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MAI 2015...
Cette
page concerne l'année 724 du calendrier julien. Ceci est une
évocation ponctuelle de l'année considérée il ne peut s'agir que
d'un survol !
VESTIGES
RETROUVES PRES DU IENISSEÏ...
En
718, écoutant son conseiller, Bilge envoie une ambassade à Chang’an
pour négocier la paix avec la Chine. Xuanzong refuse et déclare la
guerre : Les Basmil, établis au nord du Tarim, et les Khitans
(Liaoning actuel), alliés de la Chine, doivent prendre les T’ou-kiue
en tenaille par le sud-ouest. L’attaque, mal synchronisée, échoue.
Pendant que les troupes de Tonyukuk écrasent les Basmil et prennent
Bechbalik, les forces de Bilge ravagent la frontière Chinoise au
Gansu actuel (720) puis se retournent contre les Khitans qui sont
battus. Une paix durable est conclue l’année suivante, instituant
des échanges commerciaux fructueux pour les Turcs (rouleaux de soie
contre chevaux).
L’hiver
723-724, très rigoureux, fait perdre aux Turcs Orientaux une grande
partie de leur bétail. La guerre contre les Oghuz et les Tatars
recommence au printemps suivant et Bilge doit investir toutes ses
forces pour réprimer l’insurrection.
En
727, Bilge refuse de s'allier aux Tibétains contre les Chinois. Il
est récompensé par une amélioration des conditions du commerce
avec la Chine.
À
la mort de son frère Kul-tégin en 731, Bilge fait graver une
épitaphe à sa gloire sur sa tombe dans la vallée de l'Orkhon,
rédigée avec l'alphabet de l'Orkhon, le plus ancien témoignage
daté de la littérature Turque. Bilge Kaghan meurt empoisonné par
un de ses ministres le 25 novembre 734. Son fils Izhan Kaghan
(734-739) lui succède, puis à sa mort le jeune Tengri Kaghan
(740-741), dont le règne est dominé par la veuve de Bilge. Tengri
est assassiné par son oncle Qutlugh yabgu, le chad de l’Est, qui
usurpe le pouvoir et prend le nom d’Ozmich Kaghan (à moins que ce
ne soit son fils après la mort de Qutlugh). L’empire se
désintègre, face à la révolte des Basmils, des Ouïgours et des
Karlouks.
En
743, la famille royale des Turcs Orientaux se réfugie en Chine.
Ozmich est tué par les Basmil en 744. Ceux-ci échouent à s’emparer
de l’empire et ce sont les Ouïgours qui imposent leur hégémonie
sur la Mongolie.
L'épigraphie
Turque ancienne de Haute-Asie, Par Louis Bazin Les inscriptions qui
sont les premiers textes turcs datables, gravées à partir des
environs de l'an 700 de notre ère, n'ont été retrouvées que 10
siècles plus tard. C'est en 1721 qu'un jeune naturaliste de Dantzig,
Messerschmidt, au service de Pierre le Grand, explorant en Sibérie
Méridionale la vallée de l'Uybat, sous-affluent du Ienisseï au
sud-ouest d'Abakan, remarque une stèle d'environ 3 mètres de haut
gravée d'une quinzaine de lignes verticales en caractères
géométriques non joints, au nombre d'une quarantaine de formes,
laissant supposer une écriture phonétique.
Rencontrant
peu après un déporté Suédois fait prisonnier en 1709 à la
bataille de Poltava, il lui fait part de sa découverte.
Un
colon Russe ayant signalé au nord d'Abakan la statue d'un personnage
barbu à longue moustache, Messerschmidt et ce Suédois, le capitaine
Tabbert, la retrouvent et y voient une inscription de 3 lignes de
même facture que celle de l'Uybat. ils trouvents ensuite, près de
cette rivière, une nouvelle inscription semblable. On leur montre
aussi, à Abakan, un fragment de miroir métallique portant les mêmes
caractères. Assistés d'un jeune déporté Suédois, Schulman, bon
dessinateur, ils rapportent de leurs expéditions des relevés et des
croquis, ainsi que de nombreuses notes...
Ils
se séparent l'année suivante : La paix de Nystadt permet aux deux
Suédois de rejoindre leur pays, où Tabbert est anobli sous le nom
de Strahlenberg.
Messerschmidt
poursuit ses recherches de naturaliste à travers la Sibérie, ne
revenant à Saint-Pétersbourg qu'en 1729.
Alors
que Strahlenberg achève son célèbre ouvrage, « Das Nord- und
Ôstliche Theil von Europa und Asia », qui paraît à Stockholm
en 1730 , qui est à l'origine de l'ambitieuse théorie « Ouralo-
Altaïque », Messerschmidt confie ses papiers à l'académicien
Bayer, réputé pour son vaste savoir, et qui ne manque pas
d'imagination...
Celui-ci
expose à ses confrères étonnés que les inscriptions iénisséiennes
soient apparentées aux runes de Prusse, mais plus proches des
inscriptions (également indéchiffrées) de l'Ibérie du Caucase, où
il voit un intermédiaire entre les écritures grecques et
arméniennes.
Il
décèle en outre une influence égyptienne dans les bas- reliefs des
monuments Iénisséiens. Il ne propose d'ailleurs aucune lecture.
Strahlenberg, plus prudent, qualifie de « scythiques » les
caractères Iénisséiens, suivant une tradition Byzantine qui
appelle « Scythes » les peuples de l'Asie Intérieure.
Des
découvertes successives d'inscriptions analogues dans la même
région entretiennent la curiosité.
La
Grande Catherine elle- même s'y intéresse et en fait publier 5 en
1793 par le Berlinois Pallas. Les hypothèses se multiplient,
relancées en 1818 par la publication de nouveaux textes de même
provenance réunis par Spassky, inspecteur des mines de Sibérie...
C'est
une Société Asiatique qui en 1822, année de sa fondation, a la
chance de recevoir du savant Berlinois Julius Klaproth une
communication écrite, lue en séance publique, imprimée dans le
second numéro du Journal Asiatique, et qui ouvre enfin aux
recherches une voie féconde. A la lumière de l'historiographie
Chinoise et de quelques chroniques Turques, Klaproth démontre que
les habitants de la région d'Abakan avant l'arrivée des premiers
Russes ont été des Turcophones, les Kirghiz, émigrés depuis vers
le Sud-Ouest.
Il
en conclut que la langue des inscriptions doit être du Turc ancien,
ce qui va se vérifier à la fin du siècle...
En
1888, une expédition archéologique Finnoise dirigée par Aspelin
remonte jusqu'au plus haut bassin du Ienisseï, dans la région
turcophone de la région de Touva aujourd'hui annexée à l'URSS...
Elle y trouve des inscriptions semblables aux précédentes, et en
publie 32 relevées dès 1889.
Cette
année-là, une expédition de la Société Géographique d'Irkoutsk
dirigée par Jadrintsefî découvre près de l'Orkhon, en Mongolie
centrale, d'importants vestiges archéologiques, avec 2 grandes
stèles gravées, de plus de 3 mètres, portant, en tout, plus de 130
lignes verticales, en mêmes caractères, à peu de chose près, que
ceux des inscriptions Iénisséiennes.
L'année
suivante, une seconde expédition Finnoise, dirigée par Heikel, en
fait des estampages et des photographies, et en publie les relevés
en 1892. Ce sont les fameuses Inscriptions de l'Orkhon, dont la
teneur va bientôt être élucidée grâce aux efforts concurrents du
Danois Vilhelm Thomsen et du Russe d'origine Allemande Wilhelm
Radloff.
Dès
1893, Thomsen présente à l'Académie de Copenhague sa notice
préliminaire au déchiffrement des inscriptions de l'Orkhon et de
l'Ienisseï, qui est publiée en 1894. Elle porte en fait sur les
deux stèles funéraires de l'Orkhon, dont elle identifie
phonétiquement les 38 caractères de façon presque parfaite, les
inscriptions Iénisséiennes n'y étant évoquées qu'accessoirement.
Le génie de Thomsen et sa rigueur méthodique ont été servis par
un fait nouveau : C'est que chaque stèle porte une inscription
officielle Chinoise bien datée, d'où il ressort qu'elles sont les
épitaphes respectives d'un Tegin, prince du sang, mort en 731, et de
son frère aîné, un Kagan, empereur Turc, mort en 734, par ailleurs
assez bien connus grâce aux annales des T'ang, qui évoquent leurs
relations conflictuelles, puis pacifiques avec la Chine. Il s'agit
donc de monuments de l'Empire Turc Oriental de Mongolie, et les
textes à déchiffrer doivent être rédigés en turc du VIIIe
siècle. Or, on connaît la variante littéraire Ouïgour du Turc
ancien, écrite en cursive d'origine Sogdienne et attestée par une
suite ininterrompue de manuscrits des environs de l'an mil jusqu'en
plein XIXe siècle, où elle est encore cultivée par quelques
lettrés Turcs archaïsants d'Asie Centrale et par les derniers
bonzes Turcophones du Kansou.
Le
tchaghataï, langue écrite des Turcs musulmans d'Asie Centrale, en
est resté proche, sauf par sa graphie arabe et ses nombreux emprunts
arabo-persans.
Thomsen,
professeur de philologie comparée à l'Université de Copenhague,
jusqu'alors Indo-Européaniste, est bien armé pour reconstituer par
la méthode comparative l'état un peu plus archaïque de la langue
des inscriptions de l'Orkhon. Il s'y emploie avec grand succès, aidé
d'autre part, pour le contexte historique, par des confrères
sinologues.
Combinant
les méthodes statistique et philologique, il isole d'abord les
signes vocaliques, puis, supposant que parmi les groupes de
caractères les plus répétitifs doivent figurer les noms des 2
défunts, que les transcriptions Chinoises permettent de reconstituer
en Kôl ou Kùl Tegin et Bilgà Kagan, ainsi que celui du Grand Dieu
céleste Tângri, bien connu en ouïgour, il identifie rapidement les
graphies des 5 mots correspondants, ainsi que celle de l'ethnonyme
Tiïrk, qui revient souvent.
Connaissant
dès lors 14 signes sur les 38 à identifier, il achève son
déchiffrement en identifiant des monosyllabes fréquents et des
suffixes connus par l'ouïgour... Le système graphique ainsi élucidé
est fort original et spécialement conçu pour s'adapter à la
phonologie du turc.
Les
17 consonnes du turc ancien sont toutes notées, mais 10 d'entre
elles ont deux graphies entièrement différentes selon qu'elles
précédent ou suivent des voyelles de la série postérieure (a, ï,
o, u), ou de la série antérieure (a, i, ô, ù).
Sur
les stèles dressées des 2 inscriptions de l'Orkhon, les lignes sont
verticales, à lire de haut en bas, comme en Chinois.
Mais
Thomsen a bien vu que c'est là le résultat a posteriori de la
translation verticale, lors de l'érection de la stèle, d'une
écriture horizontale de droite à gauche d'abord écrite, puis
gravée, sur la pierre couchée. Toutefois, au lieu de se succéder
de haut en bas, ces lignes horizontales se sont succédées de bas en
haut. Ceci, afin d'obtenir finalement des lignes verticales à lire
de haut en bas, mais se suivant de droite à gauche, à la manière
des inscriptions Chinoises, dont l'imitation sur ce point est claire.
Cette
disposition n'est pas générale, même en Mongolie, où l'on
rencontre aussi celle, qu'on attend, de lignes horizontales écrites
de droite à gauche et se succédant de haut en bas, comme dans la
plupart des écritures sémitiques, donc à lire de gauche à droite
une fois la stèle dressée. Il en est ainsi dans beaucoup
d'inscriptions du Ienisseï, mais on y observe une grande diversité,
allant du boustrophédon à l'écriture en spirale, ou même à
l'écriture de gauche à droite.
Dans
les inscriptions pariétales, les lignes sont horizontales. Une
diversité analogue se retrouve dans des inscriptions brèves ou
fragmentaires découvertes dans les monts Altaï et, plus à l'ouest,
dans la vallée du Talas. Nous ne les évoquons ici que pour mémoire.
On
discute encore sur l'origine de cette écriture turque ancienne. La
prédominance massive d'un tracé de droite à gauche fait penser à
l'influence d'un alphabet d'origine sémitique. Rejoignant la théorie
« scythique » de Strahlenberg au XVIIIe siècle, de bons savants (à
commencer par Otto Donner en 1896) se sont orientés vers des
écritures iraniennes d'origine araméenne, notamment vers certains
caractères de la numismatique Parthe. Des auteurs turcs ont pensé à
une pictographie originale, montrant par exemple que le signe qui
peut se lire ok, nom turc de la « flèche », a la forme d'une
flèche stylisée. Rien de tout cela n'est guère convaincant...
L'originalité
profonde du système Turc et son adaptation certaine à la phonologie
spécifique de la langue nous inclinent plutôt à y voir une
création raisonnée, au temps de la seconde dynastie Turque
Orientale, issue en 682 d'une révolte contre le protectorat Chinois
: Elle procède de la volonté de créer pour les Turcs une écriture
nationale épigraphique, indépendante de la cursive sogdienne, dans
un esprit nationaliste qui s'exprime avec orgueil dans les 2 stèles
funéraires de l'Orkhon, où la supériorité des Turcs sur tous les
peuples voisins est bien affirmée... Thomsen, quant à lui, ne s'est
pas appesanti sur ce problème des origines. Aussitôt après son
déchiffrement, il entreprend la transcription latine complète et la
traduction française des 2 grandes inscriptions de l'Orkhon. Il en
donne la primeur au Xe Congrès des Orientalistes tenu à Genève en
septembre 1894. Retardé par des ennuis de santé, il ne les publie
qu'en 1896, dans les Mémoires de la Société Finno-Ougrienne
d'Helsingfors.
Entre-temps,
Radloff s'est hâté de publier, en 1894 et 1895, 3 éditions
successives en transcription cyrillique, avec traduction allemande,
de ces mêmes inscriptions, qu'il affirme avoir déchiffrées de son
côté, ce qui est bien possible.
Il
s'ensuit une polémique feutrée, où Radloff a l'avantage d'une
grande érudition turcologique, et Thomsen celui d'une méthode
philologique plus rigoureuse.
Leurs
âpres discussions reprennent quand Radloff publie en 1899, traduite
en allemand, la 3e en importance des inscriptions de Mongolie,
épitaphe en forme de testament politique de Tonyukuk, mort vers
724/725, qui l'a rédigée lui-même. Tonyukuk est un compagnon de
lutte d'Elterish Kagan, fondateur en 682 de la seconde dynastie. Il
est devenu le beau-père et le principal conseiller de Bilgà Kagan,
fils d'Elterish. Son message posthume est très intéressant, à la
fois comme source d'informations et comme expression vigoureuse d'un
nationalisme
Turc, hostile aux influences Chinoises, que soulignent aussi les
annales des T'ang...
Radloff
a aussi publié et traduit deux autres inscriptions apparentées aux
précédentes, épitaphes de hauts dignitaires, à dater
respectivement, selon nous, de 719 et de 724. Une autre inscription
de même nature, vers 723, est publiée en 1928 par Kotwicz et
Samoïlovic.
Toutes
ces inscriptions, qui se suivent de 719 à 735, complètent fort
opportunément, par des témoignages autochtones, les informations
que nous donne, sous un autre éclairage, l'historiographie Chinoise.
En
744, les Ouïgurs, anciens vassaux des Tùrk proprement dits, les
supplantent dans la direction de l'Empire nomade des turcophones de
Mongolie. Ils poursuivent d'abord, avec la même langue, la même
facture et le même style, la tradition épigraphique de leurs
prédécesseurs.
Le
plus grand texte qu'ils nous ont laissé est l'épitaphe, à
Shine-Usu, de leur second Kagan, mort en 759... Elle a été publiée
par Ramstedt en 1913.
On
a récemment retrouvé en Mongolie 2 inscriptions, de 750 et 754,
érigées par ce même Kagan à sa propre gloire.
L'idéologie
religieuse de ces 3 inscriptions est exactement la même que celle
des inscriptions de l'Orkhon : Le Kagan est intronisé par Tàngri,
le Grand Dieu céleste, dont la parèdre, Umay, déesse-mère
tutélaire, protège la Katun, épouse du Kagan.
Nulle
trace, dans tous ces textes, des grandes religions alors répandues
en Asie centrale et en Chine, bouddhisme et manichéisme. Le contexte
religieux des inscriptions Ouïgur de Mongolie change radicalement
après 763, lorsque le Kagan suivant se convertit au manichéisme et
en fait la religion officielle.
La
grande inscription trilingue de Kara-Balgasun, turque, sogdienne et
chinoise, érigée vers 810, exalte la mémoire de ce Kagan, que le
texte sogdien qualifie d' « émanation de Mani ». Malheureusement,
sa partie turque est si dégradée, qu'elle n'a pu encore faire
l'objet d'une édition...
Les
informations Chinoises faisant ici presque défaut, le contexte
historique des inscriptions Iénisséiennes nous échappe
généralement. Elles se répartissent en deux groupes. L'une, au
nord des monts Sayan, relève des Kirghiz anciens. L'autre, au sud,
dans la région de Touva, émane de groupes tribaux divers, également
turcophones. L'apparence archaïque de la plupart des monuments et
des gravures a fait longtemps croire à une ancienneté d'origine
pouvant remonter au VIe siècle. Les résultats des fouilles des
dernières décennies sur les sites funéraires concernés infirment
cette hypothèse : Les inscriptions, en tout cas, ne paraissent pas
antérieures au VIIIe siècle et se prolongent jusqu'au XIe. Tout
laisse penser que le système graphique provient des Tùrk du VIIIe
siècle, et que les caractères propres aux inscriptions
Iénisséiennes sont, non des archaïsmes conservés, mais des
innovations, d'ailleurs peu nombreuses et plus ou moins tardives.
Les
inscriptions du Ienisseï, à la différence de celles de Mongolie,
ne célèbrent pas des souverains, des princes, ou de hauts
dignitaires d'Empire, mais des chefs locaux dont l'autorité s'étend
sur quelques vallées. Les sources Chinoises, quoique peu prolixes au
sujet des régions Iénisséiennes, en raison de leur éloignement et
de leur difficulté d'accès, y mentionnent l'absence d'un grand
pouvoir central. Tout au plus les Kirghiz ont-ils eu par moments des
Kagan éphémères. La fragmentation géographique de ces zones de
haute montagne explique cette absence de grands ensembles politiques,
qui n'ont pris corps qu'au Sud, où dominent les steppes, comme en
Mongolie et en Asie Centrale.
Sur
les inscriptions du Ienisseï, où, comme dans la plupart des
inscriptions Turques anciennes, le défunt est censé prendre la
parole... Elles ont surtout des accents personnels de lamentations
sur la mort et sur la séparation d'avec les proches et les biens de
ce monde. Elles sont à cet égard les premiers témoignages des
chants funèbres qui, sous le nom d'agït, survivent encore dans les
traditions orales de divers peuples turcophones, y compris en
Anatolie rurale.
Quelques
extraits de traductions donneront une idée de ce contraste.
Citons
d'abord le morceau de bravoure qui, placé dans la bouche de Bilgâ
Kagan, figure sur les deux stèles de l'Orkhon : « Quand, en haut,
le ciel bleu et, en bas, la terre brune se sont formés, entre les
deux se forment les humains. Sur les humains règnent mes ancêtres
Bumïn Kagan et Istâmi Kagan. Régnant, ils tiennent et établissent
aussitôt l'Empire et les Lois du peuple Tûrk. Les 4 coins du monde
sont tous leurs ennemis. Lançant leurs armées, ils conquièrent et
soumettent entièrement les peuples des 4 coins du monde. Ils font se
prosterner tous ceux qui ont des têtes et s'agenouiller tous ceux
qui ont des genoux. Ils s'installent, à l'Est, jusqu'aux monts
boisés de Kadïrkan (au nord-est de l'actuelle Mongolie), à l'Ouest
jusqu'aux Portes de Fer (au nord de l'actuel Afghanistan). Ainsi,
entre les deux, règne le peuple Tùrk, sans aucune partition. Ce
sont de sages Kagan, des Kagan héroïques. Leurs seigneurs et leur
peuple sont sans troubles. C'est pourquoi ils tiennent ainsi l'Empire
et, le tenant, établissent les Lois. Chacun selon son destin, ils
subissent l'inéluctable. Pour faire leurs funérailles et les
pleurer viennent, mentionnés à partir de l'Est, les gens des bois
et les gens de la steppe, les Chinois, les Tibétains, les Perses,
les Romains (les Byzantins), les Kirghiz, les Trois Kurïkan, les
Trente Tatar, les Tatabï. Tous ces peuples viennent pleurer et faire
les funérailles. Telle est la gloire de ces Kagan ! »...
Voici
comment Bilgà Kagan évoque son intronisation :
«
Que le renom et la gloire du peuple Tùrk n'aillent pas au néant ! »
dit le Ciel qui a élevé mon père le Kagan et ma mère la Katun, le
Ciel qui donne l'Empire ». « Que le renom et la gloire du
peuple Tùrk n'aillent pas au néant ! » dit-il, « et moi-même, ce
Ciel me fait régner comme Kagan ! » Plus loin, il met en garde son
peuple contre le désir de certains de se rapprocher des Chinois à
des fins commerciales :
«
Des gens malfaisants ont enseigné : « Si l'on est loin, ils
donnent de mauvaises soieries. Si l'on est près, ils donnent de
bonnes soieries. » Ainsi ont-ils enseigné. Des gens qui
ignorent la sagesse, acceptant cet argument, partent près d'eux et
beaucoup d'entre vous sont mort ! Si tu pars vers ces terres, peuple
Turk, tu mourras ! Mais si, habitant la Terre d'Ôtùkân (la région
de l'Orkhori), tu envoies caravanes et convois, tu n'auras pas la
moindre misère ! Si tu habites les monts boisés d'Otùkân, tu
seras détenteur d'un Empire éternel ! »
Dans
sa péroraison, Bilgà Kagan laisse percer une inquiétude fort
justifiée, puisque commencent les troubles qui mettent fin 10 ans
plus tard à l'Empire des Turcs Orientaux :
«
Vous, les Beys et le peuple Turk, écoutez cela ! Peuple Tùrk !
Comment, obéissant, tu détiens l'Empire, je l'ai gravé ici, et
comment, t'égarant, tu meurs, je l'ai gravé ici !
Tout
ce que j'avais de paroles à dire, je l'ai gravé dans la pierre
éternelle ! Sachez y obéir ! Alors, peuple et Beys Tùrk, vous,
Beys, qui en ce moment obéissez, irez-vous par hasard vous égarer ?
»
Les
épitaphes de grands personnages qui constituent l'essentiel du
Corpus de Mongolie contiennent toutes, outre des informations sur la
carrière des défunts, quelques passages à la gloire de l'Empire et
de la dynastie régnante. Quant aux inscriptions du Ienisseï, si
elles rappellent plus ou moins brièvement les titres (et parfois les
actes publics) des défunts, elles sont avant tout consacrées à
l'évocation de leur vie personnelle et familiale, avec les
lamentations d'usage, sans développements historiques ou politiques.
Tout au plus quelques-unes contiennent-elles une formule stéréotypée,
très brève, d'allégeance au principal chef local, généralement
mentionné sous son seul titre de Khan (Kan).
Voici,
par exemple, le contenu d'une des plus élaborées, celle de Begre,
près des sources du Ienisseï :
VILHEIM THOMSEN |
«
0 mes trois enfants ! je vous ai quittés, hélas ! Je n'ai pas assez
joui de vous ! Endurcissez-vous ! 0 mon épouse, toi que moi, le
Chambellan Tôr Apa (Dignitaire doyen), j'ai prise en ma 15e année !
O affliction ! Je t'ai quittée ! Malheur de moi ! 0 Soleil ! O
Lune ! Je me suis perdu ! Dans ma 15e année, je suis allé
chez l'Empereur de Chine. Les prenant par ma virile vaillance, j'ai
acquis or et argent, chameaux bossus, pouvoir dans le pays ! J'ai tué
sept loups. Je n'ai tué ni tigres, ni béliers sauvages. Hélas ! ma
terre, mes eaux, je vous ai quittées ! O affliction ! Malheur de moi
! Hélas ! O mon peuple ! O mes gens ! O mes proches parents !
Je vous ai quittés, je n'ai pas assez joui de vous ! O mon pays ! O
mon Khan ! Je n'ai pas assez joui de vous ! A ma 67e année, je me
suis perdu ! O ma belle-famille qui es au loin ! je t'ai quittée ! O
mes compagnons, assermentés ou non ! O mes bons camarades ! Je vous
ai quittés ! Ah ! Pour posséder de rapides coursiers, j'ai dilapidé
mes manades de chevaux ! Je n'en ai pas assez joui, Hélas ! O mes
nobles ! O mes gens du commun ! Je me suis perdu ! »
On
trouve ici réunis la plupart des thèmes des épitaphes du
Haut-Iénisséï, où celui de la séparation se retrouve, avec
quelques indications biographiques considérées comme les plus
importantes, dans les inscriptions brèves, de loin les plus
nombreuses. Ainsi dans celle de Barïk II :
«
Moi, Kôni Tirâg (Fidèle soutien), dans ma troisième année, je
suis devenu orphelin de père. Mon oncle paternel, Kiïliïg Totuk
(Glorieux Gouverneur militaire) a fait de moi un homme. J'étais sans
souci parmi les hommes. J'ai quitté mon épouse que je porte dans
mon cœur. Malheur de moi ! »
Une
caractéristique de ces textes est l'inflation de titres
honorifiques, tels que Général, Gouverneur militaire, ou même
Préfet, empruntés au Chinois. On y trouve aussi, notamment dans les
inscriptions kirghiz de la région d'Abakan, une particularité
intéressante : La relative fréquence d'inscriptions sur cénotaphes,
en l'honneur d'un disparu que l'on considère comme mort. Ainsi dans
l'inscription d'Alfin Kôl II :
«
Elle m'a porté durant dix lunes, ma mère. Je suis né garçon. J'ai
grandi en homme. J'ai parcouru les 4 coins de mon pays. Par ma
vaillance, je suis devenu Inancu Alp Sangun (Héroïque Général de
confiance). En raison de ma virile vaillance, je suis parti comme
ambassadeur vers le Khan des Tibétains. Je ne suis pas revenu. »
Les
rares informations historiques données par les inscriptions
Iénisséiennes concernent, comme ici, l'envoi d'ambassades dans de
lointaines contrées. On y trouve aussi, beaucoup plus fréquemment,
des notations sans équivalent dans les inscriptions de Mongolie et
qui constituent des documents originaux sur l'ethnologie, les
structures familiales, le mode de vie, voire la démographie des
tribus Turcophones du Haut-Iénisséï entre le VIIIe et le XIe
siècle. Il reste encore beaucoup à faire pour en améliorer
l'interprétation, mais on dispose désormais pour cela d'un Corpus
fiable. Paradoxalement, l'on n'a pas d'instrument aussi commode pour
l'exploitation des inscriptions de Mongolie, 10 fois moins
nombreuses, mais dont l'étude est dispersée dans des travaux
d'importance et de mérite inégaux, rédigés en diverses langues,
telles que le français, l'allemand, l'anglais, le russe, le turc, le
danois, le finnois, le hongrois, le polonais, le japonais, et
d'autres encore...
Leur
contexte historique est toutefois bien éclairé par la magistrale
traduction allemande des sources chinoises, abondamment annotée, due
à Liu Mau-tsai et publiée en 1958 sous le titre : Die chinesischen
Nachrichten zut Geschichte der Ost-Tiïrken. Elle remplace
avantageusement les extraits traduits en 1864 par Stanislas Julien et
qui n'ont été suivis d'aucun travail d'ensemble.
L'exploitation
historique des données de l'épigraphie Turque ancienne a déjà
fait l'objet d'importantes monographies, mais l'on manque encore
d'une grande synthèse. Ce sont les études grammaticales qui ont
atteint le meilleur niveau, grâce, notamment, à Anne-Marie von
Gabain, dont « L'Alttùrkische Grammatik » de 1941,
rééditée en 1950 et en 1974, reste un ouvrage fondamental. »
Les
langues Turques, en effet, sont étonnamment conservatrices, et la
bonne connaissance de l'une d'entre elles permet à un philologue
averti de passer sans trop de peine aux études épigraphiques
anciennes. Inversement, les textes turcs des inscriptions, qui
représentent un état de langue assez proche de ce qu'il est convenu
d'appeler le « turc commun », offrent au comparatiste un accès
relativement aisé à l'étude des nombreuses variétés du Turc
vivant.
Cette
cohésion linguistique après 12 siècles permet de supposer vers les
débuts de notre ère une continuité de la zone d'expansion du
prototurc, qui doit se situer en Sibérie Méridionale, entre le
bassin de l'Irtish et le lac Baïkal, avec pour région centrale
celle des monts Altaï, encore aujourd'hui Turcophone.
Cette
zone doit être contiguë, vers le Sud, aux parlers indo-européens
orientaux, et vers l'Est aux parlers protomongols. Le turc le plus
ancien présente des emprunts significatifs à l'iranien oriental et
au tokharien, et un très important vocabulaire qu'on retrouve en
mongol.
Parmi
les emprunts indo-européens, la plupart de ceux faits au sogdien ne
doivent guère être antérieurs à la fondation, au milieu du VIe
siècle, d'un Empire Turc parcouru par les caravanes sogdiennes
reliant la Chine aux Empires Byzantin et Sassanide, de même que ceux
au Tokharien, faits lors de la rapide expansion Turque vers le
Sud-Est. Mais d'autres emprunts indo-européens paraissent plus
antiques. Parmi les très nombreux éléments lexicaux du mongol
(connu seulement à partir du XIIIe siècle) qui ont leur
correspondant en Turc, certains sont des emprunts directs au turc
ouïgour, mais bien d'autres, dont la structure phonétique est
beaucoup plus archaïque que celle de leurs correspondants turcs
anciens, sont, soit des emprunts mongols au prototurc (qu'ils
permettent d'ailleurs de reconstituer), soit les représentants d'un
fonds turco-mongol commun, selon qu'on refuse ou qu'on admet une
origine commune aux deux langues, question encore soumise à
discussion. (C'est surtout une preuve qu'au
début du VIIIe siècle ces Turcophones de l'Asie Centrale n'avait pas
encore été contaminé par les musulmans)
Bilge
Kaghan — Wikipédia
fr.wikipedia.org/wiki/Bilge_Kaghan
Tonyukuk
le lui déconseille : la force des Turcs est dans leur mobilité face
au nombre. ... Une paix durable est conclue l'année suivante,
instituant des échanges ... L'hiver 723-724, très rigoureux, fait
perdre aux Turcs orientaux une grande ...
Persée
: L'épigraphie turque ancienne de Haute-Asie (VIIIe ...
www.persee.fr/web/revues/.../crai_0065-0536_1989_num_133_3_1476...
de
L Bazin - 1989 - Cité 1 fois - Autres articles
Ils
se séparèrent l'année suivante : la paix de Nystadt permit aux
deux Suédois de .... politique de Tonyukuk, mort peu après l'an
725, qui l'avait rédigée lui-même. ... de hauts dignitaires, à
dater respectivement, selon nous, de 719 et de 724.
Les
Oghouzes, Oghuz, Oguz : Oghuz Nâme destani
oguzname.skynetblogs.be/archive/2006/.../les-oghouzes-oghuz-oguz.ht...
31
déc. 2006 - Tonyukuk ... d'un noble Ikhe Achete (tarkhan) qui date
sans doute de 724, c'est la plus courte de la serie 10 lignes .... la
Terreur)" qui fut l'œuvre littéraire de l'année 2000 pour
l'UNESCO, ainsi que les épopées "Oghuz-nama" ...
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