Cette
page concerne l'année 1164
du calendrier julien. Ceci est une
évocation ponctuelle de l'année considérée il ne peut s'agir que
d'un survol !
1164 HÉLOÏSE RETROUVE AU CIEL SON AMANT ABELARD
HÉLOÏSE |
A l’âge de 15 ans, Héloïse apprend tous les arts et peut participer dans des discussions sur tous les sujets... Abélard (ou Abailard) , un poète, philosophe et théologien scolastique, né de famille noble, (1079), pendant son séjour à Paris, en pension chez le chanoine Fulbert, s’éprend de la nièce de celui-ci dont il a été chargé de parfaire l’éducation, la « très sage » Héloïse, parisienne noble alliée aux Montmorency, née en 1101.
C'est
à dire au début du XIIe siècle, Héloïse passe son enfance et son
adolescence au couvent d'Argenteuil, puis à Paris, chez le chanoine
Fulbert, son oncle ; d'abord élève, puis ensuite maîtresse
d'Abélard (dont elle a un fils, nommé Astrolabe), et enfin sa
femme, bien qu'elle ait d'abord refusé d'imposer ce lien à Abélard
et qu'elle en nie ensuite l'existence : situation fausse qu'un
nouveau séjour d'Héloïse à Argenteuil ne fait que rendre
irréparable, puisque Fulbert, se croyant joué par Abélard, le fait
émasculer...
ABELARD |
Les
deux amants, qui échangent des lettres devenues célèbres durant
leur séparation, transforment leur amour charnel en amour mystique.
De sa retraite, Héloïse écrit notamment : « Les plaisirs
amoureux qu'ensemble nous avons goûtés ont pour moi tant de douceur
que je ne parviens pas à les détester (...). Au cours même des
solennités de la messe, où la prière devrait être plus pure
encore, des images obscènes assaillent ma pauvre âme (...). Loin de
gémir des fautes que j'ai commises, je pense en soupirant à celles
que je ne peux plus commettre ». Héloïse
devient religieuse (1118), puis Mère prieur, à Argenteuil ;
elle est ensuite abbesse du couvent du Paraclet, couvent donné par
Abélard (1129) aux religieuses d'Argenteuil expulsées du leur par
Suger, abbé de Saint-Denis (dont dépend Argenteuil). Elle y fait
transférer le corps d'Abélard quelques mois après sa mort (1142),
et y meurt elle-même 1164...
Figure
séduisante et complexe, dans laquelle ses contemporains ont d'abord
vu (comme l'atteste Pierre le Vénérable) une jeune fille d'une
science étonnante ; puis l'héroïne de chansons d'amour
composées par Abélard et que tous chantent, puis encore une abbesse
de grand renom, s'acquittant de sa tâche avec conscience, sens
pratique et succès, telle apparaît Héloïse. Ses écrits connus
sont très peu nombreux ; la plus grande partie se trouve dans
le recueil de sa correspondance avec Abélard : 7 lettres, sauf
découverte nouvelle, dont 4 de sa part, qui ont suscité et
suscitent encore des débats chez les historiens... leur
authenticité, à quelques nuances près, est probable. On y trouve
aussi bien l'Héloïse des médiévaux (une femme « telle qu'on
n'en a plus jamais vu », selon Jean de Meung ; « la
tres sage Helloys » de Villon) que la femme au don total,
l'amoureuse sensuelle et inconsolable qu'on voit en elle depuis le
XIIIe siècle. On est surtout étonné de l'admirable audace de cette
femme.
Ce
qu'il faut savoir c'est que les héros de cette histoire,
contrairement aux quatre autres ont existé, ils vivent en France
sous le règne du roi Louis VI. Abélard, est le fils du seigneur du
Pallet, qui le destine au métier des armes, la passion des études
et des lettres le fait renoncer à son héritage et venir à Paris où
il est l'élève de Guillaume de Champeaux avant de devenir son
rival. Guillaume soutient une philosophie réaliste, Pierre Abélard
soutient le contraire en défendant le nominalisme.
A
22 ans Abélard dirige les écoles de Corbeil et Melun, avant
d'ouvrir une école de dialectique sur la montagne Sainte-Geneviève
à Paris, Au moment des faits qui nous intéressent, Abélard a la
quarantaine accomplie il est un peu le tombeur de ces dames. Les
parisiennes se pâment sur son passage, ce philosophe destiné à
l'église n'hésite pas à payer de sa personne et à joindre le
geste à la parole, si l'on en croit la chronique ses conquêtes sont
nombreuses. il tombe
amoureux d'Héloïse, la nièce du chanoine Fulbert dont il a été
chargé de parfaire l'éducation. « Sous prétexte d'étudier,
nous nous livrions entiers à l'amour (...). Notre ardeur connut
toutes les phases de l'amour, et tous les raffinements insolites que
l'amour imagine, nous en fîmes l'expérience ». Il
la trouve émouvante, elle le vénère, le feu qui couve devient
brasier, leur histoire ne restera pas longtemps platonique et c'est
possédés d'une passion charnelle qu'ils vont tomber dans les bras
l'un de l'autre et consommer cet amour sincère mais néanmoins empli
de plaisirs sans cesse renouvelés. Les moyens de contraception de
l'époque laissant à désirer, Héloïse est bientôt enceinte des
œuvres de son « poète-philosophe ». Afin de fuir le
scandale le couple se réfugie en Bretagne chez Abélard, où ils se
marient discrètement.
Et
là l'oncle Fulbert se fait à retardement le vengeur véhément de
l'honneur de sa nièce, qui promise à un bel avenir dû à sa
naissance ne peut aujourd'hui accéder à une noble condition.
Fulbert considère le « mari » comme un violeur ayant
trahi l'église... Cet oncle, dont la maison a servi de nid d'amour
aux deux amants va se substituer à la justice, il emploie deux
écorcheurs qui vont agresser Abélard mais emportés par leur élan
vont surtout le châtrer, ce qui exécuté sans anesthésie à dû
être une opération excessivement douloureuse pour le patient... Le
roi Louis VI averti par la vindicte populaire fait châtier les
agresseurs en pratiquant la loi du talion, ajoutant un détail
supplémentaire, ils ont les yeux brûlés. Quant à l'oncle
protecteur la punition ne sera que pécuniaire, le roi le prive de
ses ressources liées aux bénéfices de l'église...
L'agression
n'a pas séparé le couple, Abélard remit de ses émotions élabore
un traité de mariage où il prône l'obligation de réprimer désir
et plaisir physique, et pour cause, la soustraction anatomique du
principal intéressé ne facilitant pas les ébats amoureux....
Héloïse ne renoncera jamais à son bel amour, ce mari qu'elle a
pleinement aimé sera son compagnon pour les années qu'il leur
restent à partager. A dater de cette époque commence entre les deux
époux une magnifique correspondance en latin mélange étonnant de
piété, de passion et de langage simple et formaliste du moyen âge.
Vers
1129, Héloïse, première femme philosophe, devient Abbesse du
monastère le Paraclet situé en Champagne près de l'ermitage fondé
par Abélard. Il meurt à 63 ans au prieuré de Saint-Marcel près de
Châlon sur Saône. C'est seulement douze ans plus tard que son
Héloïse le rejoint toujours emplie de cet passion qui a fait de
cette brillante adolescente une femme éperdument amoureuse et s'est
muée au fil du temps et par la force des choses en la plus belle et
grande passion spirituelle qui soit.
HÉLOÏSE ET ABELARD |
La
correspondance qu’il a tenue avec son épouse, Les Lettres
d’Héloïse et Abélard, raconte leur histoire, leur rencontre,
leur union secrète après la naissance de leur fils Pierre
Astrolabe, les raisons de l’exil forcé d’Héloïse au couvent
d’Argenteuil et la punition castratrice qu’inflige le chanoine
Fulbert à Abélard, un universitaire, dont l’enseignement a
rencontré un grand succès et suscité de vives controverses. Pierre
Abélard enseigne la rhétorique et la scolastique dans les environs
de Melun, ville royale où il fonde sa propre école, probablement
dans l’enceinte de l’abbaye Saint-Père.
Il séjourne et enseigne par la suite à Maisoncelles-en-Brie, probablement dans le prieuré dépendant de Saint-Denis, où il prend l’habit monastique...
Il séjourne et enseigne par la suite à Maisoncelles-en-Brie, probablement dans le prieuré dépendant de Saint-Denis, où il prend l’habit monastique...
Il
y rédige un Traité de l’unité et de la Trinité divine, qui lui
attire les foudres de nombre de détracteurs. Protégé par le comte
Thibaud II de Champagne, il se réfugie à Provins, dans le prieuré
Saint-Ayoul. Menacé d’excommunication par le chanoine Fulbert, qui
désapprouve son union avec Héloïse, il obtient, sur les conseils
de l’abbé Suger, de se retirer dans la solitude du monastère de
son choix. Il fonde alors celui du Paraclet, à Ferreux-Quincey
(Aube), non loin de Provins, où Héloïse est abbesse jusqu’à sa
mort.
- Dialogue entre un philosophe, un juif et un chrétien
- Theologica
- Dialectica
- Historica Calamitum (Histoires de mes malheurs)
- Six
planctus
Lettre d’Héloïse
"
Mon
bien aimé, le hasard vient de faire passer entre mes mains la
lettre de consolation que tu écrivis à un ami. Je reconnus
aussitôt, à la suscription, qu'elle était de toi. Je me jetais sur
elle et la dévorai avec toute l'ardeur de ma tendresse :
puisque j’avais perdu la présence corporelle de celui qui l'avait
écrite, du moins les mots ranimeraient un peu pour moi son
image.
Je m'en souviens : cette lettre, presque à chaque ligne, m'abreuva de fiel et d'absinthe, me retraçant l'histoire lamentable de notre conversion et des croix dont tu n'as, toi mon unique, cessé d'être accablé. Tu as bien tenu la promesse qu'en commençant tu faisais à ton ami : ses épreuves, en comparaison des tiennes, ont dû lui paraître bien peu de chose! Après avoir raconté les persécutions dirigées contre toi par tes maîtres, puis l’injuste attentat perpétré sur ton corps, tu as peint l'exécrable jalousie et l'acharnement de tes condisciples, Albéric de Reims et Lotulphe le Lombard. Tu as exposé par le détail les actes de violence que leurs machinations ont déchaînés contre ton glorieux ouvrage de théologie, et contre toi-même, condamné à une sorte de prison. Passant alors aux menées de ton abbé et de tes frères perfides, et aux calomnies plus graves encore des deux faux apôtres excités contre toi par tes rivaux, tu as évoqué le scandale produit dans le grand public par le nom inusité de Paraclet, donné à ton oratoire. Enfin, pour achever ce déplorable récit, tu as parlé des vexations incessantes dont ce persécuteur impitoyable et les moines vicieux que tu nommes tes fils, te tourmentent aujourd'hui encore.
Je m'en souviens : cette lettre, presque à chaque ligne, m'abreuva de fiel et d'absinthe, me retraçant l'histoire lamentable de notre conversion et des croix dont tu n'as, toi mon unique, cessé d'être accablé. Tu as bien tenu la promesse qu'en commençant tu faisais à ton ami : ses épreuves, en comparaison des tiennes, ont dû lui paraître bien peu de chose! Après avoir raconté les persécutions dirigées contre toi par tes maîtres, puis l’injuste attentat perpétré sur ton corps, tu as peint l'exécrable jalousie et l'acharnement de tes condisciples, Albéric de Reims et Lotulphe le Lombard. Tu as exposé par le détail les actes de violence que leurs machinations ont déchaînés contre ton glorieux ouvrage de théologie, et contre toi-même, condamné à une sorte de prison. Passant alors aux menées de ton abbé et de tes frères perfides, et aux calomnies plus graves encore des deux faux apôtres excités contre toi par tes rivaux, tu as évoqué le scandale produit dans le grand public par le nom inusité de Paraclet, donné à ton oratoire. Enfin, pour achever ce déplorable récit, tu as parlé des vexations incessantes dont ce persécuteur impitoyable et les moines vicieux que tu nommes tes fils, te tourmentent aujourd'hui encore.
Je
doute que personne puisse lire ou entendre sans larmes une telle
histoire ! Elle a renouvelé mes douleurs, et l'exactitude de chacun
des détails que tu rapportais leur rendait toute leur violence
passée. Bien plus, ma souffrance s'accrut, quand je vis tes épreuves
aller toujours en augmentant. Nous voici donc toutes réduites à
désespérer de ta vie même, et à attendre, le cœur tremblant, la
poitrine haletante, l’ultime nouvelle de ton assassinat.
Aussi
te conjurons nous, par le Christ qui, en vue de sa propre
gloire, te protège encore d'une certaine manière, nous, ses petites
servantes et les tiennes, de daigner nous écrire fréquemment pour
nous tenir au courant des orages où tu es aujourd'hui ballotté.
Nous sommes les seules qui te restent, nous du moins participerons
ainsi à tes souffrances et à tes joies. Les sympathies,
d’ordinaire, procurent à celui qui souffre une certaine
consolation; un fardeau qui pèse sur plusieurs est plus léger à
soutenir, plus facile à porter. Si la tempête actuelle se calme un
peu, hâte-toi de nous écrire; la nouvelle nous causera tant de joie
! Mais, quel que soit l'objet de tes lettres, elles nous seront
toujours douces, ne fût ce qu'en nous témoignant que tu ne
nous oublies pas.
Sénèque,
dans un passage des Lettres à Lucilius, analyse la joie que l'on
éprouve en recevant une lettre d'un ami absent. « je vous
remercie, dit il, de m'écrire aussi souvent. Vous vous montrez
ainsi à moi de la seule façon qui vous soit possible. Jamais je ne
reçois l'une de vos lettres, qu'aussitôt nous ne soyons réunis. Si
les portraits de nos amis absents nous sont chers, s'ils renouvellent
leur souvenir et calment, par une, vaine et trompeuse consolation, le
regret de l'absence, que les lettres sont donc plus douces, qui nous
apportent une image vivante ! » Grâce à Dieu, aucun de tes ennemis
ne pourra t'empêcher de nous, rendre par ce moyen ta présence,
aucun obstacle matériel ne s’y oppose. Je t'en supplie, ne va
point y manquer par négligence
Tu
as écrit à ton ami une très longue lettre où, à propos de ses
malheurs, tu lui parles des tiens. En les rappelant ainsi en détail,
tu avais en vue de consoler ton correspondant; mais tu n'as pas peu
ajouté à notre propre désolation. En cherchant à panser ses
blessures, tu as ravivé les nôtres et nous en as infligé de
nouvelles. Guéris, je t’en conjure, le mal que tu nous as fait
toi même, toi qui t'attaches à soigner celui que d'autres ont
causé ! Tu as donné satisfaction à un ami, à un compagnon, tu as
acquitté la dette de l'amitié et de la fraternité. Mais tu es
engagé envers nous par une dette bien plus pressante: qu'on ne nous
appelle pas, en effet, tes « amies », tes « compagnes ». Ces
noms ne nous conviennent pas, nous sommes celles qui seules t'aiment
vraiment, tes « filles »; qu'on emploie, s'il s'en trouve, un
terme plus tendre et plus sacré !
Si
tu doutais de la grandeur de la dette qui t'oblige envers nous, nous
ne manquerions ni de preuves ni de témoignages pour t'en convaincre.
Tout le monde se tairait il, que les faits parleraient
d’eux mêmes. Le fondateur de notre établissement, c'est toi
seul après Dieu, toi seul le constructeur de notre chapelle, le
bâtisseur de notre congrégation. Tu n'as rien édifié sur les
fondements d'autrui : tout ici est ton œuvre. Ce désert, abandonné
aux bêtes sauvages et aux brigands, n'avait jamais connu
d'habitation humaine, jamais possédé de maisons. Parmi les repaires
des fauves et les cavernes des bandits, où jamais le nom de Dieu
n'avait été invoqué, tu as édifié le tabernacle divin et dédié
un temple au Saint Esprit. Tu as refusé, pour cet ouvrage,
l'aide des trésors royaux ou princiers, dont pourtant tu aurais pu
tirer de puissants secours; mais tu voulais que rien n'y vînt que de
toi seul. Les clercs et les étudiants, accourant à l'envi pour
entendre tes leçons, pourvoyaient à tout le nécessaire. Ceux mêmes
qui vivaient de bénéfices ecclésiastiques et, loin de distribuer
des largesses, ne savaient guère qu'en recevoir, ceux dont les mains
n'avaient appris qu'à prendre et à ne rien donner, tous devenaient
auprès de toi prodigues et t'accablaient de leurs offrandes.
Elle
est donc à toi, bien vraiment à toi, cette plantation nouvelle qui
croît dans l'amour sacré. Elle pousse maintenant de tendres
rejetons qui, pour profiter, ont besoin d'arrosage. Elle est formée
de femmes, et ce sexe est débile, sa faiblesse ne tient pas
seulement à son jeune âge. Sans cesse, elle exige une culture
attentive et des soins fréquents selon la parole de l'apôtre:
« J'ai planté, Apollon arrosa, Dieu a donné
l'accroissement ». (Par sa prédication, l'apôtre avait planté
l'Église de Corinthe, il l’avait fortifiée dans la foi par ses
enseignements. Puis son disciple Apollon l'avait arrosée de saintes
exhortations, et la grâce divine avait alors accordé à ses vertus
de croître).
Tu
travailles maintenant une vigne que tu n’as pas plantée, dont le
fruit n'est pour toi qu'amertume, tes admonitions y restent stériles,
et vains les entretiens sacrés. Songe à ce que tu dois à la
tienne, toi qui prends soin ainsi de celle d'autrui ! Tu enseignes,
tu sermonnes des rebelles, et tes efforts sont infructueux. Tu
répands en vain devant des porcs les perles d'une éloquence divine.
Toi qui te prodigues à des obstinés, considère ce que tu nous
dois, à nous qui te sommes soumises. Tu fais des largesses à tes
ennemis; médite ce que tu dois à tes filles. Sans même penser aux
autres, pèse la dette qui te lie à moi: peut être
t'acquitteras tu avec plus de zèle envers moi personnellement,
qui seule me suis donnée à toi, de ce que tu dois à la communauté
de ces femmes pieuses.
LE GISANT DES AMANTS |
Tu
possèdes une science éminente, je n'ai que l'humilité de mon
ignorance: mieux que moi, tu sais combien de traités les Pères de
l'Église écrivirent pour l'instruction, la direction et la
consolation des saintes femmes, et quel soin ils mettent à les
composer. Aussi m'étonnai je grandement de voir depuis si
longtemps que tu mets en oubli l’œuvre à peine commencée de
notre conversion. Ni le respect de Dieu, ni notre amour, ni les
exemples des Saints Pères n'ont pu te décider à soutenir, de vive
voix ou par lettre, mon âme chancelante et sans cesse affligée de
chagrin ! Et pourtant, tu sais quel lien nous attache et t'oblige, et
que le sacrement nuptial t'unit à moi, d'une manière d'autant plus
étroite que je t'ai toujours, à la face du monde, aimé d'un amour
sans mesure.
Tu
sais, mon bien aimé, et tous le savent, combien j'ai perdu en
toi, tu sais dans quelles terribles circonstances l'indignité d'une
trahison publique m'arracha au siècle en même temps que toi, et je
souffre incomparablement plus de la manière dont je t'ai perdu que
de ta perte même. Plus grand est l'objet de la douleur, plus grands
doivent être les remèdes de la consolation.Toi seul, et non un
autre, toi seul, qui seul es la cause de ma douleur, m'apporteras la
grâce de la consolation. Toi seul, qui m’as contristée, pourras
me rendre la joie, ou du moins soulager ma peine. Toi seul me le
dois, car aveuglément j'ai accompli toutes tes volontés, au point
que j'eus, ne pouvant me décider à t'opposer la moindre résistance,
le courage de me perdre moi même, sur ton ordre. Bien plus, mon
amour, par un effet incroyable, s'est tourné en tel délire qu'il
s'enleva, sans espoir de le recouvrer jamais, à lui même
l’unique objet de son désir, le jour où pour t'obéir je pris
l'habit et acceptai de changer de cœur. Je te prouvais ainsi que tu
règnes en seul maître sur mon âme comme sur mon corps. Dieu le
sait, jamais je n'ai cherché en toi que toi même. C'est toi
seul que je désirais, non ce qui t'appartenait ou ce que tu
représentes. Je n'attendais ni mariage, ni avantages matériels, ne
songeais ni à mon plaisir ni à mes volontés, mais je n'ai cherché,
tu le sais bien, qu'à satisfaire les tiennes. Le nom d'épouse
paraît plus sacré et plus fort, pourtant celui d'amie m'a toujours
été plus doux. J'aurais aimé, permets-moi de le dire, celui de
concubine et de fille de joie, tant il me semblait qu'en m'humiliant
davantage j’augmentais mes titres à ta reconnaissance et nuisais
moins à la gloire de ton génie
Tu
ne l’as pas complètement oublié. Dans cette lettre de consolation
à ton ami, tu as bien voulu exposer toi même quelques unes
des raisons que j'invoquais pour te détourner de cette malheureuse
union. Pourtant, tu as passé sous silence la plupart de celles qui
me faisaient préférer l'amour au mariage, et la liberté au lien.
J'en prends Dieu à témoin : Auguste même, le maître du monde,
eût il daigné demander ma main et m'assurer à jamais l'empire
de l'univers, j'aurais trouvé plus doux et plus noble de conserver
le nom de courtisane auprès de toi que de prendre celui
d'impératrice avec lui ! La vraie grandeur humaine ne provient ni de
la richesse ni de la gloire: celle là est l'effet du
hasard, celle ci, de la vertu. La femme qui préfère épouser
un riche plutôt qu’un pauvre se vend à lui et aime en son mari
plus ses biens que lui même. Celle qu'une telle convoitise
pousse au mariage mérite un paiement plutôt que de l'amour. Elle
s'attache moins, en effet, à un être humain qu'à des choses, si
l'occasion s'en présentait, elle se prostituerait certainement à un
plus riche encore. Telle est, selon toute évidence, la pensée de la
sage Aspasie, dans la conversation que rapporte Eschine, disciple de
Socrate : ayant tenté de réconcilier Xénophon et sa femme, elle
achève son discours en ces termes: « Si vous parvenez à devenir
l'un et l'autre l'homme le plus vertueux, la femme la plus aimable du
monde, vous aurez désormais pour seule ambition, et ne connaîtrez
d'autre vertueux désir, que d'être le mari de la meilleure des
femmes, la femme du meilleur des maris. » Pieuse opinion et mieux
que philosophique, dictée par une haute sagesse plus que par des
théories ! Pieuse erreur, bienheureux mensonge, entre époux, que
celui où une affection parfaite croit garder le bien conjugal par la
pudeur de l'âme plus que par la continence des corps !
Mais
ce qu'une semblable erreur enseigne à d'autres femmes, c'est une
vérité manifeste qui me l’apprit. Ce qu’en effet elles
pensaient personnellement de leurs maris, je le pensais de toi,
certes, mais le monde entier le pensait aussi, le savait de science
sûre. Mon amour pour toi était ainsi d'autant plus vrai que mieux
préservé d'une erreur de jugement. Quel roi, quel philosophe,
pouvait égaler ta gloire ? Quel pays, quelle ville, quel village
n'aspirait à te voir ? Qui donc, je le demande, lorsque tu
paraissais en public, n'accourait pour te regarder et, quand tu
t'éloignais, ne te suivait du regard, le cou tendu ? Quelle femme
mariée, quelle jeune fille, ne te désirait en ton absence, ne
brûlait quand tu étais là ? Quelle reine, quelle grande dame, n'a
pas envié mes joies et mon lit ?
MAUSOLÉE D’HÉLOÏSE ET ABELARD |
Tu
possédais deux talents, entre tous, capables de séduire aussitôt
le cœur d'une femme : celui de faire des vers, et celui de chanter.
Nous savons qu'ils sont bien rares chez les philosophes. Ils te
permettaient de te reposer, comme en jouant, des exercices
philosophiques. Tu leur dois d'avoir composé, sur des mélodies et
des rythmes amoureux tant de chansons dont la beauté poétique et
musicale connut un succès public et répandit universellement ton
nom. Les ignorants mêmes, incapables d'en comprendre le texte, les
retenaient, retenaient ton nom, grâce à la douceur de leur mélodie.
Telle était la raison principale de l'ardeur amoureuse que les
femmes nourrissaient pour toi. Et, comme la plupart de ces chansons
célébraient nos amours, bientôt mon nom se répandit en maintes
contrées, excitant contre moi les jalousies féminines.
Quels charmes en effet de l'esprit et du corps n'embellissaient point ta jeunesse? Quelle femme, alors mon envieuse, ne compatirait aujourd'hui au malheur qui me prive de telles délices? Quel homme, quelle femme, fût-ce mon pire ennemi, ne s'attendrirait pas envers moi d'une juste pitié?
Quels charmes en effet de l'esprit et du corps n'embellissaient point ta jeunesse? Quelle femme, alors mon envieuse, ne compatirait aujourd'hui au malheur qui me prive de telles délices? Quel homme, quelle femme, fût-ce mon pire ennemi, ne s'attendrirait pas envers moi d'une juste pitié?
J'ai
gravement péché, tu le sais; pourtant, bien innocente. Le crime est
dans l'intention plus que dans l'acte. La justice pèse le sentiment,
non le geste. Mais quelles furent mes intentions à ton égard, toi
seul, qui les éprouves, en peux juger. Je remets tout à ton examen,
j'abandonne tout à ton témoignage. Dis moi seulement, si tu le
peux, pourquoi, depuis notre conversion monastique, que tu as seul
décidée, tu m'as laissée avec tant de négligence tomber en oubli,
pourquoi tu m'as refusé la joie de tes entrevues, la consolation de
tes lettres. Dis le, si tu le peux, ou bien je dirai, moi, ce
que je crois savoir, ce que tous soupçonnent ! C'est la
concupiscence, plus qu'une affection véritable, qui t'a lié à moi,
le goût du. plaisir plutôt que l'amour. Du jour où ces voluptés
te furent ravies, toutes les tendresses qu'elles t'avaient inspirées
s'évanouirent
Voilà, mon bien aimé, la conjecture que forment, non pas moi vraiment, mais tous ceux qui nous connaissent. C'est là moins une supposition personnelle qu’une pensée générale, moins un sentiment particulier qu'un bruit répandu dans le public. Plût à Dieu qu'il me fût propre, et que ton amour trouvât contre lui des défenseurs ! Ma douleur s'apaiserait un peu. Plût à Dieu que je pusse trouver des raisons qui, en t'excusant, couvrissent d'une certaine façon la bassesse de mon cœur !
Voilà, mon bien aimé, la conjecture que forment, non pas moi vraiment, mais tous ceux qui nous connaissent. C'est là moins une supposition personnelle qu’une pensée générale, moins un sentiment particulier qu'un bruit répandu dans le public. Plût à Dieu qu'il me fût propre, et que ton amour trouvât contre lui des défenseurs ! Ma douleur s'apaiserait un peu. Plût à Dieu que je pusse trouver des raisons qui, en t'excusant, couvrissent d'une certaine façon la bassesse de mon cœur !
Considère,
je t'en supplie, l'objet de ma demande. Il te paraîtra si minime, si
aisé pour toi à satisfaire ! Puisque je suis frustrée de ta
présence, que du moins l'affectueux langage d'une lettre (les mots
te coûtent si peu !) me rende ta douce image ! Il est vain pour
moi d'attendre de ta part un acte généreux, quand en paroles tu
montres une telle avarice. je croyais jusqu'ici avoir acquis bien des
mérites à tes yeux, ayant tout fait pour toi, et ne persévérant
aujourd'hui que pour t'obéir. Seul un ordre de toi, et non des
sentiments de pitié, m'a livrée dès la première jeunesse aux
rigueurs de la vie monastique. Si par là je n'ai pas acquis un
mérite nouveau envers toi, juge de la vanité de mon sacrifice ! Je
n'ai pas à en attendre de récompense divine, puisque ce n'est pas
l'amour de Dieu qui m'a poussée.
Je t’ai suivi dans le cloître, que dis-je ? Je t'y ai précédé. On pourrait croire que le souvenir de la femme de Loth se retournant derrière elle, t'engagea à me revêtir la première du saint habit, et à me lier à Dieu par la profession avant de t'y lier toi même. Je l'avoue, cette défiance, la seule que tu marquas à mon égard, m'a fait profondément souffrir, et m'a couverte de honte. Dieu sait que, sur un mot de toi, je t'aurais précédé, je t'aurais suivi sans hésiter jusqu'au séjour même de Vulcain ! Mon cœur m'a quitté, il vit avec toi. Sans toi, il ne peut plus être nulle part. Je t'en conjure, fait qu'il soit bien avec toi ! Il le sera s'il te trouve propice, si seulement tu lui rends tendresse pour tendresse, peu pour beaucoup, des paroles pour des actes. Plût à Dieu, mon aimé, que tu eusses moins de confiance en mon amour, et connusses l'inquiétude ! Mais plus j'ai fait pour renforcer ton sentiment de sécurité, plus j'ai eu à souffrir de ta négligence. Rappelle toi, je t’en supplie, ce que j'ai fait, et considère tout ce que tu me dois.
Je t’ai suivi dans le cloître, que dis-je ? Je t'y ai précédé. On pourrait croire que le souvenir de la femme de Loth se retournant derrière elle, t'engagea à me revêtir la première du saint habit, et à me lier à Dieu par la profession avant de t'y lier toi même. Je l'avoue, cette défiance, la seule que tu marquas à mon égard, m'a fait profondément souffrir, et m'a couverte de honte. Dieu sait que, sur un mot de toi, je t'aurais précédé, je t'aurais suivi sans hésiter jusqu'au séjour même de Vulcain ! Mon cœur m'a quitté, il vit avec toi. Sans toi, il ne peut plus être nulle part. Je t'en conjure, fait qu'il soit bien avec toi ! Il le sera s'il te trouve propice, si seulement tu lui rends tendresse pour tendresse, peu pour beaucoup, des paroles pour des actes. Plût à Dieu, mon aimé, que tu eusses moins de confiance en mon amour, et connusses l'inquiétude ! Mais plus j'ai fait pour renforcer ton sentiment de sécurité, plus j'ai eu à souffrir de ta négligence. Rappelle toi, je t’en supplie, ce que j'ai fait, et considère tout ce que tu me dois.
Tant
que je goûtai avec toi les voluptés de la chair, on a pu hésiter
sur mon compte : agissais-je par amour, ou par simple concupiscence ?
Mais aujourd'hui le dénouement de cette aventure démontre quels
furent à son début mes sentiments. Je me suis interdit tout plaisir
afin d'obéir à ta volonté. Je ne me suis rien réservé, sinon de
me faire toute à toi. Vois quelle iniquité tu commets en accordant
le moins à qui mérite le plus, en lui refusant tout, alors même
qu’il te serait facile de lui donner complètement le peu qu'il te
demande.
Au
nom de Dieu même à qui tu t'es consacré, je te conjure de me
rendre ta présence, dans la mesure où cela t'est possible, en
m'envoyant quelques mots de consolation. Fais-le du moins pour que,
nantie de ce réconfort, je puisse vaquer avec plus de zèle au
service divin ! Quand jadis tu m'appelais à des plaisirs temporels,
tu m’accablais de lettres, tes chansons mettaient sans cesse sur
toutes les lèvres le nom d’Héloïse. Les places publiques, les
demeures privées, en retentissaient Ne serait il pas plus juste
de m'exciter aujourd'hui à l'amour de Dieu, que de l’avoir fait
jadis à l'amour du plaisir ! Considère, je t'en supplie, la dette
que tu as envers moi; prête l'oreille à ma demande.
Je
termine d'un mot cette longue lettre : adieu, mon unique.
Le
mausolée d'Héloïse (morte en 1164) et Abélard (mort en 1142),
figures légendaires du Moyen-Age, est édifié aux frais de l’État.
C'est pour obtenir la faveur du public chrétien, hostile tout
d'abord à l'idée de ne pas être enterré en terre bénie par
l’Église, que la Mairie de Paris décide de transférer leurs
ossements au Père-Lachaise en 1817, avec ceux des révérends pères
jésuites, de Molière et de La Fontaine.
Ne cherchez pas à Saint-Aubin, lieu dit Le Paraclet, les vestiges de l’abbaye, fondée au XIIe siècle par Pierre Abélard (1079-1142) et dont Héloïse (1101-1164) fut la 1ère abbesse. Ce couvent de règle bénédictine n’a pas traversé les siècles comme l’histoire tragique de l’idylle d’Abélard et Héloïse. Les bâtiments actuels du Paraclet datent du XVIIIe-XIXe siècles.
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07
Le
mausolée d'Héloïse
(morte en 1164)
et Abélard (mort en 1142), figures légendaires du Moyen-Age, sera
édifié aux frais de l'Etat. C'est pour obtenir la faveur ...
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Histoire 77
Pierre
Abélard (1079-1142) et Héloïse
(1101-1164).
Carte postale, panorama de l'église de Maisoncelles-en-Brie AD77 2.
Maisoncelles-en-Brie, panorama de ...
HÉLOÏSE - Encyclopædia Universalis
www.universalis.fr/encyclopedie/heloise/
HÉLOÏSE
(1101-1164).
Née au début du xii e siècle, Héloïse
passe son enfance et son adolescence au couvent d'Argenteuil puis à
Paris, chez le chanoine ...
Letter from Heloise (1101–1164) to Peter Abelard (1079–1142)
Heloise
expresses her unhappiness in a letter to her ex-lover, Peter Abelard.
Héloïse & Abélard - Nogent-sur-Seine - Site officiel
www.nogent-sur-seine.fr/index.php/...a.../72-heloise-a-abelard.html
Ne
cherchez pas à Saint-Aubin, lieu dit Le Paraclet, les vestiges de
l'abbaye, fondée au XIIe siècle par Pierre Abélard (1079-1142) et
dont Héloïse
(1101-1164) ...
Quel bonheur ma chère Chantal de voir revivre cette magnifique histoire d'amour en lisant votre article!
RépondreSupprimerA la fin du livre qu'elle a consacré à ce couple hors du commun, Régine Pernoud affirme qu'Héloïse a mené Abélard là où il aurait été, de lui-même, incapable d'aller! Dès le moment où les deux époux se sont retrouvés dans la correspondance amoureuse, toute l'œuvre d'Abélard est devenue aussi celle d'Héloïse, même quand il commente une épître de saint Paul, un passage de l'ancien Testament, quand il écrit des hymnes ou qu'il compose une règle monastique, parce que tout cela il le fait pour Héloïse qui le lui demande.
Certes, on redécouvre aujourd'hui la valeur intellectuelle de la pensée d'Abélard, mais si le nom même d'Abélard a survécu jusqu'à nous, n'est-ce pas plutôt d'abord parce qu'il fut le héros d'une histoire d'amour sans pareille? C'est, en tout cas, cela qu'ont d'abord retenu les poètes et les romanciers quand ils ont associé les deux noms d'Héloïse et Abélard, car, comme le dit encore Régine Pernoud dans une très belle formule : "Autant dire que ce qui fait la grandeur d'Abélard, c'est Héloïse"..
Merci pour cette jolie page..
Amitiés