Cette
page concerne l'année 577 du calendrier julien. Ceci est une
évocation ponctuelle de l'année considérée il ne peut s'agir que
d'un survol !
SELON
QUE VOUS SEREZ PUISSANT OU MISERABLE,
LES
JUGEMENTS DECOURVOUS RENDRONT BLANC OU NOIR. (Jean de la Fontaine)
FREDEGONDE |
Sa
façade orientale borde la voie romaine qui, partant du petit pont de
la Cité , se dirige vers le midi. Devant la principale entrée, une
autre voie romaine, tracée vers l’orient, mais tournant ensuite au
sud-est, conduit, à travers des champs de vigne, sur le plateau le
plus élevé de la colline méridionale. Là se trouve une église
dédiée aux apôtres Saint Pierre et Saint Paul, et qui est choisie
pour salle d’audience synodale, probablement à cause de sa
proximité de l’habitation royale et du cantonnement des troupes.
Cette église, bâtie depuis un demi-siècle, renferme les tombeaux
du roi Chlodowig, de la reine Chlothilde et de Sainte Ghenovefe ou
Geneviève. Chlodowig en a ordonné la construction, à la prière de
Chlothilde , au moment de son départ pour la guerre contre les
Wisigoths, arrivé sur le terrain désigné, il a lancé sa hache
droit devant lui, afin qu’un jour on puisse mesurer la force et la
portée de son bras par la longueur de l’édifice... C’est une de
ces basiliques du Ve et du VIe siècle, plus remarquables par la
richesse de leur décoration que par la grandeur de leurs proportions
architectural, ornées à l’intérieur de colonnes de marbre, de
mosaïques et de lambris peints et dorés, et à l’extérieur d’un
toit de cuivre et d’un portique. Le portique de l’église Saint
Pierre consiste en 3 galeries, l’une appliquée à la face
antérieure du bâtiment, et les deux autres formant de chaque côté
des ailes saillantes en guise de fer a cheval. Ces galeries, dans
toute leur longueur, sont décorées de peintures à fresques
divisées en 4 grands compartiments, et représentant les 4 phalanges
des saints de l’ancienne et de la nouvelle loi, les patriarches,
les prophètes, les martyrs et les confesseurs.
Tels
sont les détails que fournissent les documents originaux sur le lieu
où s’assemble ce concile, le 5e de ceux qui ont été tenus à
Paris.
Au
jour fixé par les lettres de convocation, 45 évêques se réunissent
dans la basilique de Saint-Pierre.
Le
roi vient, de son côté, à l'église il y entre accompagné de
quelques uns de ses leudes armés seulement de leurs épées, et la
foule des Francs, en complet équipage de guerre, s’arrête sous le
portique, dont elle occupe toutes les avenues.
GRÉGOIRE DE TOUR |
Les
membres du synode, venus soit des villes qui forment primitivement le
partage du roi Hilperik, soit de celles qu’il a conquises depuis la
mort de son frère, sont en partie Gaulois et en partie Francs
d’origine.
Parmi
les premiers, de beaucoup les plus nombreux, se trouvent Grégoire,
évêque de Tours - Félix de Nantes - Domnolus du Mans - Honoratus
d’Amiens - Ætherius de Lisieux et Pappolus de Chartres.
Parmi
les autres on voit Raghenemod évêque de Paris - Leudowald de Bayeux
- Romahaire de Contance - Marowig de Poitiers - Malulf de Senlis et
Berthramn de Bordeaux ce dernier est, à ce qu’il semble, honoré
par ses collègues de la dignité et des fonctions de président.
C'est un homme de haute naissance, proche parent des rois par sa mère
Ingheltrude, et devant à cette parenté un immense crédit et de
grandes richesses. Il affecte la politesse et l’élégance des
mœurs romaines, il aime à se montrer en public dans un char à
quatre chevaux, escorté par les jeunes clercs de son église, comme
un patron entouré de ses clients, à ce goût pour le luxe et la
pompe sénatoriale, l’évêque Berthramn joint le goût de la
poésie et compose des épigrammes latines qu’il offre avec
assurance à l’admiration des connaisseurs, quoiqu’elles soient
pleines de vers pillés et de fautes contre la mesure... Plus
insinuant et plus adroit que ne le sont d’ordinaire les gens de
race germanique, il a conservé de leur caractère le penchant à la
débauche sans pudeur et sans retenue.
A
l’exemple des rois ses parents, il prend des servantes pour
concubines, et, non content de cela, il cherche des maîtresses parmi
les femmes mariées. Il passe pour entretenir un commerce adultère
avec la reine Fredegonde, (c'est vraiment une
très charmante personne que cette reine) et soit pour cette
raison, soit pour une autre cause, il a épousé, « de la
manière la plus vive », les ressentiments de cette reine
contre l’évêque de Rouen.
En
général, les prélats d’origine Franque, peut-être par
l’habitude du vasselage, inclinent a donner gain de cause au roi en
sacrifiant leur collègue.
Les
évêques romains ont plus de sympathie pour l’accusé, plus de
sentiment de la justice et de respect pour la dignité de leur ordre
, mais ils sont effrayés par l’appareil militaire dont le roi
Hilperik s’entoure, et surtout par la présence de Fredegonde, qui,
se défiant, comme toujours de l’habileté de son mari, est venue
travailler elle-même à l’accomplissement de sa vengeance...
Lorsque
l’accusé a été introduit, et que l’audience est ouverte, le
roi se lève, et, au lieu de s’adresser aux juges, apostrophant
brusquement son adversaire : « Évêque, lui dit-il,
comment t’es-tu avisé de marier mon ennemi Merovée, (lequel est
aussi mon fils) avec sa tante, je veux dire avec la femme de son
oncle ?
Est-ce
que tu ignore ce que les décrets des canons ordonnent à cet égard ?
Et
non seulement tu es convaincu d’avoir failli en cela, mais encore
tu as comploté avec celui dont je parle, et distribué des présents
pour me faire assassiner.
2 DES 300 ABEILLES DU TRÉSOR DE BRUNEHAULT |
A
la voix du roi qui se dit trahi, cette multitude armée répond
aussitôt par un murmure d’indignation et par des cris de mort
contre le traître, puis, s’exaltant jusqu’à la fureur, elle se
met en devoir d’enfoncer les portes pour faire irruption dans
l’église et en arracher l’évêque, afin de le lapider...
Les
membres du concile, épouvantés par ce tumulte inattendu, quittent
leurs places, et il faut que le roi lui-même se porte au-devant des
assaillants pour les apaiser et les faire rentrer dans l’ordre.
L’assemblée
ayant repris assez de calme pour que l’audience continue, la parole
est donnée à l’évêque de Rouen pour sa justification.
Il
ne lui est pas possible de se disculper d’avoir enfreint les lois
canoniques dans la célébration du mariage, mais il nie formellement
les faits de complot et de trahison que le roi vient de lui imputer.
Alors Hilperik annonce qu’il a des témoins à faire entendre, et
ordonne qu’ils soient introduits.
Plusieurs
hommes d’origine Franque apparaissent, tenant à la main différents
objets de prix qu’ils mettent sous les yeux de l’accusé en lui
disant : « reconnaît-tu ceci ?
Voilà
ce que tu nous as donné pour que nous promettions fidélité « à
Merovée »
L’évêque,
sans se déconcerter, réplique :
«
Vous dites vrai, je vous ai fait plus d’une fois des présents,
mais ce n’est pas afin que le roi soit chassé de son royaume.
Quand vous veniez m’offrir un beau cheval ou quelque autre chose,
pouvais-je me dispenser de me montrer aussi généreux que
vous-mêmes, et de vous rendre don pour don ? »
Il
y a bien sous cette réponse un peu de réticence, quelque sincère
qu’elle soit d’ailleurs, mais la réalité d’une proposition de
complot ne peut être établie par des témoignages valables. La
suite des débats n’amène aucune preuve à la charge de l’accusé,
et le roi, mécontent du peu de succès de cette première tentative,
fait lever la séance, sort de l’église pour retourner à son
logement. Ses leudes le suivent, et les évêques vont tous ensemble
se reposer dans la sacristie...
Pendant
qu’ils sont assis par groupes, causant familièrement, mais avec
une certaine réserve, car ils se défient les uns des autres, un
homme que la plu-
part d’entre eux ne connaissent que de nom se présente sans être attendu. C’est Aëtius, Gaulois de naissance et archidiacre de l’église de Paris.
part d’entre eux ne connaissent que de nom se présente sans être attendu. C’est Aëtius, Gaulois de naissance et archidiacre de l’église de Paris.
Après
avoir salué les évêques, abordant avec une extrême précipitation
le sujet le plus épineux, il leur dit :
«
Écoutez-moi, prêtres du Seigneur qui êtes ici réunis, l’occasion
actuelle est grande et importante pour vous. Ou vous allez vous
honorer de l’éclat d’une bonne renommée, ou bien vous allez
perdre dans l’opinion de tout le monde le titre de ministres de
Dieu. Il s’agit de choisir, montrez-vous donc judicieux et fermés,
et ne laissez pas « périr votre frère »
Cette
allocution est suivie d’un profond silence, les évêques, ne
sachant s’ils
ont devant eux un provocateur envoyé par Fredegonde, ne répondent qu’en posant le doigt sur leurs lèvres en signe de discrétion. Ils se rappellent avec terreur les cris féroces des guerriers Francs, et les coups de leurs haches d’armes retentissant contre les portes de l’église... Presque tous, et les Gaulois en particulier, tremblent de se voir signalés comme suspects à la loyauté ombrageuse de ces fougueux vassaux du roi, ils restent immobiles et comme stupéfaits sur leurs sièges.
ont devant eux un provocateur envoyé par Fredegonde, ne répondent qu’en posant le doigt sur leurs lèvres en signe de discrétion. Ils se rappellent avec terreur les cris féroces des guerriers Francs, et les coups de leurs haches d’armes retentissant contre les portes de l’église... Presque tous, et les Gaulois en particulier, tremblent de se voir signalés comme suspects à la loyauté ombrageuse de ces fougueux vassaux du roi, ils restent immobiles et comme stupéfaits sur leurs sièges.
Mais
Grégoire de Tours, plus fort de conscience que les autres, et
indigné de cette pusillanimité , reprend pour son compte la
harangue et les exhortations de l’archidiacre Aëtius.
Je
vous en prie, dit-il, « faites attention à mes paroles, très
saints Prêtres de Dieu, et surtout vous qui êtes admis d’une
manière intime dans la familiarité du roi ».
Donnez-lui
un conseil pieux et digne du caractère sacerdotal, car il est à
craindre que son acharnement contre un ministre du Seigneur n’attire
sur lui la colère divine, et ne lui fasse perdre son royaume et sa
gloire. »
Les
évêques Francs, auxquels ce discours s’adresse d’une manière
spéciale, restent silencieux comme les autres, et Grégoire ajoute
d’un ton ferme :
Souvenez-vous,
mes seigneurs et confrères, des paroles du prophète qui dit : « la
sentinelle, voyant venir l’épée, ne sonne point de la trompette,
et que l'épée vienne et ôte la vie à quelqu’un, je redemande le
sang de cet homme à la sentinelle.
Ne
gardez donc point le silence, mais parlez haut, et mettez devant les
yeux du roi son injustice, de peur qu’il ne lui arrive malheur, et
que vous n’en soyez responsables »
L’évêque
s’arrête pour attendre une réponse, mais aucun des assistants ne
répond mot, et s’empressent de quitter la place, les uns pour
décliner toute part de complicité dans de semblables propos, et se
mettre à couvert de l’orage qu’ils croient déjà voir fondre
sur la tête de leur collègue, les autres, comme Berthramn et
Raghenemod, pour aller faire leur cour au roi et lui porter des
nouvelles...
Chilpéric
ne tarde pas à être informé en détail de tout ce qui vient
d’avoir lieu. Ses flatteurs lui disent qu’il n’a pas dans cette
affaire, (ce sont leurs propres paroles), de plus grand ennemi que
l’évêque de Tours. Aussitôt le roi, saisi de colère, dépêche
un de ses courtisans pour aller en toute diligence chercher l’évêque
et le lui amener... Grégoire obéit marchant, au milieu des tentes
et des baraques de ses soldats. Chilperic se tient debout, ayant à
sa droite Berthramn, l’évêque de Bordeaux, et à sa gauche,
Raghenemod, l’évêque de Paris, qui tous les deux viennent de
jouer contre leur collègue le rôle de délateurs.
Devant
eux était un large banc couvert de pains, de viandes cuites et de
différents mets destinés à être offerts à chaque nouvel
arrivant, car l’usage et une sorte d’étiquette veulent que
personne ne quitte le roi, après une visite, sans prendre quelque
chose à sa table.
A
la vue de l’homme qu’il a mandé dans sa colère, et dont il
connaît le caractère inflexible devant la menace, Chilpéric, pour
mieux arriver à ses fins, et, affectant, au lieu d’aigreur, un ton
doux et facétieux :
0
évêque, dit-il, ton devoir est de dispenser la justice à tous, et
voilà que je ne puis l’obtenir de toi, au lieu de cela, je le
vois bien, es-tu de connivence avec l’iniquité, tu donnes raison
au proverbe : Le corbeau n’arrache point l’œil au corbeau »
L'évêque
trouve le roi hors du palais, mais avec ce respect traditionnel des
anciens sujets de l’empire Romain pour la puissance souveraine,
respect qui,
du moins chez lui, n’exclue ni la dignité personnelle, ni le sentiment de l’indépendance, il répond gravement :
du moins chez lui, n’exclue ni la dignité personnelle, ni le sentiment de l’indépendance, il répond gravement :
Si
quelqu’un de nous, o roi, s’écarte du sentier de la justice, il
peut être corrigé par toi, mais si c’est toi qui es en faute, qui
est-ce qui te reprendra ? Nous te parlons, et si tu le veux, tu
nous écoutes, mais si tu ne le veux pas, qui te
condamnera ? celui-là seul qui a prononcé qu’il est la justice même.
condamnera ? celui-là seul qui a prononcé qu’il est la justice même.
Le
roi l’interrompt, et réplique :
« Et ne puis la trouver auprès de toi, mais je sais bien ce que je ferai pour que tu sois noté parmi le peuple, et que tous sachent que tu es un homme injuste. J'assemblerai les habitants de Tours, « Élevez la voix contre Grégoire, et criez qu’il est injuste et ne fait justice à personne », et pendant qu’ils crieront ainsi, j’ajouterai
« Moi qui suis roi, je ne puis obtenir justice de lui, comment, vous autres qui êtes au-dessous de moi, l’obtiendrez-vous ? »
« Et ne puis la trouver auprès de toi, mais je sais bien ce que je ferai pour que tu sois noté parmi le peuple, et que tous sachent que tu es un homme injuste. J'assemblerai les habitants de Tours, « Élevez la voix contre Grégoire, et criez qu’il est injuste et ne fait justice à personne », et pendant qu’ils crieront ainsi, j’ajouterai
« Moi qui suis roi, je ne puis obtenir justice de lui, comment, vous autres qui êtes au-dessous de moi, l’obtiendrez-vous ? »
La
justice, je l’ai trouvée auprès de cette espèce d’hypocrisie
pateline, par laquelle l’homme qui peut tout essai de se faire
passer pour opprimé, soulève dans le cœur de Grégoire un mépris
qu’il a peine à contenir, et qui fait prendre à sa parole une
expression plus sèche et plus hautaine.
«
Si je suis injuste, reprit-il, ce n’est pas toi qui le sais, c’est
celui qui connaît ma conscience et qui voit au fond des cœurs et
quant aux clameurs du peuple que tu auras ameuté, elles ne feront
rien, car chacun saura qu’elles viennent de toi.
Mais
c’est assez la-dessus, tu as les lois et les canons, consulte-les
avec soin, et si tu n’observes pas ce qu’ils ordonnent, sache que
le jugement de Dieu est sur ta tête. »
Le
roi sent l’effet de ces paroles sévères, et comme pour effacer de
l’esprit de Grégoire l’impression fâcheuse qui les lui a
attirées, il prend un air de cajolerie, et montrant du doigt un vase
rempli de bouillon qui se trouve là parmi les pains, les plats de
viandes et les coupes à boire , il dit : « Voici un potage que j’ai
fait préparer à ton intention, l’on n’y a mis d’autre chose
que de la volaille et quelque peu de pois chiches. Ces derniers mots
sont calculés pour flatter l’amour propre de l’évêque, car les
saints personnages de ce temps, et en général ceux qui aspirent à
la perfection chrétienne, s’abstiennent de la grosse viande comme
trop substantielle, et ne vivent que de légumes, de poissons et de
volatiles.
Grégoire
n'est point dupe de ce nouvel artifice, et faisant de la tête un
signe de refus, il répondit :
«
Notre nourriture doit être de faire la volonté de Dieu, et non de
prendre plaisir à une chère délicate. Toi qui taxes les autres
d’injustice, commence par promettre que tu ne laisseras pas de côté
la loi et les canons, et nous croirons que c’est la justice que tu
poursuis »
Le
roi, qui tenait à ne point rompre avec l’évêque de Tours, et qui
au besoin ne se fait pas faute de serments, sauf à trouver plus tard
quelque moyen de les éluder, lève la main et jure, par le Dieu
tout-puissant, de ne transgresser en aucune manière la loi et les
canons.
Alors
Grégoire prend du pain et boit un peu de vin, espèce de communion
de l’hospitalité, à laquelle on ne peut se refuser sous le toit
d’autrui, sans pécher d’une manière grave contre les égards et
la politesse.
Réconcilié
en apparence avec le roi, il le quitte pour se rendre à son logement
dans la basilique de Saint Julien, voisine du palais impérial.
La
nuit suivante pendant que l’évêque de Tours, après avoir chanté
l’office des nocturnes, repose dans son appartement, il entend
frapper à coups redoublés à la porte de la maison. Étonné de ce
bruit, il fait descendre un de ses serviteurs qui lui rapporte que
des messagers de la reine Fredegonde demandent à le voir Ces gens,
ayant été introduits, saluent Grégoire au nom de la reine, et lui
disent qu’ils viennent le prier de ne point se montrer contraire à
ce qu’elle désire, dans l’affaire soumise au concile.
Ils
ajoutent en confidence qu’ils ont mission de lui promettre 200
livres d’argent, s’il fait succomber Prætextatus en se déclarant
contre lui... L’évêque de Tours, avec sa prudence et son
sang-froid habituels, objecte d’une manière calme qu’il n’est
pas seul juge de la cause, et que sa voix, de quelque côté qu’elle
soit, ne saurait rien décider.
«
Si vraiment, répliquent les envoyés, car nous avons déjà la
parole de tous les autres, ce qu’il nous faut, c’est que tu
n’ailles pas à l'encontre. »
L’évêque
reprend sans changer de ton :
«
Quand vous me donneriez mille livres d’or et d’argent, il me
serait impossible de faire autre chose que ce que le Seigneur
commande, tout ce que je puis promettre, c’est de me réunir aux
autres évêques en ce qu’ils auront décidé conformément à la
loi canonique.
Les
envoyés se trompent sur le sens de ces paroles, soit parce qu’ils
n’ont pas la moindre idée de ce que sont les canons de l’Église,
soit parce qu’ils s’imaginent que le mot seigneur s’applique au
roi que, dans le langage usuel, on désigne souvent par ce simple
titre, et, faisant beaucoup de remerciements, ils sortent, joyeux de
pouvoir porter à la reine la bonne réponse qu’ils croient avoir
reçue...
Leur
méprise délivre l’évêque Grégoire de nouvelles importunités,
et lui permet de prendre du repos jusqu’au lendemain matin.
Les
membres du concile s’assemblent de bonne heure pour la seconde
séance, et le roi, déjà tout remis de ses désappointements, s’y
rend avec une grande ponctualité pour trouver un moyen d’accorder
son serment de la veille avec le projet de vengeance que la reine
s’obstine à poursuivre, il a mis en œuvre tout son savoir
littéraire et théologique, il a feuilleté la collection des
canons, et s’est arrêté au premier article, décernant contre un
évêque la peine la plus grave, celle de la déposition. Il ne
s’agit plus pour lui que de charger sur de nouveaux fait l’évêque
de Rouen d’un crime prévu par cet article, et c’est ce qui ne
l’embarrasse guère, assuré, comme il croit l’être, de toutes
les voix du synode, il se donne libre court en fait d’imputations
et de mensonges.
Lorsque
les juges et l’accusé ont pris place comme à l’audience
précédente , Chilperic prend la parole, et dit avec la gravité
d’un docteur commentant le droit ecclésiastique :
«
L’évêque convaincu de vol doit être destitué des fonctions
épiscopales, ainsi en a décidé l’autorité des canons.
Les
membres du synode, étonnés de ce début, auquel ils ne comprennent
rien, demandent tous à la fois quel est cet évêque à qui l’on
impute le crime de vol.
C’est
lui, répondit le roi, en se tournant vers Prætextatus avec une «
singulière impudence, lui-même, et n’avez-vous pas vu ce qu’il
nous a dérobé : Ils se rappellent en effet les deux ballots
d’étoiles et le sac d’argent que le roi leur a montrés sans
expliquer d’où proviennent ces objets, et quel rapport ils ont
dans sa pensée aux charges de l’accusation.
L'évêque
Prætextatus sans s'émouvoir répond au roi :
Lorsque
la reine Brunehault a quitté Rouen je suis venu vous en rendre
compte en vous signalant que j'avais par devers moi des effets lui
appartenant, ces objets d’un poids considérable, ses serviteurs
sont souvent venu me demander de les rendre, mais ne pouvant pas le
faire sans votre aveu.
Vous
m'avez dit alors :
Défais-toi
de ces choses, et qu’elles retournent à la femme à qui elles
appartiennent, de crainte qu’il n’en résulte de l’inimitié
entre moi et mon neveu Childebert. De retour dans ma métropole, j'ai
remis aux serviteurs un des ballots, car ils n’en pouvaient en
porter davantage... sont revenu plus tard me demander les, autres,
et j’ai de nouveau consulter votre magnificence...
L’ordre
a été le même que la première fois :
Mets
dehors, mets dehors toutes ces choses , ô évêque , de peur
qu’elles ne fassent naître des querelles. Je leur ai donc remis
encore deux ballots, et les deux autres sont restés chez moi.
Maintenant,
pourquoi me calomniez-vous et m’accusez-vous de larcin, puisqu’il
ne s’agit point ici d’objets volés, mais d’objets confiés à
ma garde ? »
«
Si ce dépôt t’a été remis en garde, réplique le roi, donnant,
sans se déconcerter, un autre tour à l’accusation, et quittant le
rôle de plaignant pour celui de partie publique, si tu étais
dépositaire pourquoi as-tu ouvert l’un des ballots, et en as-tu
tiré une bordure de robe tissée de fils d’or, que tu as coupée
par morceaux, afin de la distribuer à des hommes conjurés pour me
chasser de mon royaume ? »
L’accusé
reprend avec le même calme : « Je t’ai déjà dit une fois que
ces hommes m’ont fait des présents, n’ayant à moi, pour le
moment, rien que je puisse leur donner en retour, j’ai puisé là,
et je n’ai pas cru mal faire.
Je
regardais comme mon propre bien ce qui appartenait à mon fils
Merovée, que j’ai tenu sur les fonts de baptême.
Le
roi ne sait que répondre à ces paroles, où se peint avec tant de
naïveté le sentiment paternel qui est pour le vieil évêque une
passion de tous les instants, et comme une sorte d’idée fixe.
Chilpéric
se sent à bout de ressources, à l’assurance qu’il a montrée
d’abord, succède un air d’embarras et presque de confusion, il
fait lever brusquement la séance, et se retire encore plus
déconcerté et plus mécontent que la veille. Ce qui le préoccupe
surtout, c’est l’accueil qu’après une semblable déconvenue il
va infailliblement recevoir de l’impérieuse Fredegonde, et il
semble qu’en effet son retour au palais soit suivi d’un orage
domestique dont la violence l'a consterné.
Ne
sachant plus que faire, pour écraser, au gré de sa femme, le vieux
prêtre inoffensif dont elle a juré la perte, il appelle auprès de
lui ceux des membres du concile qui lui sont le plus dévoués, entre
autres Berthramn et Raghenemod.
«
Je l’avoue , leur dit-il, je suis vaincu par les paroles de
l’évêque, et je sais que ce qu’il dit est vrai.
Que
ferai-je donc pour que la volonté de la reine s’accomplisse à son
égard ? » Les prélats, embarrassés , ne savent que répondre, ils
restent mornes et silencieux, quand tout à coup le roi, stimulé et
comme inspiré par ce mélange d’amour et de crainte qui forme sa
passion conjugale, reprend avec feu :
«
Allez le trouver, et, faisant semblant de lui donner conseil de
vous-mêmes, dites-lui : « Tu sais que le roi Chilpéric est
bon et facile à émouvoir, qu’il se laisse aisément gagner à la
miséricorde, humilie-toi devant lui, et dis pour lui complaire que
tu as fait les choses dont il t’accuse, alors nous nous jetterons
tous à ses pieds, et nous obtiendrons ta grâce... Soit que les
évêques aient persuadé leur crédule et faible collègue que le
roi, se repentant de ses poursuites, veut seulement n’en pas avoir
le démenti, soit qu’ils l’aient effrayé en lui représentant
que son innocence devant le concile ne le sauvera pas de la vengeance
royale s’il s’obstine à la braver, Prœtextatus, intimidé
d’ailleurs par ce qu’il sait des dispositions serviles ou vénales
de la plupart de ses juges, ne repousse point de si étranges
conseils.
Il
réserva dans sa pensée, comme une dernière chance de salut, la
ressource ignominieuse qui lui est offerte, donnant ainsi un triste
exemple du relâchement moral qui gagne alors jusqu’aux hommes
chargés de maintenir, au milieu de cette société à demi dissoute,
la règle du devoir et les scrupules de l’honneur.
Remerciés
comme d’un bon office par celui qu’ils trahissent, les évêques
vont porter au roi Chilpéric la nouvelle du succès de leur message.
Ils
promettent que l’accusé, donnant à plein dans le piège , avouera
tout à la première interpellation.
L'évêque
qui semblent indiquer la volonté de continuer à se défendre... le
roi, outré de voir son attente trompée, éclate d’une manière
terrible.
Sa
colère, aussi brutale en ce moment que ses ruses jusque là ont été
patientes frappe le débile vieillard d’une commotion nerveuse qui
anéantit sur-le-champ ce qui lui restait de force morale.
Il
tombe à genoux, et se prosternant la face contre terre, il dit :
«
0 roi très miséricordieux, « j’ai péché contre le ciel et
contre toi, je suis un détestable homicide, j’ai voulu te tuer et
faire monter ton fils sur le trône ».
Aussitôt
que le roi voit son adversaire à ses pieds, sa colère se calme, et
l’hypocrisie reprend le dessus. Feignant d’être emporté par
l’excès de son émotion, il se met lui-même à genoux devant
l’assemblée, et s’écrie :
«
Entendez-vous, très pieux évêques, entendez-vous le criminel faire
l’aveu de son exécrable attentat ? »
Les
membres du concile s’élancent tous hors de leurs sièges et
courent relever le roi qu’ils entourent, les uns attendris
jusqu’aux larmes, et les autres riant peut-être en eux-mêmes de
la scène bizarre que leur trahison de la veille a contribué à
préparer. Dès que Chilpéric est debout, comme s’il lui est
impossible de supporter plus longtemps la vue d’un si grand
coupable, il ordonne que Prœtextatus sorte de la basilique. Lui-même
se retire presque aussitôt, afin de laisser le concile délibérer
selon l’usage avant de rendre son jugement...
De
retour au palais, le roi, sans perdre un instant, envoie porter aux
évêques assemblés un exemplaire de la collection des canons pris
parmi les livres de sa bibliothèque. Outre le code entier des lois
canoniques admises sans contestation par l’église gallicane, ce
volume contient, en supplément, un nouveau cahier de canons
attribués aux apôtres, mais peu répandus alors en Gaule, peu
étudiés et mal connus des théologiens les plus instruits.
Là
se trouve l’article disciplinaire cité par le roi avec tant
d’emphase à la seconde séance, lorsqu’il s’ est avisé de
transformer l’imputation de complot en celle de vol.
Cet
article, qui décerne la peine de la déposition, lui plait fort à
cause de cela, mais comme son texte ne cadre plus avec les aveux de
l’accusé , Chilpéric, poussant à bout la duplicité et
l’effronterie, n’hésite pas à le falsifier, soit de sa propre
main, soit par la main d’un de ses secrétaires. On lit dans
l’exemplaire ainsi retouché :
«
L’évêque convaincu d’homicide, d’adultère ou de parjure,
sera destitué de l’épiscopat. »
Le
mot vol a disparu remplacé par le mot homicide, et, chose encore
plus étrange, aucun des membres du concile , pas même l’évêque
de Tours, ne se doute de la supercherie.
Seulement,
à ce qu’il parait, l’intègre et consciencieux Grégoire,
l’homme de la justice et de la loi, fait, mais inutilement, des
efforts pour engager ses collègues à s’en tenir au code
ordinaire, et à décliner l’autorité des prétendus canons
apostoliques... La délibération terminée, les parties sont appelés
de nouveau pour entendre prononcer la sentence.
L’article
fatal, l’un de ceux du 21e canon des Apôtres, ayant été lu à
haute voix, l’évêque de Bordeaux, comme président du concile,
s’adressant à l’accusé, lui dit : « Écoute, frère et
co-évêque, tu ne peux plus demeurer en communion avec a nous et
jouir de notre charité jusqu’au jour où le roi, auprès de qui tu
n’es pas en grâce, t’aura accordé son pardon »
A
cet arrêt prononcé par la bouche d’un homme qui la veille s’est
joué si indignement de sa simplicité, Prætextatus reste silencieux
et comme frappé de stupeur.
Quant
au roi, une victoire si complète ne lui suffit déjà plus, et il
s’ingénie encore pour trouver quelque moyen accessoire d’aggraver
la condamnation.
Prenant
aussitôt la parole, il demande qu’avant de laisser sortir le
condamné on lui déchire sa tunique sur le dos, ou bien qu’on
récite sur sa tête le psaume, qui
contient les malédictions appliquées par les Actes des Apôtres à Judas Iscariote :
contient les malédictions appliquées par les Actes des Apôtres à Judas Iscariote :
«
Que ses jours soient en petit nombre, que ses fils deviennent
orphelins
et sa femme veuve. Que l’usurier dévore son bien, et que des étrangers enlèvent le fruit de ses travaux, qu’il n’y ait pour lui ni aide ni pitié, que ses enfants meurent et que son nom périsse en une seule génération »
et sa femme veuve. Que l’usurier dévore son bien, et que des étrangers enlèvent le fruit de ses travaux, qu’il n’y ait pour lui ni aide ni pitié, que ses enfants meurent et que son nom périsse en une seule génération »
La
première de ces cérémonies est un symbole de dégradation
infamante, l’autre s’applique seulement dans les cas de
sacrilège.
Grégoire
de Tours, avec sa fermeté tranquille et modérée, élève la voix
pour qu’une semblable aggravation de peine ne soit point admise, et
le concile ne l’admet point.
Alors
Chilpéric, toujours en veine de chicanes, veut que le jugement qui
suspend son adversaire des fonctions épiscopales soit rédigé par
écrit, avec une clause portant que la déposition serait
perpétuelle.
Grégoire
s’oppose encore à cette demande, en rappelant au roi sa promesse
formelle de renfermer l’action dans les bornes marquées par la
teneur des lois canoniques
Ce
débat, qui prolonge la séance, est interrompu tout à coup par un
dénouement où l’on peut reconnaître la main et la décision de
Fredegonde, ennuyée des lenteurs de la procédure et des subtilités
de son mari.
Des
gens armés entrent dans l’église et enlèvent Prætextatus sous
les yeux de l’assemblée qui n’a plus qu’à se séparer.
L’évêque est conduit en prison au-dedans des murs de Paris, dans
une geôle dont les restes subsistent longtemps sur la rive gauche du
grand bras de la Seine.
La
nuit suivante, il tente de s’évader, cruellement battu par les
soldats qui le gardent.
Après
un jour ou deux de captivité, il part pour aller en exil aux
extrémités du royaume dans une île voisine des rivages du
Cotentin, c’est probablement celle de Jersey colonisée depuis un
siècle, ainsi que la côte elle-même jusqu’à Bayeux, par des
pirates de race Saxonne
L‘évêque
de Rouen, doit, selon toute apparence, passer le reste de sa vie au
milieu de cette population de pêcheurs et de forbans, mais , après
7 ans d’exil, un grand événement le rend tout à coup à la
liberté et à son église.
En
l’année 584, le roi Chilpéric est assassiné avec des
circonstances qui seront racontées ailleurs, et sa mort, que la voix
publique impute à Fredegonde, devient, par tout le royaume de
Neustrie, le signal d'une espèce de révolution.
Tous
les mécontents du dernier règne, tous ceux qui ont à se plaindre
de vexations ou de dommages, se faisant justice eux-mêmes. On court
sus aux officiers royaux qui ont abusé de leur pouvoir, ou qui l’ont
exercé avec rigueur et sans ménagement pour personne, leurs biens
sont envahis, leurs maisons pillées et incendiées, chacun profite
de l’occasion pour se livrer à des représailles contre ses
oppresseurs ou ses ennemis.
Les
haines héréditaires de famille à famille, de ville à ville et de
canton à canton, se réveillent et produisent des guerres privées,
des meurtres et des brigandages. Les condamnés sortent des prisons
et les proscrits rentrent comme si leur ban se rompt de lui-même...
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MEROVINGIENS - Articles | Facebook
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Un
article a cependant connu les faveurs de l'histoire : celui qui
précise la ... Parmi les bijoux se trouvaient, dit-on, 300 petites
abeilles en or, qui – plus tard ... On se contentera donc d'évoquer
quelques anecdotes rapportées par notre ami Grégoire ... L'année
suivante, lors d'une revue des troupes sur le Champ-de-Mars, ...
Récits
des temps mérovingiens précédés de considérations ...
https://books.google.fr/books?id=KBgdAOEWILEC
1840
...
leur enjoignirent de se rendre a Paris dans les derniers jours du
printemps de l'année 577. Depuis la môrt de Sighebert, le roi de
Neustrie regardait cette ville ...
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