux, les médaillons, sont d'ordinaire en bronze au IIe siècle et seule leur valeur artistique sert à les distinguer. Au IIIe siècle, quand les citoyens sont obligés de faire usage d'une monnaie d'inflation sans valeur intrinsèque, mais garantie par l'état, la signification des cadeaux monétaires change complètement : Au lieu de constituer une récompense symbolique des citoyens distingués, ils servent à la rémunération régulière des soldats et ce sont dorénavant de grosses pièces d'or.
Il ne s'agit plus, dès cette époque, d'une marque accidentelle de la bonté mais d'un honoraire fixe, érigé en système, tandis que le monétaire cède la place à l'économie-nature chez la population civile. C'est pourquoi le ministre des finances du Bas- Empire s'appelle cornes sacrarum largitionum. (directeur des largesses sacrées)... (cela me fait furieusement songer au ministre du redressement productif) Les monuments d'art illustrent d'une façon saisissante les étapes de cette évolution. On assiste au triomphe de la forme sur l'idée, du type sur l'individu, comme aussi à l'engouement de la reproduction technique, tandis que tout effort créateur fait défaut. C'est un problème que connaît aussi notre époque, on doit admettre que toute production technique est le résultat d'une découverte personnelle, ayant une valeur propre, de même que dans les autres domaines de l'activité humaine.
Mais là où la résultante de cette activité se prête à reproduction, les voies de la création et de la technique se séparent. Il n'y a point de doute que le fait de répandre dans les masses une invention sert le bien-être de l'humanité, mais il est tout aussi certain que ce bienfait réside moins dans la valeur de l'invention même que dans sa transmission aux masses... La reproduction abaisse automatiquement la qualité.
La valeur de telle procédure repose uniquement sur les qualités extraordinaires d'une seule grande personnalité et ainsi les destinées de l'empire ont été déterminées par la faculté qu'ont eue les d'Auguste de trouver des solutions exactes dans les diverses conjonctures particulières. Il est vrai que la pratique juridique a créé bientôt quelques normes, cependant l'intuition personnelle de l'empereur a dû être prépondérante... Il va de soi que pareille conception de l'état offre de grands dangers. Aussi s'est-on efforcé d'augmenter de plus en plus les normes fixes pour parer aux résultantes de l'incapacité et de l'humeur de certains... Pareil système existe déjà dans les états Hellénistiques et Jules César songe aussi à une telle solution.
Les fondements jetés par César se développent aux siècles suivants. Mais c'est en vain qu'un homme aussi génial préconise ces idées, la tyrannie des formules tue la force créatrice, l'esprit, la machinerie grandiose peut impeccablement fonctionner, elle reste un mécanisme mort...

Aussi longtemps que la tâche consiste à immortaliser par le marbre les traits individuels des personnages, il est impossible, à cause même de la formation Hellénistique des artistes, que l'art du portrait se répand des grands centres culturels dans les provinces. A partir du IIe siècle, on attache moins d'importance à la ressemblance, la surface polie du visage ayant pour but principal de former un contraste avec les cheveux ébouriffés.
Dès ce moment, l'art du portrait devient plus facile, une certaine virtuosité suffit.
Au IIIe siècle le goût évolue de nouveau, les contours du crâne sont dessinés d'une façon tout à fait schématique, et les visages de mannequin avec des rides démesurément accentués ont pu être exécutés partout, comme les œuvres des primitifs modernes. La valeur et le niveau de l'art du portrait diminuent ainsi en raison directe de sa dispersion dans les provinces lointaines : De même une source abondante tarit lorsqu'elle doit se répandre sur une grande surface... Les valeurs spirituelles aussi ont un volume et une quantité bien déterminés. L'on pourrait multiplier les exemples de ce genre.
Nous touchons ici au problème éternel des relations de la masse et de l'individu, la première se basant sur les forces mécaniques de l'existence, l'autre sur les forces organiques. L'analyse de ces deux grandes sources de l'existence, l'une organique et l'autre s'impose toujours à nous.

D'après A Alföldi



La grande crise du monde romain au IIIe siècle - Persée
www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_1938_num_7_1_3063
de A Alföldi - ‎1938 - ‎Cité 18 fois - ‎Autres articles
La grande crise du monde romain au IIIe siècle. [article] ... D'autre part, ce n'est que depuis les dernières années que les recherches sont orientées vers d'autres ...
Termes manquants : 292 ‎marine

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