samedi 8 octobre 2016

EN REMONTANT LE TEMPS... 228

19 SEPTEMBRE 2016...

Cette page concerne l'année 228 du calendrier julien. Ceci est une évocation ponctuelle de l'année considérée il ne peut s'agir que d'un survol !

LA JURIDICTION ROMAINE AUTOUR DE ULPIEN.

L'un des plus grands jurisconsultes Romains, Ulpien, est d'origine provinciale. Il se rattache lui-même à la ville de Tyr en Syrie-Phénicie, élevée par Septime Sévère au rang de colonie Romaine.
D'après son nom de famille, Domitius, Ulpien appartient peut-être à une vieille famille locale, depuis longtemps romanisée et qui a obtenu en même temps qu'un nom Romain la citoyenneté Romaine au Ier siècle. On le pense probablement, avec Papinien, membre du Conseil impérial sous Septime Sévère...
Héliogabale (218-222) l'a tenu à l'écart, mais il revient aux affaires avec Alexandre Sévère, qui revêt la pourpre impériale le 11 mai 222. D'abord préfet de l'annone pendant quelques mois, il accède dès le courant de l'année 222 à la préfecture du prétoire. Honoré des titres d'« ami » et même de « parent » de l'empereur, il exerce dans ce poste une action considérable, soit qu'il y ait été associé à deux autres préfets du prétoire qu'il dirige, soit qu'il ait occupé seul, pendant quelques mois, la préfecture du prétoire. Mais, en conflit avec les prétoriens, il est assassiné durant l'été de 223 (comme l'a montré l'étude de J. Modrzejewski et T. Zawadzki, publiée en 1967 dans la Revue historique de droit, qui corrige sur ce point la date de 228 longtemps acceptée)...

Auteur fécond plus que juriste très pénétrant, esprit clair, grand rassembleur d'opinions de ses prédécesseurs, Ulpien écrit de nombreux et vastes traités, auxquels les compilateurs du Digeste ont largement emprunté. Près du tiers du Digeste provient des œuvres d'Ulpien. Aussi, par le Digeste (et très accessoirement par quelques autres sources), avons-nous conservé une partie importante de l'œuvre d'Ulpien.

Ses principaux traités sont ses LXXXI Livres de commentaires sur l'édit du préteur, ses 2 Livres sur l'édit des édiles curules, les 51 Livres sur Masurius Sabinus, où sont abondamment cités des extraits d'autres juristes. D'autres traités, d'ampleur variable, commentent certaines lois (sur les affranchissements, le mariage, la répression de l'adultère), traitent de droit privé (fiançailles, fidéicommis), de procédure (4 Livres sur les appels), des fonctions de magistrats (consul, proconsul) ou de fonctionnaires impériaux (préfet de la ville de Rome, préfet des vigiles). Ulpien compose également des œuvres de casuistique (2 Livres de Réponses et 10 Livres de Discussions) et des petits précis élémentaires (Institutes, Règles). La plupart de ces œuvres furent composées entre 212 et 217. (Par Jean GAUDEMET)

Originaire de Tyr, Ulpien est d'abord assesseur du préfet du prétoire Papinien, un autre juriste célèbre, sous Septime Sévère et Caracalla. Après l'assassinat de Caracalla en 217, le nouvel empereur Héliogabale le chasse de Rome. Mais son successeur Alexandre Sévère le fait préfet de l'annone, puis préfet du prétoire en 222 : Devenant le principal conseiller de l'empereur. Impopulaire auprès de la garde prétorienne pour avoir diminué ses privilèges accordés par Héliogabale il est tué sous les yeux d'Alexandre Sévère au cours d'un soulèvement de celle-ci en 228. certains disent 223
Son œuvre de juriste comporte :
  • Ad edictum de longs commentaires de l'Édit du préteur,
  • Ad Sabinum sur Massurius Sabinus (traitant du droit civil),
  • Des traités sur les fonctions des différents magistrats,
  • Les Institutes, ouvrages destinés à l'enseignement du droit,
  • La première table de mortalité connue, qu'on appelle en son honneur table d'Ulpien, ainsi qu'une série de traités sur des questions particulières.
Il est l'auteur le plus repris dans le Digeste de Justinien.
Certaines de ses formules sont renommées, et sont maintes fois utilisées dans les siècles suivants :
Jus est ars boni et aequi : Le droit est l'art du bon et de l'équitable. (phrase reprise à un autre jurisconsulte moins célèbre : Celse)
Quod principi placuit legis habet vigorem : Ce qui plaît au prince a force de loi.
Princeps legibus solutus est : Le prince est délié des lois.
Imbecillitas sexus : sexe faible. C'est cette formule qui va justifier l'incapacité juridique de la femme mariée
Dura lex, sed lex : La loi est dure, mais c'est la loi. Il a été le premier à employer cette fameuse phrase.
Il fait trois distinctions majeures du droit, reprenant ainsi la distinction d'Aristote :
Le droit naturel, qui réside dans tout ce que la nature a apporté aux êtres vivants (sans distinction), comme le mariage, la procréation, l'éducation des enfants. (nos légiste moderne devraient s'en inspirer surtout lorsqu'il s'agit de la procréation... Ils n'en seraient pas moins modernes mais certainement plus crédibles et humains.)
Le droit des gens, ou droit des peuples (ius gentium) est utilisé par les peuples (ce droit n'appartient qu'aux êtres humains). (là aussi, il s'agit d'une loi immuable que nul jamais ne pourra changer)
Le droit civil (droit des citoyens romains).

« Faire du droit impose d'abord de savoir d'où vient ce nom de droit. Il provient de la justice, car, comme l'a défini avec finesse Celse, le droit est l'art du bon et du juste. À juste titre certains nous appellent « prêtres », car nous cultivons la justice et nous proclamons la connaissance du bon et du juste, séparant le juste de l'inique, distinguant le licite de l'illicite, souhaitant rendre bons les individus, non seulement par la crainte de peines mais aussi par l'encouragement de récompenses, aspirant à la vraie philosophie, non à la fausse.
Dans cette science, il y a deux branches : Le public et le privé.
Le droit public, c'est ce qui concerne l'État Romain, le privé ce qui intéresse les particuliers... En effet, il est des choses utiles publiquement, d'autres seulement sur le plan privé.
Le droit public concerne les choses sacrées, les prêtres, les magistrats.
Le droit privé se divise en trois parties, car il est en effet constitué de préceptes naturels, des gens ou civils.
Le droit naturel est ce que la nature a enseigné à tous les animaux. Car ce droit n'est pas propre au genre humain, mais il est commun à tous les animaux qui naissent sur terre ou dans la mer, même aux oiseaux. (cela aussi est immuable) De là provient l'union du mâle et de la femelle que nous appelons mariage, de là aussi la procréation des enfants, leur éducation, car nous voyons en effet que tous les autres animaux, même les fauves, sont censés avoir la connaissance de ce droit. (et sa façon innée de l'appliquer) Le droit des gens est celui qui est utilisé par les nations humaines. Il est facile de comprendre ce qui le distingue du droit naturel car, tandis que l'un est commun à tous les animaux, l'autre ne l'est qu'aux seuls hommes. » (et l'humain si il est parfois plus évolué que l'animal il n'en est pas moins assujettit aux lois immuables de la natures hormis les hermaphrodites assez rare cependant)
— Ulpien, au Ier livre de ses Institutes (Digeste, 1, 1, 1, 1-4)

Ainsi, un ambassadeur Grec est-il- introduit dans le sénat ?Il est assisté d'un interprète, sa harangue traduite en latin, on lui répond en latin... Cela est naturel.
Une ville reçoit-elle le droit de cité Romaine ? Elle réclame, comme signe extérieur de sa dignité, le droit de se servir du latin dans ses actes administratifs. Ainsi fait, en l’an 574 de Rome, la ville de Cumes, qui n’obtient pourtant du sénat la permission d’user de la langue latine que pour les actes publics et les ventes à l’encan.
En outre, tous les actes de la vie civile d’un citoyen, le mariage, l’adoption, le testament, la nomination d’un tuteur, l’émancipation, l'achat, la vente ne peuvent être accomplis que dans la langue légale, et avec certaines formules traditionnelles, que les jurisconsultes appellent verba legetima. Varron , dans son traité d’économie rurale, a soin de donner les formules employées dans l’achat de tous les animaux...
Voici en quels termes il faut acheter une chèvre, pour en être légalement propriétaire:
. «' Affirmez-vous que cette chèvre est en état de bien manger et de bien boire aujourd’hui, et qu’elle sera ma propriété légitime ? », à quoi le vendeur doit répondre : « Spondeo », je l’affirme.

Pendant longtemps, ces principes du gouvernement Romain sont l’objet d’une observance scrupuleuse. Un Grec, personnage considérable, institué juge de la province d’Achaïe par le gouvernement Romain, est soupçonné de ne pas savoir la langue latine ? Claude le raie du tableau. Un juge Lycien député à Rome reçoit le même traitement du même empereur, pour la même cause. Tout cela est logique. (évidemment que c'est logique les hommes de loi, les hauts-fonctionnaires et autres édiles si ils ne doivent pas être au-dessus des lois doivent être au fait des us et coutumes du pays où ils prétendent officier et d’aucune autre loi)

Mais à époque de l'expansion tentaculaire de l'Empire Romain (l'empereur Antonin le Pieux étend à tous les hommes libres de l'empire, le titre et les droits des Romains) la langue latine devenue insuffisante reste au-dessous des nécessités de son rôle de langue légale,
Alors, quelque étendu que soit le nombre d'interprètes autorisés, la langue latine ne peut suffire à la multiplicité infinie des contrats qui vont intervenir entre les nouveaux citoyens.
Où trouver en effet, dans la Gaule, en Espagne , dans les Pannonies, en Grèce , en Thrace, dans l’Asie Mineure, dans le Pont, en Syrie, en Égypte, en Afrique, assez de notaires sachant le latin pour rédiger les contrats en cette langue, assez de magistrats pour les apprécier ? où trouver, chez tant de peuples divers, parlant tant de langues différentes, assez de juges initiés aux arcanes du droit Romain, pour observer fidèlement ces formules sacramentelles, ces verbe légaux, sans lesquelles les contrats sont nuls ?

Bien évidemment, le gouvernement Romain, en donnant ces droits, ne peut plus imposer, pour les exercer, l’usage d’une langue inconnue dans des milliers de villages où les nouvelles franchises viennent de pénétrer.
Quel parti prendre, en présence d’une difficulté légale, qui menace d’arrêter dans toute l’étendue de l’empire l’activité des transactions ? Il n'y en a qu'un de raisonnable et de pratique, Papinien le suggère à Septime Sévère, il consistait à étendre aux grandes langues de l’empire, autres que le latin , le caractère de langue légale.
C’est ce qui est fait pendant que Papinien est préfet du prétoire, ce qui place la date de cette mesure vers l’année 193 de l'ère vulgaire.
IMPORTANCE DE L’HÉRITAGE DU NOM DU PÈRE  
Papinien commence donc la réforme, il l’aborde par le côté le plus simple, mais le plus irrésistible, par le côté des affaires quotidiennes et courantes, le contrat appelé par les Romains obligation verbale, « obligatio verborum ». C’est évidemment le plus ordinaire et le plus facile, puisqu’il s’opère de contractant à contractant, sans intervention de magistrat ou de notaire, et par un simple échange de mots précisés par la loi. (ils s'agit quand même de formulation contractuelles et cadrées),

Jusqu’à Septime Sévère, l’obligation verbale n’a pu être contractée qu’en latin, sur l'avis de Papinien, elle peut être contractée en grec. C’est un très-grand progrès, en raison du génie spécialement commercial de la nation Grecque, mais la porte de la réforme une fois entrebâillée pour le grec, le punique et le syriaque y passent.
Papinien, guidé par le bon sens pratique, justifie cette extension par l’intérêt d’ailleurs évident des transactions. (au nom du commerce on passe sous beaucoup de fourches caudines)
Ainsi, à la mort de Papinien, arrivée prématurément et tragiquement sous Caracalla, en 219, voilà déjà 3 langues étrangères, le grec, le punique et le syriaque, qui partagent avec le latin le caractère de langues légales.
Ces trois langues n’ont encore, il est vrai, qu’un pied dans la légalité, car elles ne peuvent servir qu’à la confection d’un contrat oral, mais l’élan est donné, et elles ne vont pas tarder à envahir le domaine des contrats écrits. (aujourd'hui nous sommes assujetti de plus en plus à l'anglais et même bien au-delà des simples contrats commerciaux puisque les programmes télés, les émissions, et autres médias s'expriment, en anglais)

ARC DE TRIOMPHE DE SEPTIME SÉVÈRE
C’est Ulpien, préfet du prétoire sous Alexandre Sévère, qui accomplit cette seconde partie de la réforme, et elle doit nous être particulièrement chère , car elle ajoute nominativement le gaulois à la liste des langues légales... De tous les contrats écrits, celui qui intéresse de la manière la plus directe et la plus intime la volonté du citoyen, c’est évidemment le fidéicommis... Imposer au testateur Grec, Gaulois, Espagnol, Arménien l’obligation décrire son fidéicommis en latin, c’est, dans presque tous les cas, l’obliger à appeler un notaire, un homme public lettré, et à lui exposer ses plus secrètes intentions... (ce serait de nos jours parfois nécessaire, pour éviter quelques déconvenues)

En législateur philosophe, Ulpien veut laisser son voile à la pensée du testateur, et il autorise désormais pour la rédaction du fidéicommis, au choix du testateur.
La révolution si résolument commencée va suivre sa marche victorieuse jusqu’au bout, mais constatons qu’à la mort d’Ulpien, massacré par les prétoriens, en l’année 228, les langues des quatre plus grands peuples soumis à la domination romaine, la langue grecque , la langue punique, la langue syriaque et la langue gauloise, reprennent des mains des empereurs le caractère national dont elles ont été dépouillées par la conquête.
Elles ne sont plus seulement langues usuelles et populaires, elles sont langues légales...
La translation du siège de l’empire à Constantinople, opérée en l’année 330, achève la ruine du latin comme langue légale exclusive, mais ce qu’il perd ne profite qu’à la langue grecque.

En accordant aux grandes langues de l’Europe la dignité et l’autorité officielles, Papinien et Ulpien se sont proposé de faciliter l'exercice des droits du citoyen et de seconder le développement des affaires : ils n'ont pas voulu affaiblir l’autorité centrale du gouvernement Romain.

Aussi la langue latine demeure-t-elle en possession de la matière des décrets. Mais il faut bien donner aux prêteurs des provinces d’Asie, où la langue grecque est plus répandue, la possibilité de se faire entendre de leurs administrés.
Pour atteindre ce but, une loi du 5 de janvier de l’année 397 autorise les magistrats à rendre leurs sentences en latin et en grec, et comme la loi est. donnée par Arcadius et par Honorius, elle est applicable aux deux empires...

Reste un dernier pas à faire, c’est d’enlever à la langue latine la possession exclusive de la matière si grave des testaments. Ce pas est fait, en Orient, par Théodose II, et par Valentinien III en Occident ...
Une loi commune aux 2 princes, de l'année 439, permet à tout le monde de tester en grec. Par une seconde loi de la même année les mêmes princes autorisent l’emploi de la langue grecque pour la nomination des tuteurs testamentaires, et par une 3e, ils permettent de faire aussi en grec l’affranchissement testamentaire des esclaves.
ULPIEN
On le voit, les empereurs qui suivent Alexandre Sévère n’ajoutent rien aux prérogatives qu’il a accordées nommément au punique, au syriaque, au gaulois, et en général à toutes les langues parlées dans l’empire... Le grec seul gagne les matières du décret et le domaine important des testaments, mais si les langues nationales de l’Europe et de l’Afrique ne font pas de conquêtes, elles ne font pas de pertes. Justinien consigne dans les Pandectes les décisions de Papinien et d’Ulpien établissant le caractère légal donné à ces langues, et, en les y consignant, il en renouvelle l’autorité.

Les testaments des citoyens Romains ne cessent d'être écrits en latin, dans l’Empire d’Occident, surtout dans les pays de la Gaule (où le Bréviaire d'Annien appelé aussi le bréviaire d'Alaric) perpétue la législation Romaine, et qui reçoivent de cette pratique le nom de pays de « Droit Écrit ».
Les notaires les traduisent verbalement en gaulois, lorsque les testateurs n’entendent pas le latin.
Dans un testament de l’an 1277, rapporté par Valbonais, Hisl. du. Dauphim‘, t. 2, preuves, p. 16, il est dit : - Item dicit quod testamentum hujus lundi fuit lectum de verbe ad verbum coram ipso domino de llello-vidcre, materna lingua expaaitum. (Il faudra attendre l'année 1539 et l'ordonnance de Villers-Cotterêts pour que François Ier exige que tout les actes notariés soient rédigés en français.)

A propos des idées politiques à Rome, on se concentre généralement sur les grands auteurs et les aristocrates, en partant du principe que le peuple n’a pendant longtemps guère d’idées, principalement mû par des considérations ethniques et religieuses, animé de préoccupations trop primitives et trop peu instruit pour défendre des idées politiques théoriques. Pourtant un peuple qui fait sécession 3 fois en un siècle pour obtenir des garanties juridiques si pertinentes qu’elles montrent une efficacité pluriséculaire face au pouvoir peut-il être considéré comme n’étant pas extrêmement, et intelligemment politisé ?

Qui est donc vraiment Ulpien ? Un très haut magistrat, et sur la fin premier conseiller de l’empereur, soit le 2e personnage de l’Empire en dignité et quelque chose comme le premier en pouvoir effectif, puisqu’ Alexandre Sévère n’a que 15 ans à la mort du jurisconsulte et sous son influence. Ceci dans un système politique dictatorial instable, souvent sanglant, dans lequel la compétence ne suffit pas pour faire carrière, il faut aussi savoir se placer et louvoyer. Selon Tony Honoré, il est ainsi partisan de l’idée d’un empereur unique au côté de l’aîné de Septime Sévère, Caracalla, ce qui lui évite le sort funeste de Papinien qui a pris le parti d’un régime à 2 empereurs, et donc de Geta, le cadet malheureux. Ulpien est un homme de pouvoir, sans doute très fortuné, un proche du régime impérial. Il est impliqué dans les assassinats de ses 2 collègues Flavianus et Chrestus qui lui permettent de se trouver seul préfet du prétoire. Il n’y a aucune raison de penser que l’arrivée d’un tel juriste à la tête de la garde prétorienne constitue une démilitarisation de sa direction, bien au contraire cela souligne une militarisation de la pensée juridique imprégnée de l’idée d’obéissance totale à l’imperator, comme en témoignent les célèbres formules d’Ulpien.
Là-dessus encore nous ne suivons pas Aldo Schiavone qui dit « nul besoin de surinterpréter le sens de sa mort tragique (assassiné par des prétoriens, sous les yeux du jeune empereur, à la fin de l’été 223 ou 228) pour percevoir que son engagement pour une présence « civile » (et respectueuse de la loi) au sommet de l’empire, contre la dérive de la toute-puissance militaire ».
Au contraire cela nous semble déjà une sur-interprétation fondée sur le présupposé de l’héroïsme juridique d’Ulpien.
Le fait qu’il se hisse à la tête du corps d’élite de l’armée montre bien plus la volonté du juriste d’utiliser la force coercitive de l’État impérial pour porter un ordre juridique total conforme à sa vision de la iustitia. Le contexte général du pouvoir Romain rend cette analyse beaucoup plus vraisemblable que celle faisant du jurisconsulte un chantre du respect du droit arrivé comme par enchantement à la tête d’un pouvoir dont il aurait désapprouvé profondément la nature.

Au printemps 223, Ulpien occupe seul (c’est à souligner) cette fonction de préfet du prétoire lors de la répression d’émeutes à Rome au cours de laquelle les prétoriens mettent le feu aux habitations. Sachant tout cela, comment pourrait-on penser que les mots suum cuique tribuere ont dans sa bouche le même sens que dans celle de Cicéron, l’avocat, l’homo novus qui, malgré ses compromissions, porte de vraies convictions républicaines, et périt sous le glaive des fondateurs de la dictature impériale ?

Certes, on ne trouve pas sous la plume d’Ulpien de négation des droits des individus : La iustitia, dit-il, est la constante et perpétuelle volonté de rendre à chacun son ius. Faut-il pour autant voir là une défense du ius dans son sens originel de liberté d’action garantie au citoyen ?
Certainement pas.
STATUE DE ULPIEN
Le contexte juridique, avec l’émergence de la distinction entre honestiores et humiliores, montre bien plutôt que l’isonomie est loin : Plus question de reconnaître à tout citoyen d’égales assurances face au pouvoir et devant les autres citoyens, il s’agit désormais pour le pouvoir de décider qui a droit à quoi... Les iura décrits par Michel Meslin découlent de l’ordre des choses, le fas, et sont par conséquent des droits préexistants (comme les droits naturels dans leur acception moderne), seulement reconnus par le pouvoir, notamment par la loi des Douze Tables, mais non concédés par lui. Le ius dont parle Ulpien est un droit non seulement reconnu par le pouvoir, mais déterminé par lui.
De la même façon que les formules absolutistes du Tyrien sont d’esprit exactement contraire à la volonté des rédacteurs de la loi des Douze Tables, préoccupés de limiter par la loi l’imperium du magistrat, sa définition du ius s’oppose intégralement à la conception des décemvirs.
L’inversion des valeurs est totale. En considérant l’histoire de Rome, les 3 siècles suivant la rédaction du texte fondateur du Droit Romain et les 3 qui suivent les enseignements d’Ulpien, on songe à ces mots de Montesquieu : « Ce n’est pas la Fortune qui domine le monde. On peut le demander aux Romains, qui ont une suite continuelle de prospérités quand ils se gouvernent sur un certain plan, et une suite non interrompue de revers lorsqu’ils se conduisent sur un autre ».

Nombreux sont dans l’Histoire les individus qui ont posé les pires actes de tyrannie au nom des droits de l’Homme :
[Robespierre, qui participe à l’élaboration de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, lui aussi juriste, n’en bafoue pas moins tous les généreux principes en prétendant, en toute sincérité, en poursuivre la réalisation...] Certes on trouve de belles intentions chez Ulpien, mais quels sont les résultats de sa doctrine, adoptée dans la durée par le pouvoir impérial comme en atteste sa place dans la loi des citations de 426. Deux siècles après la mort du jurisconsulte, puis sa prédominance au Digeste ? Certainement pas une amélioration générale de la condition du sujet de droit, bien plutôt un nivellement par le bas pour tous ceux qui ne font pas partie de la caste impériale des honestiores. Le colonat et l’attachement des ouvriers aux manufactures impériales représentent non une amélioration de la condition d’esclave, dont il paraît qu’ Ulpien se soucie de la dignité humaine, mais une détérioration de celle d’homme libre. Marcel Morabito a daté la crise de l’esclavage dans l’Empire au tournant du IIIe siècle : Il note qu’à ce moment la jurisprudence Romaine du Digeste relative à cette matière « diminue nettement d’intensité ». Guère étonnant si l’on songe qu’avec l’accroissement de la fiscalité, la multiplication des corvées et la dégradation du statut juridique du citoyen Romain, c’est l’essentiel de la population du monde Romain qui tombe progressivement dans la servitude. Il faut constater enfin que l’empereur Justinien, le commanditaire des grandes compilations de Droit Romain, qui font une telle place à Ulpien, est aussi l’auteur d’une des pires répressions politiques de toute l’histoire romaine : Selon Procope, ce sont plus de 30 000 individus qui sont massacrés pour mettre fin à la sédition Nika, soit 2 à 4 fois plus que le carnage de Thessalonique de 390.



Histoire des origines de la langue francaise
https://books.google.fr/books?id=ORLmlH6ExJsC
Granier de Cassagnac (M. A.) - 1872
En législateur philosophe, Ulpien voulut laisser son voile à la pensée du ... qu'à la mort d'Ulpien, massacré par les prétoriens, en l'année 228 de l'ère vulgaire, ...

228 — Wikipédia
https://fr.wikipedia.org/wiki/228
Cette page concerne l'année 228 du calendrier julien. Sommaire. [masquer]. 1 Événements; 2 ... Les prétoriens massacrent le juriste Ulpien, préfet du prétoire, qui voulait faire diminuer leurs privilèges. Des auteurs récents placent sa mort en ...


Nomen iuris est autem a iustitia appellatum. Ulpien, l'étymologie, l'idée ...
www.historionomie.com › Messages décembre 2015
12 déc. 2015 - Ulpien, l'étymologie, l'idée de justice dans la pensée juridique et politique de ... d'année dans la Revue Historique de Droit Français et Etranger, chez Dalloz. ...... 227-228. Il cite en référence les travaux d'Emile Benveniste, ...








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