jeudi 26 février 2015

EN REMONTANT LE TEMPS...812

 26 FÉVRIER 2015...

Cette page concerne l'année 812 du calendrier julien. Ceci est une évocation ponctuelle de l'année considérée il ne peut s'agir que d'un survol !

LES PREMIERS RAIDS DES MAURES ET DES SARRASINS SUR LES CÔTES NORD DE LA MEDITERRANEE.

Les débuts de la piraterie Andalouse en méditerranée occidentale (798-813)
par Pierre Guichard

La « piraterie sarrasine » représente certainement l'un des faits le moins connu de l'histoire de la Méditerranée médiévale. Comme les sources arabes sur le sujet semblent bien être pratiquement inexistantes, la question a surtout été abordée du point de vue des pays qui ont subi les méfaits des raids musulmans, par les auteurs qui se sont occupés de l'histoire des invasions, ou de celle des régions Méditerranéennes de l'Europe Occidentale.

Les hypothèses souvent fantaisistes d'érudits locaux, les synthèses prématurées d'historiens du siècle passé, et, jusqu'aux travaux archéologiques plus récents, enthousiastes mais insuffisamment assurés, ont jeté une sorte de discrédit sur l'histoire des incursions et des implantations Sarrasines. Le « tabou » qui, pèse sur le sujet, semble avoir touché même les recherches engagées au cours de la dernière décennie sur les épaves « sarrasines » découvertes le long des côtes Provençales, recherches qui se trouvent actuellement interrompues de façon tout à fait regrettable...

On trouve, chez les auteurs qui ont abordé la question, une grande diversité d'opinions sur l'ampleur et les conséquences mêmes de ces incursions Sarrasines. Pour certains, il s'agit de l'un des faits les plus importants de l'histoire de l'Europe Méridionale.
Les travaux les plus récents, orientés vers l'histoire sociale, donnent au contraire l'impression de considérer le fait Sarrasin comme extérieur aux régions étudiées pour avoir, par lui-même, influencé profondément leur évolution.
Pour eux, la piraterie s'insère dans une phase de désorganisation généralisée, dont elle profite sans en être la cause.
L'étude la plus précise est celle de Jean-Pierre Poly qui oppose nettement les incursions du IXe siècle, qui affectent principalement les cités de la Provence Occidentale et la région du Bas-Rhône, à l'implantation à demeure du Xe siècle, au cours de laquelle pillages et dévastations restent limités à la Provence Orientale, avant que le vide de cette dernière région n'oblige les pillards à chercher jusque dans les Alpes de nouvelles sources de profits.

La mer Tyrrhénienne est tout entière au pouvoir des Sarrasins. Par l'Afrique et l'Espagne, ils l'enserrent au sud et à l'ouest, en même temps que la possession des îles Baléares, de la Corse, de la Sardaigne et de la Sicile leur constitue des bases navales qui achèvent de resserrer sur elle leur maîtrise. A partir du commencement du VIIIe siècle, c'en est fait du commerce Européen dans ce grand quadrilatère maritime.
Le mouvement économique y est maintenant orienté vers Bagdad. Les Chrétiens, dit pittoresquement Ibn Khaldoun, « ne peuvent plus y faire flotter une planche ». Dans un bref article qui est un modèle de précision, Ganshof a montré que les relations maritimes des ports Provençaux ne se sont pas totalement interrompues à l'époque Carolingienne.

Sans doute la pauvreté des sources a-t-elle découragé les historiens. Le panorama n'est cependant pas, pour cette première période, aussi sombre que pour le Xe siècle, et, de la confrontation des textes Carolingiens avec les renseignements qu'apportent les chroniques arabes sur la situation de l'Occident musulman à l'époque des premiers raids de piraterie sarrasine, on peut tirer quelques hypothèses sur les origines du phénomène et tenter de mieux cerner sa chronologie.

Il semble que l'on puisse admettre un affaiblissement continu des échanges en Méditerranée à partir de la basse romanité, conduisant à une situation très dégradée au VIIe siècle, bien avant que ne se produise la poussée musulmane sur les bords méridionaux de la mer. A l'appui de cette hypothèse, on peut rappeler le fait que les références à ces communautés d'Orientaux qui, au lendemain de la disparition de l'Empire en Occident, ont continué à maintenir des liens commerciaux avec l’Égypte, la Syrie et Byzance, ne dépassent guère le début du VIIe siècle.
On peut penser que cette contradiction du grand commerce intra-méditerranéen est provoquée par un jeu complexe de facteurs parmi lesquels il faut compter la régression technique liée au déclin de la civilisation romaine, l'évolution des sociétés occidentales vers une structure proto-féodale et une ruralisation généralisée, et le déplacement des centres du pouvoir politique et des foyers de civilisation les plus vivants hors de l'aire méditerranéenne. A cette évolution est sans doute liée l'interruption de monnayage d'or, assez tôt dans la Gaule Franque, et dans la première moitié du VIIIe siècle dans l'Espagne tout juste conquise par les Musulmans.
Il faut cependant admettre que notre point de vue se trouve faussé du fait de la grande pauvreté des sources dont l'indigence nous empêche de savoir comment se fait la transition des réseaux d'échanges intra-méditerranéens de tradition Romaine à ceux de l'époque Carolingienne, qui paraissent assez largement réorientés en fonction d'une certaine demande d'esclaves en particulier provenant des zones occupées par les Musulmans. A la fin du VIIIe et au début du IXe siècle, il apparaît nettement que les échanges entre l'aire Byzantine, musulmane et le monde Carolingien n'utilisent la Méditerranée que lorsque la voie maritime ne peut être évitée, aux points de passage obligés que sont l'Adriatique, la Méditerranée centrale entre Sicile et Ifrîqiya, le détroit de Gibraltar. On ne saurait en effet trop insister sur le caractère essentiellement continental des empires Franc et Islamique qui, au IXe siècle, ne présentent que des façades méditerranéennes économiquement inertes en comparaison des zones intérieures nettement plus actives.

Les expéditions maritimes musulmanes jusqu'au milieu du VIIIe siècle. C'est donc autour d'un espace maritime déjà largement déserté par les marchands que se fait en Occident la progression de l'Islam à partir de la fin du VIIe siècle. Il est probable que, dans un premier temps du moins, le bouleversement politique que représente la conquête musulmane ne fait qu'aggraver la tendance préexistante, moins du fait des activités maritimes des musulmans qu'à cause du caractère essentiellement militaire des contacts avec les Francs. La première phase d'expansion navale musulmane en Occident est assez bien connue, grâce aux chroniques arabes. Elle débute assez tôt par d'ambitieuses expéditions maritimes menées depuis l'Orient d'abord contre la Sicile, clé du dispositif Byzantin en Méditerranée, contre laquelle un premier raid est mené dès 652.
L'une de ces expéditions a même atteint les côtes Espagnoles entre 672 et 680. Mais c'est surtout après la création de l'arsenal de Tunis, à l'extrême fin du siècle, qu'un effort naval systématique est poursuivi, visant principalement la Sicile et secondairement la Sardaigne et les Baléares, sous forme de grandes flottes presque annuelles dont on peut se demander si elles ont pour but la conquête ou simplement le butin.

Il n'y a donc aucune continuité chronologique entre la première offensive navale musulmane, qui s'achève en 752, et la « piraterie Sarrasine » du IXe siècle. Cependant, ainsi que le note avec raison Lucien Musset, « l'historiographie distingue souvent mal les deux phases successives de l'expansion islamique dans le bassin occidental de la Méditerranée ». La confusion remonte au moins à Pirenne, dont les écrits laissent nettement l'impression d'une suite ininterrompue de raids musulmans terrestres et maritimes dans les pays de la Méditerranée occidentale et surtout sur les côtes Franques.
Pour lui, l'expulsion définitive des musulmans de Narbonnaise (759) est suivie, presque sans discontinuité, par des menaces ou attaques maritimes :
Ainsi, en 768, les Maures ont inquiété les environs de Marseille.
Les côtes Italiennes en 778.
La Septimanie en 793.

Lewis, qui pourtant marque plus nettement que Pirenne le recul temporaire de l'Islam en Méditerranée centrale après la première poussée antérieure à 752, et en attribue le mérite au renforcement de la défense Byzantine, n'introduit pas la même rupture dans la partie Franco-Ibérique de la mer.
Pour lui, cette zone est précisément l'une des rares régions où la suprématie maritime restaurée par Byzance ne s'exerce pas, et où «  une force navale organisée de façon purement locale », basée dans les ports de la zone littorale d'Al-Andalus entre Tarragone et Tortosa, a eu pour mission de défendre les marches nord-orientales de l’État Omeyyade contre la menace Carolingienne. Il admet d'ailleurs que cette marine est peu active, ne se livrant qu'à un petit nombre d'actions comme celles de 768, 778 et 793 déjà signalées par Pirenne.

Le dernier en date des auteurs à avoir étudié l'histoire maritime de cette région au cours de cette période, Eickhoff, reste plus discret et moins précis sur les événements qui se déroulent dans cette partie de la Méditerranée.
Il leur consacre tout de même un court paragraphe où il signale, de façon un peu vague, les raids des « corsaires omeyyades » qui, partis de l'actuelle Catalogne, ont atteint Narbonne et Marseille, dans le cadre d'une sorte de guérilla de frontière entre Omeyyades et Carolingiens...

Les premiers textes Carolingiens qui mentionnent effectivement une expédition navale musulmane en Méditerranée Occidentale concernent l'attaque menée contre les Baléares en 798 et 799.
Les Annales royales indiquent en effet, sous la première de ces deux années, que « les îles Baléares sont pillées par les Maures et les Sarrasins ». Sous l'année suivante, il est dit que les habitants des îles demandent du secours aux Francs, qui leur envoient des renforts et ont remporté quelques succès puisque des emblèmes Sarrasins sont apportés à Charlemagne.

Ces brèves données sont notre seule source d'information sur ce qui semble avoir été une tentative musulmane pour occuper les Baléares, et qui paraît avoir eu une certaine envergure, compte tenu de la durée que lui attribue la chronique et de l'importance qu'elle lui donne.

SARDAIGNE
Les sources Hispano-Arabes sont au contraire absolument muettes sur cet événement, ce qui peut être dû en partie au fait que l'opération soit un échec, mais sans doute aussi à son caractère non officiel, à une époque où les seules sources d'information sont constituées par des chroniques dérivant en général d'annales rédigées dans l'entourage des émirs de Cordoue....

En 798 - 800, précisément, le contrôle des régions orientales, d'où partent sans doute les navires musulmans, lui échappe très largement. L'émir al-Hakam 1er, qui a accédé au pouvoir en 796, se trouve en effet en pleine lutte contre ses oncles, Sulaymân et 'Abd Allah, frères de son père et prédécesseur Hisham 1er et, comme ce dernier, fils du premier Omeyyade de Cordoue, 'Abd al-Rahmân 1er.
Ces deux princes, déjà rebelles à l'autorité de leur frère Hishâm, ont dû s'exiler au Maghreb sous son règne et sont revenus tenter de renverser leur neveu à l'accession de celui-ci en avril 796. 'Abd Allah, le cadet, est arrivé le premier dans le courant de la même année et s'est établi dans la région de Valence. De là, il a entrepris en 797 un voyage de propagande qui, par la Marche supérieure (la vallée de l'Ebre) l'amène jusqu'à la cour de Charlemagne en qui il espère trouver un allié.
Revenu dans la Marche avant la fin de l'année 797, 'Abd Allah continue à intriguer contre son neveu.
Au début de 798 probablement, son frère Sulaymân amène à son tour des renforts maghrébins dans la péninsule et s'établit dans la région orientale d'où, à partir de la fin de l'année, il organise plusieurs attaques contre l'Andalousie.

C'est donc précisément pendant ces quelques années au cours desquelles d'importants moyens navals et militaires rebelles se trouvent concentrés sur la côte orientale de l'Espagne que se produit l'attaque des Baléares, difficilement explicable en l'absence d'une telle « mobilisation ». On peut penser que, peut-être pour s'assurer une position de repli, ou dans l'espoir de faire du butin, les chefs des troupes et des navires ainsi rassemblés ont décidé cette opération...

Il n'existe évidemment pas de preuve décisive susceptible de confirmer cette hypothèse, mais peut-être une vérification indirecte est-elle apportée par le vocabulaire qu'utilisent les textes Carolingiens pour désigner les auteurs de l'agression contre les Baléares.
Il y a en effet une coïncidence entre les sources arabes, qui indiquent que les forces rassemblées par les chefs rebelles sont constituées essentiellement de Berbères recrutés au Maghreb ou dans la région levantine, et les sources latines qui, alors qu'elles emploient constamment le terme de Sarraceni pour désigner les Musulmans d'Espagne, utilisent pour la première fois le mot Mauri à propos de l'attaque de 798 - 799.

Or, une étude attentive de la terminologie utilisée par les chroniqueurs du VIIIe siècle et du début du IXe montre que ces termes sont loin d'être employés au hasard et indifféremment : le premier désigne les Arabes venus d'Orient, et le second les Berbères venus de l'ancienne Maurétanie Romaine. Il est donc remarquable que les sources Franques de cette époque parlent toujours de Sarraceni lorsqu'elles mentionnent les Musulmans d'Espagne ou d'Afrique avec lesquels sont entretenus des rapports militaires ou diplomatiques, mais utilisent constamment Mauri pour désigner les auteurs des raids maritimes venus d'Espagne et sans doute aussi du Maghreb Occidental .

L'attaque de 798 marque en effet le début d'une première série d'expéditions plus lointaines, atteignant essentiellement les autres îles de la Méditerranée, qui ne nous sont toujours connues que par les chroniques Franques et les lettres pontificales...

Les premières indications concernent la présence des Sarrasins en Corse dans les années 806 et 807, mais elles font état, indirectement, de leur apparition dans les eaux Provençales et Italiennes dès les années antérieures et sans doute peu de temps après le raid contre les Baléares.

En 806, en effet, le roi Pépin envoie d'Italie une flotte pour défendre la Corse « contre les Maures qui la dévastent », ce que voyant, les agresseurs se retirent sans grand dommage pour les Franco-Italiens qui n'ont à déplorer que la mort du comte de Gênes qui s'est imprudemment aventuré.

Ce bref récit des événements suggère qu'il s'agit d'une mise en défense à la suite d'attaques antérieures, ce que confirme la notice de l'année 807, qui indique que l'Empereur lui-même envoie alors une autre flotte avec, à sa tête, le connétable Burchard, afin de protéger l'île contre les Maures « qui ont pris l'habitude de venir la piller les années précédentes ». Le texte revient sur cette précision en indiquant que ces Maures, « partis d'Espagne selon leur habitude », s'en prennent en premier lieu à la Sardaigne où ils sont durement accrochés par les indigènes avant de venir se heurter à la flotte Carolingienne qui les vainc à son tour et leur fait perdre 13 navires.
Un détail intéressant est encore apporté par la suite du texte :
Les Maures eux-mêmes ont reconnu que leurs revers de cette année sont dû au fait qu'ils ont, l'année précédente, au mépris de toute justice, enlevé et vendu comme esclaves en Espagne, 60 moines de Pantelleria, qui ont été rachetés et restitués à leur pays grâce à la libéralité de Charlemagne.

Les pirates de 806 sont donc arrivés jusqu'aux abords de la Sicile. Une continuité paraît établie entre les raids successifs, tant par ces détails que par l'utilisation constante du terme « Mauri », déjà relevé à propos de l'attaque contre les Baléares.
On constate par ailleurs que l'origine Hispanique de ces flottes est signalée à plusieurs reprises. L'impression qui se dégage de ces textes est qu'il ne s'agit pas d'une piraterie anarchique engageant des effectifs dispersés, mais d'expéditions importantes, vraisemblablement concertées sous une direction unique.

Ces raids se poursuivent au cours des années suivantes :
En 809, les mêmes Maures d'Espagne attaquent une cité de Corse, la mettent à sac et s'emparent de la plus grande partie de la population .

En 810, ayant rassemblé « une grande flotte de presque toute l'Espagne », ils s'en prennent d'abord à la Sardaigne, puis à la Corse où, n'ayant pas rencontré de défense, ils dévastent l'île à loisir et peut-être s'y établissent à demeure.

En 812, se répand le bruit de la venue d'une flotte Andalouse et Africaine ayant pour but l'Italie. Les Annales Carolingiennes indiquent seulement une attaque de cette flotte contre la Corse et la Sardaigne, mais une lettre du pape à Charlemagne mentionne, la même année, des préparatifs Byzantins en Sicile destinés à parer une menace des « Agarènes », ainsi que des raids contre les îles de Lampedusa, Ponza et Ischia qui sont imputés à des Maures. Il semble bien qu'il s'agisse de la même flotte, d'autant plus que le pape conclut sa lettre en indiquant que, grâce aux mesures prises par l'Empereur, le territoire pontifical n'a pas eu à souffrir d'incursions musulmanes, ce qui paraît indiquer qu'une même menace avait pesé sur toute l'Italie.

L'année suivante (813), des Maures revenant de Corse en Espagne chargés de butin sont attaqués près de Majorque par le comte d'Ampurias, qui leur prend 8 navires où l'on trouve plus de 500 esclaves. C'est au désir de venger cet échec que la chronique Carolingienne attribue l'attaque et le pillage par les Maures de Civitacecchia (Centumcellae) et de Nice, précisant en outre qu'ils sont la même année vaincus en Sardaigne, où ils subissent de lourdes pertes. Une autre lettre pontificale fait état, la même année, d'un raid contre la région de Reggio, et du désastre subi par une grande flotte qui se dirige vers la Sardaigne.
Il est difficile de voir dans ces raids successifs l'expression de la politique officielle de l'émirat omeyyade de Cordoue. On l'a constaté pour la tentative contre les Baléares, qui a certainement été organisée en dehors de toute initiative Cordouane. On pourrait sans doute penser que les attaques des années 806 - 809 sont à situer dans le contexte du conflit armé qui se déroule alors entre l'Empire et l'émirat pour la possession de Tortosa.
Mais il convient de se demander si ce ne sont pas plutôt les premières initiatives des « pirates » musulmans en Méditerranée Occidentale qui provoquent l'offensive Carolingienne dans les régions côtières, conduisant à l'attaque et à la prise de Barcelone en 801 et à plusieurs tentatives infructueuses pour s'emparer de Tortosa. Il semble en effet qu'avant l'apparition d'une menace musulmane sur mer, l'effort militaire Carolingien dans la Marche a surtout tendu à une avancée vers les zones intérieures de Lérida et Huesca, en direction de la vallée de l'Ebre.

Entre 810 et 813, en tout cas, les sources Carolingiennes témoignent plutôt de la volonté de paix de l'émir de Cordoue, peu compatible avec le déclenchement des grandes expéditions maritimes de ces années. On n'oubliera pas d'autre part que jusque vers 823 - 824 une partie des zones Levantines semble avoir continué à échapper au contrôle direct de l'émirat du fait de la prépondérance que semble avoir conservée dans cette région l'oncle de l'émir al-Hakam 1er, 'Abd Allah « le Valencien ». Les origines Berbères de la majorité des musulmans établis dans cette partie de la péninsule peuvent expliquer aussi bien le terme de Mauri, que les sources occidentales continuent à utiliser pour désigner les pirates musulmans, que le fait que certaines expéditions semblent avoir été organisées conjointement par des Andalous et par des Africains. Quant aux objectifs de ces pirates, il semble bien que l'on puisse déduire des trop brèves informations que nous fournissent les textes Carolingiens qu'ils consistent principalement en la capture d'esclaves, « marchandise » particulièrement demandée dès cette époque dans tout le monde musulman que les trafics commerciaux existants dans le monde Méditerranéen ne doivent pas fournir en nombre suffisant.

Comme on a pu le constater plus haut, les sources Carolingiennes et pontificales font état, à la fin de la première décennie du IXe siècle et au début de la seconde, d'une aggravation et d'une accélération des attaques des Maures d'Espagne, devenues pratiquement annuelles après 809.
Sans pouvoir en fournir la preuve documentaire, on peut penser que ces « pirates » viennent principalement de la côte Levantine de la péninsule Ibérique, entre Tortosa et Alicante, région qui paraît avoir joui à cette époque d'une sorte d'autonomie de fait, sous l'autorité probablement assez nominale de 'Abd Allah al-Balansî.
A Tortosa même, on trouve à cette époque un gouverneur omeyyade, 'Ubaydûn, mentionné à la fois par les sources Franques et par les textes arabes. C'est lui qui dirige la résistance militaire à la poussée Carolingienne dans cette région autour de 809, vraisemblablement avec l'aide de 'Abd Allah al-Balansî et des Berbères établis dans la région de Valence. Les sources Franques font d'ailleurs ressortir de façon significative le rôle de ces Mauri dans les opérations militaires qui les opposent aux musulmans lors des tentatives de conquête de Tortosa. C'est sans doute le même élément ethnique maure qui joue un rôle prépondérant dans les raids maritimes contre la Corse, la Sardaigne et les côtes Italiennes et Provençales. Le seul chef « pirate » dont le nom nous soit connu à cette époque est celui d'un Berbère originaire probablement de la région de Valence qui, une quinzaine d'années plus tard, part de Tortosa avec une flotte destinée à faire le djihâd contre les Chrétiens et vient aider les troupes Aghlabides à conquérir la Sicile. Ces Berbères sont probablement en relation avec leurs frères du Maghreb, ce qui explique le caractère Hispano-Maghrébin des dernières grandes expéditions maritimes...
Les Maghrébins qui participent aux côtés des Andalous aux raids contre les îles et les côtes chrétiennes viennent sans doute, ainsi que l'a montré Mohamed Talbi, plutôt du Maghreb extrême (le Maroc actuel) que d'Ifriqîya. Probablement du petit émirat de Nakur et de l’État Idrisside dont la situation intérieure, pendant la minorité d'Idris II et au début du gouvernement personnel de celui-ci, paraît avoir été fort troublée.

C'est en 809 qu'Idriss II fonde sa nouvelle capitale de al-'Aliya, symbole de sa volonté de restauration du pouvoir sultanien au Maroc, et c'est probablement à la même époque qu'il faut situer ses efforts pour soumettre les tribus Berbères dissidentes. De cette restauration du pouvoir dans cette partie du Maghreb témoigne l'ouverture diplomatique qu'Idriss II a tentée en direction de Byzance, événement dont nous avons connaissance par une lettre du pape à Charlemagne, datée de 813, qui informe ce dernier de la venue, auprès du
patrice de Sicile, d'ambassadeurs Sarrasins qui semblent bien, d'après leurs propos, ne pouvoir être que des Idrissides, chargés de négocier une paix, et même une sorte d'alliance. Ces envoyés se sont excusés implicitement de la participation de Maghrébins aux entreprises de piraterie maritime, en faisant état de la situation d'anarchie dans laquelle leur pays s'est trouvé pendant la minorité de leur souverain. Ils ont obtenu la signature d'une paix de 10 ans, insistant cependant sur le fait qu'ils ne peuvent répondre des Espagnols qui ne dépendent pas de leur souverain.

La chronologie des rapports entre les Francs et l'émirat de Cordoue au cours de ces années est très difficile à établir. D'après le texte, malheureusement perdu, du Muqtabis d'Ibn Hayyân, il y a eu des ouvertures de paix en 807, mais peut- être s'agit-il d'une erreur du chroniqueur, dont la chronologie semble, en ce qui concerne les rapports avec les Francs, assez sujette à caution. Mieux assurée est la date de 809 pour l'importante campagne entreprise par Louis d'Aquitaine contre Tortosa. Les explications embrouillées de la chronique Franque dite « de l'astronome » confirment les indications du Bayân al-Mughrib, selon lequel les troupes levées dans la région par le gouverneur de Tortosa 'Ubaydûn et celles amenées en renfort par le prince héritier 'Abd al-Rahmân infligent de sérieux revers aux Francs. L'émir al-Hakam ne devait pas souhaiter ajouter aux difficultés intérieures de ses États une guerre sur la frontière carolingienne, ce qui pourrait expliquer la mention, dans les annales d'Eginhard, d'une paix conclue en 810.

Ni la paix de 812, ni les accords intervenus l'année suivante entre les Idrissides et les Byzantins ne marquent la fin immédiate des activités des Maures, puisque en l'année 813 on voit encore se produire plusieurs incidents sérieux, ainsi qu'on l'a vu plus haut. Il semble bien, toutefois, que les « pirates », passée la surprise des premiers raids, se soient heurtés à une résistance de plus en plus organisée.
On peut penser aussi que leurs activités incontrôlées n'agréent pas plus à l'émir de Cordoue qu'au souverain idrisside de Fès. C'est peut-être à une conjoncture moins favorable en Méditerranée Occidentale qu'il faut attribuer la brusque interruption de leurs attaques en Occident et le déplacement de celles-ci vers le bassin oriental de la Méditerranée.

A partir de l'année 814, les annales Carolingiennes, qui ne sont pourtant pas moins détaillées qu'auparavant, au contraire, cessent en effet totalement de mentionner des attaques maritimes semblables à celles qui sont devenues habituelles au cours de la période précédente. Les quelques indications que l'on a, généralement interprétées comme témoignant de la poursuite des activités des « pirates sarrasins » pendant ces années, contrastent, par leur caractère peu explicite, avec les notices relativement fournies des années 806-813. En 815, une ambassade Sarde vient à la cour de Louis le Pieux, mais le texte des annales n'indique pas que ce fait soit en rapport avec une menace musulmane.
On a simplement voulu exposer un certain nombre de constatations, tenant d'une part à la chronologie des raids de la fin du VIIIe et du début du IXe siècle, en fonction des événements qui affectent alors les régions du monde musulman occidental, et d'autre part au vocabulaire utilisé par les sources Carolingiennes lorsqu'elles mentionnent les musulmans qui participent aux expéditions maritimes des années 798-813.

Cette chronologie paraît déterminée par deux événements qui, eux, ont laissé des traces dans les sources arabes : D'une part la première attaque, celle contre les Baléares, coïncide exactement avec la concentration, sur les côtes orientales de la péninsule Ibérique, d'importants moyens en navires et en hommes amenés du Maghreb et recrutés sur place par les princes omeyyades Sulaymân et 'Abd Allah, révoltés contre leur neveu, l'émir al-Hakam de Cordoue, D'autre part, la fin des raids enregistrés par les sources Carolingiennes est suivie immédiatement par l'apparition, en Méditerranée Orientale, de la flotte des pirates Andalous qui s'emparent pour quelques années d'Alexandrie et se lancent dans des expéditions de pillage contre les îles Grecques, puis se rendent maîtres de la Crète à partir de 827. La dernière constatation concerne l'appellation de Mauri systématiquement appliquée par les sources Carolingiennes aux « pirates » responsables des raids contre les côtes et les îles, alors que ces mêmes sources désignent les Arabes d'Espagne ou d'Afrique par le terme de Sarraceni. Dans le latin de cette époque, le mot maurus conserve bien son sens étymologique d'habitants ou originaires des anciennes provinces romaines de Maurétanie, c'est-à-dire de la partie occidentale du Maghreb, approximativement du Maroc et de l'Algérie Occidentale.
Il faut rapprocher cette indication de l'origine probable des contingents qui participèrent aux attaques des années 798 à 813 contre les Baléares, la Corse et la Sardaigne, les îles Italiennes et quelques points des côtes Carolingiennes. Ils viennent sans doute pour une part du littoral du Maghreb extrême, mais surtout du Levant Espagnol, région fortement berbérisée au cours des VIIIe et IXe siècles. Les quelques indices un peu plus précis concernant l'origine géographique ou ethnique des pirates Maures dans la première moitié du VIIIe siècle vont dans le même sens. Cela n'exclut évidemment pas la participation probable de cadres arabes ou d'éléments Hispaniques indigènes à ces entreprises, mais il semble bien que la majorité des participants aient été des Berbères, qui ont formé par ailleurs une part importante du matériel humain de la conquête en Espagne et en Gaule.


Persée : Les débuts de la piraterie andalouse en ...
www.persee.fr/web/.../remmm_0035-1474_1983_num_35_1_1981
de P Guichard - ‎1983 - ‎Cité 12 fois - ‎Autres articles
Revue de l'Occident Musulman et de la Méditerranée, 35, 1983-1. ..... En 812, se répand le bruit de la venue d'une flotte an- dalouse et africaine ayant ... menace des «Agarènes», ainsi que des raids contre les îles de Lampedusa, Ponza et ...

Islam en Italie — Wikipédia
fr.wikipedia.org/wiki/Islam_en_Italie
Aujourd'hui il y a près d'un million de musulmans en Italie. ... Les raids de 733 et 734 sont cependant mieux contenus par les Byzantins. ... En 812, le fils d'Ibrahim, Abd'Allah I lance une flotte pour conquérir la Sicile mais les navires ... non sans avoir conquis l'île de Lampedusa, de Ponza et de Ischia en Mer Tyrrhénienne.

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