26
MARS 2016...
Cette
page concerne l'année 409 du calendrier julien. Ceci est une
évocation ponctuelle de l'année considérée il ne peut s'agir que
d'un survol !
LE
CANNIBALISME SUSPECTE A ROME,
«Tandis
que les barbares se déchaînent au travers des Espagnes et que
l’épidémie n’en étend pas moins ses ravages, les richesses et
les approvisionnements stockés dans les villes sont extorqués par
le tyrannique collecteur des impôts et épuisés par le soldat.
Une
terrible famine fait des ravages, à tel point que les humains
dévorent la chair humaine sous la pression de la faim, les mères,
elles aussi, se nourrissent du corps de leurs enfants qu’elles ont
tués ou fait cuire.
Les
bêtes féroces, habituées aux cadavres des victimes de l’épée,
de la faim ou de la peste tuent aussi les hommes les plus forts et,
repues de leur chair, se déchaînent partout pour l’anéantissement
du genre humain.
C’est
ainsi que, par les 4 fléaux du fer, de la faim, de la peste et des
bêtes féroces, qui sévissent partout dans le monde entier, les
choses annoncées par le Seigneur au travers de ses prophètes
s’accomplissent »...
Ainsi
l’évêque Hydace décrit-il, une cinquantaine d’années après
les événements, les terribles conséquences de l’irruption en 409
dans la péninsule Ibérique de groupes d’Alains, de Vandales et de
Suèves.
En
choisissant d’entamer ce parcours dans l’univers des famines
médiévales par un extrait emprunté à l’Antiquité tardive,
c’est pour la multiplicité des interrogations amenées.
La
lecture traditionnelle des circonstances menant à l’implantation
plus ou moins durable dans la péninsule de populations Barbares,
alors que l’Empire d’Occident est en proie à des usurpations
successives du pouvoir impérial, donne une grande place au tableau
dressé par Hydace.
Et
cela pour une raison très simple, c’est qu’il est le seul avec
Orose à nous avoir laissé un témoignage local et relativement
contemporain sur une période troublée de l’histoire de cette
région périphérique de l’Empire...
Il
convient donc de s’arrêter quelques instants sur un récit qui
révèle davantage que le « pessimisme » souvent évoqué de son
auteur.
Hydace
a conçu sa chronique comme une continuation de celle de Jérôme,
qui a lui-même traduit, augmenté et complété celle d’Eusèbe de
Césarée. Sa narration couvre les années 379 à 468, mais peine à
restituer les événements touchant l’Empire en dehors de
l’Espagne. Elle prend ainsi dans l’ensemble, à la différence de
son modèle, un caractère très régional, qui explique probablement
en bonne partie sa faible diffusion ultérieure.
On
ne connaît d’Hydace que les maigres éléments biographiques qu’il
laisse filtrer dans son œuvre. Il semble être né vers 400 en
Galice et avoir effectué, encore infantulus (vers 6 ou 7 ans ?), un
voyage en Terre Sainte durant lequel il a notamment rencontré Saint
Jérôme. Rien ne permet de savoir avec certitude s’il se trouve
réellement en Espagne au moment de l’invasion de 409-410, et
lui-même reconnaît dans sa préface que sa connaissance personnelle
des événements ne commence qu’après son élection comme évêque
en 428, témoignages oraux et sources écrites lui fournissant la
matière pour les périodes antérieures. L’événement qui semble
former le pivot de la chronique est l’intervention en Espagne des
Wisigoths en 456-457, ce qui permet de penser qu’Hydace n’a
commencé à écrire qu’après cette date.
Hydace
a conservé la structure formelle imposée par Jérôme, et a même
repris une bonne part de son vocabulaire. Ainsi le debaccantibus
barbaris de ce passage, déjà intégré dans la préface d’Hydace,
est à l’origine emprunté à la préface de Jérôme. Ce qu’Hydace
ne reprend pas à son modèle, c’est la brièveté des notices.
Pour
un chroniqueur de l’Antiquité tardive, Hydace est particulièrement
bavard, surtout dans la seconde partie de son œuvre. Il semble avoir
voulu écrire une narration historique plus traditionnelle au sein
des restrictions structurelles du nouveau genre de la chronique.
Les
recherches de R. W. Burgess ont offert de nouvelles perspectives pour
la compréhension de l’œuvre d’Hydace. Par une analyse attentive
du contenu de la chronique et du manuscrit de référence pour
l’établissement du texte d’origine, il a avancé l’hypothèse
selon laquelle Hydace a cru en l’imminence de la fin du monde et a
été influencé par un texte apocalyptique apocryphe se présentant
comme une lettre du Christ à Thomas, révélant que la fin du monde
doit arriver 9 jubilés après l’Ascension, à savoir en 482. Sans
rentrer ici dans les détails de la démonstration, cela expliquerait
le fameux « pessimisme » d’Hydace, la multiplication dans
son récit de termes évoquant le désordre, la violence, le conflit,
l’instabilité, la destruction, le désespoir.
Son
œuvre n’a néanmoins aucun but apologétique ou didactique, elle
est tournée vers le passé et la fin des temps n’est donc jamais
évoquée explicitement.
Il
s’agit donc davantage d’un esprit apocalyptique qui transpire de
l’œuvre plutôt que d’une œuvre entièrement tournée vers la
fin des temps.
Chronicle
of Hydatius, op. cit., p. 80. (7) Id., p. 72-74. (8) Id., p. 106-107.
Le
contraste entre la description de cette intervention et celle de
l’invasion de 409 est d’ailleurs tout à fait saisissant. La
relative valorisation des Wisigoths est de plus encore l’occasion
de noircir les Suèves vaincus et repoussés en Galice, où leurs
dissensions internes plongent, au moment où est écrite la
chronique, Hydace et ses concitoyens dans le chaos.
Ceci
amène à l’extrait cité en tête de cet article... Hydace
lui-même, par l’évocation des adnuntiationes des prophetae, n’a
laissé aucun doute sur l’intention du passage : Créer une
analogie très nette entre l’invasion Barbare et certaines
narrations apocalyptiques bibliques.
Les
quatre plaies, empruntées essentiellement, d’après le vocabulaire
utilisé, à Ézéchiel (14 : 12-23) mais également à l’Apocalypse
de Jean (6 : 8) sont bien mises en évidence : La guerre, la famine,
la maladie et les bêtes sauvages. Au-delà de l’emprunt biblique,
qui renvoie à un schéma de punition divine, il n’y a pas lieu de
douter de l’impact négatif terrible sur les populations des mois
d’incertitude et d’insécurité permanentes qui séparent
l’entrée des Barbares dans la péninsule de leur installation sur
des territoires définis (411). Les Sept livres d’Histoires contre
les Païens, d’Orose, plus proches encore des événements,
confirment globalement cette vision des choses. Le tableau
catastrophiste est d’autant plus convaincant qu’Orose est en
général aussi « optimiste » envers l’impact des Barbares
qu’Hydace est « pessimiste » et ne se laisse pas aller sans
raison à dépeindre une situation dramatique.
Aux
4 fléaux se mêlent cependant dans ce texte quelques éléments qui
peuvent sembler plus spécifiques, tels l’évocation des
collecteurs d’impôts ou le cannibalisme de survie. Le propos n’est
pas ici de déterminer si des citoyens romains affamés ont
véritablement eu recours à l’anthropophagie pour assurer leur
survie.
Le
problème est insoluble et d’un intérêt plutôt secondaire : Les
faits, réels ou imaginaires, s’effacent ici derrière la
narration. La véritable question est de comprendre pourquoi Hydace a
choisi d’intégrer ce motif au sein d’une peinture soigneusement
construite dans le but de frapper le lecteur par l’ampleur du
châtiment divin.
Présence
et signification du cannibalisme de survie par un auteur chrétien,
cultivé, écrivant en latin au milieu du Ve siècle.
Le
cannibalisme de survie prend cependant une ampleur nouvelle chez les
narrateurs des événements qui mènent au sac de Rome par les
troupes d’Alaric en 410.
Deux
ans plus tôt, suite au refus du gouvernement de l’empereur
Honorius installé à Ravenne de négocier avec lui, le Goth Alaric
marche avec ses troupes sur Rome, qu’il atteint à la fin de
l’automne.
Le
déclenchement rapide d’une famine et d’épidémies contraint le
sénat Romain à verser une énorme rançon à l’assiégeant.
En
409, les négociations s’éternisant, entre les exigences d’Alaric
jugées excessives et l’intransigeance d’Honorius, Alaric marche
à nouveau sur Rome et bloque ses approvisionnements...
Le
sénat capitule et accepte de former un gouvernement, Attalus devient
empereur et Alaric magister utriusque militiae. Les
approvisionnements Africains, indispensables à la survie de Rome,
sont bloqués par le gouverneur resté fidèle à Honorius et la
famine règne en ville.
Attalus
s’oppose à Alaric sur l’attitude à adopter et est finalement
déposé par ce dernier à l’été 410.
Les
négociations avec Honorius échouent à nouveau, Alaric marche une
3e fois sur Rome. Le siège est bref, les troupes entrent dans la
ville le 24 août et la pillent. Du côté des témoins latins de
l’événement, la figure de Saint Jérôme, témoin indirect
certes, tient une place particulière. Le prologue à son Commentaire
sur Ézéchiel, écrit entre 410 et 411, est l’occasion pour lui
d’exposer son trouble à l’annonce de la nouvelle du pillage de
la ville et de la mort de nombreux frères et sœurs, trouble tel
qu’il n’a pu travailler pendant des jours.
La
chute de Rome, c’est un peu à ses yeux la fin d’un monde, pour
ne pas dire la fin du monde. Vers 412 ou 413, Jérôme adresse une
lettre célèbre à la religieuse Principia, à propos de la vie de
Marcella. Saint Jérôme ne tarit pas d’éloges à propos de cette
veuve de la noblesse Romaine qui s’est mise au service de Dieu et
dont il a été assez proche. Elle meurt quelques mois après le sac
de Rome, durant lequel elle a été malmenée, ce qui donne
l’occasion à Jérôme de faire le récit de ces événements. Il
installe d’emblée les souffrances de la ville au cœur d’un
châtiment divin. Il évoque le pape Anastase (399-401), enlevé
rapidement au monde afin qu’il n’essaie pas, par ses prières,
d’atténuer la sanction divine portée contre la ville, et ne soit
plus là « quand la tête de l’univers serait tranchée …
Citant en outre Jérémie (14, 11-12) : Ne prie pas pour ce peuple,
(…) car je les consumerai par le glaive, la famine et la peste ».
Il évoque ensuite l’origénisme qui met en difficulté les
orthodoxes à Jérusalem. « Mais voici que cet immense ouragan
est anéanti par le souffle du seigneur, et que s’accomplit
l’oracle du prophète (…). ».
Viennent
ensuite, condensés en quelques lignes dramatiques, les 3 sièges
successifs, et enfin, concluant l’ensemble avant quelques citations
tirées de la Bible ou de l’Énéide sur la chute des villes, le
cannibalisme : « Elle est prise, la Ville qui a pris l’univers
entier, que dis-je ? elle périt par la famine avant de périr par le
glaive, et on n’a trouvé à faire que très peu de prisonniers. La
fureur de la faim a poussé à des nourritures criminelles, les gens
se déchirent mutuellement les membres, une mère n’a pas épargné
son nourrisson et a absorbé dans ses entrailles l’enfant qui en
était sorti peu auparavant ».
Le
récit est très clairement construit pour faire culminer le
châtiment divin avec le cannibalisme, et la mère dévorant son
enfant établit un parallèle très clair entre la chute de Rome et
la chute de Jérusalem telle que l’a décrite Flavius Josèphe.
Il
est par ailleurs intéressant de constater que, en rédigeant le
début de son Commentaire sur Ézéchiel immédiatement après les
événements, ou même plus tard dans son Commentaire sur Jérémie,
Saint Jérôme ne lie pas le cannibalisme qu’il y commente avec ce
cannibalisme contemporain à Rome. Les seuls parallèles qu’il
amène sont la Bible elle-même et Flavius Josèphe.
La
parenté de son récit des malheurs de Rome avec notamment son
Commentaire sur Jérémie paraît pourtant manifeste, Jérôme
utilisant à chaque fois l’image du cercle enfantement –
alimentation – mort : Le ventre qui enfante et devient tombeau. La
sanction divine infligée à Rome est de plus présente en germe dans
l’œuvre de Jérôme bien avant 410. Il a été formé à Rome, y a
des partisans, mais s’y est aussi créé de nombreuses inimitiés
et a dû quitter la ville. Dans les œuvres écrites après son
départ, il compare régulièrement celle-ci à Babylone, voire au
peuple juif appelé à être puni pour ses péchés. Ce contexte plus
large confirme bien que le cannibalisme est ici un élément
important d’une stratégie narrative.
A
nouveau, l’historicité du cannibalisme semble bien moins importer
que le sens punitif qu’il véhicule. Saint Jérôme n’est
cependant pas le seul à évoquer la pratique de l’anthropophagie
au cœur de Rome.
Plusieurs
historiens de langue grecque en font état, tous semblant puiser
leurs informations à la même source : Olympiodore cet auteur,
historien et poète né à Thèbes en Égypte vers 380, n’est connu
que par l’ample résumé qu’a fait de sa vie et de son œuvre le
patriarche Photius, au IXe siècle, ainsi que par les larges extraits
de son œuvre repris par divers auteurs. Telle que l’on peut la
reconstituer, cette histoire ample et très détaillée couvre les
années 407-425 et, bien qu’écrite en grec, se concentre très
essentiellement sur les événements d’Occident (Italie et Gaule
surtout, quelques digressions sur l’Espagne).
Divers
éléments indiquent qu’Olympiodore dispose d’informations
précises émanant des centres de pouvoir de l’époque, et qu’il
a lui-même voyagé en Italie, comme le suggèrent ses descriptions
précises des fastes retrouvés de Rome, à la fin de son texte. Les
sources des informations qu’il livre ne sont pas identifiées,
elles doivent être pour une bonne part orales mais il est très
vraisemblable qu’il ait aussi fait usage de documentation écrite.
Son
récit, probablement publié dans sa forme finale vers 440, est riche
en anecdotes (volontiers macabres), en chiffres, en descriptions
soigneuses, en termes latins, et son style sans fioritures lui vaut
d’ailleurs, quelques siècles plus tard, les sarcasmes de Photius.
Sa perspective est celle d’un auteur païen et il souligne la folie
qu’il y a à abandonner les anciens cultes. Il ne s’en prend
toutefois pas directement au Christianisme.
Chronologiquement,
le premier à faire usage du récit d’Olympiodore pour sa propre
narration est Philostorgius. Il s’agit du seul historien arien
clairement identifié dont l’œuvre ait partiellement survécu.
C’est à nouveau par l’intermédiaire de Photius et de quelques
citations par d’autres auteurs que sa production littéraire a été
transmise jusqu’à aujourd’hui.
Né
en Cappadoce vers 368, il fréquente à Constantinople le courant
arien le plus radical. Son Histoire ecclésiastique (couvrant la
période 320-425), œuvre très polémique entendant défendre
l’arianisme, est composée entre 430 et 440.
Prodiges
et catastrophes abondent dans ce récit, interprétés comme les
signes de la colère divine contre la politique religieuse de
l’empereur d’Orient Arcadius. Son évocation des événements
occidentaux ne lui sert vraisemblablement qu’à voir là une
confirmation de sa propre vision apocalyptique des destinées d’un
Empire dominé par l’orthodoxie. Philostorgius raconte ainsi très
succinctement la reprise des approvisionnements après le second
siège de Rome par Alaric, reprise bénéficiant du moins aux Romains
ayant survécu à la famine et « ne s’étant pas dévorés
les uns les autres ».
Pour
sa propre Histoire ecclésiastique inachevée (couvrant une période
qui va du début de la controverse arienne à 425), publiée entre
440 et 450, Sozomène a également recours à l’autorité
d’Olympiodore. Avocat à Constantinople, Sozomène est un orthodoxe
et nicéen convaincu. Sa méthode historique rigoureuse tend dès
lors à s’appliquer à une vision de l’histoire qui confirme le
triomphe de sa doctrine. Comme chez Philostorgius, l’évocation du
cannibalisme apparaît après le second siège de Rome, mais dans un
contexte un peu différent. Cette fois, la responsabilité de la
famine est imputée à l’arrêt de l’approvisionnement depuis
l’Afrique, donc pas au siège lui-même.
Sozomène
évoque très brièvement l’usage d’aliments de substitution et
indique que certaines personnes ont été suspectées d’avoir
consommé de la chair humaine.
On
peut comparer ce récit à celui offert par Socrate de Constantinople
: Son Histoire ecclésiastique, encore une, est publiée peu avant
celle de Sozomène et en est la principale source d’informations.
La narration de Socrate appartient à une tout autre tradition, la
chronologie est bousculée et le récit entièrement tourné dans le
sens d’une dénonciation d’Alaric, présenté comme un traître
lâche et cruel, le tout sans la moindre allusion à la famine ou au
cannibalisme. Sozomène choisit d’ailleurs manifestement de se
détacher sur ce point de la version des événements proposée par
Socrate et lui préfère celle d’Olympiodore, bien plus loquace et
détaillée sur les affaires d’Occident. L’auteur le plus fidèle
au texte d’Olympiodore semble cependant être Zosime. Celui-ci,
dont on ne sait presque rien, écrit aux alentours de 500 son
Histoire nouvelle. L’intérêt de cette œuvre n’est toutefois
pas sa « nouveauté » mais le fait qu’elle préserve de très
larges extraits d’auteurs antérieurs perdus par ailleurs, Eunape
et Olympiodore.
Cela
en fait la source d’informations la plus importante pour les règnes
de Théodose et de ses fils Arcadius et Honorius. La cohérence
historique semble céder le pas, chez Zosime, à la leçon religieuse
: Il veut décrire de quelle manière les Romains ont détruit leur
empire en abandonnant leur religion ancestrale. Son récit
s’interrompt en 410, juste avant le sac de Rome.
Le
cannibalisme apparaît à deux reprises, d’abord à la fin du
premier siège, en 408 : « Lorsque le mal est devenu extrême
et qu’ils risquent d’en venir même à s'entre dévorer, non sans
avoir essayé toutes les autres nourritures qui paraissent être
repoussantes aux hommes », les assiégés se décident à négocier
avec l’ennemi. Le second extrait, comme chez Sozomène, renvoie à
la rupture des approvisionnements africains : «(…) une famine plus
grave que la précédente afflige la ville, (…). La ville en est
réduite à une telle détresse que les gens, s’attendant à se
nourrir même de corps humains, poussent le cri suivant à
l’hippodrome : « pretium inpone carni humanae », ce qui
signifie : « fixe un prix pour la chair humaine ». Même en se
concentrant exclusivement sur le cannibalisme accompli / suspecté /
craint pendant ou après le second siège, on ne peut que constater
la richesse des interprétations différentes d’une source unique.
Si
Zosime est bien le plus proche d’Olympiodore, il est clair que ce
dernier ne parle que de craintes, voire pour la seconde mention d’un
mélange de colère, provocation et humour. Sozomène adapte le récit
de façon plus littérale, renforce la présence de la crainte et
exclut les éléments plus légers, qui conviennent mal au pathétique
de la famine.
Il
n’abandonne toutefois pas totalement sa source : En aucun cas il
n’affirme explicitement la pratique, elle n’est que soupçonnée.
Philostorgius, pour ce que l’on en conserve, semble a priori plus
explicite, tout en n’amenant le cannibalisme qu’indirectement, en
parlant d’autre chose, comme une touche rhétorique supplémentaire
rappelant les souffrances des Romains.
Et
par rapport à Saint Jérôme ? Faudra-t-il s’étonner que
l’histoire de la mère cannibale n’apparaisse que chez l’exégète
chrétien, et pas chez le païen Olympiodore pour laquelle elle ne
porte vraisemblablement guère de signification ?
Au
sein des informations qui circulent après la chute de Rome, il
semble acquis que des rumeurs de cannibalisme ou des histoires telles
que celles rapportées par Olympiodore circulent dans l’empire
romain. Saint Jérôme ou ses informateurs chrétiens, marqués par
l’analogie entre sièges de Rome et sièges bibliques et par
l’arrière-plan de châtiment divin qui les accompagne, reformulent
le cannibalisme selon un topos porteur de sens.
Du
côté des suiveurs d’Olympiodore, l’anthropophagie est également
reformulée, selon des buts littéraires, voire idéologiques,
spécifiques. Il faut de plus être conscient que, lorsque
Olympiodore lui-même récolte ses informations, certains épisodes
précis du siège, comme ces cris à l’hippodrome, ont déjà fort
bien pu prendre un caractère quasi mythique. Ces observations me
semblent avant tout dépeindre une réalité où est bien présente
l’angoissante possibilité du cannibalisme de survie.
Au-delà,
c’est l’étonnante malléabilité littéraire du thème
anthropophage qui frappe. Ce thème est d’ailleurs encore intégré
à une œuvre plus tardive, grecque toujours, La guerre contre les
Vandales, commandée à Procope par l’empereur Justinien et publiée
en 551. Né à Césarée de Palestine à la fin du Ve siècle,
Procope est un proche du général Bélisaire, dont il suit les
expéditions en Perse, Afrique et Italie, entre 527 et 540. Il a
l’originalité d’offrir deux versions différentes de la fin du
dernier siège de Rome, en 410. La seconde version apparaît ici pour
la première fois, sa source est inconnue, et c’est elle qui
contient l’allusion au cannibalisme. Selon cette version, le siège
s’est achevé lorsqu’une femme noble appelée Proba, « prit
pitié des habitants de la Ville, qu’elle voyait périr de faim ou
de toutes sortes d’autres mauvais traitements (certains en venaient
déjà à manger leurs congénères !), et envoya ses serviteurs
ouvrir les portes de la ville aux hommes d’Alaric ». Si le
récit est tout à fait original, le cannibalisme l’est moins, mais
le fait qu’il ne soit cité que dans cette version, et pas dans
l’autre racontée aussi par Procope, semble bien indiquer qu’il
fait partie, comme un topos, d’un certain nombre de narrations
consacrées à cette prise de Rome en 410, et que sa présence dans
les esprits est particulièrement durable...
Honorius
envoie à contrecœur les insignes impériaux à Constantin III au
début de l'année en réponse à une ambassade et ils partagent le
consulat.
13
janvier, empire romain : Constitution d'Honorius édictant la
peine capitale contre ceux qui saccageront les basiliques ou
insulteront les évêques et les prêtres catholiques.
Janvier :
Le préfet de Rome Gabinius Barbarus Pompeianus consulte des
haruspices* étrusques pour sauver Rome assiégée par les Wisigoths
et envisage de rétablir les sacrifices pour la circonstance... Le
pape Innocent lui-même donne son autorisation. Le Sénat romain
accepte de verser une forte contribution à Alaric, et collecte 5 000
livres d'or, 30 000 livres d'argent,
3
000 livres de laine et 3 000 livres de poivre. Le sénateur d'origine
Espagnole Basilius est envoyé au camp d'Alaric, qui accorde une
trêve malgré l'échec d'une ambassade du sénateur Attale envoyée
à Ravenne pour demander à Honorius de traiter.
Février :
Gabinius Barbarus Pompeianus est massacré par la foule lors d'une
émeute de la faim tandis que les barbares se déchaînent au travers
des Espagnes.
Attale
est nommé à sa place préfet de Rome.
Mars :
Olympius envoie une armée de 6 000 Dalmates commandée par le comte
des domestiques Valens pour renforcer la garnison de Rome. Elle est
détruite dans une embuscade par les troupes d'Alaric. Seul Valens et
Attale parviennent à s'échapper. Olympius disgracié est remplacé
par Jovius, nommé préfet du prétoire par Honorius. Jovius renoue
avec une politique Germanophile, qui semble plus tolérante à
l'égard des païens et des donatistes, le Barbare Allobichus est
nommé comte des domestiques à Ravenne.
Printemps :
Le barbare Generidus, commandant des forces Romaines en Norique,
envoie 10 000 mercenaires Huns à Ravenne pour renforcer
l'empereur Honorius. Alaric, rejoint par 40 000 esclaves chassés
de Rome par la famine, marche vers Ravenne, son beau-frère Athaulf
lui amène des renforts du Danube, mais est battu à Pise.
Le
César Constant retourne en Espagne avec le général Justus, ce qui
irrite Gerontius, chargé jusqu'alors d'administrer la province.
Mai-juin :
Honorius se réconcilie avec l'usurpateur Gaulois Constantin qui
promet d'intervenir en Italie. Des négociations s'ouvrent à Rimini
entre Alaric et le préfet du prétoire Jovius. Alaric demande à
s'installer en Vénétie, Norique et Dalmatie, en plus d'un tribut et
d'un ravitaillement annuels et le titre de magister militum. Honorius
refuse, et Alaric dirige son armée sur Rome.
26
juin : Constitution d'Honorius au préfet du prétoire Jovius,
qui menace de disgrâce tous les représentants de l'autorité de
l'empire qui n'exécuteront pas les mesures prescrites contre les
hérétiques.
28
septembre ou 13 octobre : les Vandales, les Suèves et les
Alains passent les Pyrénées en dépit des garnisons laissées par
Constant et commencent de piller la Tarraconaise, à Arles,
Constantin III a l'intention de renvoyer son fils Constant en
Espagne, quand il apprend l'usurpation de Maxime, acclamé empereur à
Tarragone par Gerontius (fin en 411).
Novembre
- décembre : Alaric Ier, rejoint par son beau-frère Athaulf
avec les forces Gothiques du nord de la Pannonie, rompt les
négociations de Rimini avec Honorius et investit les magasins à
grains du Portus près de Rome. Il fait proclamer empereur le
sénateur Attale qui le hausse au grade de Magister utriusque
militiae praesentialis (maître de la milice).
24
décembre, Noël : Le préfet du prétoire Jovius est envoyé
par Honorius en ambassade auprès d'Attale, avec Valens, maître de
la cavalerie et de l'infanterie, le questeur Potamius et Julianius,
chef des notaires. Ils proposent un partage de l'Occident entre les
deux empereurs, ce qui leur est refusé. Jovius et Valens se rallient
à l'usurpateur.
Hiver
409-410 :
Rome
est affamée par le comte d'Afrique Héraclien qui a mis l'embargo
sur les livraisons de blé, Attale envoie Constant à la tête d'une
petite armée, qui est écrasée.
Honorius
reçoit en renfort à Ravenne 4 000 hommes envoyés par l'empire
d'Orient.
Alaric
installe ses cantonnements en Étrurie, trahit Attalus pour se
rapprocher d’Honorius, lui demandant un établissement en Norique
pour son peuple. Honorius refuse.
Selon
Zosime, après le départ du gros des troupes Romaines, les
incursions des Germains d'au-delà du Rhin (sans doute des Saxons)
obligent les habitants de Bretagne à prendre les armes pour chasser
les Barbares des villes et à proclamer leur indépendance vis-à-vis
de Rome.
*Un
haruspice, ou aruspice, est un pratiquant de l'haruspicine, l'art
divinatoire de lire dans les entrailles d'un animal sacrifié
(notamment l'hépatoscopie : examen du foie censé représenter
l'univers) pour en tirer des présages quant à l'avenir ou à une
décision à prendre.
'Armorique et d'autres régions de la Gaule suivent leur
exemple et chassent les fonctionnaires Romains, établissant leur
propre gouvernement.
Fames facta est ut homo hominem comederet : l'Occident ...www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_2008_num_86_2_7467
de
V Vandenberg - 2008 - Cité 5 fois - Autres articles
Revue
belge de philologie et d'histoire Année 2008 Volume 86 Numéro 2 pp.
... les terribles conséquences de l'irruption en 409 dans la
péninsule ibérique de ..... La chute de Rome, c'est un peu à ses
yeux la fi n d'un monde, pour ne pas dire ..... Ces prémisses
tardo-antiques étant posées, j'aimerais à présent me tourner ...
L'Histoire
à la carte : De la naissance à la chute de l'empire ...
www.histoirealacarte.com
› Rome et son empire
Empire
Romain. d'Orient. d'Occident. Vandales. Suèves. Alains. 406-409 ...
année. Rome s'agrandit peu à peu en luttant contre ses voisins,.
les Latins* et les ...
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