mercredi 28 octobre 2015

EN REMONTANT LE TEMPS... 577

15 octobre 2015...


Cette page concerne l'année 577 du calendrier julien. Ceci est une évocation ponctuelle de l'année considérée il ne peut s'agir que d'un survol !

SELON QUE VOUS SEREZ PUISSANT OU MISERABLE,
LES JUGEMENTS DECOURVOUS RENDRONT BLANC OU NOIR. (Jean de la Fontaine)

FREDEGONDE
Des lettres de convocation, adressées à tous les évêques du royaume de Hilperik/Chilperic leur enjoignirent de se rendre a Paris dans les derniers jours du printemps de l’année 577. Depuis la mort de Sigebert, le roi de Neustrie regardait cette ville comme sa propriété , et ne tenait plus aucun compte du serment qui lui en interdisait l’entrée. Soit que réellement il craignit quelque entreprise de la part des partisans secrets de Brunehilde et de Merowig/Mérovée, soit pour faire plus d’impression sur l’esprit des juges de Prætextatus, il fit le voyage de Soissons à Paris, accompagné d’une suite tellement nombreuse qu’elle peut passer pour une armée. Cette troupe établit son bivouac aux portes du logement du roi, c’est, selon toute apparence, l’ancien palais impérial dont les bâtiments s’élèvent au sud de la cité de Paris sur la rive de la Seine.

Sa façade orientale borde la voie romaine qui, partant du petit pont de la Cité , se dirige vers le midi. Devant la principale entrée, une autre voie romaine, tracée vers l’orient, mais tournant ensuite au sud-est, conduit, à travers des champs de vigne, sur le plateau le plus élevé de la colline méridionale. Là se trouve une église dédiée aux apôtres Saint Pierre et Saint Paul, et qui est choisie pour salle d’audience synodale, probablement à cause de sa proximité de l’habitation royale et du cantonnement des troupes. Cette église, bâtie depuis un demi-siècle, renferme les tombeaux du roi Chlodowig, de la reine Chlothilde et de Sainte Ghenovefe ou Geneviève. Chlodowig en a ordonné la construction, à la prière de Chlothilde , au moment de son départ pour la guerre contre les Wisigoths, arrivé sur le terrain désigné, il a lancé sa hache droit devant lui, afin qu’un jour on puisse mesurer la force et la portée de son bras par la longueur de l’édifice... C’est une de ces basiliques du Ve et du VIe siècle, plus remarquables par la richesse de leur décoration que par la grandeur de leurs proportions architectural, ornées à l’intérieur de colonnes de marbre, de mosaïques et de lambris peints et dorés, et à l’extérieur d’un toit de cuivre et d’un portique. Le portique de l’église Saint Pierre consiste en 3 galeries, l’une appliquée à la face antérieure du bâtiment, et les deux autres formant de chaque côté des ailes saillantes en guise de fer a cheval. Ces galeries, dans toute leur longueur, sont décorées de peintures à fresques divisées en 4 grands compartiments, et représentant les 4 phalanges des saints de l’ancienne et de la nouvelle loi, les patriarches, les prophètes, les martyrs et les confesseurs.
Tels sont les détails que fournissent les documents originaux sur le lieu où s’assemble ce concile, le 5e de ceux qui ont été tenus à Paris.

Au jour fixé par les lettres de convocation, 45 évêques se réunissent dans la basilique de Saint-Pierre.
Le roi vient, de son côté, à l'église il y entre accompagné de quelques uns de ses leudes armés seulement de leurs épées, et la foule des Francs, en complet équipage de guerre, s’arrête sous le portique, dont elle occupe toutes les avenues.
GRÉGOIRE DE TOUR
Le chœur de la basilique forme, selon toute probabilité, l’enceinte réservée pour les juges, le plaignant et l’accusé... On y voit figurer, comme pièces à conviction, les deux ballots et le sac de pièces d’or saisis dans la maison de Prætextatus. Le roi, à son arrivée, les fait remarquer aux évêques en leur annonçant que ces objets doivent jouer un grand rôle dans la cause qui va se débattre.
Les membres du synode, venus soit des villes qui forment primitivement le partage du roi Hilperik, soit de celles qu’il a conquises depuis la mort de son frère, sont en partie Gaulois et en partie Francs d’origine.
Parmi les premiers, de beaucoup les plus nombreux, se trouvent Grégoire, évêque de Tours - Félix de Nantes - Domnolus du Mans - Honoratus d’Amiens - Ætherius de Lisieux et Pappolus de Chartres.
Parmi les autres on voit Raghenemod évêque de Paris - Leudowald de Bayeux - Romahaire de Contance - Marowig de Poitiers - Malulf de Senlis et Berthramn de Bordeaux ce dernier est, à ce qu’il semble, honoré par ses collègues de la dignité et des fonctions de président. C'est un homme de haute naissance, proche parent des rois par sa mère Ingheltrude, et devant à cette parenté un immense crédit et de grandes richesses. Il affecte la politesse et l’élégance des mœurs romaines, il aime à se montrer en public dans un char à quatre chevaux, escorté par les jeunes clercs de son église, comme un patron entouré de ses clients, à ce goût pour le luxe et la pompe sénatoriale, l’évêque Berthramn joint le goût de la poésie et compose des épigrammes latines qu’il offre avec assurance à l’admiration des connaisseurs, quoiqu’elles soient pleines de vers pillés et de fautes contre la mesure... Plus insinuant et plus adroit que ne le sont d’ordinaire les gens de race germanique, il a conservé de leur caractère le penchant à la débauche sans pudeur et sans retenue.

A l’exemple des rois ses parents, il prend des servantes pour concubines, et, non content de cela, il cherche des maîtresses parmi les femmes mariées. Il passe pour entretenir un commerce adultère avec la reine Fredegonde, (c'est vraiment une très charmante personne que cette reine) et soit pour cette raison, soit pour une autre cause, il a épousé, « de la manière la plus vive », les ressentiments de cette reine contre l’évêque de Rouen.

En général, les prélats d’origine Franque, peut-être par l’habitude du vasselage, inclinent a donner gain de cause au roi en sacrifiant leur collègue.
Les évêques romains ont plus de sympathie pour l’accusé, plus de sentiment de la justice et de respect pour la dignité de leur ordre , mais ils sont effrayés par l’appareil militaire dont le roi Hilperik s’entoure, et surtout par la présence de Fredegonde, qui, se défiant, comme toujours de l’habileté de son mari, est venue travailler elle-même à l’accomplissement de sa vengeance...

Lorsque l’accusé a été introduit, et que l’audience est ouverte, le roi se lève, et, au lieu de s’adresser aux juges, apostrophant brusquement son adversaire : « Évêque, lui dit-il, comment t’es-tu avisé de marier mon ennemi Merovée, (lequel est aussi mon fils) avec sa tante, je veux dire avec la femme de son oncle ?
Est-ce que tu ignore ce que les décrets des canons ordonnent à cet égard ?
Et non seulement tu es convaincu d’avoir failli en cela, mais encore tu as comploté avec celui dont je parle, et distribué des présents pour me faire assassiner.
2 DES 300 ABEILLES DU TRÉSOR DE BRUNEHAULT
Tu as fait de mon fils un ennemi de son père, tu as séduit le peuple par de l’argent, afin que nul ne me garde la fidélité qui m’est due tu as voulu livrer mon royaume entre les mains d’un autre. Il prononce ces paroles dans un silence total, entendu jusque sur le parvis de l'église où se presse la foule des Francs.
A la voix du roi qui se dit trahi, cette multitude armée répond aussitôt par un murmure d’indignation et par des cris de mort contre le traître, puis, s’exaltant jusqu’à la fureur, elle se met en devoir d’enfoncer les portes pour faire irruption dans l’église et en arracher l’évêque, afin de le lapider...

Les membres du concile, épouvantés par ce tumulte inattendu, quittent leurs places, et il faut que le roi lui-même se porte au-devant des assaillants pour les apaiser et les faire rentrer dans l’ordre.

L’assemblée ayant repris assez de calme pour que l’audience continue, la parole est donnée à l’évêque de Rouen pour sa justification.
Il ne lui est pas possible de se disculper d’avoir enfreint les lois canoniques dans la célébration du mariage, mais il nie formellement les faits de complot et de trahison que le roi vient de lui imputer. Alors Hilperik annonce qu’il a des témoins à faire entendre, et ordonne qu’ils soient introduits.
Plusieurs hommes d’origine Franque apparaissent, tenant à la main différents objets de prix qu’ils mettent sous les yeux de l’accusé en lui disant : « reconnaît-tu ceci ?
Voilà ce que tu nous as donné pour que nous promettions fidélité « à Merovée »

L’évêque, sans se déconcerter, réplique :
« Vous dites vrai, je vous ai fait plus d’une fois des présents, mais ce n’est pas afin que le roi soit chassé de son royaume. Quand vous veniez m’offrir un beau cheval ou quelque autre chose, pouvais-je me dispenser de me montrer aussi généreux que vous-mêmes, et de vous rendre don pour don ? »

Il y a bien sous cette réponse un peu de réticence, quelque sincère qu’elle soit d’ailleurs, mais la réalité d’une proposition de complot ne peut être établie par des témoignages valables. La suite des débats n’amène aucune preuve à la charge de l’accusé, et le roi, mécontent du peu de succès de cette première tentative, fait lever la séance, sort de l’église pour retourner à son logement. Ses leudes le suivent, et les évêques vont tous ensemble se reposer dans la sacristie...

Pendant qu’ils sont assis par groupes, causant familièrement, mais avec une certaine réserve, car ils se défient les uns des autres, un homme que la plu-
part d’entre eux ne connaissent que de nom se présente sans être attendu. C’est Aëtius, Gaulois de naissance et archidiacre de l’église de Paris.
Après avoir salué les évêques, abordant avec une extrême précipitation le sujet le plus épineux, il leur dit :
« Écoutez-moi, prêtres du Seigneur qui êtes ici réunis, l’occasion actuelle est grande et importante pour vous. Ou vous allez vous honorer de l’éclat d’une bonne renommée, ou bien vous allez perdre dans l’opinion de tout le monde le titre de ministres de Dieu. Il s’agit de choisir, montrez-vous donc judicieux et fermés, et ne laissez pas « périr votre frère »
Cette allocution est suivie d’un profond silence, les évêques, ne sachant s’ils
ont devant eux un provocateur envoyé par Fredegonde, ne répondent qu’en posant le doigt sur leurs lèvres en signe de discrétion. Ils se rappellent avec terreur les cris féroces des guerriers Francs, et les coups de leurs haches d’armes retentissant contre les portes de l’église... Presque tous, et les Gaulois en particulier, tremblent de se voir signalés comme suspects à la loyauté ombrageuse de ces fougueux vassaux du roi, ils restent immobiles et comme stupéfaits sur leurs sièges.

Mais Grégoire de Tours, plus fort de conscience que les autres, et indigné de cette pusillanimité , reprend pour son compte la harangue et les exhortations de l’archidiacre Aëtius.
Je vous en prie, dit-il, « faites attention à mes paroles, très saints Prêtres de Dieu, et surtout vous qui êtes admis d’une manière intime dans la familiarité du roi ».
Donnez-lui un conseil pieux et digne du caractère sacerdotal, car il est à craindre que son acharnement contre un ministre du Seigneur n’attire sur lui la colère divine, et ne lui fasse perdre son royaume et sa gloire. »
Les évêques Francs, auxquels ce discours s’adresse d’une manière spéciale, restent silencieux comme les autres, et Grégoire ajoute d’un ton ferme :

Souvenez-vous, mes seigneurs et confrères, des paroles du prophète qui dit : « la sentinelle, voyant venir l’épée, ne sonne point de la trompette, et que l'épée vienne et ôte la vie à quelqu’un, je redemande le sang de cet homme à la sentinelle.
Ne gardez donc point le silence, mais parlez haut, et mettez devant les yeux du roi son injustice, de peur qu’il ne lui arrive malheur, et que vous n’en soyez responsables »
L’évêque s’arrête pour attendre une réponse, mais aucun des assistants ne répond mot, et s’empressent de quitter la place, les uns pour décliner toute part de complicité dans de semblables propos, et se mettre à couvert de l’orage qu’ils croient déjà voir fondre sur la tête de leur collègue, les autres, comme Berthramn et Raghenemod, pour aller faire leur cour au roi et lui porter des nouvelles...

Chilpéric ne tarde pas à être informé en détail de tout ce qui vient d’avoir lieu. Ses flatteurs lui disent qu’il n’a pas dans cette affaire, (ce sont leurs propres paroles), de plus grand ennemi que l’évêque de Tours. Aussitôt le roi, saisi de colère, dépêche un de ses courtisans pour aller en toute diligence chercher l’évêque et le lui amener... Grégoire obéit marchant, au milieu des tentes et des baraques de ses soldats. Chilperic se tient debout, ayant à sa droite Berthramn, l’évêque de Bordeaux, et à sa gauche, Raghenemod, l’évêque de Paris, qui tous les deux viennent de jouer contre leur collègue le rôle de délateurs.
Devant eux était un large banc couvert de pains, de viandes cuites et de différents mets destinés à être offerts à chaque nouvel arrivant, car l’usage et une sorte d’étiquette veulent que personne ne quitte le roi, après une visite, sans prendre quelque chose à sa table.

A la vue de l’homme qu’il a mandé dans sa colère, et dont il connaît le caractère inflexible devant la menace, Chilpéric, pour mieux arriver à ses fins, et, affectant, au lieu d’aigreur, un ton doux et facétieux :
0 évêque, dit-il, ton devoir est de dispenser la justice à tous, et voilà que je ne puis l’obtenir de toi, au lieu de cela, je le vois bien, es-tu de connivence avec l’iniquité, tu donnes raison au proverbe : Le corbeau n’arrache point l’œil au corbeau »

L'évêque trouve le roi hors du palais, mais avec ce respect traditionnel des anciens sujets de l’empire Romain pour la puissance souveraine, respect qui,
du moins chez lui, n’exclue ni la dignité personnelle, ni le sentiment de l’indépendance, il répond gravement :
Si quelqu’un de nous, o roi, s’écarte du sentier de la justice, il peut être corrigé par toi, mais si c’est toi qui es en faute, qui est-ce qui te reprendra ? Nous te parlons, et si tu le veux, tu nous écoutes, mais si tu ne le veux pas, qui te
condamnera ? celui-là seul qui a prononcé qu’il est la justice même.

Le roi l’interrompt, et réplique :
« Et ne puis la trouver auprès de toi, mais je sais bien ce que je ferai pour que tu sois noté parmi le peuple, et que tous sachent que tu es un homme injuste. J'assemblerai les habitants de Tours, « Élevez la voix contre Grégoire, et criez qu’il est injuste et ne fait justice à personne », et pendant qu’ils crieront ainsi, j’ajouterai
« Moi qui suis roi, je ne puis obtenir justice de lui, comment, vous autres qui êtes au-dessous de moi, l’obtiendrez-vous ? »
La justice, je l’ai trouvée auprès de cette espèce d’hypocrisie pateline, par laquelle l’homme qui peut tout essai de se faire passer pour opprimé, soulève dans le cœur de Grégoire un mépris qu’il a peine à contenir, et qui fait prendre à sa parole une expression plus sèche et plus hautaine.
« Si je suis injuste, reprit-il, ce n’est pas toi qui le sais, c’est celui qui connaît ma conscience et qui voit au fond des cœurs et quant aux clameurs du peuple que tu auras ameuté, elles ne feront rien, car chacun saura qu’elles viennent de toi.
Mais c’est assez la-dessus, tu as les lois et les canons, consulte-les avec soin, et si tu n’observes pas ce qu’ils ordonnent, sache que le jugement de Dieu est sur ta tête. »

Le roi sent l’effet de ces paroles sévères, et comme pour effacer de l’esprit de Grégoire l’impression fâcheuse qui les lui a attirées, il prend un air de cajolerie, et montrant du doigt un vase rempli de bouillon qui se trouve là parmi les pains, les plats de viandes et les coupes à boire , il dit : « Voici un potage que j’ai fait préparer à ton intention, l’on n’y a mis d’autre chose que de la volaille et quelque peu de pois chiches. Ces derniers mots sont calculés pour flatter l’amour propre de l’évêque, car les saints personnages de ce temps, et en général ceux qui aspirent à la perfection chrétienne, s’abstiennent de la grosse viande comme trop substantielle, et ne vivent que de légumes, de poissons et de volatiles.

Grégoire n'est point dupe de ce nouvel artifice, et faisant de la tête un signe de refus, il répondit :
« Notre nourriture doit être de faire la volonté de Dieu, et non de prendre plaisir à une chère délicate. Toi qui taxes les autres d’injustice, commence par promettre que tu ne laisseras pas de côté la loi et les canons, et nous croirons que c’est la justice que tu poursuis »

Le roi, qui tenait à ne point rompre avec l’évêque de Tours, et qui au besoin ne se fait pas faute de serments, sauf à trouver plus tard quelque moyen de les éluder, lève la main et jure, par le Dieu tout-puissant, de ne transgresser en aucune manière la loi et les canons.

Alors Grégoire prend du pain et boit un peu de vin, espèce de communion de l’hospitalité, à laquelle on ne peut se refuser sous le toit d’autrui, sans pécher d’une manière grave contre les égards et la politesse.
Réconcilié en apparence avec le roi, il le quitte pour se rendre à son logement dans la basilique de Saint Julien, voisine du palais impérial.

La nuit suivante pendant que l’évêque de Tours, après avoir chanté l’office des nocturnes, repose dans son appartement, il entend frapper à coups redoublés à la porte de la maison. Étonné de ce bruit, il fait descendre un de ses serviteurs qui lui rapporte que des messagers de la reine Fredegonde demandent à le voir Ces gens, ayant été introduits, saluent Grégoire au nom de la reine, et lui disent qu’ils viennent le prier de ne point se montrer contraire à ce qu’elle désire, dans l’affaire soumise au concile.
Ils ajoutent en confidence qu’ils ont mission de lui promettre 200 livres d’argent, s’il fait succomber Prætextatus en se déclarant contre lui... L’évêque de Tours, avec sa prudence et son sang-froid habituels, objecte d’une manière calme qu’il n’est pas seul juge de la cause, et que sa voix, de quelque côté qu’elle soit, ne saurait rien décider.

« Si vraiment, répliquent les envoyés, car nous avons déjà la parole de tous les autres, ce qu’il nous faut, c’est que tu n’ailles pas à l'encontre. »

L’évêque reprend sans changer de ton :
« Quand vous me donneriez mille livres d’or et d’argent, il me serait impossible de faire autre chose que ce que le Seigneur commande, tout ce que je puis promettre, c’est de me réunir aux autres évêques en ce qu’ils auront décidé conformément à la loi canonique.

Les envoyés se trompent sur le sens de ces paroles, soit parce qu’ils n’ont pas la moindre idée de ce que sont les canons de l’Église, soit parce qu’ils s’imaginent que le mot seigneur s’applique au roi que, dans le langage usuel, on désigne souvent par ce simple titre, et, faisant beaucoup de remerciements, ils sortent, joyeux de pouvoir porter à la reine la bonne réponse qu’ils croient avoir reçue...
Leur méprise délivre l’évêque Grégoire de nouvelles importunités, et lui permet de prendre du repos jusqu’au lendemain matin.

Les membres du concile s’assemblent de bonne heure pour la seconde séance, et le roi, déjà tout remis de ses désappointements, s’y rend avec une grande ponctualité pour trouver un moyen d’accorder son serment de la veille avec le projet de vengeance que la reine s’obstine à poursuivre, il a mis en œuvre tout son savoir littéraire et théologique, il a feuilleté la collection des canons, et s’est arrêté au premier article, décernant contre un évêque la peine la plus grave, celle de la déposition. Il ne s’agit plus pour lui que de charger sur de nouveaux fait l’évêque de Rouen d’un crime prévu par cet article, et c’est ce qui ne l’embarrasse guère, assuré, comme il croit l’être, de toutes les voix du synode, il se donne libre court en fait d’imputations et de mensonges.

Lorsque les juges et l’accusé ont pris place comme à l’audience précédente , Chilperic prend la parole, et dit avec la gravité d’un docteur commentant le droit ecclésiastique :
« L’évêque convaincu de vol doit être destitué des fonctions épiscopales, ainsi en a décidé l’autorité des canons.
Les membres du synode, étonnés de ce début, auquel ils ne comprennent rien, demandent tous à la fois quel est cet évêque à qui l’on impute le crime de vol.

C’est lui, répondit le roi, en se tournant vers Prætextatus avec une « singulière impudence, lui-même, et n’avez-vous pas vu ce qu’il nous a dérobé : Ils se rappellent en effet les deux ballots d’étoiles et le sac d’argent que le roi leur a montrés sans expliquer d’où proviennent ces objets, et quel rapport ils ont dans sa pensée aux charges de l’accusation.
L'évêque Prætextatus sans s'émouvoir répond au roi :
Lorsque la reine Brunehault a quitté Rouen je suis venu vous en rendre compte en vous signalant que j'avais par devers moi des effets lui appartenant, ces objets d’un poids considérable, ses serviteurs sont souvent venu me demander de les rendre, mais ne pouvant pas le faire sans votre aveu.
Vous m'avez dit alors :
Défais-toi de ces choses, et qu’elles retournent à la femme à qui elles appartiennent, de crainte qu’il n’en résulte de l’inimitié entre moi et mon neveu Childebert. De retour dans ma métropole, j'ai remis aux serviteurs un des ballots, car ils n’en pouvaient en porter davantage... sont revenu plus tard me demander les, autres, et j’ai de nouveau consulter votre magnificence...

L’ordre a été le même que la première fois :
Mets dehors, mets dehors toutes ces choses , ô évêque , de peur qu’elles ne fassent naître des querelles. Je leur ai donc remis encore deux ballots, et les deux autres sont restés chez moi.
Maintenant, pourquoi me calomniez-vous et m’accusez-vous de larcin, puisqu’il ne s’agit point ici d’objets volés, mais d’objets confiés à ma garde ? »

« Si ce dépôt t’a été remis en garde, réplique le roi, donnant, sans se déconcerter, un autre tour à l’accusation, et quittant le rôle de plaignant pour celui de partie publique, si tu étais dépositaire pourquoi as-tu ouvert l’un des ballots, et en as-tu tiré une bordure de robe tissée de fils d’or, que tu as coupée par morceaux, afin de la distribuer à des hommes conjurés pour me chasser de mon royaume ? »

L’accusé reprend avec le même calme : « Je t’ai déjà dit une fois que ces hommes m’ont fait des présents, n’ayant à moi, pour le moment, rien que je puisse leur donner en retour, j’ai puisé là, et je n’ai pas cru mal faire.
Je regardais comme mon propre bien ce qui appartenait à mon fils Merovée, que j’ai tenu sur les fonts de baptême.

Le roi ne sait que répondre à ces paroles, où se peint avec tant de naïveté le sentiment paternel qui est pour le vieil évêque une passion de tous les instants, et comme une sorte d’idée fixe.

Chilpéric se sent à bout de ressources, à l’assurance qu’il a montrée d’abord, succède un air d’embarras et presque de confusion, il fait lever brusquement la séance, et se retire encore plus déconcerté et plus mécontent que la veille. Ce qui le préoccupe surtout, c’est l’accueil qu’après une semblable déconvenue il va infailliblement recevoir de l’impérieuse Fredegonde, et il semble qu’en effet son retour au palais soit suivi d’un orage domestique dont la violence l'a consterné.
Ne sachant plus que faire, pour écraser, au gré de sa femme, le vieux prêtre inoffensif dont elle a juré la perte, il appelle auprès de lui ceux des membres du concile qui lui sont le plus dévoués, entre autres Berthramn et Raghenemod.

« Je l’avoue , leur dit-il, je suis vaincu par les paroles de l’évêque, et je sais que ce qu’il dit est vrai.
Que ferai-je donc pour que la volonté de la reine s’accomplisse à son égard ? » Les prélats, embarrassés , ne savent que répondre, ils restent mornes et silencieux, quand tout à coup le roi, stimulé et comme inspiré par ce mélange d’amour et de crainte qui forme sa passion conjugale, reprend avec feu :
« Allez le trouver, et, faisant semblant de lui donner conseil de vous-mêmes, dites-lui : « Tu sais que le roi Chilpéric est bon et facile à émouvoir, qu’il se laisse aisément gagner à la miséricorde, humilie-toi devant lui, et dis pour lui complaire que tu as fait les choses dont il t’accuse, alors nous nous jetterons tous à ses pieds, et nous obtiendrons ta grâce... Soit que les évêques aient persuadé leur crédule et faible collègue que le roi, se repentant de ses poursuites, veut seulement n’en pas avoir le démenti, soit qu’ils l’aient effrayé en lui représentant que son innocence devant le concile ne le sauvera pas de la vengeance royale s’il s’obstine à la braver, Prœtextatus, intimidé d’ailleurs par ce qu’il sait des dispositions serviles ou vénales de la plupart de ses juges, ne repousse point de si étranges conseils.
Il réserva dans sa pensée, comme une dernière chance de salut, la ressource ignominieuse qui lui est offerte, donnant ainsi un triste exemple du relâchement moral qui gagne alors jusqu’aux hommes chargés de maintenir, au milieu de cette société à demi dissoute, la règle du devoir et les scrupules de l’honneur.

Remerciés comme d’un bon office par celui qu’ils trahissent, les évêques vont porter au roi Chilpéric la nouvelle du succès de leur message.
Ils promettent que l’accusé, donnant à plein dans le piège , avouera tout à la première interpellation.
L'évêque qui semblent indiquer la volonté de continuer à se défendre... le roi, outré de voir son attente trompée, éclate d’une manière terrible.
Sa colère, aussi brutale en ce moment que ses ruses jusque là ont été patientes frappe le débile vieillard d’une commotion nerveuse qui anéantit sur-le-champ ce qui lui restait de force morale.
Il tombe à genoux, et se prosternant la face contre terre, il dit :
« 0 roi très miséricordieux, « j’ai péché contre le ciel et contre toi, je suis un détestable homicide, j’ai voulu te tuer et faire monter ton fils sur le trône ».

Aussitôt que le roi voit son adversaire à ses pieds, sa colère se calme, et l’hypocrisie reprend le dessus. Feignant d’être emporté par l’excès de son émotion, il se met lui-même à genoux devant l’assemblée, et s’écrie :
« Entendez-vous, très pieux évêques, entendez-vous le criminel faire l’aveu de son exécrable attentat ? »
Les membres du concile s’élancent tous hors de leurs sièges et courent relever le roi qu’ils entourent, les uns attendris jusqu’aux larmes, et les autres riant peut-être en eux-mêmes de la scène bizarre que leur trahison de la veille a contribué à préparer. Dès que Chilpéric est debout, comme s’il lui est impossible de supporter plus longtemps la vue d’un si grand coupable, il ordonne que Prœtextatus sorte de la basilique. Lui-même se retire presque aussitôt, afin de laisser le concile délibérer selon l’usage avant de rendre son jugement...

De retour au palais, le roi, sans perdre un instant, envoie porter aux évêques assemblés un exemplaire de la collection des canons pris parmi les livres de sa bibliothèque. Outre le code entier des lois canoniques admises sans contestation par l’église gallicane, ce volume contient, en supplément, un nouveau cahier de canons attribués aux apôtres, mais peu répandus alors en Gaule, peu étudiés et mal connus des théologiens les plus instruits.
Là se trouve l’article disciplinaire cité par le roi avec tant d’emphase à la seconde séance, lorsqu’il s’ est avisé de transformer l’imputation de complot en celle de vol.
Cet article, qui décerne la peine de la déposition, lui plait fort à cause de cela, mais comme son texte ne cadre plus avec les aveux de l’accusé , Chilpéric, poussant à bout la duplicité et l’effronterie, n’hésite pas à le falsifier, soit de sa propre main, soit par la main d’un de ses secrétaires. On lit dans l’exemplaire ainsi retouché :
« L’évêque convaincu d’homicide, d’adultère ou de parjure, sera destitué de l’épiscopat. »
Le mot vol a disparu remplacé par le mot homicide, et, chose encore plus étrange, aucun des membres du concile , pas même l’évêque de Tours, ne se doute de la supercherie.
Seulement, à ce qu’il parait, l’intègre et consciencieux Grégoire, l’homme de la justice et de la loi, fait, mais inutilement, des efforts pour engager ses collègues à s’en tenir au code ordinaire, et à décliner l’autorité des prétendus canons apostoliques... La délibération terminée, les parties sont appelés de nouveau pour entendre prononcer la sentence.

L’article fatal, l’un de ceux du 21e canon des Apôtres, ayant été lu à haute voix, l’évêque de Bordeaux, comme président du concile, s’adressant à l’accusé, lui dit : « Écoute, frère et co-évêque, tu ne peux plus demeurer en communion avec a nous et jouir de notre charité jusqu’au jour où le roi, auprès de qui tu n’es pas en grâce, t’aura accordé son pardon »
A cet arrêt prononcé par la bouche d’un homme qui la veille s’est joué si indignement de sa simplicité, Prætextatus reste silencieux et comme frappé de stupeur.

Quant au roi, une victoire si complète ne lui suffit déjà plus, et il s’ingénie encore pour trouver quelque moyen accessoire d’aggraver la condamnation.

Prenant aussitôt la parole, il demande qu’avant de laisser sortir le condamné on lui déchire sa tunique sur le dos, ou bien qu’on récite sur sa tête le psaume, qui
contient les malédictions appliquées par les Actes des Apôtres à Judas Iscariote :

« Que ses jours soient en petit nombre, que ses fils deviennent orphelins
et sa femme veuve. Que l’usurier dévore son bien, et que des étrangers enlèvent le fruit de ses travaux, qu’il n’y ait pour lui ni aide ni pitié, que ses enfants meurent et que son nom périsse en une seule génération »

La première de ces cérémonies est un symbole de dégradation infamante, l’autre s’applique seulement dans les cas de sacrilège.

Grégoire de Tours, avec sa fermeté tranquille et modérée, élève la voix pour qu’une semblable aggravation de peine ne soit point admise, et le concile ne l’admet point.
Alors Chilpéric, toujours en veine de chicanes, veut que le jugement qui suspend son adversaire des fonctions épiscopales soit rédigé par écrit, avec une clause portant que la déposition serait perpétuelle.

Grégoire s’oppose encore à cette demande, en rappelant au roi sa promesse formelle de renfermer l’action dans les bornes marquées par la teneur des lois canoniques
Ce débat, qui prolonge la séance, est interrompu tout à coup par un dénouement où l’on peut reconnaître la main et la décision de Fredegonde, ennuyée des lenteurs de la procédure et des subtilités de son mari.

Des gens armés entrent dans l’église et enlèvent Prætextatus sous les yeux de l’assemblée qui n’a plus qu’à se séparer. L’évêque est conduit en prison au-dedans des murs de Paris, dans une geôle dont les restes subsistent longtemps sur la rive gauche du grand bras de la Seine.
La nuit suivante, il tente de s’évader, cruellement battu par les soldats qui le gardent.
Après un jour ou deux de captivité, il part pour aller en exil aux extrémités du royaume dans une île voisine des rivages du Cotentin, c’est probablement celle de Jersey colonisée depuis un siècle, ainsi que la côte elle-même jusqu’à Bayeux, par des pirates de race Saxonne

L‘évêque de Rouen, doit, selon toute apparence, passer le reste de sa vie au milieu de cette population de pêcheurs et de forbans, mais , après 7 ans d’exil, un grand événement le rend tout à coup à la liberté et à son église.
En l’année 584, le roi Chilpéric est assassiné avec des circonstances qui seront racontées ailleurs, et sa mort, que la voix publique impute à Fredegonde, devient, par tout le royaume de Neustrie, le signal d'une espèce de révolution.

Tous les mécontents du dernier règne, tous ceux qui ont à se plaindre de vexations ou de dommages, se faisant justice eux-mêmes. On court sus aux officiers royaux qui ont abusé de leur pouvoir, ou qui l’ont exercé avec rigueur et sans ménagement pour personne, leurs biens sont envahis, leurs maisons pillées et incendiées, chacun profite de l’occasion pour se livrer à des représailles contre ses oppresseurs ou ses ennemis.
Les haines héréditaires de famille à famille, de ville à ville et de canton à canton, se réveillent et produisent des guerres privées, des meurtres et des brigandages. Les condamnés sortent des prisons et les proscrits rentrent comme si leur ban se rompt de lui-même...




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Un article a cependant connu les faveurs de l'histoire : celui qui précise la ... Parmi les bijoux se trouvaient, dit-on, 300 petites abeilles en or, qui – plus tard ... On se contentera donc d'évoquer quelques anecdotes rapportées par notre ami Grégoire ... L'année suivante, lors d'une revue des troupes sur le Champ-de-Mars, ...

Récits des temps mérovingiens précédés de considérations ...
https://books.google.fr/books?id=KBgdAOEWILEC
1840
... leur enjoignirent de se rendre a Paris dans les derniers jours du printemps de l'année 577. Depuis la môrt de Sighebert, le roi de Neustrie regardait cette ville ...

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